ISLAM : JUIFS ET CHRÉTIENS

Jews and Christians persecuted for centuries ... until now

No Jew in Gaza / Aucun Juif à Gaza / Geen Jood in Gaza / Kein Jude in Gaza

PLAN

1 Etudes

2 Textes

1 Etudes

Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, 1 L’âge de la foi, éd. Calmann-Lévy, 1981

L’ islam

(p.47-48) /Arabie, début du 7e siècle/

Ce désert était peuplé de tribus bédouines, pratiquant /aussi/ la circoncision. Elles adoraient des idoles de pierre, dont la pierre noire de la Kaaba, à La Mecque, était la plus connue.

 

(p.49) D’après la tradition musulmane, l’apostolat de Maho­met s’exerça d’abord pendant dix années, de 612 à 622, à La Mecque ; le prophète n’y eut que peu de succès, ne recruta que quelques dizaines de fidèles et fut en butte aux risées et même aux persécutions des Mecquois. Il se décida alors à se transporter avec ses adhérents à Médine (Yathrib), ville située quelques centaines de kilo­mètres plus au nord, et peuplée en grande partie de tribus juives ou judaïsantes. Là, son succès s’affirma, et ses partisans crurent rapidement en nombre, sur un sol déjà labouré par l’enseignement monothéiste. (Bien que ces questions soient fort obscures, une comparaison avec les premiers succès de la prédication chrétienne, obtenus parmi les metuentes, les « prosélytes de la porte », serait peut-être de mise ici.)

Mais les Juifs de stricte obédience, les docteurs locaux de la Loi dont, les appels ardents du Coran en témoi­gnent, la caution et l’approbation morale lui apparais­saient tellement essentielles, se montrèrent sceptiques et dédaigneux. Des démêlés et des escarmouches s’ensuivirent ; suffisamment puissant déjà pour faire usage de la manière forte, le Prophète déçu expulsa une partie des Juifs, et massacra avec la bénédiction d’Allah le reste. Ainsi s’expliquent les contrastes du Coran, lorsqu’il traite des Juifs, les glorifiant dans certains passages (ce sont alors les « Fils d’Israël »), les vouant aux gémonies en d’autres plus tardifs (ce sont alors les yahud) ; ainsi s’expliquerait aussi la substitution de Jérusalem par La Mecque comme lieu d’orientation de la prière (kibla), (p.50) et le remplacement du jeûne de Yom Kippour par le Ramadan.

 

(p.50) Maître de Médine et de sa région, le Prophète s’em­ploya ensuite à amener à composition La Mecque, sa ville natale, et à devenir le chef théocratique de l’Arabie (du reste, maints accents du Coran permettent de con­clure qu’il n’était guère conscient d’une mission de caractère universaliste, et que c’est la collectivité arabe seule qu’il entendait faire bénéficier de son message). Dans cette entreprise, qui s’étendit de 622 jusqu’à sa mort en 632, il fit preuve  d’étonnantes capacités de meneur d’hommes et de stratège, frappant les Mecquois sur leurs lignes de communication avec l’extérieur, et les réduisant à sa merci en 630. Au cours de ces campagnes, il eut cette fois affaire à des tribus arabes chrétiennes et réussit à les soumettre ; ici encore, il se heurta à leur incompréhension, sinon à leurs railleries et, dans cette question également, le Coran reflète sa déception, et manifeste un changement graduel de ton.

Les dernières années de la vie du Prophète paraissent avoir été calmes et sereines. Khadija était morte depuis longtemps ; il contracta, pour des raisons politiques, plu­sieurs autres mariages. Il régissait paternellement sa communauté, simple, humain et de bon conseil, accessible au dernier de ses fidèles. Il préparait une expédition contre la Syrie lorsqu’il mourut subitement en 632.

Tels sont les éléments certains de la biographie du Prophète qu’il est possible de retirer de la lecture du Coran, ce livre tellement déroutant pour l’entendement occidental. Sa lecture est assurément rebutante pour nous, et le jugement qu’a jadis porté Carlyle : « Un fouillis confus, rude et indigeste. Seul le sens du devoir peut pousser un Européen à venir à bout du Coran », reste toujours vrai pour nous. Mais aussi vraie est la deuxième partie de la proposition : « Ce livre a des mérites tout autres que littéraires. Si un livre vient du plus profond du cœur, il atteindra d’autres cœurs ; l’art et le savoir-faire ne comptent guère. » Livre d’authen­tique inspiration religieuse, le Coran rappelle l’Ancien Testament par son aspect de guide universel, s’étendant à tous les domaines de l’existence. Il est vrai que sa composition est beaucoup plus confuse et ses répéti­tions proprement interminables. (Mais ainsi que faisaient observer ses commentateurs « Dieu ne se lasse jamais de se répéter».) Et tout comme l’Ancien Testament a (p.51) été complété par la tradition, d’abord orale, de la Michna et du Talmud, le Coran l’a été par la tradition islamique du hadith, laquelle n’a été fixée par écrit que sur le tard (IXe siècle).

Si le génie de Mahomet fut de fondre et de transposer, afin de les rendre accessibles aux Arabes, les enseigne­ments des deux religions rivales (Jésus, auquel il accorde une place éminente, est pour lui le dernier en date des grands prophètes), il témoigne souvent, nous l’avons dit, de l’ignorance de leur teneur exacte. Ainsi il croit que les Juifs, partageant à leur manière l’erreur chrétienne, tiennent Ezra pour le fils de Dieu ; la Trinité chrétienne se compose pour lui de Dieu, le père, du Christ et de Marie (les Chrétiens sont pour lui des polythéistes), et il confond du reste Marie avec Myriam, la sœur d’Aaron (sourate XIX, 29) ; plus même, il confond parfois ensei­gnement juif et enseignement chrétien, et exhorte les Juifs de Médine à le suivre au nom des Evangiles. Igno­rance qui peut-être fit sa force ; peut-être le vieux Renan avait-il raison en écrivant : « Trop bien savoir est un obstacle pour créer… Si Mahomet avait étudié de près le judaïsme et le christianisme, il n’en eût pas tiré de religion nouvelle ; il se fût fait juif ou chrétien et eût été dans l’impossibilité de fondre ces deux religions d’une manière appropriée aux besoins de l’Arabie… »

Cherche-t-on par ailleurs à déterminer la part du judaïsme et celle du christianisme dans l’enseignement de Mahomet, on se convainc facilement de l’influence pré­pondérante du premier. Du point de vue transcendantal, le monothéisme rigide de l’Ancien Testament est main­tenu et, si possible, affirmé avec plus d’énergie encore. « II n’est de divinité qu’une Divinité unique. » « Impies sont ceux qui ont dit : « Allah est le troisième d’une « Trinité. » « Comment aurait-Il des enfants alors qu’il « n’a point de compagne, qu’il a créé toute chose et « qu’il est omniscient ? » Sans relâche, le Coran martèle ce thème. Du point de vue des rites, la loi de Moïse, depuis longtemps tombée en désuétude chez les Chré­tiens, tout en étant allégée par Mahomet, reste en vigueur dans la plupart des domaines, qu’il s’agisse de prescrip­tions alimentaires et de l’interdiction de la viande de porc, des ablutions et purifications et de la réglemen­tation de la vie sexuelle (considérée, tout comme par l’Ancien Testament, bonne et nécessaire), ou du rythme des prières quotidiennes et des jeûnes. Aux Chrétiens, (p.52) il n’emprunte que le culte de Jésus et la foi en sa concep­tion virginale. Mais il nie résolument le fait de la Cruci­fixion 1.   D’ailleurs,   pourquoi   Jésus   se   serait-il   laissé immoler ? En effet, la notion de péché originel, à peine j esquissée dans l’Ancien Testament, et sur laquelle les Evangiles mettent si fortement l’accent, est pratiquement ignorée par le Coran. On voit donc que l’Islam a bien plus d’affinités avec le judaïsme qu’avec le christianisme. Il est vrai que sur maints points on perçoit l’influence de très antiques traditions communes  aux Arabes et aux Juifs, ainsi que cela était le cas pour la circoncision (que le Coran ne mentionne explicitement nulle part !), Mais l’Islam se rapproche du  christianisme sur un autre point. En analogie avec un classique procédé des Pères de l’Eglise, qui cherchèrent et trouvèrent chez les prophètes bibliques l’annonce de la  venue du Christ, Mahomet attribue à ces mêmes prophètes, mais surtout à Abraham et à Jésus, l’annonce de sa venue à lui. (Les théologiens musulmans perfectionneront la méthode, se référant parfois aux mêmes textes que les Chrétiens, qu’ils sauront lire d’une manière nouvelle2.) Et si les « détenteurs des Ecritures » (Chrétiens comme Juifs) ne trouvent dans ces textes rien de tel, c’est qu’ils sont, les uns comme les autres, des témoins infidèles, déten­teurs d’une demi-vérité ; car, ils en ont « oublié une par­tie », ou, ce qui pire est, « ils veulent éteindre la lumière d’Allah avec le souffle de leurs bouches ». Ils sont donc des faussaires, « dissimulant une grande partie de l’Ecri­ture ». A ce point de vue, nulle différence entre Juifs et Chrétiens, même si à plusieurs reprises Mahomet souligne sa préférence pour les derniers ;  ils sont placés sur le même pied, et Allah, qui jusque-là a soutenu les Chré­tiens contre les Juifs, les châtiera maintenant de la même manière pour leur infidélité.

 

1 La Crucifixion est une fable juive, et les Juifs sont précisément blâmés « pour avoir dit » : « Nous avons tué le Messie, Jésus fils de Marie, « l’Apôtre d’Allah ! », alors qu’ils ne l’ont ni tué ni crucifié, mais que son sosie a été substitué à leurs yeux » (sourate IV, 156). Cette interprétation dénote l’influence du Nestorianisme, avec son enseignement sur les deux natures de Jésus-Christ, sinon celle d’autres anciennes hérésies orientales (Docètes, Corinthiens, Saturniens, etc.) comportant diverses variations sur le même sujet.

2 Ainsi Habakuk, III, 3-7 ; Daniel, II, 37-45 ; Isaïe, V, 26-30 et passim, et même Cantique des Cantiques, V, 10-16. Les Evangiles sont mis à contribution de la même manière.

 

(p.54) Et le « tuez les Infidèles quelque part que vous les trouviez ; prenez-les, assiégez-les » : en un mot, la Guerre sainte, le jihad ? demandera-t-on. Certes, cela aussi se trouve dans le Coran, mais ces imprécations et ces vio­lences sont expressément réservées aux polythéistes, aux idolâtres arabes qui ne veulent pas accepter l’ordre théocratique institué par le Prophète pour son peuple (ce n’est qu’à partir des croisades que la notion de Guerre sainte fut étendue à la lutte contre les Chrétiens). Pour ces trublions, dont l’opposition compromet son œuvre, Mahomet est sans merci : pour le reste, l’Islam est par excellence une religion de tolérance. Rien de plus faux que de le voir, conformément aux poncifs traditionnels, brisant toute résistance par le fer et par le feu. Plus généralement, c’est une religion à la mesure de l’homme, sachant tenir compte de ses limites et de ses faiblesses. « Cette religion est facilité », dit la tradition musulmane ; « Allah veut pour vous de l’aise et ne veut point de gêne », dit encore le Coran. Religion qui n’exige ni le sublime ni l’impossible, moins ardente que le christianisme à élever l’humanité vers des hauteurs inacces­sibles, moins portée aussi à la plonger dans des bains de sang.

 

(p.56) Et c’est ce qui explique que l’Islam à ses débuts a été considéré par les Chrétiens — et aussi par les païens — simplement comme une nouvelle secte chrétienne. Une telle conception persista en Europe à travers tout le Moyen Age : on en retrouve les échos dans La Divine Comédie de Dante, où Mahomet est traité de « seminator di scandalo e di scisma », ainsi que dans diverses légendes où il est présenté comme un cardinal hérésiarque, déçu de ne pas avoir été élu pape. On comprend mieux, dans ces conditions, l’accueil enthousiaste que les monophysites de Syrie, persécutés par Byzance, et les nestoriens de Mésopotamie, opprimés en Perse, réservèrent aux conqué­rants, qui étaient aussi leurs frères ou leurs cousins de race.

 

(p.59)  Est-ce de l’époque des Omayades que date le statut des ‘dhimmis’, des protégés chrétiens et juifs, tel que les (p.60) légistes musulmans le codifieront définitivement un ou  deux siècles plus tard ? Ces légistes aimaient à se référer à des répondants antiques et vénérables, et attribuaient le statut en question au Calife Omar, deuxième succes­seur de Mahomet ; en réalité, il lui est certainement bien postérieur ;  quoi qu’il en soit, voici les termes et les conditions,  au nombre  de  douze,  du célèbre   « pacte d’Omar » :

Six conditions sont essentielles :

Les dhimmis ne se serviront point du Coran par raille­rie, ni n’en fausseront le texte,

Ils ne parleront pas du Prophète en termes mensongers ou méprisants,

Ni du culte de l’Islam avec irrévérence ou dérision,

Ils ne toucheront pas une femme musulmane, ni ne chercheront à l’épouser,

Ils ne tâcheront point de détourner un Musulman de la foi, ni ne tenteront rien contre ses biens ou sa vie,

Ils ne secourront point l’ennemi, ni n’hébergeront d’espions.

La transgression d’une seule de ces six conditions anéan­tit le traité et enlève aux dhimmis la protection des Musulmans.

Six autres conditions sont seulement souhaitables ; leur violation est punissable d’amendes ou d’autres pénalités, mais n’anéantit pas le traité de protection :

Les dhimmis porteront le ghiyar, un signe distinctif, ordinairement de couleur jaune pour les Juifs, de couleur bleue pour les Chrétiens,

Ils ne bâtiront point de maisons plus hautes que celles des Musulmans,

Ils ne feront pas entendre leurs cloches et ne liront point à haute voix leurs livres, ni ce qu’ils racontent d’Ezra et du Messie Jésus,

Ils ne boiront pas de vin en public, ni ne montreront leurs croix et leurs pourceaux,

Ils enseveliront leurs morts en silence, et ne feront point entendre leurs lamentations ou leurs cris de deuil,

Ils ne se serviront point de chevaux, ni de race noble ni de race commune ; ils peuvent toutefois monter des mulets ou des ânes.

A ces douze conditions, si révélatrices du mélange de mépris et de bienveillance qui caractérisait l’attitude des Musulmans envers les Infidèles, il faut en ajouter une trei­zième, absolument fondamentale : les dhimmis paieront (p.61) tribut, sous deux formes différentes : le kharadj, impôt foncier, déjà mentionné, et la djizyia ou djaliya, capitation à acquitter par les hommes adultes, « portant la barbe ». De celle-là aussi, le célèbre légiste Mawerdi écrivait «qu’elle est demandée avec mépris, parce qu’il s’agit d’une rémunération due par les dhimmis en raison de leur infidélité, mais qu’elle est aussi demandée avec dou­ceur, parce qu’il s’agit d’une rémunération provenant du quartier que nous leur avons fait ».

De la sorte, une symbiose organique s’institue entre conquérants et conquis, qui, sauf exceptions passagères, a permis, tout le long du Moyen Age, l’existence de Chré­tientés et de Juiveries paisibles et prospères dans toutes les régions de l’Imperium islamique.

 

(p.63) Cette coexistence pacifique de religions rivales contribuait au respect de l’opinion d’autrui, et conduisait parfois aussi jusqu’au franc scepticisme. En particulier, les premières tentatives de critique biblique sont bien antérieures au « Siècle des Lumières » puis­qu’on les retrouve sous la plume de certains polémistes de l’Islam. Ainsi, au xie siècle, l’érudit poète Ibn Hazm mettait en doute l’âge des patriarches (Si Mathusalem avait vécu aussi longtemps que l’assure la Genèse, il aurait dû mourir dans l’arche de Noé, faisait-il observer), relevait maintes autres contradictions de l’Ancien Testa­ment et, tout comme plus tard un Voltaire, dressait le catalogue de ses obscénités.

Attaquer le Coran lui-même d’une manière aussi ouverte aurait équivalu à blasphémer le Prophète ; si les penseurs arabes ne l’ont pas osé, ou s’il ne reste plus trace de tels écrits, il a existé des auteurs, et non des moindres, qui se sont complu à composer des imitations du Coran, dont le caractère iconoclaste faisait les délices des initiés. C’est ce qu’a fait Mutanabbi, souvent consi­déré comme le plus grand des stylistes arabes, ainsi que le poète aveugle Abou’l-Ala, prince des sceptiques de l’Orient. On objectait à ce dernier, paraît-il, que son ouvrage était bien fait, mais qu’il ne produisait pas l’im­pression du vrai Coran. « Laissez-le lire pendant quatre cents ans dans les mosquées, répliqua-t-il, et vous m’en direz des nouvelles. » Ailleurs, Abou’l-Ala attaque toute religion en général en termes très violents : « Réveillez-vous, réveillez-vous, pauvres sots, vos religions ne sont qu’une ruse de vos ancêtres. » On voit que la formule  (p.64) « religion, opium du peuple » possède  des répondants antiques de qualité…

A cette originalité foncière de l’Islam de la grande époque, on peut facilement trouver des explications terre à terre, et invoquer les pressantes raisons qui pous­saient les conquérants arabes à protéger les existences et les cultes des dhimtnis, laborieux agriculteurs ou arti­sans, piliers de la vie économique du califat : état de choses qui a fini par recevoir une « consécration idéolo­gique ». Mais je préfère mettre l’accent sur l’autre aspect de la question, et qui, peut-être, recouvre une vérité plus profonde : à savoir, que les doux préceptes du Christ ont présidé à la naissance de la civilisation la plus combative, la plus intransigeante qu’ait connue l’histoire humaine, tandis que l’enseignement belliqueux de Maho­met a fait naître une société plus ouverte et plus conci­liante. Tant il est vrai, encore une fois, qu’à force de trop exiger des hommes, on les soumet à d’étonnantes tentations, et que qui veut trop faire l’ange fait la bête.

 

(p.66) Comment expliquer alors que le christianisme ait fini par s’éteindre presque complètement, à travers le vaste Imperium islamique ?

 

(p.67) Des flambées de persécutions, déclenchées par des Califes peu tolérants tels que Moutawakkil, « le haïsseur de Chrétiens » (847-861), et surtout, un siècle et demi plus tard, par l’extravagant Calife d’Egypte Hakim (996-1021), entraînaient de leur côté des conversions en masse. Mais les coups définitifs ne furent portés aux Chrétientés orientales qu’à l’époque des Croisades. Avant celles-ci, la dégradation fut très lente, et marquée surtout par une baisse progressive du statut social des Chrétiens. Dès le Xe siècle, les observations de Jahiz sur les métiers respectifs des Chrétiens et des Juifs ne semblent plus valables. Cependant, la prépondérance des Chrétiens dans l’administration durera pendant des siècles. Leurs adver­saires assuraient que certains d’entre eux se posaient même ouvertement en « maîtres du pays » ; et qu’en pillant le trésor public ils prétendaient exercer une espèce de droit de récupération. Les ulémas se plai­gnaient amèrement de cet « envahissement chrétien » ; au XVe siècle encore, l’un d’eux rappelait que « l’exercice par ces Chrétiens de fonctions dans les bureaux officiels est un mal des plus grands, qui a pour conséquence l’exaltation de leur religion, vu que la plupart des Musul­mans ont besoin, pour le règlement de leurs affaires, de fréquenter ces fonctionnaires… (…)

 

(p.68) Voici, par exemple, une apologie de l’Islam, Le Livre de la religion et de l’Empire, rédigée au IXe siècle par l’apostat chrétien Ali Tabari. Un de ses chapitres s’in­titule « La prophétie du Christ sur le Prophète — que Dieu les bénisse et les sauve tous les deux ». « II est évident — écrit Ali Tabari dans ce chapitre — que Dieu a accru sa colère contre les enfants d’Israël, les a mau­dits, les a abandonnés et leur a dit qu’il brûlerait le tronc à partir duquel ils se sont multipliés, qu’il les détruirait ou les chasserait dans le désert. Quel est mon étonne-ment de voir que les Juifs demeurent aveugles à ces choses et maintiennent des prétentions qui les rem­plissent d’illusions et d’erreurs. Car les Chrétiens portent (p.69)

témoignage contre les Juifs, matin et soir, comme quoi Dieu les a complètement détruits, a effacé leurs traces de la surface de la terre et annihilé l’image de leur nation. » Qu’un tel appel au témoignage des Chrétiens contre les Juifs ne dût pas être isolé est confirmé entre autres par Jahiz, qui conclut ainsi son écrit cité plus haut : « Les Chrétiens croient que les Mages, les Sabéens et les Manichéens, qui s’opposent au christianisme, doivent être pardonnés tant qu’ils n’ont pas recours au mensonge, et ne contestent pas la vraie foi, mais lorsqu’ils en viennent à parler des Juifs, ils les stigma­tisent comme des rebelles endurcis, et non seulement comme des gens vivant dans l’erreur et la confusion. » (Cette tradition ne s’est pas tarie, bien au contraire, puisque dans les pays arabes contemporains, la propa­gande anti-israélienne ou antijuive, faisant flèche de tout bois, invoque, aux côtés de certains versets du Coran et des vieux thèmes patristiques, non seulement des libelles pseudo-mystiques tels que les fameux « Proto­coles des Sages de Sion », mais aussi des arguments proprement racistes : les Juifs sont une race métissée, leurs vices sont innés, et Israël est appelé à disparaître « par la loi fondamentale de la lutte pour la vie ». On voit que la propagande mondiale hitlérienne est passée par là.)

 

(p.70) L’une des plus connues d’entre elles, celle de l’anna­liste syriaque Bar Hebraeus, évoque entre autres un massacre qui eut lieu dans l’Irak en 1285. Une bande de Kurdes et d’Arabes, forte de quelques milliers d’hommes, projetait de tuer tous les Chrétiens de la région de Macosil. Ceux-ci alors  « rassemblèrent leurs femmes et leurs enfants, et allèrent chercher refuge dans un castel qui avait appartenu à l’oncle du Prophète, dit Nakib  Al-Alawiyin,  espérant  que  les  brigands  respec­teraient cet édifice, et que leurs vies resteraient sauves. Quant au reste des Chrétiens, qui ne savaient pas où se cacher, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans le castel, ils tremblaient de peur, et pleuraient à chaudes larmes sur leur sort funeste, bien qu’en réalité ce sort frappât d’abord ceux qui s’étaient réfugiés dans le castel ». En effet, continue notre chroniqueur, malgré la sainteté de l’endroit, les bandits le prirent d’assaut et passèrent au fil de l’épée les réfugiés, massacrant ensuite les Chrétiens de la ville, et s’en prenant ensuite aux Juifs, et même aux Musulmans.

Ce récit de Bar Hebraeus, ses plaintes et ses impréca­tions rappellent par maint détail la chronique de Salomon bar Siméon, relatant comment, en 1096, des bandes de croisés massacrèrent les Juifs de Worms, qui avaient cherché abri dans le palais de l’évêque Adalbert (voir plus loin).

Mais, à part quelques épisodes isolés de cette espèce, on ne sait pas grand-chose des souffrances muettes de (p.71) ces chrétientés orientales, impossibles à relater sous forme d’histoire cohérente. Un chroniqueur plus ancien, le « pseudo »-Denys de Tell-Mahré, compilant les récits de ses prédécesseurs, constate :

« Quant aux temps durs et amers que nous-mêmes et nos pères avons vécus, nous n’avons trouvé aucune chronique à leur sujet, ni sur les persécutions et les souffrances qui nous ont frappés pour nos péchés… nous n’avons trouvé personne qui ait décrit ou commémoré cette époque cruelle, cette oppression qui continue à peser de nos jours encore sur notre terre… »

Somme toute, si on dispose de quelques éléments sur l’islamisation progressive des villes, on ignore les condi­tions dans lesquelles s’est poursuivie celle des campa­gnes. Parfois, on ne dispose que d’un point de départ et d’un point d’arrivée. Ainsi, dans l’Afrique du Nord actuelle, où florissaient jadis Tertullien, Cyprien et saint Augustin, où il y avait deux cents évêchés au viie siècle, il n’en restait plus que cinq en 1053 ; on croit que Abdel-mumin y détruisit vers 1160 les derniers vestiges de la chrétienté indigène. En Egypte, la déchristianisation fut plus lente, et ne s’accélère qu’en contre-coup à la poussée des croisés : de grandes persécutions de Chré­tiens, suivies de conversions en masse, y marquent en particulier la période du gouvernement des Mamluks, à partir de 1250. De nos jours, les Coptes monophysites y forment un dixième de la population. Une lente décadence du même genre s’est poursuivie en Syrie, où le nombre de Chrétiens de diverse obédience est actuel­lement du même ordre de grandeur (dans l’Irak, par contre, le christianisme nestorien s’est presque entière­ment effrité au cours du premier siècle de la domination arabe).

 

(p.73) Cependant, Charlemagne déjà, qui s’était fait cou­ronner empereur à Rome, avait fait évangéliser les Saxons non par la parole, mais par le fer et le feu. Lorsque le recours au « bras séculier » s’implante défi­nitivement dans les mœurs ecclésiastiques, lorsque, sur­tout après le triomphe de Canossa, la papauté prêche la croisade, et lance les troupes chrétiennes à l’assaut de la Terre sainte et de l’Orient, alors les progrès de l’évangélisation s’arrêtaient net. Les croisades furent-elles la grande trahison des clercs ? En fait, elles durcirent non seulement les cœurs des Juifs, massacrés par milliers par les bandes de croisés, mais aussi ceux des Musulmans, pieux adorateurs de Jésus, attaqués par les contempteurs acharnés de Mahomet. Par répercussion, elles conduisirent à l’extinction presque complète du christianisme en pays d’Islam ; elles marquent un apogée à partir duquel l’expansion chrétienne a fait place à une contraction. Ce processus, qui lui aussi s’étend sur près d’un millénaire, semble irréversible, surtout depuis qu’aux reculs enregistrés sur les fronts extérieurs s’est ajoutée, depuis plus d’un siècle, la retraite sur le front intérieur, face à ce qu’il est convenu d’appeler la « paganisation » des Européens, intellectuels ou ouvriers. Sur le fond de ce mouvement de longue durée, les revivals religieux, d’une génération à l’autre, ne font l’effet que de retours de flamme. A l’offensive du communisme, qui, en Europe et en Asie, abat, sous nos yeux, des murs entiers de l’édifice chrétien, font pendant les incessants progrès de l’Islam en Afrique. Tout se passe donc bien comme si le reflux du christianisme coïncidait avec la prépondé­rance de la civilisation occidentale, comme si le paradoxe d’un message évangélique appuyé sur la force se révélait à la longue être ce qu’il est : une antinomie insoute­nable.

 

(p.75) (…) nombreux sont les versets du Coran consacrés à la glorification des patriarches et des prophètes, Moïse, Elie, Job ou le roi Salomon.

Par la suite, la théologie de l’Islam fut élaborée sur­tout à Bagdad, c’est-à-dire dans cette Mésopotamie qui, depuis des siècles, était la forteresse de la tradition juive. Des Juifs convertis à l’Islam, tels qu’Abdallah ben Salem et Kaab al-Ahbar, ont contribué à en déterminer la forme et les méthodes : nous avons déjà signalé les analogies de construction entre le Talmud et le hadith. Et le folklore religieux des premiers siècles de l’Islam s’est abondamment alimenté au fonds juif, aux histoires merveilleuses de la Haggada sur les patriarches et les prophètes ; ces légendes, connues sous le titre significatif de « Israyilli’at », ont conservé leur popularité jusqu’à nos jours.

 

(p.85) De tout ce qui précède, il serait erroné de conclure que le sort des Juifs en Islam fut toujours florissant. Dans la partie orientale de l’Empire, il y eut des persé­cutions sporadiques, lesquelles du reste visaient toujours les dhimmis juifs et les dhimmis chrétiens à la fois. La mieux connue, et peut-être la plus cruelle, fut celle du Calife fatimide Hakim, lequel, en 1012, fit détruire en Egypte et en Palestine toutes les églises et toutes les synagogues, et interdit la pratique des religions autres que l’Islam. Il est significatif que les historiens musul­mans n’ont su expliquer cette décision autrement qu’en l’attribuant à la folie qui subitement se serait emparée de ce Calife. Dans la partie occidentale, d’où dès le XIIe siècle le christianisme avait disparu, tandis que le judaïsme prospérait (disparité de sort qui nous rappelle combien le judaïsme était mieux outillé que le christianisme pour vivre sous une domination étrangère), il y eut, au xiie siècle, sous la dynastie des Almoravides d’abord, sous celle des Almohades ensuite, des persécu­tions féroces, auxquelles, nous le verrons plus loin, les Juifs échappaient souvent en se réfugiant pour quelque temps en territoire chrétien (ce fut entre autres le cas pour Juda Halevi et pour la famille de Moïse Maïmonide). Il a été observé, à ce propos, qu’il ne s’agissait pas de dynasties arabes, puisque toutes deux étaient d’ori­gine berbère, et que leur intolérance n’était que l’expres­sion du zèle fervent de nouveaux convertis. L’explication vaut ce qu’elle vaut : des interprétations de ce genre me paraissent plus valables dans le cas de princes apparte­nant à la secte chiite, intolérante de tous temps et par doctrine. On constate, en effet, que nombre d’entre les persécutions connues ont été le fait de chiites : ainsi, celles du Yemen et celles qui furent endémiques en Perse dans un passé récent encore, ainsi que nous le verrons plus loin. Mais, surtout, ce que nous connaissons est sans doute bien plus maigre que ce que nous ignorons. Carac­téristique à cet égard est la phrase laconique qui suit du chroniqueur juif espagnol Ibn Verga : « Dans la grande ville de Fez, une grande persécution eut lieu ; mais comme je n’ai trouvé là-dessus rien de précis, je ne l’ai pas décrite plus amplement. »

II semble bien que les Juifs furent englobés dans les persécutions antichrétiennes d’Egypte mentionnées plus haut (d’après une chronique musulmane datant de cette époque, ils auraient même supplié le sultan : « Au (p.86) nom de Dieu, ne nous brûlez pas en compagnie de ces chiens de Chrétiens, nos ennemis tout comme les vôtres ; brûlez-nous à part, loin d’eux. »

 

(p.89) Voici encore le Al Mostatraf, vaste encyclopédie popu­laire, sorte de fourre-tout, correspondant, à la fois, aux « Mémentos pratiques », « Règles de savoir-vivre » et almanachs de nos parents. En divers endroits, il y est question des Infidèles et de leurs ruses, mais sans méchanceté excessive. Ainsi, on nous apprend que, pour jouer un tour aux Musulmans, un « roi de Roum » chré­tien décida d’abattre le célèbre phare d’Alexandrie, haut de mille coudées. Il s’y prit de la manière suivante : il envoya en Egypte des prêtres, qui prétendaient vouloir embrasser l’Islam : ceux-ci, de nuit, enfouissaient à proxi­mité du phare des trésors, qu’ils déterraient de jour ; tout le peuple d’Alexandrie courut creuser la terre tout autour, de sorte que le phare finit par s’écrouler. Ailleurs, il est question d’un Juif qui, pour perdre un vizir, contre­nt son écriture, et feignit d’entretenir avec les princes infidèles une correspondance préjudiciable aux intérêts de l’Islam ; démasqué, il fut décapité.

Le chapitre « De la fidélité à la foi jurée » donne en exemple le roi-poète juif Samawal, qui symbolisait déjà cette vertu dans la poésie arabe antéislamique. Des adages mettent en garde contre les dhimmis : « Ne con­fiez aucune fonction ni aux Juifs ni aux Chrétiens ; car, par leur religion, ce sont des gens à pots-de-vin… » (cha­pitre « De la perception des impôts »), ou les flétrissent : « En général, la malédiction est permise contre ceux qui possèdent des qualités méprisables, comme par exemple quand on dit : « Que Dieu maudisse les méchants ! Que « Dieu maudisse les Infidèles ! Que Dieu maudisse les «Juifs et les Chrétiens!…» (chapitre : «De savoir se taire »). Le chapitre traitant des épigrammes contient celui qui suit « … il arrive très souvent qu’une pièce de bois soit fendue en deux : la moitié pour servir à une mosquée, et ce qu’il en reste est employé aux latrines d’un Juif ! » On voit qu’il y a de tout, dans notre encyclo­pédie.

 

(p.98) « Ollé » : une translitération d’Allah

 

(p.104) En 1066, au cours d’une brève insurrection populaire, Joseph ibn Nagrela fut crucifié par la foule déchaînée, et un grand nombre de Juifs furent assassinés ; il semble que les survivants durent quitter pour quelque temps Grenade.

 

(p.112) En Andalousie, l’âge d’or ne devait plus durer longtemps. En 1147, elle fut envahie par les Almohades du Maroc intolérants, sectaires, imposant l’Islam de force, et ceux des Juifs qui ne se résignèrent pas à la condition humiliée et dangereuse de l’Anoussiout durent la quitter pour les cieux plus cléments de la Castille, de l’Aragon et de la Provence. On est mal ren­seigné sur le sort de ceux qui restèrent ; aucun historien ne s’est encore penché sur leurs vicissitudes. D’une part, d’après une chronique arabe, ils jouèrent un rôle de premier plan, quinze ans plus tard, au cours d’une insurrection avortée contre le régime des Almohades. De l’autre, Ibn Aknin (le disciple préféré de Maïmonide) assure qu’ils faisaient de grands efforts pour complaire aux Almohades, et continuèrent même à suivre les rites de l’Islam lorsque la contrainte prit fin ; mais que malgré cela, méprisés, ils ne trouvèrent pas grâce aux yeux des Musulmans. Effectivement, à deux reprises, au début du xiie siècle, le port d’un insigne distinctif fut imposé à ces convertis. On peut supposer qu’ils ont constitué une sorte de communauté à la fois juive et musulmane, sem­blable aux sectes que nous avons décrites au chapitre précédent. Ce qui pourrait expliquer comment Ibrahim ou Abraham ibn Sahl, de Séville, ait pu être en même temps le chef de la communauté juive et l’un des poètes arabes les plus connus et les plus licencieux de son époque.

 

(p.114) Tandis que dans l’Europe proprement chrétienne les croisades marquent le début d’une dégradation des Juifs, et, d’une manière très immédiate, contribuent à cette dégradation, dans une Espagne fortement isla­misée, la Reconquista, au cours d’une première et longue période, favorise en effet un essor du judaïsme qui fut sans égal dans l’histoire de la dispersion. C’est que la Reconquista, qui fut une croisade permanente longue de huit siècles, fut, en même temps, surtout à ses débuts, tout autre chose que cela. Avant d’en venir à notre sujet proprement dit, il importe donc d’éclairer la toile de fond, d’évoquer brièvement l’épopée millénaire qui, mêlée sourde et incohérente à son commencement, allait devenir la gesta Dei per Hispanos, la croisade réalisée dans tous ses buts (contrairement aux croisades d’Orient; mais c’est peut-être la logique interne d’une croisade menée à son aboutissement, c’est-à-dire le paradoxe d’une quête assouvie, qui conduisit alors à la persécution d’une partie de l’Espagne par l’autre, ainsi que nous le verrons plus loin).

Cependant, les Chrétiens d’Espagne combattent sous (p.115) l’égide d’un patron tutélaire, saint Jacques, dont la dépouille mortelle aurait été miraculeusement transpor­tée de Palestine à Saint-Jacques-de-Compostelle, à l’extré­mité nord-ouest de la Péninsule. Dans le réseau de légendes qui se tisse autour de la figure de ce doux apôtre, celui-ci devient à la fois le frère cadet ou même le double de Jésus, et un chevalier à la blanche armure, en imitation, peut-être, de la figure belliqueuse de Mahomet. Le sanctuaire de Saint-Jacques-de-Compostelle devient bientôt l’un des principaux lieux de pèlerinage pour toute l’Europe carolingienne, et, de la sorte, les influences de la jeune culture chrétienne commencent à contrebalancer celles du califat de Cordoue, aidant les populations de la Castille ou de l’Aragon à mieux prendre conscience de leur chrétienté. Ainsi s’amorce une lente évolution qui transformera la mêlée confuse en « guerre divine », conception qui sera alors rétroactivement pro­jetée sur l’entreprise en son entier, en même temps que son incarnation d’épopée, le Cid Campeador, est promu au rang de paladin de la Foi (ce que sa biographie ne semble guère confirmer). Evolution à laquelle ont forte­ment contribué les moines (clunisiens surtout) et les chevaliers d’outre-Pyrénées, qui, au xie siècle, en nombre toujours croissant, viennent, les uns, réformer la vie religieuse espagnole, les autres, prêter main-forte aux combattants («Les précroisades»). Mais leur influence fut lente à s’exercer en profondeur. Il est caractéristique que l’acte qui exprime par excellence l’esprit des croi­sades, le vœu et la prise de croix, ne pénétra que relati­vement tard dans les mœurs des chevaliers espagnols : il ne devint fréquent qu’au début du xme siècle. De même, ce n’est qu’en 1212 que les rois chrétiens d’Espa­gne, passant sur leurs vieilles discordes, surent conclure une alliance générale contre les Musulmans : la victoire décisive de Las Navas en résulta. Et il semble bien établi que les grands ordres militaires qui, plus tard, jouèrent dans l’histoire espagnole un rôle si important, ceux de Saint-Jacques, d’Alcantara et de Calatrava, ne furent aucunement une création originale, mais une imitation des ordres de Terre sainte.

 

(p.119) Le statut juridique de la « nation juive » était à l’épo­que sensiblement le même que celui de la « nation chré­tienne ». Dans les faits, les Juifs prenaient place sur l’échelle sociale aussitôt après les rois et les seigneurs, rang qui leur était assuré par la grande importance et variété de leurs fonctions socio-économiques. Commerce, industrie et artisanat se trouvaient entre leurs mains pour la plus large part. La Reconquista, avec ses dévas­tations, entraînait la ruine des manufactures, l’abandon des mines d’argent et de métaux ; ils les relevèrent. Dans les territoires conquis, ils donnèrent un grand essor à la viticulture, traditionnellement traitée avec défaveur en pays d’Islam. Propriétaires terriens, ils veillaient eux-mêmes à la mise en valeur de leurs terres.

 

Au nom de l’islam, les juifs et les chrétiens ont été persécutés depuis des siècles et le sont encore.

Extraits d’un livre à lire absolument :

 

Bat Ye’or, Face au danger intégriste – juifs et chrétiens sous l’islam, Berg Intern. éd., 2005

 

 

(p.300) Selon le Hamas, seule la loi islamique permet la coexis­tence des trois religions abrahamiques, dans la paix, la sécu­rité et la justice (art. 6, 31).

Pour les Musulmans les mythes européens de tolérance islamique heureuse, de modèle parfait de société sous l’islam sont pris à deux niveaux, en fait contradictoires pour l’esprit européen. La conception européenne de fraternisation heu­reuse dhimmi-Musulman est blasphématoire sur le plan doc­trinal, car interdite par la loi islamique 11. En effet, l’humilia­tion et la persécution constituent une obligation religieuse que seuls les mauvais Musulmans négligent. C’est l’essence satanique du dhimmi qui transforme l’oppression de la loi islamique en perfection. Etant parfaite par définition, la chari’a institue le meilleur régime possible pour neutraliser la nuisance des Juifs et des Chrétiens 12. Et si même elle opprime, c’est par justice et tolérance. L’oppression des dhimmis, intégrée à des préceptes religieux manifeste cette justice incorporée dans le système même de la dhimmitude. Ainsi ce texte de Tabari, du Xe siècle, glorifiant la chari’a, sert d’introduction et de justification aux mesures discrimina­toires qui furent imposées aux Juifs et aux Chrétiens. Les chantres occidentaux de cette tolérance adoptent par consé­quent cette interprétation islamique paradoxale de la justice, fondée sur l’essence malfaisante et inférieure de leur propre personne.

 

 

 

LES AVATARS POLITIQUES DU MYTHE ANDALOU

 

Les thèmes de coexistence séculaire heureuse et pacifique sous la loi islamique sont colportés en Occident par les réseaux juifs et chrétiens de la dhimmitude. Ceux récupérés par la Turquie, vantent l’ottomanisme, version négationniste de l’histoire des Grecs, des Slaves, des Arméniens. D’autres, soutenus par la Ligue Arabe, magnifient la symbiose reli­gieuse du califat ou du mythe andalou. Ce dernier modernisé dans les années soixante sous la formule de Palestine laïque et démocratique, Etat palestinien pluriculturel, constitua le pivot du combat anti-israélien et un obstacle à toute tentative de critique historique. En termes lyriques Arafat avait évo­qué, aux Nations Unies en 1974, avec nostalgie l’âge d’or palestinien .

 

  1. Coran, II, 154, 156, 157. Cette notion a déjà été clarifiée par les juristes musulmans cités plus haut.
  2. Cette position est bien expliquée dans la Constitution (18 août 1988) du Hamas.

 

 

(p.324) Sur le plan international on constate que l’Occident rede­vient le dar al-harb. Les meurtres d’occidentaux constituent une stratégie des islamistes visant à reconstituer deux entités ennemies et à détruire un patient travail de rapprochement mené durant des siècles par des traités de non-agression et d’amitié et par l’appareil juridique des Capitulations, qui intégrait la notion d‘aman dans un système international de droits réciproques et égaux. Aussi les efforts pour ramener la paix en Bosnie, le soutien aux initiatives de paix israélo-palestienne et la politique européenne de lutte contre la xéno­phobie et le racisme, conjuguée au respect des lois et de l’ordre public, constituent des éléments très positifs.

Toutefois l’immigration de plusieurs millions de Musulmans en Occident en quelques années, y a transféré tous les problè­mes occultés de coexistence. On peut en citer quelques aspects :

Au niveau juridique, la conception occidentale des Droits de l’homme, fondée sur le principe de l’égalité des sexes et des êtres humains, s’oppose irréductiblement à la « Déclaration Islamique des Droits de l’homme en Islam » du 5 août 1990, qui soumise aux dispositions de la chari’a, perpétue l’inégalité des sexes et des religions. Dix ans aupa­ravant, la Déclaration Islamique Universelle des Droits de l’homme », rédigée à l’initiative du Conseil islamique pour l’Europe et proclamée à l’UNESCO (Paris) le 19 septembre 1981 indiquait dans une note d’explication finale que «le terme ‘loi’ signifie la chari’a, c’est-à-dire la totalité des ordonnances tirées du Coran et de la Sunna (traditions) et toute autre loi déduite de ces deux sources par des méthodes jugées valables en jurisprudence islamique ». Ce conflit de juridiction, non seulement se répercute au plan international mais constitue une difficulté supplémentaire d’intégration pour des populations musulmanes immigrées qui adhére­raient à un code juridique refusé par leurs concitoyens et qui, censé être d’origine divine, devrait l’emporter.

 

(p.12) Conjointement à la guerre des patriarches, se développait l’évangélisation de la Gentilité orientale accompagnée d’une politique judéophobe virulente. Dès le IVe siècle, à l’instiga­tion d’évêques et de moines, les violences religieuses se généralisèrent dans les villes d’Orient : confiscations ou incendies de synagogues accompagnèrent le massacre des Juifs. Sous la pression des évêques, un nombre considérable de déchéances frappant les Juifs furent introduites dans le droit byzantin.

 

(p.16) En 624, fort d’un nombre accru de fidèles, Mohammed somma l’une des tribus juives de Médine, les Banû Qaynuqa, de reconnaître sa mission prophétique. Devant leur refus, il les assiégea. Mais à l’intercession de leur protecteur, un converti à l’islam, il leur concéda la vie sauve. Ils furent tou­tefois expulsés de Médine et obligés d’abandonner leurs mai­sons et leurs biens aux Musulmans. L’année suivante une autre tribu juive, les Banû Nadhir, subit un sort semblable ; Mohammed incendia, rasa leurs palmeraies et confisqua tous leurs biens au bénéfice de la communauté des Croyants14.

En avril 627, une coalition de Mecquois vint assiéger les Musulmans à Médine. Un soir d’orage, ils repartirent sans livrer bataille. Conduit par l’ange Gabriel, Mohammed se tourna alors contre la tribu juive restante, les Banû Qurayza, et les somma de se convertir. Essuyant un refus, il les assié­gea avec 3 000 guerriers et remporta la victoire. Des tran­chées furent creusées sur la place du marché à Médine et les Juifs – 400 à 900, selon les sources musulmanes – amenés par fournées, y eurent la tête tranchée. Tous les hommes furent ainsi exterminés, excepté un converti à l’islam. Ensuite le Prophète partagea les femmes, les enfants, les pro­priétés et les biens entre lui-même et les Musulmans.

 

  1. Al-Bokhâri (d. 869), Les Traditions Islamiques (al-Sahih), tr. de l’arabe par O. Houdas et W. Marçais, Paris, Ernest Leroux, 1903-1914, II, titre 41, ch. VI ; titre 56, ch. 80:3 ; ch. 154:2. Cette œuvre, compilation des actes et paroles attribués à Mohammed, constitue l’un des deux piliers de la juridiction islamique, l’autre étant la compilation établie par son disciple, Muslim (d. 875), Al-Sahih (Traditions), tr. de l’arabe en angl. par Abdul Hamid Siddiqi, Lahore, Ashraf Press, 1976. Des nombreuses communautés juives qui peuplaient Médine et les oasis d’Arabie, il n’existe d’autres infor­mations que celles glanées dans les récits musulmans fort tendancieux. La totale pénurie des sources d’une autre provenance entame la véracité des accu­sations portées contre les Juifs. Malgré ces réserves, ces récits nous dépeignent des poètes, des agriculteurs et des artisans juifs se réunissant pour prier, étudier et vivant en bonne intelligence avec les Arabes païens. Selon Salomon (Shlomo) Dov Goitein, la communauté de Médine comptait des érudits, (…).

 

(p.17) Politicien avisé, Mohammed s’efforça de s’allier les puis­santes tribus de La Mecque. Profitant en 628 d’un traité de non-belligérance (Hudaybiya) avec les Mecquois, il attaqua Khaybar, oasis cultivée par une autre tribu juive, à cent qua­rante km de Médine. Au bout d’un mois et demi de siège, les agriculteurs juifs capitulèrent aux termes d’un pacte, la dhimma. Mohammed les laissait cultiver l’oasis, moyennant la remise de la moitié de la récolte et le droit de les chasser de leurs terres à sa convenance. Par la suite, toutes les com­munautés juives et chrétiennes d’Arabie se soumirent aux Musulmans aux termes d’une dhimma semblable à celle de Khaybar. Les agriculteurs procuraient assistance et ravitaille­ment à la troupe musulmane et lui payaient un impôt en nature ou en argent (jizya), réparti selon les modalités de la conquête entre le Prophète et ses compagnons. En outre, ils cédaient aux Musulmans une partie de leurs églises ou de leurs synagogues. En contrepartie, Mohammed s’engageait à respecter leur culte et à les protéger contre les razzias bédouines.

La dhimma de Khaybar inspira les traités ultérieurement accordés par les conquérants arabes aux indigènes qui peu­plaient les territoires hors d’Arabie. Les lettres de protection que Mohammed adressa en 630 de Tabouk aux populations juives et chrétiennes de Makna (nord du Hijâz, sur le golfe d’Eilat) et du sud palestinien : Eilat, Jarba et Adhruh, servi­rent de modèle aux traités conclus plus tard avec les Peuples du Livre (Juifs et Chrétiens). L’anarchie qui régnait au nord de la péninsule arabique permit à Mohammed d’étendre son hégémonie sur toute l’Arabie et de s’ouvrir la route vers la Syrie. Dans des circonstances si propices, les razzias sur les (p.18) oasis du sud palestinien peuplées de Juifs et de Chrétiens ne tardèrent pas à se transformer en une guerre totale de conquête. Sans nul doute, les contacts des chefs militaires musulmans avec les différents clergés, par l’entremise des tribus chrétiennes arabes nomades, facilitèrent les conquêtes et les trahisons. (…)

La puissance des Musulmans s’étant considérablement accrue, la guerre sainte s’étendit hors d’Arabie. A l’origine raid pour le butin, le jihâd devint une guerre de conquête régie par un code de prescriptions juridiques dont le but prin­cipal était la conversion des infidèles (Coran VIII, 40). Les païens avaient le choix entre la mort ou la conversion; mais la sécurité de la vie, des biens et une relative liberté de culte étaient concédées aux Juifs, aux Chrétiens, aux Sabéens et aux Zoroastriens. En outre, le pouvoir musulman reconnais­sait à chaque communauté le droit de s’administrer selon sa propre juridiction religieuse.

La Perse, affaiblie par les luttes dynastiques et la défection de quelques tribus arabes chrétiennes déjà implantées sur son territoire, fut submergée après la défaite de son armée à al-Qadisiyya (637). (…)

 

 

(p.21) LES CONQUÊTES

 

Un siècle après la mort du Prophète, les jurisconsultes musulmans du vme siècle fixèrent leur politique avec les Peuples du Livre sur la base des décisions arrêtées par Mohammed à rencontre des Juifs d’Arabie. Ceux-ci avaient été expulsés ou massacrés, leurs femmes et leurs enfants ven­dus en esclavage et tous leurs biens avaient été partagés entre les Musulmans. Ces procédés constituèrent des règles norma­tives applicables à tous les vaincus du jihâd. De même, la dhimma de Khaybar servit de référence aux jurisconsultes pour établir des traités avec les populations qui se soumet­taient à la domination islamique. La condition dhimmie, qui résulte directement du jihâd, est liée à ce pacte de protection qui suspend le droit initial du conquérant sur les adeptes des religions tolérées, moyennant leur soumission au tribut. Ainsi, le hasard ou le dessein de l’histoire fit d’obscures tri­bus d’Israël, perdues dans la lointaine Arabie, le symbole du destin des puissants empires byzantin et sassanide, des immenses populations d’Afrique, d’Asie et d’Europe, qui plièrent sous le glaive d’un Islam victorieux. L’idéologie du jihâd unissait le destin d’Israël à celui de tous les autres peuples.

La première vague de conquête islamique s’étendit victo­rieusement sur les pays chrétiens, gagnant l’Arménie au nord-est jusqu’à l’Afrique du Nord et l’Espagne pour remon­ter jusqu’à Poitiers et aux Alpes. Elle recouvrit la Perse sas­sanide et parvint jusqu’à l’Indus. Les Musulmans se trouvè­rent ainsi confrontés aux civilisations les plus prestigieuses, (p.22) disposant de systèmes complexes administratifs et juridiques. Aussi furent-ils contraints de créer un mode de gouverne­ment propre à gérer ce colossal butin constitué de terres et de peuples. Ils se tournèrent vers le Coran, parole d’Allah révé­lée par son prophète et source sacrée de la loi islamique. Mais Mohammed étant mort, les jurisconsultes s’appliquè­rent à découvrir la volonté d’Allah dans les moindres actes et paroles (hadîths) du Prophète, rapportés par une chaîne de transmetteurs (isnad), compilés dans le corpus des Traditions (Sunna) achevé vers la fin du IXe siècle. Les différentes interprétations de la Sunna furent codifiées par les quatre écoles principales de droit musulman orthodoxe (hanafite, mâlikite, chaféite, hanbalite).

La religion étant dans l’islam inséparable de la politique, on chercha, pour se guider sur les plans pratique et spirituel, la définition du Bien. Les théologiens s’accordèrent pour déclarer que, l’islam étant la seule religion véridique, le Bien serait défini par le consensus de l’umma. C’est le principe de l’ijma. Les théologiens développèrent le dogme de l’infaillibité de l’umma, sur la base du verset coranique III, 106 :

« Vous êtes le peuple le plus excellent qui soit jamais surgi parmi les hommes ; vous ordonnez ce qui est bon et défendez ce qui est mauvais, et vous croyez en Dieu. »

 

(p.23) En fait, si le statut légal des dhimmis, ou dhimma, s’inspira des pactes conclus entre Mohammed et les tribus juives et chrétiennes d’Arabie, il en différa néanmoins par ses élé­ments contraignants. Il fut établi bien après la conquête, à mesure que la colonisation arabe, économique et militaire, se renforçait. Son caractère avilissant s’expliquerait dans un contexte de force qui institutionnaliserait l’oppression exer­cée par une organisation militaire désormais sûre de contrôler les populations conquises. Ainsi la dhimma, perdant son caractère originel de traité, devint le moule formel d’une per­sécution légalisée. Ce fut la dhimma qui assura en grande partie le succès de la politique d’islamisation des territoires hors d’Arabie, et l’extinction progressive des peuples et des cultures indigènes. (…)

 

LE JIHÂD

 

On a déjà relevé que le jihâd exprime la sacralisation de la razzia bédouine, conséquence du contexte sociologique où s’exerça la prédication de Mohammed. Certes la densité de (p.24) cette prédication dépasse infiniment le concept d’une guerre sainte, et de plus la conceptualisation du jihâd en une théorie juridico-théologique ne fut pas l’œuvre du Prophète mais celle de jurisconsultes postérieurs. On doit toutefois s’arrêter un instant sur cette doctrine car elle établissait le seul mode de relations entre Musulmans et non-Musulmans et concerne de ce fait l’essence même du sujet de cette étude. Le concept de jihâd fut en effet central dans la relation des Musulmans avec les Peuples du Livre. Cette relation se construisit à l’intérieur d’une idéologie d’expansion territoriale et de domination mondiale. Le jihâd peut être examiné à trois niveaux : dans son dogme, ses institutions et son déroule­ment historique « .

 

(p.25) Dogme

 

Le jihâd divise les peuples de la terre en deux groupes irréconciliables : les Musulmans – habitants du dar al-islam, pays soumis à la loi islamique ; et les Infidèles – habitants du dar al-harb (harbis), pays de la guerre – destinés à passer sous la juridiction islamique, soit par la conversion de leurs habitants, soit par la conquête armée. Le jihâd est l’état de guerre permanente ou d’hostilité du Musulman contre le dar al-harb, jusqu’à la soumission définitive des infidèles et la suprématie absolue de l’Islam sur le monde. Les juriscon­sultes musulmans, fondateurs du droit islamique, développè­rent la doctrine du jihâd à partir du Coran et des hadîths. (…)

 

Selon Ibn Taimiya (hanbalite) :

(…) « Les Juifs et les Chrétiens ainsi que les Zoroastriens (Magûs) doi­vent être combattus jusqu’à ce qu’ils embrassent l’Islam ou paient (p.26) la gizya sans récrimination. Les jurisconsultes ne sont pas d’accord sur la question de savoir s’il convient d’imposer la gizya à d’autres catégories d’infidèles ; tous, par contre, estiment qu’on ne doit pas l’exiger des Arabes. » [p. 130]35

 

35 Ibn Taimiya (d. 1328), in Henri Laoust, Le Traité de Droit Public d’Ibn Taimiya, tr. de l’arabe avec ann. de la Siyasa Sar’iya, Beyrouth, Institut Français de Damas, 1948 ; (…)

 

(p.30) Considérée par les docteurs de l’islam comme l’un des piliers de la foi, la guerre sainte demeure obligatoire pour tous les Musulmans qui doivent y contribuer selon leurs pos­sibilités, par leur personne, leurs biens ou leurs écrits.

 

(p.31) Le jihâd historique

 

Le jihâd ou guerre de conquête islamique se déroula sur plus d’un millénaire et sur trois continents dans les pays chrétiens du pourtour de la Méditerranée – pour ne point par­ler de l’Asie bouddhiste et hindoue. C’est dire la difficulté à cerner un processus qui s’adapta aux conjonctures et aux ter­rains, conjuguant les persécutions aux périodes de répit, les reculs aux déferlements et aux destructions massives. On peut distinguer deux vagues d’islamisation violentes, la vague arabe (640-750) et la vague turque (env. 1021-1689).

La conquête arabe qui se déroula dans un contexte de trahisons, de collaborations et de représailles inhérent à toute guerre, s’accompagna d’énormes destructions. Les sources chrétiennes mais davantage encore les chroniques musul­manes, décrivent des villes entières, d’innombrables villages livrés au pillage et au feu, le massacre, l’esclavage, la dépor­tation des populations. Même les villes munies d’un traité de sauvegarde en échange de leur reddition sans résistance, n’échappèrent pas aux pillages infligés par les tribus arabes fascinées par l’immense butin que constituaient les territoires conquis avec leurs habitants. On doit toutefois souligner que les cruautés de la guerre étaient infligées par toutes les armées. Quels qu’aient été les groupes ethniques ou reli­gieux, la barbarie humaine se déchaînait avec une égale vio­lence.

 

(p.32) Jusqu’au xr siècle la guerre d’escarmouches, de razzias, ou de combats militaires se poursuivit en Sicile, en Italie, en Syrie et en Mésopotamie, tandis qu’une lente pénétration par l’Irak et l’Arménie de Turcs islamisés, détruisait l’homogé­néité de l’Anatolie et préparait sa désagrégation. Rivalités dynastiques, antagonismes religieux entre la Papauté et le Patriarcat, alliances tactiques des princes avec le pouvoir turc se conjuguèrent avec la fuite des populations chrétiennes ter­rorisées par les Turcs 47. Issues d’une même idéologie mili­taire, les deux vagues du jihâd présentent à quelques siècles de différence une remarquable homologie. Les modifications ethniques et religieuses qu’elles imposèrent s’inscrivirent dans une même structure politique et juridico-religieuse, la dhimmitude, qui sera examinée au chapitre suivant.

 

47 Pour les processus d’islamisation de l’Anatolie et des Balkans, cf. Speros Vryonis Jr., The Décline of Médiéval Hellenism in Asia Minor and thé Process of Islamization front thé Eleventh through thé Fifleen Century, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California, 1971, p. 182 ; (…).

 

(p.36) Un autre élément capital de ce statut affectant les peuples vaincus, réside dans l’unification des Juifs et des Chrétiens sous la même appellation : « Peuples du Livre » (la Bible). De fait, les prescriptions juridiques de la dhimma s’appli­quent uniformément, sans nulle différenciation à ces deux groupes, ce qui n’est pas le cas pour les Zoroastriens. Non seulement Juifs et Chrétiens sont étroitement associés dans le même statut, mais également dans d’innombrables versets du Coran, tel que par exemple :

« O croyants ne prenez point pour amis les juifs et les chrétiens; ils sont amis les uns des autres. Celui qui les prendra pour amis finira par leur ressembler, et Dieu ne sera pas le guide des pervers. » (V, 55)

 

(p.42) Désarmement

 

(…) Dans l’Empire ottoman le désarmement des Serbes était encore obligatoire dans le Kosovo où en 1860 :

« Pour une longue période la province [de Skopje] fut la proie du brigandage, […] les églises chrétiennes et les monastères, les villes et ses habitants ne sont plus pillés, massacrés et brûlés par les hordes albanaises, comme cela était fait habituellement, voici dix ans. […] Ils [les Chrétiens] ne sont pas autorisés à porter des armes. Ceci, considérant l’absence d’une bonne police, les expose d’autant plus aux attaques des brigands. » 21

Dans les villes soumises aux violences et à l’anarchie albanaises, la population serbe n’osait sortir de la ville sans un garde albanais. Selon un sociologue serbe «on ne pouvait

 

21 Rapport du consul anglais J.E. Blunt (Pristina) à Sir Henry Bulwer, ambassadeur britannique à Constantinople, le 14 juillet 1860, reproduit dans Bat Ye’or, Les Chrétientés, pp. 450-452.

 

(p.43) posséder ni champs, ni vignes, ni maisons ou magasins d’une certaine apparence; on ne pouvait porter que des vêtements misérables ». Relégués dans les métiers inférieurs méprisés par les Turcs et les Albanais, ces Chrétiens, selon cet auteur, représentaient jusqu’en 1912 une population de parias des­cendue au plus bas degré social.

L’interdiction du port d’armes, liée à un dogme religieux, est une innovation imposée par l’islam, car elle est inexis­tante dans les Empires romain, byzantin et sassanide.

 

Déportations

Les transferts et déportations de populations bien que non mentionnés dans la dhimma relèvent néanmoins du statut de vaincus. Les rébellions de dhimmis ou des mesures de sécu­rité tel que l’éloignement de Chrétiens et de Juifs de zones frontalières ou stratégiques motivaient ces déplacements, fré­quents surtout sous les Ottomans en Anatolie, dans les Balkans et en Arménie. La dernière déportation massive des Arméniens, ordonnée par les Turcs, s’inscrit dans la planifi­cation de leur génocide dès 1915. Ces déportations déraci­naient des populations, elles rompaient la cohésion du tissu social et brisaient les résistances. Le remplacement des déportés par des groupes musulmans ou d’autres ethnies, facilitait par Pilotage le contrôle des vaincus et le développe­ment d’antagonismes ethniques23. Les déportations obéis­saient aussi à des impératifs économiques, tels que la revita-

 

  1. Jovan Cvijic, La Péninsule Balkanique, Géographie Humaine, Paris, Armand Colin, 1918.

23 Pour la déportation des Coptes en 832 dans le bas-Irak, cf. le récit de Denys de Tell-Mahré reproduit dans Michel le Syrien, op. cit., III, pp. 79-84, avec extraits dans  Bat Ye’or, Les Chrétientés,  pp.  362-366 ;  pour les Arméniens au viie et viiie siècle, extraits des chroniques contemporaines, ibid., pp. 322-334, pp. 152-154; Bar Hebraeus, The Chronography [of Gregory Abû’l-Faraj, 1225-1286], texte syriaque, tr. par Ernest A. Budge, Amsterdam, Apa-Philo-Press, 1932,1, p. 269. Pour la fréquence répétitive des déportations, cf. les chroniques et les études historiques, pour l’Anatolie, Vryonis Jr., The Décline, p.   169 :  Displacement of population ;  id., « Nomadization and Islamization in Asia Minor », DOP 29, 1975, pp. 41-71 ; Osman Turan, « Les Souverains Seldjoukides et leurs sujets non-musulmans », SI 1, 1953, pp. 165-100 ; id., « L’Islamisation dans la Turquie du Moyen Age », SI 10, 1959, pp. 137-152; pour les communautés juives de l’Empire ottoman, cf. Joseph Hacker, (…) ; pour la politique d’islamisation de la Bulgarie, cf. Mitev, (…).

 

(p.44) lisation du commerce et la revification agricole de régions totalement ravagées par les guerres24. On doit ici préciser que les déportations constituaient une stratégie guerrière générale. Les Romains, les Perses, les Byzantins vidèrent des régions entières de leurs populations.

D’autres obligations incombaient aux dhimmis, comme l’hébergement et le ravitaillement de la troupe, hommes et chevaux, le devoir de guider les Musulmans correctement sur les routes tout en s’abstenant de toute collaboration avec leurs ennemis. Cette clause, du fait d’un millénaire de guerre entre Islam et Chrétienté, empoisonna les relations entre les Chrétiens dhimmis et harkis (Européens). Elle imposa aux premiers une surenchère d’hostilité envers les seconds, afin de prévenir les représailles sanglantes d’un pouvoir musul­man toujours soupçonneux. En outre l’obligation d’héberger les soldats dans les églises, les synagogues et dans leur demeure, soumettaient les dhimmis à un régime d’extorsions et d’humiliations aggravées par de fréquentes rapines et par­fois même le rapt des femmes25.

 

  1. Pour la déportation des Arméniens par Chah Abbâs I en 1604, cf. Arakel de Tauriz, Livre d’Histoires (xvir siècle), in Collection d’Historiens Arméniens, tr. de l’armén. et ann. par Marie Félicité Brosset, St. Peters-bourg/Riga/Leipzig et Paris, Geuthner, 1874-1876, I, pp. 309-310, 489-496, extraits dans Bat Ye’or, Les Chrétientés, pp. 405-411 ; pour la déportation d’Arméniens de l’Ararat en 1735, id., pp. 417-419 (cf. Brosset, op. cit. II, pp. 278-279) ; déportation des Juifs de Meshed (1839) et de Herat (1857-1859), id., pp. 430-433 (cf. Reuven Kashani, Qorot ha-Zemanim/ Chronique du Judaïsme Afghan [du rabbin Matathias Gargi], Shevet ve-Am, n.s. No 1 (hébr.), Jérusalem, 1970, pp. 12-13) ; (…).

 

  1. Ces faits apparaissent fréquemment dans les chroniques, cf. Bat Ye’or, Les Chrétientés, pp. 378-382, et dans les descriptions des voyageurs et les rap­ports diplomatiques. (…) En 1869, à chaque changement de garnison à Bach-Haie (est de l’Arménie turque), les soldats turcs étaient logés dans les maisons juives, malgré la dis­ponibilité d’une vaste caserne. Il en résultait chaque année, l’enlèvement de femmes et de jeunes filles juives. Pour les rapts des Chrétiennes en Bosnie, Cvjic, op. cit., p. 388.

 

(p.45) Au fil des siècles, les chroniques musulmanes, chrétiennes et juives et les voyageurs européens mentionnent d’anciennes églises ou synagogues converties en mosquées, détruites, abandonnées, devenues des dépotoirs ou des écuries. En 1852 encore, la soldatesque et les Arabes de Naplouse abri­taient leurs ânes et leurs chevaux dans une synagogue de Tibériade. A Suleymanié (nord de l’Irak), en 1909, un voyageur remarquait que la troupe logeait dans une des pièces de la synagogue et en avait fait un lieu de débauche empli d’ordures.

 

(p.51) L’esclavage constitua le canal le plus performant d’islamisation.

 

(p.52) En Espagne les révoltes de muwallads (néo­convertis) furent quasi permanentes contre les Arabes immi­grés qui s’étaient taillés de larges domaines exploités par les Chrétiens, serfs ou esclaves. Les extorsions fiscales et les expropriations allumaient des foyers insurrectionnels conti­nuels de muwallads et de mozarabes (Chrétiens dhimmis) sur toute la péninsule hispanique. Les chefs rebelles étaient exé­cutés par crucifixion et les insurgés passés au fil de l’épée. Durant toute l’époque de l’émirat hispano-omeyyade jusqu’au Xe siècle, ces conflits ensanglantèrent l’Espagne et alimentèrent des haines religieuses endémiques. Une lettre de Louis le Pieux aux Chrétiens de Mérida en 828 évoque leur situation sous Abd al-Rahman II et le règne précédent : usur­pations de leurs biens, augmentation injuste des tributs exi­gés, suppression de la liberté (esclavage ?), oppression par « de lourdes et iniques contributions »41. Ibn Hafsoun, décédé en 918, chef de la rébellion muwallad au sud de l’Andalousie, soulevait les paysans contre, disait-il, le gou­vernement qui leur enlevait leurs biens en les soumettant à de lourds tributs et contre les Arabes qui les accablaient d’humi­liations et les traitaient en esclaves 42.

 

  1. Evariste Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne Musulmane, Paris, Maisonneuve/Leyde, Brill, 1950, I, p. 228 ; (…).
  2. Lévi-Provençal, Histoire, I, p. 307. Pour la Mésopotamie, Denys de Tell-Mahré (pseudo), Chronique, avec tr. du syriaque en fr., introd. et notes historiques et philologiques, par Jean-Baptiste Chabot, Paris, Bouillon, 1895, passim. Pour la Palestine, le travail de Gil, A History, op. cit., constitue une source de renseignements inestimables tirés des sources juives, arabes, syriaques, latines, grecques. Toutes confirment les ravages consécutifs aux combats tribaux arabes, relayés par l’arrivée des Turcomans en 1071. En 1077, le Turcoman Atsiz après avoir persécuté les habitants de Jérusalem pen­dant quatre ans, y massacra trois mille personnes, décima la population de Ramla ; Gaza fut vidée de ses habitants ; il ne laissa à Damas que trois mille survivants sur cinq cent mille. Selon des documents contemporains arabes, juifs, coptes, syriaques, latins, les villes et les villages palestiniens furent détruits et ruinés, les gens assassinés, torturés (nez et oreilles coupés), pris en captivité, les campagnes pillées, incendiées, les plantations rasées, ibid., pp. 414-416. Ce sont les récits de ces événements rapportés par les réfugiés chrétiens et les pèlerins qui provoquèrent les premières Croisades.

 

(p.54) Au Maghreb et au Yémen, durant les périodes d’instabilité et de changements de règne, les quartiers juifs, – les dhimmis chrétiens avaient tous disparus – étaient pillés, les hommes massacrés ou rançonnés, les femmes et les enfants enlevés par les tribus massées autour des villes47.

 

  1. Ibn al-Athîr, Annales, passim ; les chroniques coptes du Moyen Age mentionnent l’enlèvement des enfants coptes pour l’esclavage, cf. Patrol. Or., op. cit., V, p. 115 ; (…).

 

(p.55) La législation du jihâd réglementant les modalités des combats fut strictement maintenue lors des guerres contre les Serbes, les Bulgares, les Grecs durant tout le xixe siècle, et contre les Arméniens, dans les massacres de 1894-1896 et le génocide de 1915-1918.

Outre l’esclavage des insurgés, survenait épisodiquement dans les régions rurales du Kurdistan, de Mésopotamie, Irak, Palestine, Syrie et au Maghreb, l’enlèvement par des nomades, de femmes et d’enfants chrétiens ou juifs. Cette pratique, totalement illégale, n’en fut pas moins permanente lors de razzias et d’insurrections, jusqu’au xxe siècle.

Le dogme islamique professe que tous les enfants naissent musulmans. Au Yémen la loi imposait aux orphelins juifs la conversion à l’islam. Abrogée par les Turcs en 1872, après leur courte occupation, elle fut réintroduite par l’Imam Yahya en 1922 et confirmée à nouveau en 1925. Les mariages de très jeunes enfants entre eux visaient à pallier ce danger.

 

(p.61) Jizya

 

Le verset coranique IX, 29, lie l’obligation du jihâd à l’exigence de la jizya.

La jizya était une capitation graduée selon trois taux, 12, , 24 et 48 dirhams, correspondant à l’état de fortune du contri­buable. De même que le kharaj, la capitation s’inscrit dans un rapport de clientélisme d’une population désarmée par droit de guerre avec une caste guerrière qui se charge de la défendre moyennant rétribution. Ainsi l’extension de la conquête déplaça les rapports politico-économiques spéci­fiques à l’Arabie, dans d’autres régions et conjointement, les transposa dans un contexte interreligieux.

Théoriquement les femmes, les indigents, les malades et les infirmes étaient exemptés de la capitation; toutefois les sources arméniennes, syriaques et juives prouvent abondam­ment que la jizya était exigée des enfants, des veuves, des orphelins et même des défunts.

 

(p.64) Voyageant en Asie Centrale, au milieu du XIXe siècle l’orientaliste hongrois Arminius Vámbéry constate que :

« Les Juifs dans le Khanat sont au nombre d’environ 10 000, rési­dant pour la plupart à Boukhara, Samarcande et Karshi, s’occupant d’artisanat plutôt que de commerce. Ils sont originaires de Perse et ont erré ici en venant de Kazvin et Merv, voici 150 ans. Ils vivent ici dans la plus grande oppression et sont exposés au plus grand mépris. Ils osent à peine apparaître sur le seuil quand ils rendent visite à un «croyant» [un Musulman]; et en outre quand viennent des visiteurs, ils sont forcés de sortir de leur propre maison en toute hâte, et de se placer devant leurs portes. Dans la ville de Boukhara, ils versent annuellement un tribut de 2 000 Tilla, que le chef de toute la communauté va payer, recevant alors qu’il s’exé­cute, deux légers coups sur la joue, prescrits par le Coran, comme signe de soumission. La rumeur des privilèges accordés aux Juifs en Turquie, en a attirés quelques-uns à Damas et en d’autres lieux de Syrie, mais cette émigration ne se fait que secrètement, car elle leur ferait expier ce désir seul, par la confiscation ou la mort. »

 

(p.65) En Palestine les chefs bédouins dévastaient les campagnes et soumettaient les dhimmis à un régime d’extorsions cons­tantes. Des documents judéo-palestiniens du xr siècle men­tionnent les taxes imposées à la communauté juive sous peine de sévices, pour l’entrée à Jérusalem, la protection des pèlerins, le droit de prier sur le mont des Oliviers, d’y prier à haute-voix. Les taux usuraires des Musulmans pour dépouiller la communauté de ses biens sont évoqués dans toutes les chroniques dhimmies tout au long des siècles. Ce fut toutefois en Palestine, berceau de la Bible, que le rançonnement religieux sévit avec la plus âpre cruauté. A Hébron en 1813-1814, les notables de la petite communauté juive furent emprisonnés et torturés jusqu’au paiement aux cheikhs arabes d’une rançon expédiée par les communautés juives d’Allemagne, de Hollande et d’Angleterre. Vers la fin des années 1830 et jusqu’en 1859, le chef de la coalition des Qays, Abd al-Rahman Amr, guerroyant contre les Yaman de Bethléem, terrorisait les dhimmis, menaçant d’expulser de Hébron les Juifs et les quelques Chrétiens qui y vivaient s’ils ne lui versaient diverses rançons et des droits de protection.

A Safed, le départ des troupes françaises de Bonaparte (1799) déclencha une razzia sur le quartier juif avec pillage, massacre et rançon de 50000 piastres, augmentée en 1810 de 75 000 piastres. En 1820, nouvel emprisonnement des notables et exigence d’une rançon qui éleva l’endettement de la communauté de 125 000 à 400 000 piastres. Cette même politique de tortures, d’emprisonnement et d’extorsion sévis­sait à Tibériade en 1822 et de façon chronique jusqu’en 1852.

 

(p.66) Sous ce rapport, les Chrétiens n’étaient guère mieux lotis. A Jérusalem, leur nombre en 1806 n’excédait pas 2 774 âmes représentant six Eglises différentes. A Nazareth et à Bethléem où ils étaient majoritaires, ils comptaient 1 250 et 1 300 âmes respectivement. Pour assurer la sécurité des pèle­rins, les Eglises étaient excessivement rançonnées. Pendant la guerre de libération gréco-turque (1821-1827), la popula­tion chrétienne de Jérusalem fut obligée de s’habiller de noir, de travailler aux fortifications de la ville et fut pénalisée par des rançons considérables.

(…) L’éviction des dhimmis de toute fonction administrative aggravait la déchéance et l’appauvrissement des communau­tés. Les juristes musulmans fondaient cette exclusion sur de nombreux versets coraniques (III, 27, 114; V, 56) et des hadîths interdisant au dhimmi d’exercer une autorité sur un Musulman. Les textes juridiques confirment cette exclusion par la citation de toutes les destitutions humiliantes de fonc­tionnaires chrétiens sous chaque calife en remontant jusqu’à Abû-Bakr (632-634). De fait la pérennité d’une bureaucra­tie chrétienne avec de hauts fonctionnaires dhimmis résultait inévitablement des conséquences mêmes des conquêtes islamiques (p.67) qui réservaient le domaine militaire aux tribus musul­manes guerrières, tandis que l’administration des peuples chrétiens conquis relevait des compétences de leurs coreli­gionnaires. Non seulement l’habilité gestionnaire des Chrétiens servait l’Etat musulman, mais leur nomination à de hautes fonctions permettait de les corrompre et de les utiliser pour écraser les insurrections de leurs coreligionnaires. De plus, Juifs et Chrétiens dhimmis représentaient des intermé­diaires utiles dans les pourparlers ou les missions délicates avec le dar al-harb, en tant qu’interprètes (dragomans) ou ambassadeurs.

 

(p.68) Déjà l’Etat romain, puis byzantin dans une moindre mesure, avaient accordé au peuple juif son autono­mie judiciaire ; l’Empire plurireligieux musulman recondui­sit ce privilège pour les peuples vaincus. Toutefois la loi isla­mique prévalait sur les juridictions dhimmies en cas de litige entre Musulmans et dhimmis. Or le témoignage du dhimmi devant les tribunaux islamiques étant irrecevable, le dhimmi ne pouvait témoigner contre un Musulman. Tous les juriscon­sultes reconnaissent que nul ne peut être témoin s’il n’est un Musulman, libre, et majeur82. Les jugements prononcés sur la déposition de deux témoins qui après coup s’avèrent être des infidèles, des esclaves ou des mineurs doivent être cassés, mais ils sont acceptés si ces témoins répètent leurs dépositions après suppression de la cause de leur incapacité, c’est-à-dire la conversion à l’islam, l’émancipation ou la majorité. Par ailleurs, apparemment pour des raisons fiscales, la majorité d’un enfant infidèle, selon le juriste Nawawi, devance celle d’un enfant musulman.

 

(p.69)  Selon la juridiction islamique, l’égalité entre les Peuples du Livre les soumet entre eux à la loi du talion. Le Juif peut servir de garant (aqilah) et être responsable pour le Chrétien, qui peut l’être à son tour pour lui, mais non pour le Musul­man. L’école hanafite exceptée, les légistes récusent le talion entre Musulmans et dhimmis, ces derniers leur étant inférieurs. La validité du talion exige en effet : « Que le coupable ne soit pas d’une position sociale supérieure à celle de la victime. C’est pourquoi le Musulman ne saurait être mis à mort pour avoir tué un infidèle qui serait même sujet [dhimmi] d’un prince musulman ». Le délit du sang ne peut être infligé si la victime du Musulman est un esclave, un Juif ou un Chrétien.

 

(p.71) La loi islamique condamnait à mort le Musulman et le dhimmi accusés de blasphémer ou de critiquer la religion islamique, le Coran et le Prophète. L’apostasie se reconnaît selon les juristes aux déclarations suivantes : 1) que l’on ne croie pas à l’existence du Créateur ou de ses prophètes ; 2) que Mohammed ou l’un des autres prophètes est un imposteur ; 3) que l’on tient pour licite ce qui est rigoureuse­ment interdit par l’ijma ; 4) ou interdit ce qui est licite pour l’ijma ; 5) que l’on rejette les prescriptions de l’ijma; 6) que l’on doute de la véracité de l’islam. L’accusation de blas­phème, vraie ou fausse, provoqua souvent des exécutions sommaires de dhimmis, mais c’est surtout le développement des voyages et de l’information au xixe siècle qui permet d’évaluer la fréquence de ces situations et surtout les types de comportements qu’elles induisent. Ainsi un voyageur du début du xixe siècle remarque que :

« A Alger, un janissaire, selon son inclination, pourrait arrêter et battre le premier Juif rencontré dans la rue, sans que ce dernier osât rendre des coups ou s’en protéger. Sa seule ressource serait de cou­rir aussi vite qu’il le pourrait jusqu’à ce qu’il puisse se sauver : les plaintes étaient plus mauvaises qu’inutiles, car le cadi, convoquant toujours le janissaire devant lui, lui demandait pourquoi il avait frappé le Juif. La réponse était : « parce qu’il a insulté notre sainte religion », sur quoi le Janissaire était renvoyé, et le Juif mis à mort. Il est vrai que le témoignage de deux Musulmans était nécessaire pour prouver que le Juif avait insulté leur religion ; mais à de telles occasions, les témoins ne manquent jamais. »

Les cas les plus célèbres au xixe siècle furent ceux de la jeune fille juive Zulaika Hajwal, décapitée à Fez en 1834 par ordre du sultan, et du Juif Samuel Sfez, exécuté à Tunis en 1857. L’accusation de blasphème provoqua des représailles (p.72) collectives contre les Juifs à Tunis (1876), à Alep (1889), à Hamadan (1876), à Suleymanié (1895), à Téhéran (1897), à Mossoul (1911).

Il était également interdit au dhimmi de posséder des livres religieux musulmans, d’en discuter avec les Musulmans, ou d’avoir des serviteurs musulmans 98. En 1880, à Entifa (district de Marrakech), un couple juif âgé avait engagé à son service une pauvre femme musulmane. Sur l’ordre du gou­verneur l’homme, nommé Jacob Dahan, vieillard de 65 ans, fut cloué au sol, battu à mort et son cadavre fut traîné dans la rue par les soldats. Les Juifs le récupérèrent pour l’ensevelir décemment contre le versement d’une forte rançon ; de plus la mule et le bétail du défunt furent confisqués. Le mariage et les relations sexuelles d’un dhimmi avec une Musulmane étaient punis de mort, de même la conversion d’un dhimmi juif au christianisme ou l’inverse.

 

  1. Cette prescription se fonde sur le principe qu’un Musulman ne pour­rait être soumis à l’autorité d’un non-Musulman, cf. Fattal, op. cit, p. 148 ; Ibn an-Naqqâch, op. cit., 18, p. 502.

 

(p.74) Au Yémen, hors de l’administration centrale, jusqu’au milieu du xxc siècle, les Juifs étaient protégés par le sultan ou des tribus. En matière de droit, ils étaient si démunis qu’il était aussi honteux d’en tuer un que de tuer une femme. Si le Juif d’une tribu était tué, cette tribu se vengeait en tuant un Juif de la tribu coupable. Donc deux Juifs assassinés sans que ne soient inquiétés les meurtriers musulmans. Si un Musulman insultait ou attaquait un Juif, celui-ci n’étant pas autorisé à répondre, pouvait pour sa défense, invoquer la pro­tection du sultan ou de la tribu. L’affaire pouvait en être réfé­rée au tribunal – un tribunal qui refusait le témoignage juif. On comprend pourquoi le Juif yéménite s’abstenait de réclamer (p.75) justice. Dans ces cas, la déshumanisation des Juifs trans­férait le cours des opérations légales au seul niveau musul­man, comme s’ils se réduisaient à des objets dont la dispari­tion ou la mutilation lésaient leurs propriétaires.

 

 

(p.77) III ASPECTS RELIGIEUX ET SOCIAUX

 

Humilier le dhimmi représente pour le croyant une œuvre pie, un acte de foi et un devoir religieux, sans cesse rappelés, prescrits, ordonnés à la conscience de l’umma par un fais­ceau d’ordonnances régulant minutieusement et dans les moindres détails l’organisation de l’avilissement sacralisé en règle éthique. Par une lettre expédiée aux gouverneurs de son Empire Omar II (717-720), ordonnait la destitution des fonc­tionnaires dhimmis car :

«[…] leur suppression est pour vous un devoir aussi bien que l’anéantissement de leur foi ; faites-les descendre à la place d’opprobre et d’avilissement que Dieu leur a assignée ; et que cha­cun de vous me fasse connaître ultérieurement ce qu’il aura fait dans sa province. »

 

(p.79) Au cours de la conquête arabe et durant les deux à trois siècles suivants, les chroniqueurs évoquent des destructions considérables auxquelles s’ajoutèrent celles causées par des séismes violents. De fait, du viip au Xe siècle, avant même les Croisades, de l’Andalousie à l’Irak, les magnifiques basi­liques, les innombrables couvents d’Egypte, de Syrie et de Mésopotamie, n’étaient plus que des ruines. Les immenses domaines de main-morte qui enrichissaient les Eglises avaient été confisqués par le Trésor musulman. Ruinés, humiliés, dépouillés, les patriarches en étaient réduits à cer­taines époques à errer en se cachant, de crainte des arresta­tions et des extorsions exigées sous la torture. En Egypte sous le patriarcat d’Alexandre II (705-730) les moines étaient mutilés, taxés et leurs ordres interdits.

Le judaïsme, déjà affaibli par l’intolérance de l’Eglise, fut dans l’Orient arabe balayé de certaines régions, dans d’autres, au hasard des situations, des communautés purent se reconstituer et survivre parfois avec un certain éclat autour de synagogues toujours menacées. Dans l’Empire ottoman par contre, les Juifs chassés d’Espagne (1492) et du Portugal (1497) furent accueillis par le sultan Bajazet II (1481-1512), et formèrent de vigoureuses communautés.

Il serait impossible d’énumérer tous les lieux de culte juifs et surtout chrétiens qui furent islamisés. Citons comme exemple le caveau de Macpélah à Hébron, construit par Hérode I pour abriter les tombeaux attribués aux patriarches et matriarches hébreux ; devenu une église à l’époque des Croisades, il fut converti en mosquée et interdit en 1266 aux Juifs et aux Chrétiens. En 1862, le prince de Galles, par un insigne privilège du sultan fut autorisé à y entrer, sacrilège qui nécessita l’occupation militaire de la ville. Les Juifs ne purent le visiter qu’en 1967, après l’établissement de l’admi­nistration israélienne. En Irak dans l’ancienne Ninive face à Mossoul, la tombe attribuée au prophète Jonas et autrefois lieu de pèlerinage juif, chrétien et musulman, fut après l’isla­misation des Mongols, attribuée aux waqfs musulmans avec

 

(p.80) l’ensemble des édifices ecclésiastiques. Elle fut strictement interdite aux non-Musulmans jusqu’à la Première Guerre mondiale et l’établissement du mandat anglais.

Les juristes musulmans s’accordent tous sur les règles concernant les églises et les synagogues des pays conquis. Pour al-Mawardi :

« Ils [les dhimmis] ne peuvent élever en pays d’Islam de nouvelles synagogues ou églises, qui sont, le cas échéant, démolies à leur détriment ; ils peuvent réédifier les anciennes synagogues ou églises tombées en ruine. »

 

(p.82) Les destructions effaçaient le génie, la culture et la civili­sation des dhimmis. Les vestiges d’églises et de synagogues qui parsèment l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l’Armé­nie et la Mésopotamie, révèlent l’ampleur des persécutions religieuses dans les lieux où vivaient des multitudes de peuples. Le dernier calife omeyyade Marwan pilla et détruisit de nombreuses églises et monastères en Egypte. Mahdî (775-785) et Haroun al-Rachid (786-809) firent détruire toutes les églises de l’Empire construites après la conquête islamique. Sous le calife fatimide al-Hakim (996-1021), toutes les églises et les synagogues furent démolies en Egypte, Palestine et Syrie. L’église de la Résurrection fut détruite jusqu’à ses fondations, le linge et la vaisselle pillés, et le bois des cercueils volés9. Par la suite al-Hakim autorisa la recons­truction des édifices détruits.

 

  1. A l’époque de la conquête arabe de l’Espagne, presque toutes les églises furent détruites. Pour la Mésopotamie, cf. Bar Hebraeus, op. cit., pas-sim, Jean-Maurice Fiey, Communautés syriaques en Iran et Iraq des origines à 1552, Londres, Variorum Reprints, 1979, ch. III, p. 257; id., Assyrie Chrétienne, Beyrouth, 1965-1968 ; id., Mossoul Chrétienne, Beyrouth, 1959, Pour l’Anatolie, cf. Vryonis Jr., The Décline; les destructions d’églises et de synagogues sont constamment mentionnées dès le califat de Abd al-Malik (705-715) par Michel le Syrien, le pseudo-Denys de Tell-Mahré, la chronique des patriarches coptes. Pour le bas Moyen Age cf. Mouzaffal Ibn Abil-Fazaïl, Histoire des Sultans Mamlouks, (éd.), R. Graffin, François Nau in Pair. Or., texte arabe et tr. de l’arabe par E. Blochet, Paris, Firmin Didot, XIV, fasc. 3, pp. 458-459. On trouvera dans Abu Salin, op. cit. et reproduit dans id., le Khittât (Histoire) de Makrizi une liste d’églises, de couvents et de monastères détruits pour la seule Egypte. Ces destructions sont impossibles à recenser, cf. Tritton, op. cit., chap. III et IV ; pour la période moderne, les voyageurs euro­péens mentionnent ces destructions et conversions d’églises en mosquées dans l’Empire ottoman et en Perse, cf. Laurent d’Arvieux, Mémoires du Chevalier d’Arvieux. Envoyé Extraordinaire du Roy à la Porte, Consul d’Alep, d’Alger, de Tripoli & autres Echelles du Levant, contenant ses voyages à Constantinople, dans l’Asie, la Syrie, la Palestine, l’Egypte & la Barbarie [1663-1685], recueillis par J.-B. Labat, Paris, 1735 ; Jean-Baptiste Tavemier, Les six voyages en Turquie et en Perse de Jean Baptiste Tavernier [1631-1668], nouv. éd. rev. et corr. [1re éd. 1676] Rouen, 1712. Dès son retour à Sana’a (Yémen) en 1905, l’imam Yahya ordonna la démolition de plusieurs synagogues construites pendant la période ottomane, Hayyim J. Cohen, The Jews of thé Middle East 1860-1972, New York/Toronto, Wiley & Sons et Jérusalem, Keter& Israël Universities Press, 1973, p. 63.

 

(p.83) Au xixe siècle encore, à Jérusalem, les Juifs devaient payer des gratifications aux autorités turques pour prier au Mur des Lamentations, d’autres aux Musulmans algériens logeant près du Mur, aux villageois de Silwan, pour empêcher la des­truction des tombes sur le mont des Oliviers, aux Arabes Ta’amra de Bethléem pour que la Tombe de Rachel ne soit pas détruite. Une somme supplémentaire versée aux habi­tants de Bethléem permettait aux Juifs de visiter cette tombe, une autre taxe était perçue pour les laisser prier sur le mont Sion. En 1863-1864, la gratification pour le Mur du Temple s’élevait à 30 000 piastres, celle pour le village de Silwan à 10 000, celle pour Bethléem à 5 000, rançonnage pratiqué sur toute la Terre sainte. De plus chaque voyageur juif arrivant à Jaffa était taxé, de même devait-il payer pour entrer et sortir de Jérusalem. En outre, les non-Musulmans, dhimmis ou voyageurs étaient astreints aux droits de péage prélevés pour leur compte par les tribus arabes sur toutes les routes de Palestine.

 

(p.84) Culte

 

La règle du mépris s’appliquait aussi au culte qui devait obligatoirement se dérouler dans le silence et l’humilité. Simandres, cloches, shofar, croix, icônes et bannières étaient proscrits comme toutes autres manifestations publiques visibles ou audibles. Certains théologiens toléraient les pro­cessions des dhimmis uniquement dans les régions où ils étaient majoritaires .

Les dhimmis devaient procéder à l’enterrement de leurs morts en secret et sans se lamenter. En 1889 encore, l’enterrement d’un rabbin à Bagdad jugé trop ostentatoire, provoqua le pillage du quartier juif et la confiscation du cimetière. L’acharnement contre les vivants continuait après la mort à se manifester sur les cadavres voués à l’enfer. Certains hadîths leur font expier, non seulement leurs péchés, mais aussi ceux des Musulmans qui s’en trouvent ainsi libé­rés. La loi imposait une différenciation entre tombes musul­manes et dhimmies. Profanation et arasement des cimetières d’infidèles survenaient couramment, pratiques qui continuent jusqu’à nos jours dans certains pays. Jusqu’au début de ce siècle à Oudja et dans la vallée de l’oued Taïret au Maroc, les Musulmans violaient les sépultures des cimetières juifs pour en déterrer les cadavres utiles à des pratiques magiques ancestrales que l’islam n’était pas parvenu à éradiquer. Pour éviter ces profanations les Juifs s’abstenaient de placer des dalles sur les tombes de leurs défunts. Par contre des firmans du sultan ottoman Murâd III (avril 1584, novembre 1585, décembre 1587) interdisaient aux Musulmans de piller les pierres tombales du cimetière juif à la Corne d’Or, à Constantinople. Ils leur enjoignaient de cesser leurs vexations (p.85) et toutes tentatives d’en chasser les Juifs ‘6. Un firman de Selîm II, en mars 1568, interdisait aux pirates de piller les dhimmis de l’île de Naxos ou de les emmener en esclavage.

 

(p.86) Au Maghreb et en Andalousie, les persécutions des Almohades (1130-1212) anéantirent toute la population chré­tienne et juive. Ces destructions par l’épée, la mort, la capti­vité, la conversion, furent décrites par le chroniqueur Abraham ibn Daud et le poète Abraham ibn Ezra. Maïmonide, médecin et philosophe en fut le témoin et dû fuir Cordoue en 1148 avec tous les siens, puis Fez (1165) avant de trouver asile en Egypte fatimide.

 

(p.89) LES ELEMENTS CLASSIQUES

 

Toutes les mesures citées ci-après se fondent sur le prin­cipe de séparation et de différenciation.

 

Vêtements

La différenciation vestimentaire constitua une source de prescriptions minutieuses. Peut-être à l’origine mesure de sécurité d’une armée d’occupation se méfiant des indigènes, cette obligation fut attribuée à Omar Ibn al-Khattâb « afin de les distinguer [les non-Musulmans] des Musulmans au premier (p.90) abord ». Cette paternité conféra au principe de diffé­renciation le caractère normatif et sacralisé du hadîth et constitua une règle générale qui survécut dans certaines régions jusqu’au xxe siècle. Au Yémen, les Juifs y furent astreints jusqu’en 1948, date de leur émigration en Israël. Les réglementations vestimentaires sont prescrites par les fonda­teurs des quatre écoles juridiques, de façon identique dès le viie siècle. Elles assignent au dhimmi, des étoffes grossières, des couleurs spécifiques pour chaque religion, des ceintures spéciales (zunnâr). Le législateur ne manqua pas de préciser les couvre-chefs : bonnets pointus (qalansuwà) ou turban, leur tissu et leur couleur, puis les coiffures : les Chrétiens devaient se raser au-dessus du front. Le dhimmi :

« […] doit se distinguer par une pièce de drap jaune et une ceinture par-dessus ses vêtements. S’il entre dans une maison de bains où se trouvent des Musulmans, ou s’il se déshabille autre part dans leur présence, l’infidèle doit porter au cou un anneau de fer ou de plomb, ou bien quelque autre signe de servitude. »

Des ordonnances imposant ces obligations étaient cons­tamment décrétées:

« Cette année-là [849/850], al Mutawakkil ordonna de forcer les chrétiens et tous les dimmîs à porter le taylasân [voile couvrant la tête et les épaules] jaune et la ceinture zunnâr, à utiliser des selles et des étriers de bois, à disposer deux pommeaux à la partie arrière de la selle et, pour ceux d’entre eux qui portaient le bonnet qalan­suwà, d’y adapter deux boutons d’une valeur différente de celle de la qalansuwà des musulmans. (Ils devaient en outre) fixer, sur la partie visible du vêtement de leurs serviteurs, deux pièces de tissu d’une couleur différente de celle du vêtement sur lequel elles étaient posées : l’une devait se trouver par-devant, sur la poitrine; l’autre par derrière, sur le dos. Chaque pièce devait avoir une dimension de quatre doigts et être de couleur jaune. De même, ceux d’entre eux qui portaient le turban devaient le porter de cou­leur jaune. Leurs femmes, quand elles sortaient, ne devaient paraître que revêtues d’un izâr [sorte de manteau] jaune.

Il ordonna d’obliger leurs serviteurs à porter le zunnâr, à l’excep­tion de la ceinture mintaq, de détruire leurs nouveaux lieux de culte et de saisir un dixième de leurs habitations. Si l’endroit était suffi­samment spacieux, on en ferait une mosquée ; s’il n’était pas apte à devenir une mosquée, on en ferait un espace libre. »

 

(p.91) Les pèlerins européens frappés par ces distinctions vesti­mentaires fournissent d’innombrables témoignages quant à leur application en Orient, au Maghreb, en Iran et dans l’Empire ottoman. Dans certaines régions, (Perse, Ifriqiya) les dhimmis étaient exclus des bains publics, dans d’autres, comme en Egypte, Palestine et Syrie, ils devaient porter des clochettes.

En Ifriqiya le port des vêtements distinctifs était sévère­ment contrôlé. Au IXe siècle à Kairouan, Chrétiens et Juifs étaient obligés de déployer ostensiblement leur ceinture sur leurs vêtements. Ceux qui s’abstenaient du port des signes distinctifs, ceinture (zunnâr), écusson (riqa’), subissaient le fouet, l’incarcération et l’humiliation publique.

« Vers la fin de son règne, Abou Yoûsof [al-Mansour, 1184-1199] ordonna aux Juifs habitant le Maghreb de se différencier du reste de la population par une mise particulière, consistant en vêtements bleu foncé pourvus de manches si larges qu’elles tombaient jusqu’aux pieds, et, au lieu de turban, en une calotte de la plus vilaine forme qu’on aurait prise pour un bât et qui descendait jusqu’au-dessous des oreilles. Ce costume devint celui de tous les Juifs du Maghreb et le resta jusqu’à la fin du règne de ce prince et au commencement de celui de son fils Abou Abd Allah [al-Adil, 1224-1227]. Celui-ci le modifia à la suite de démarches de toutes sortes faites par les Juifs, qui recoururent à l’intercession de tous ceux qu’ils croyaient pouvoir leur être utiles. Abou Abd Allah leur fit porter des vêtements et des turbans jaunes et tel est leur costume qu’ils portent encore en la présente année 621 [1224]. Ce qui avait engagé Abou Yoûsof à prendre cette mesure de leur imposer un vêtement particulier et distinctif, c’était le doute qu’il nourrissait touchant la sincérité de leur islamisme : « Si, disait-il, j’étais sûr qu’ils fussent réellement musulmans, je les laisserais se confondre avec les Musulmans par mariage et de toute autre manière ; mais si j’étais sûr qu’ils fussent infidèles, je ferais tuer les hommes, je réduirais leurs enfants en esclavage et je confisquerais leurs biens au profit des fidèles. » [pp. 264-265]

« On n’accorde point chez nous de sauvegarde [protection] ni aux juifs, ni aux chrétiens depuis l’établissement du pouvoir (p.92) Maçmoudite 30, et il n’existe ni synagogue, ni église dans tous les pays musulmans du Maghreb. Seulement les juifs, chez nous, pro­fessent extérieurement l’islamisme ; ils prient dans les mosquées et enseignent le Koran à leurs enfants, en se conformant à notre reli­gion et à notre loi. Dieu seul connaît ce que cachent leurs coeurs et ce que renferment leurs maisons. » 31

(…) Les grands sultans ottomans ne manquèrent pas d’émettre des ordres minutieux à ce sujet, précisant la texture des tis­sus, les formes et les couleurs. Ainsi le sultan Mourad III (1574-1595) recevant du cadi d’Istanbul une lettre l’infor­mant que les Juifs et les Chrétiens avaient modifié le type de leurs vêtements, de leurs turbans et de leurs chaussures, lui écrivait un ordre daté du 5 août 1577 :

 

  1. Tribu berbère alliée aux Almohades (1130-1269).
  2. Al-Marrakushi, Al-mu’jib fi talkhis akhbar al-maghrib (Histoire des Almohades), tr. de l’arabe par Edmond Fagnan, Alger, Adolphe Jourdan, 1893, pp. 264-265. Un voyageur des Flandres, Anselme Adorne, à Tunis du 27 mai au 15 juin 1470, note que si les Juifs ne portaient pas de vêtements distinctifs ils se feraient lapider, cf. Brunschvig, Deux Récits, p. 192.

 

(p.93) « Cet état de choses a été autrefois interdit par un firman impérial. Je n’accorde nullement l’assentiment impérial à ce que les Juifs et la communauté des kiafirs [Chrétiens] portent, ainsi qu’il a été expliqué, des habits, des turbans et des sandales [énumération des vêtements interdits] Tu prendras soin pour qu’ils retournent à s’habiller selon le type infidèle des temps anciens; tu ne leur feras pas porter d’habits musulmans ni permettre de prendre d’allures musulmanes et tu devras les empêcher d’agir contre un ordre impé­rial. Ceux qui après cette recommandation ne s’assagissent pas et portent contrairement à mon ordre des habits [interdits], seront châtiés publiquement. Fais arrêter les premiers coupables, empri­sonne-les et mets moi au courant de l’affaire. »

Le même sultan envoyait un autre ordre (27 avril 1580), interdisant le turban aux dhimmis. Il était prescrit aux Juifs un chapeau rouge, aux Chrétiens un chapeau noir et à tous deux des souliers noirs. Sous Mahmoud I (1730-1754), les chapeliers confectionnèrent pour les Musulmans des cha­peaux semblables à ceux des Juifs. Aussi le sultan écrivit-il au cadi d’Istanbul le 3 avril 1730 :

«Vu qu’il est difficile de pouvoir, au point de vue habillement, éta­blir une distinction, il arrive que plusieurs Musulmans, en dehors [outre] qu’ils sont promptement soupçonnés [d’être des dhimmis], donnent aussi, conformément au dicton ‘celui qui ressemble à un peuple devient (un membre) de ce peuple’, preuve de mauvaise croyance, cas dont la suppression constitue un des faits religieux importants. »

II ordonnait aux responsables de donner :

« […] des ordres positifs et sévères et répétez-les leur [sic] afin que désormais ils ne cousent pas de chapeaux, comme ceux des Juifs, c’est-à-dire cousus à petite couture et ayant un fond en forme de disque, et prenez-les garants les uns vis-à-vis des autres. En outre, faites comprendre à chacun d’eux et d’une bonne façon que, si désormais, on entend dire que quelqu’un a cousu ou vendu un kaouk de ce genre, il sera arrêté comme n’ayant pas obéi au chéri [chari’a] et comme ayant agi contre le firman impérial et sera pendu devant la porte de sa boutique. Et toi, qui est le tchaouch bachi [huissier en chef], ne cesse pas, secrètement et sans disconti­nuation de surveiller cet état de choses. »

 

(p.95) En revanche, dans les régions de la Turquie d’Europe, en Grèce, en Albanie et dans les villes et les villages de l’Empire où les Chrétiens étaient majoritaires, les vêtements discriminatoires et la prohibition du port d’armes étaient inexistants. Mais selon l’historien Mitev, dans la Bulgarie turque, les juges musulmans refusaient les témoignages des Chrétiens contre les Musulmans. Le port d’armes, les beaux habits étaient interdits aux Bulgares, ils ne pouvaient monter à cheval en présence d’un Turc, ni construire de nouvelles églises ou réparer les anciennes sans autorisation préalable. Enfin les Bulgares supportaient des rapines et des humilia­tions constantes. Le dernier firman concernant les discrimi­nations vestimentaires date du 10 août 1837, il émane du sul­tan Mahmoud II. Adressé au grand rabbin d’Istanbul, il lui enjoint, conformément à ses fonctions, l’obligation d’impo­ser à ses coreligionnaires la stricte observance de ces diffé­renciations ; des ordres analogues ayant été communiqués aux patriarches arménien, grec et catholique.

La distinction de la tenue des tributaires constitua une règle coutumière essentielle de leur statut et il serait fasti­dieux d’en énumérer toutes les variantes. De nombreuses sources indiquent que les dhimmis étaient soumis à ces régle­mentations jusqu’au xixe siècle. En 1875 les Juifs de Tunisie étaient obligés de porter un burnous bleu ou noir, des pan­toufles et des bonnets noirs. A Tripoli (Libye), les Juifs por­taient un signe bleu distinctif. Dans le Mzab (Algérie du sud), avant la colonisation française, les Juifs payaient la jizya et vivaient dans leur quartier dont ils ne sortaient qu’habillés de noir ; il leur était interdit de quitter le pays. Cette servitude pesait aussi sur les Juifs au Maroc, de (p.96) Tafilalet et de l’Atlas. Les couleurs sombres obligatoires pour les Juifs et les Chrétiens sont mentionnées par Ali Bey à Jérusalem43. A Boukhara le missionnaire anglican Joseph Wolff constate en 1831-1834, outre les restrictions habi­tuelles concernant les synagogues, l’obligation pour les Juifs de porter un signe distinctif. A Hamadan en 1892 et en 1902, les ayatollahs imposèrent le port d’une rouelle rouge aux Juifs de même que des vêtements distinctifs. Cette contrainte se manifesta à Chiraz et à Téhéran en 189744. Au Yémen en 1910, Yomtob Sémach, directeur de la nouvelle école de l’Alliance Israélite Universelle, est choqué par les vêtements discriminatoires ridiculisant les Juifs.

 

  1. Ali Bey (Domingo Badia y Leblich], Travels of Ali Bey in Morocco, Tripoli, Cyprus, Egypt, Arabia, Syria and Turkey, between thé years 1803 and 1807, written by himself, Londres, Longman, 1816, II, p. 242. Plusieurs voya­geurs du xix’ siècle ont observé que les Musulmans de Jérusalem, Hébron et Naplouse étaient parmi les plus fanatiques. Ali Bey, op. cit., note qu’à Damas, ni Juif ni Chrétien ne peuvent monter à cheval ni même sur un âne (H, p. 273) ; à Tripoli (Libye) les Juifs portent des couleurs distinctives, de même au Maroc où il leur est interdit de sortir chaussés. Dans la rue, ils doivent à la vue d’un notable musulman, se ranger à gauche, le corps humblement plié en deux, sous peine d’être durement battus (I, pp. 33-34, 155). Les couleurs spé­cifiques des dhimmis sont mentionnées par Jérôme Dandini, envoyé en 1536 par le pape au patriarche maronite du Liban, cf. Voyage du Mont Liban, Paris, 1675, pp. 45-50. En 1825, un voyageur passant par Damas note qu’aucun Européen ne peut paraître dans les rues avec ses vêtements européens et seuls les Musulmans peuvent monter une bête dans la ville, in Walter Joseph Fischel (éd.), Unknown Jews in Unknown Lands, The Travels ofRabbi David d’Beth Hillel, New York, Ktav, 1973, p. 67. Les vêtements européens ajustés au corps semblaient indécents dans le dar aï-islam.
  2. Joseph Wolff, Researches and Missionary Labours (1831-1834), Londres, 1835, p. 177 ; Chardin, op. cit. I, p. 129 : les Chrétiens de Caffa (port sur la mer Noire) attachaient à leur bonnet une petite pièce de drap. En Iran, les Juifs étaient forcés de porter une rouelle jusqu’au début du XXe siècle. Outre Hamadan, elle était exigée à Téhéran, Chiraz, Yazd et en d’autres lieux, cf. David Littman, « Les Juifs en Perse avant les Pahlevi », TM, n° 395, juin 1979, pp. 1920-1929 ; ibid., « Jews under Muslim Rule : The Case of Persia », WLB 32, n. s. 49/50, 1979, pp. 7-11; Laurence D. Loeb, Outcaste: Jewish Life in Southern Iran, New York/Londres/Paris, Gordon & Breach, 1977, pp. 20-21. On trouvera dans le voyage de Rabbi David D’Beth Hillel, cf. Fischel, Unknown Jews, des renseignements sur les Chrétiens de Perse et d’Azer-baidjan. Pour les extorsions et assassinats de Juifs, ibid., là aussi les gouver­neurs tentèrent de sauver les victimes du fanatisme populaire. Pour une docu­mentation complémentaire, cf. Index D (General), « Costume (distinctive) », in Bat Ye’or, The Dhimmi, p. 440.

 

(p.97) Montures

 

Les chevaux et les chameaux, animaux nobles, étaient interdits aux dhimmis. Ceux-ci devaient se contenter d’ânes, dont l’usage à certaines époques ne fut permis qu’à l’exté­rieur des villes. Seuls des bâts en guise de selles, munis d’étriers grossiers en bois furent autorisés :

« L’infidèle, sujet de notre Souverain, ne saurait monter à cheval, mais l’âne ou le mulet lui sont permis quelle qu’en soit la valeur ; il doit se servir d’un ikâf [bât] et d’étriers en bois, car les étriers en fer lui sont défendus aussi bien que la selle ; sur le chemin il doit se ranger de côté pour laisser passer un Musulman; on ne saurait le traiter en personnage d’importance, ni lui donner la première place dans une réunion. » 46

 

  1. Nawawi, op. cit., III, p. 285. Cette règle unanimement prescrite fut toujours appliquée. Elle se maintint au Yémen, jusqu’au départ des Juifs pour Israël en 1948 et au Maghreb jusqu’à la colonisation, cf. Leared, op. cit., pp. 175-177 ; lettre du 16 mai 1990 (J. Hoeffer, Tripoli, Libye) au président de l’AIU, Paris (AIU, LIBYE I.C.12), cf. Litmann, « Aspects » (augm.), p. 15-16.

 

(p.99) Et un voyageur anglais visitant la Palestine en 1816 :

« Toute notre route de Nazareth à Sook-el-Khan avait été plus ou moins raboteuse et vallonnée, mais, en quittant ce lieu, nous arri­vâmes dans une plaine fertile. Le long de notre chemin en cet endroit, nous rencontrâmes un groupe de Juifs sur des ânes, allant de Tibériade au marché public, et comme ils me prirent pour un Musulman à cause de ma robe turque et de mon turban blanc, tous descendirent de leurs montures et passèrent près de nous à pied. Ces gens persécutés sont tenus en tel mépris ici qu’il leur est inter­dit de rester montés devant un Musulman, alors qu’on accepte que les Chrétiens restent sur leurs mules et leurs ânes, quoiqu’ils ne puissent monter à cheval sans la stricte permission du Pacha. »

L’interdiction de monter à cheval demeura en vigueur pour le Juif jusqu’au début du xxe siècle au Yémen et dans les campagnes du Maroc, de Libye, d’Irak et de la Perse. S’il ne (p.100) descendait pas de son âne assez vite à la vue du Musulman, ce dernier le jetait à terre.

(…)

 

Comportements envers les dhimmis

 

L’animosité envers des populations de croyances diffé­rentes n’était pas caractéristique des seuls Musulmans ; elle se manifestait parmi tous les peuples de la dhimmitude. Mieux que les murs du ghetto, ceux de la haine et de la méfiance conservèrent les séparatismes religieux.

L’obligation de tolérer sur les terres conquises l’existence des dhimmis, et de les côtoyer dans les activités quotidiennes développa une réflexion, une sorte de code du savoir-vivre prescrivant les comportements et le langage que devait adop­ter le vrai croyant à l’égard des dhimmis dans les différentes circonstances de la vie. Ici encore on retrouve trois principes majeurs qui commandent l’éventail des comportements : 1) l’interdiction de se lier d’amitié avec les Juifs et les Chrétiens et d’adopter leurs opinions54 ; 2) l’interdiction de discuter avec eux55 ; et 3) l’obligation de les humilier.

 

  1. Coran III, 27, 114 ; IV, 143; V, 56, 62 ; LX, 1, 2.
  2. Ibid.,111, 18, 19.
  3. Cf. Georges Vajda, « Juifs et Musulmans selon le Hadith », JA 229, 1937, pp. 57-127 ; Eliahu (Ashtor) Strauss, « The Social Isolation of Ahl adh-Dhimma », in Paul Hirscher Mémorial Book, Budapest, 1949, pp. 73-94.

 

(p.102) Les condoléances également diffèrent selon la religion. Dans la rue, le dhimmi, selon Abou Yousof ne doit pas faire face au Musulman, mais passer à sa gauche, côté impur; d’autres juristes ajoutent l’obligation de rendre son chemin étroit et de le serrer sur les bords. Cette pratique est mention­née par des voyageurs européens en Palestine où les Juifs et les Chrétiens étaient humiliés et insultés dans les rues de Jérusalem, Hébron, Tibériade et Safed jusqu’au milieu du xixe siècle62. Fréquemment en Palestine, Tripolitaine et Yémen les injures accompagnées parfois de jets de pierres -bien que ces derniers n’eussent pas été prescrits par la loi marquaient ces manifestations hargneuses. Le dhimmi devait marcher les yeux baissés et rapidement. Dans les bains publics, dans les pays où ils y étaient admis, hommes et femmes dhimmis ne pouvaient regarder la nudité des Musulmans de sexe respectif. Les voyageurs mentionnent ces mêmes mœurs qui perdurèrent au Maghreb et au Yémen jusqu’à la colonisation.

 

  1. Lettre du 11 novembre 1858 du consul britannique James Finn à Malmesbury, Londres, in Hyamson, I, p. 261. En Palestine, notamment à Jérusalem jusqu’en 1839, les Chrétiens étaient poussés dans les rigoles par n’importe quel Musulman qui proférait : « Chiens, mets-toi à ma gauche ! », toute monture leur était interdite en ville, de même pour les vêtements clairs, cf. Finn, Stirring Times, I, pp. 201-203 ; pour les humiliations dans les rues au Maroc, cf. de Amicis, op. cit., p. 319 ; (…)
  2. Nawawi, op. cit, II, p. 315.

 

(p.103) Les maisons des dhimmis devaient être plus petites que celles des Musulmans et d’humble apparence, souvent peintes de couleurs sombres. A Constantinople et ses envi­rons, les maisons juives étaient noires, celles des Arméniens et des Grecs, marron ou rouge sombre. Certains quartiers et la proximité de mosquées vénérées étaient interdits aux dhimmis65.

Les interdictions concernant certains déplacements ou l’accès à certaines villes ou lieux ont toujours existé. Edrîsî (al-Idrisi) rapporte que la ville d’Aghmat-Waylan était habi­tée exclusivement par des Juifs. L’Almoravide Ali ibn Yousof (1106-1142) leur interdit d’aller à Marrakech et d’y passer la nuit sous peine d’y perdre la vie et les biens. Pour ceux qui s’y trouveraient après le coucher du soleil : « leur vie et leurs biens sont à la merci de tout le monde ». Visitant le Maghreb en 1870, le chevalier de Hesse-Wartegg nota qu’à Tunis :

« De toutes les confessions, l’Islam excepté, seuls les Catholiques ont obtenu le droit de vivre à l’intérieur des murs de la ville maure ; les Juifs et les Protestants sont obligés d’avoir leurs temples et leurs églises ainsi que leur cimetière à l’extérieur. » (p. 178)

 

  1. Broughton, Travels, I, p. 459, II, p. 244 ; Niebhur, op. cit., I, p. 115. Pour l’obligation de peindre en noir la façade des maisons des dhimmis, Ubicini, op. cit., II, p. 344. Broughton signale au nord de la Grèce les restric­tions imposées aux déplacements des marchands chrétiens qui ne pouvaient se promener même dans les banlieues sans en préciser les buts au Pacha, op. cit., I, p. 62 ; leurs femmes et leurs enfants étaient retenus pour obliger les mar­chands à revenir, id., I, p. 78.

 

(p.105) Corvées

(…) Au Yémen, un édit de 1806 obli­geait les Juifs jusqu’en 1950 – date de leur émigration en Israël – à emporter les cadavres des bêtes et à nettoyer même le samedi, les latrines publiques. Au Yémen et au Maroc, les Juifs devaient décerveler et saler les têtes des ennemis du sultan et les exposer sur les murs de la ville 77. La population musulmane était, elle aussi, astreinte à des corvées d’utilité publique ou militaire, mais l’exécution des travaux les plus avilissants incombaient aux dhimmis.

 

  1. Au Maroc, les soldats arrêtaient les premiers Juifs rencontrés et les obligeaient à décerveler les têtes, de Amicis, op. cit., p. 275 ; (…).

 

(p.106) Eléments régionaux

(…)

En 1836-1837, les Juifs de Fez avaient sollicité du sultan Abd ar-Rahman l’autorisation de construire un hammam (bain public) dans leur quartier. La décision sur ce sujet important nécessita la consultation des ulémas. Ceux-ci rédi­gèrent douze fatwas fondées sur l’examen scrupuleux de la littérature juridique depuis le début de l’islam et la désigna­tion du Maroc en terre d’islam, terre de capitulation ou terre conquise par la force. Excepté un uléma qualifié d’âne par ses collègues, les docteurs interdirent le hammam pour les raisons suivantes dont la principale est l’état d’avilissement et d’humiliation dans lequel les Juifs doivent être maintenus; on ne doit pas permettre aux Juifs d’imiter l’exemple d’hommes illustres qui dotèrent des villes de hammam; les sujets tributaires ne peuvent rien construire après la conquête islamique ; la construction du hammam ferait des Juifs les égaux des Musulmans. En 1898, les Juifs de Fez demandè­rent à nouveau un hammam et essuyèrent un refus pour les mêmes raisons.

Des voyageurs au début du XXe siècle en Perse et au Yémen remarquèrent les portes basses des habitations des dhimmis. A Sana’a (Yémen) le quartier juif était privé d’éclairage la nuit et d’un service de voirie. A Boukhara, un chiffon devait signaler les maisons juives. Les préjugés étaient plus sévères parmi les populations chi’ites qui consi­dérant les dhimmis comme impurs, leur interdisaient de sortir par temps de pluie et de toucher des aliments (voir doc.)

 

(p.107) COMPORTEMENTS DES DHIMMIS

 

La loi exigeait des dhimmis, une attitude humble, le regard baissé, le pas pressé. Ils devaient céder la voie aux Musulmans, se tenir debout en leur présence, garder le silence, ne leur adresser la parole que sur autorisation. Attaqués, il leur était interdit de se défendre et de lever la main sur un Musulman, sous peine d’avoir le poing coupé. Toute critique du Coran et de la loi islamique annulait le pacte de protection. En outre la gratitude était un devoir exigé du dhimmi puisque la loi islamique épargnait sa vie.

L’ensemble de ces comportements dont la description ici n’est guère exhaustive, constituèrent des conduites immua­bles qui se perpétuèrent de génération en génération durant des siècles. Elles furent si profondément intériorisées qu’elles échappèrent à toute réflexion critique et envahirent le champ de la conscience désormais dominée par un condi­tionnement auto-dévalorisant. La responsabilisation du groupe pour les méfaits de l’un de ses membres, associa et unit l’ensemble de la communauté dans un faisceau d’atti­tudes mentales rigidifiées par leur reconduite millénaire. Elles enfermèrent le dhimmi dans un univers de dégradations reflétées par les mille détails de la vie quotidienne. Cette situation déterminée par une juridiction précise et des com­portements sociaux fondés sur des préjugés et des traditions religieuses, induisit dans tous les groupes dhimmis un même type de mentalité focalisée sur quatre pôles majeurs: vulnéra­bilité, humiliation, gratitude, aliénation.

 

(p.112) L’occultation des élé­ments de la dhimmitude par les dhimmis eux-mêmes résulte de leur refus de la reconnaître. Elle conduisit la victime à une (p.113) auto-culpabilisation de sa propre déchéance. La mentalité dhimmie demeure incapable de concevoir les valeurs de dignité et de liberté de la vie, du fait d’une totale désintégra­tion de l’être, consécutive à l’intériorisation de son avilisse­ment conjugué à la toute-puissance de la peur. Ces éléments persistent encore dans un certain courant contemporain de Chrétiens orientaux, meilleurs apologistes de systèmes qui les détruisent.

 

(p.116) La judéophobie s’exprimait non seulement dans la littéra­ture religieuse, les homélies, les lois conciliaires, mais égale­ment dans les liturgies syriennes (pour l’usage à Jérusalem et Antioche), mésopotamiennes et nestoriennes, byzantines, arméniennes, égyptiennes et africaines. La diffusion de préjugés (p.117) hostiles provoquait des destructions ou des confisca­tions de synagogues et la persécution des Juifs notamment en Palestine où l’Eglise se trouvait confrontée à l’héritage histo­rique juif qu’elle entendait s’approprier. L’interdiction faite aux Juifs par Hadrien en 135 de séjourner à Jérusalem, pour combattre toute renaissance de leur nationalisme, fut renou­velée par Constantin mais cette fois pour des raisons reli­gieuses. La permission de venir y pleurer un jour par an, moyennant une taxe leur fut accordée. Cette exclusion des Juifs de Jérusalem fut maintenue jusqu’à la fin du V siècle, et à la demande du clergé palestinien réimposée par Héraclius en 620, accompagnée d’une expulsion et interdiction des Juifs sur un périmètre de trois milles autour de la ville. La déjudaïsation de Jérusalem constitua un principe sacré de l’Eglise, intégré à sa politique de destruction systématique du judaïsme palestinien.

Après la conquête islamique le statut juridique des Juifs, élaboré par les conciles, devint par une sorte de translation celui de l’ensemble de la chrétienté dhimmie. Transmis à l’islam par la conversion des fonctionnaires chrétiens chargés de son application, il perpétua sous la domination islamique la guerre des patriarcats et le conflit entre l’Eglise et la Synagogue. Toutefois, alors que ces lois sont pour la plupart dûment classées et datées dans les canons conciliaires ou dans les recueils juridiques byzantins, elles réapparaissent dans l’islam sous la forme de hadîths attribués au Prophète ou aux quatre premiers califes, ou dans des interprétations du Coran. Ce travail d’islamisation s’opéra assez rapidement puisque l’ensemble de ce statut est déjà mentionné dès le ixc siècle par les jurisconsultes fondateurs des quatre écoles de droit musulman. On citera rapidement ici les équivalences :

 

(p.120) Dans ce long processus d’agonie que fut l’islamisation du monde chrétien, se manifeste une accusation assez fré­quente : l’incrimination des Juifs pour les malheurs des (p.121) Chrétiens. Attitude en premier lieu dogmatique, enracinée dans la tradition de satanisation des Juifs, fortement ancrée dans les Eglises orientales et qui se concrétise dans la repré­sentation des Juifs comme principe du Mal. La dispersion d’Israël et son avilissement, rétributions de la malédiction et du châtiment divin, prouvaient la vérité de l’Eglise. La projection du Mal sur les Juifs exonérait de ces mêmes accusa­tions une Eglise déchue désormais dans une situation iden­tique à celle qu’elle avait créée pour Israël afin de le supplanter. Cette démonisation fournissait une explication théologique et eschatologique aux malheurs des Chrétiens désormais innocentés, et servait ainsi de canal de dérivation à la colère et aux frustrations. Certes la doctrine judéophobe fut élaborée par les conciles antérieurement à l’apparition de l’islam, mais il est évident que les contingences politiques l’exacerbèrent. Sans minimiser l’appareil doctrinal de la judéophobie chrétienne, on ne peut guère toutefois séparer les persécutions anti-juives du Moyen Age occidental du contexte politique des affrontements islamo-chrétiens. Agres­sée sur ses terres, refluant sans cesse sous les coups impi­toyables du jihâd, la chrétienté adopta envers les Juifs, deux attitudes : l’auto-déculpabilisation et l’agressivité déviée l04.

 

  1. On a déjà vu que Héraclius à l’instigation du clergé palestinien, inculpa les Juifs de toutes les destructions causées par les Perses, les nesto-riens et les monophysites contre les melkites. Ce fut le signal d’un massacre barbare dans tout son Empire. La démonisation des Juifs représente une tradi­tion fortement ancrée chez les clergés orientaux ; voir l’article de S. Vailhé, « Les Juifs et la Prise de Jérusalem en 614 », Echos d’Orient, Revue bimes­trielle, de Théologie,  de  Droit Canonique,  de Liturgie,  d’Archéologie, d’Histoire et de Géographie Orientales, Paris, 1909, XII, pp. 15-17. «Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’une tradition populaire, à peu près universelle, voit la main des Juifs dans les grandes catastrophes qui ont ensanglanté l’huma­nité; ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on attribue à cette race étrange un rôle odieux dans les malheurs qui s’abattent sur une ville ou sur une nation », ibid, p. 15 ; et id. p. 17 : « Certes ! les Perses étaient renommés pour leur cruauté et leur barbarie ; et pourtant, tous les auteurs s’accordent à faire retomber sur les Juifs la plus grande part de responsabilité dans les malheurs inouïs qui frappè­rent la Ville Sainte. » Ces auteurs sont deux Grecs, Théophane décédé deux siècles plus tard, en 817, et Eutychius (Sa’id b. Bitriq), patriarche melchite d’Alexandrie de 933 à 940. Pour la discussion des sources, cf. Gil, History, pp. 6-8.

 

(p.122) Au temps où Mohammed par ses nombreux contacts avec les évêques orientaux s’ouvrait la route vers la Syrie, l’annonce à Héraclius qu’un peuple circoncis s’emparerait de son Empire provoqua l’ordre de conversion forcée des Juifs. A la demande du basileus, le roi Dagobert leur imposa le bannissement ou le baptême106. Qui plus que l’Eglise palesti-

 

  1. Blumenkranz, Juifs, p. 100. La persécution de Dagobert se situerait entre 631 et 639 ; (…).

 

(p.123) nienne pouvait incarner le « vrai Israël », thème fondamental de la polémique anti-juive ? Et alors que l’Empire chrétien s’effondrait, Sophronius, patriarche de Jérusalem, insista pour obtenir du calife Omar l’exclusion des Juifs de la Ville sainte. Malgré les coups mortels que l’islam portait à la chré­tienté, c’est encore le patriarche de Jérusalem qui demanda aux empereurs d’Orient et d’Occident d’imposer aux Juifs la conversion ou le bannissement, provoquant de nouvelles per­sécutions en 932-939 dans l’Empire byzantin et en Europe 107. Et quand le calife al-Hakim en 1009 ordonna la destructions de toutes églises et synagogues et l’élimination des religions dhimmies, des représailles se déchaînèrent en Europe contre les Juifs, accusés par les clergés orientaux d’être les instiga­teurs des persécutions décrétées par al-Hakim dont ils furent eux-mêmes victimes 108. Certes quelques fonctionnaires juifs tout aussi tyranniques que d’autres, émergent d’une histoire millénaire, mais ces situations issues de conjonctures demeu­rent exceptionnelles. Dépourvus de tout pouvoir politique ou législatif, ces personnages n’étaient que les exécutants d’un système qui les utilisait.

 

  1. Ibid., pp. 380-384. Les Juifs accusés de collusion avec le sultan al-Hakim qui pourtant les persécuta autant que les Chrétiens, furent en Occident, passés au fil de l’épée.

 

(p.124)  La persécution des Juifs en Occident ne peut être dissociée du contexte politique des guerres islamo-chrétiennes. En 1063, le pape Alexandre II condamnait pourtant l’assimilation des Juifs aux Musulmans. La guerre, écrivait-il, contre ces derniers qui attaquaient partout les Chrétiens, était licite, mais non contre les Juifs qui étaient de fidèles sujets.

L’assimilation des Juifs aux persécuteurs musulmans de la chrétienté s’exprima dans l’iconographie religieuse, notam­ment les Crucifixions, où les Juifs prennent l’aspect de sol­dats turcs aux traits physiques empruntés à ce monde asia-tico-arabe, qui de Bagdad à Boukhara, s’ébranlait vers l’Occident, encadrant de ses cadis, les armées du jihâd. Ce contact de l’Occident avec la judéophobie exacerbée du christianisme oriental, dans le contexte du jihâd, détermina en Europe l’aggravation de la condition juive que signale Blumenkranz dans ses travaux. Entre autres emprunts à l’islam, on peut noter une coutume établie au début du xr siècle à Toulouse. Chaque année à Pâques, la commu­nauté juive était représentée par l’un de ses membres qui, exposé sur le parvis de la cathédrale, recevait un soufflet d’un Chrétien. Les vêtements distinctifs et notamment la rouelle, imposés aux Juifs par le ive concile du Latran en 1215 s’inspirèrent du dar al-islam.

L’inculpation des Juifs dans les malheurs des Chrétiens avait pour fonction l’auto-innocentement et le report d’une agressivité impuissante des chrétientés dhimmies. La nostalgie des gloires passées, l’humiliation de partager avec les Juifs un statut commun attisaient une judéophobie perma­nente qui explosait dans les accusations renouvelées de meurtres rituels ou d’agressions – de Grecs-orthodoxes notamment – contre les dhimmis juifs. On doit toutefois pré­ciser que la judéophobie chrétienne s’inscrivait dans le contexte conflictuel plus large de l’intolérance religieuse qui favorisa tant l’avance islamique. Mais alors que les Chrétiens (p.125) dhimmis schismatiques bénéficiaient de la protection des sou­verains chrétiens, byzantins, latins et plus tard russes, la vul­nérabilité des Juifs en faisaient les objets privilégiés des ven­geances déviées de leurs cibles. Et de même que la rouelle humiliait l’Eglise sous le Croissant, ainsi humilia-t-elle la Synagogue sous la Croix. A la fuite des masses chrétiennes d’Arménie, d’Anatolie, de Grèce, de Serbie, de Bulgarie, correspondait l’expulsion hors des villes chrétiennes des Juifs qui, victimes eux-aussi du jihâd, erraient, populations ballottées entre protections temporaires, rançonnages et persé­cutions.

 

(p.126) C’est dans ce contexte que se situe l’accusation de meurtre rituel contre la communauté juive de Damas en 1840. La dis­parition d’un religieux français, le père Thomas et de son domestique à une époque où la France pacifiait l’Algérie et dans un pays, la Syrie, où avaient reflué des réfugiés musul­mans, fut imputé par le consul de France Ratti-Menton aux Juifs. L’accusation chercha à obtenir des aveux par la torture et la mort de vieillards, le rapt d’enfants juifs, leur emprison­nement et la ruine de la communauté. L’affaire fit un tel scandale international, que la France préféra l’étouffer dis­crètement. On peut concevoir que la punition du meurtrier d’un franciscain français, s’il eût été Musulman, aurait encore aggravé la vulnérabilité des catholiques.

En 1860, après deux décennies de violences anti-chré­tiennes en Palestine, Liban et Syrie, environ 12000 Chré­tiens, hommes, femmes, enfants, furent massacrés au Liban et 10 000 à Damas dans des circonstances atroces, par les Musulmans et les Druzes. Bien que les forcenés musulmans (p.127) eussent agi au vu de tous y compris des consuls, les survi­vants chrétiens imputèrent la responsabilité de ces massacres aux Juifs et réclamèrent vengeance. Les Juifs de Damas ne furent sauvés d’une rage sanguinaire que par l’action éner­gique de leurs coreligionnaires d’Europe.

La tension était telle que lorsqu’un Juif, sujet algérien, fut emprisonné à Alep en 1889 sous l’accusation de blasphème, le consul de France refusa d’intervenir prétextant la situation en Crète et l’exacerbation du fanatisme. Ce fut toutefois en Palestine que l’existence juive connut ses plus misérables aspects sous les coups conjugués du fanatisme chrétien et musulman. Cette situation fut notée par tous les pèlerins étrangers et par les consuls européens de Jérusalem, après l’autorisation turque en 1839 d’ouvrir des consulats dans cette ville. William Tanner Young, vice-consul anglais à Jérusalem décrivit cette condition :

« Malgré cela, le Juif à Jérusalem n’est guère plus estimé qu’un chien – et rarement un jour ne passe sans que je n’entende qu’un acte de tyrannie et d’oppression n’ait été commis contre un Juif -généralement par les soldats qui entrent dans leurs maisons et ’empruntent’ tout ce qu’ils veulent sans demander aucune permis­sion ; parfois l’objet est rendu, mais fréquemment il ne l’est pas. Dans deux cas, j’ai réussi à obtenir justice pour des Juifs contre des Turcs. Mais réclamer justice pour des Juifs est une chose absolu­ment nouvelle aux yeux de ces gens et j’ai de bonnes raisons de penser que mes efforts pour protéger les Juifs ont été vains et le seront encore pour quelque temps à venir au détriment de mon influence auprès d’autres classes : Chrétiens aussi bien que Turcs [Musulmans]. Si un Juif, Monseigneur, tentait de passer la porte de l’Eglise du Saint-Sépulcre, il lui en coûterait probablement la vie -cela n’est pas très chrétien considérant que Christ lui-même était un Juif. Et si un Juif ici fuyait pour trouver sa sécurité, il la trouve­rait plutôt dans une maison musulmane que dans celle d’un Chrétien. » « 8

 

(p.128) Un an après l’ouverture du consulat français à Jérusalem en 1843, le consul était témoin d’une pratique ancestrale éta­blie par les Eglises à l’égard des Juifs :

« La protection que le Consul de France est appelé à exercer à l’égard du Juif de l’Algérie, établi, ou de passage à Jérusalem, m’a donné lieu d’attaquer sérieusement et avec succès, dans la population de cette ville, certains usages empreints de cruauté et de barbarie.

Une ordonnance de police défend aux israélites de passer sur le parvis de l’église du Saint Sépulcre. Jusqu’à ce jour, les malheu­reux Juifs qui, par mégarde, se hasardaient à passer sur cette place, étaient assaillis par une foule de fanatiques Chrétiens où Musulmans. Ces furieux accablaient leurs victimes de coups, les blessaient avec des armes, plusieurs fois même, sont allés jusqu’à les massacrer impitoyablement. Cette atrocité a été commise sous l’administration d’Ibrahim Pacha, en présence de l’autorité musul­mane, qui demeurait froide et silencieuse en face des assassins. Cet horrible attentat resta entièrement impuni.

(p.129) Il y a trois semaines, environ, un Juif protégé français le Sr Messaoud, récemment arrivé à Jérusalem et ignorant la défense porté contre ses coreligionnaires, passait devant le Saint Sépulcre. Réconnu par des Grecs pour appartenir au culte israëlite ; il fut accablé de coups de barre de fer par ces misérables et vint couvert de blessures et la tête ensanglantée, porter plainte au consulat. Je n’hésitai pas ; je demandai, immédiatement, au Pacha, l’arresta­tion et la punition instantanée des coupables. Je l’obtins, mais cette exécution produisit, dans la ville, une grande et vive émotion. Les supérieurs des divers couvents vinrent me conjurer de faire élargir les coupables pour l’honneur, disaient-ils, de la religion. Dans leur haine et leur mépris pour les Juifs, ils alléguaient le plus sérieusement du monde, avec les Turcs et les Chrétiens, que tuer impunément les Juifs, en pareil cas, était un antique usage, que cet usage étant établi de temps immémorial avait force de loi. J’ai été inexorable, et leur ai déclaré que la loi de Dieu était plus vieille encore, et qu’elle défendait de tuer son semblable. Ils n’ont pu rien répondre à cet argument ; […]. »121

La suite de la lettre nous apprend que le Pacha fit lui-même châtier les coupables, car un tribunal musulman les aurait acquittés, et que les chefs des couvents, par «de pres­santes sollicitations» demandèrent l’élargissement des agres­seurs. Trois ans plus tard, le consul d’Angleterre dut interve­nir pour un Juif étranger qui fut presque tué dans les mêmes circonstances. S’il fut désormais interdit aux Chrétiens de massacrer impunément les Juifs devant le Saint-Sépulcre, la défense pour ces derniers de s’en approcher fut maintenue. En août 1908 encore, des prêtres, notamment grecs-ortho­doxes, agressèrent violemment des Juifs qui à leurs yeux vio­laient cet interdit.

 

  1. Comte Gabriel de Lantivy (Jérusalem) à François Guizot (Paris), Jérusalem, 28 janvier 1844, (ministère) AE, Dir. Pol. 44, souligné dans le texte.

 

(p.132) Aussi l’umma concevit-elle l’émancipation des dhimmis, et l’éga­lité des droits qui éliminaient l’ordre coranique de supréma­tie sur les infidèles, comme l’aspect idéologique de ce com­bat.

(p.133) En Asie, l’avance russe dans le Caucase provoqua dans les années 1830 des réactions sanglantes en Perse, contre les communautés juives qui furent pillées et décimées à Tabriz, Ardabil, Zanjan et d’autres localités de l’Azerbaïdjan. Dans certaines villes, comme à Meshed (1839), elles furent obli­gées de se convertir pour échapper à la mort.

On peut pour cette époque présenter une courte chronique de la dhimmitude ordinaire en Perse. En 1866, le chef de la communauté juive de Hamadan est mis aux fers et menacé de mort. A Balforouch (province de Hamadan) la disparition d’une jeune musulmane provoque l’islamisation forcée des Juifs, dont dix-huit sont tués et deux brûlés vifs. Hamadan, 1875 : un mollah fanatique prêche le massacre des Juifs, l’un d’eux accusé de blasphème, est brûlé vif par la populace ; Téhéran, 16 mai 1877 : un mollah publie une fatwa imposant la rouelle aux Juifs dont le quartier est envahi et les habitants agressés ; Ispahan, 1889 : une accusation de meurtre rituel déchaîne des violences anti-juives durant plusieurs jours et des menaces d’extermination; Hamadan, hiver 1892-1893 : le clergé chi’ite impose des règlements humiliants aux Juifs, dont le port de la rouelle. En cas de refus, ils sont massacrés ou convertis de force. Trente notables sont forcés de se convertir le couteau sur la gorge. Assiégés dans leurs mai­sons pendant plus de quarante jours, les Juifs s’ils sortent, sont traqués et battus à mort. A Yezd et à Chiraz, Juifs et Zoroastriens sont massacrés. En 1897 à Hamadan les mollahs affichent dans les mosquées des appels au massacre des Juifs.

 

(p.134) A Làr, l’année suivante, un mollah interdit aux Musulmans de traiter avec les Juifs et de leur vendre des aliments. Pressurée, la communauté juive est sommée dans un délai donné de rembourser une créance ou de se convertir collecti­vement à l’islam. Téhéran, 18 janvier 1900: à la sortie de la mosquée, la foule va piller le quartier juif et agresse ses habi­tants ; 1907: à Chiraz la troupe doit intervenir pour sauver les Juifs. A Darab (région de Chiraz) en 1909, le quartier juif et la synagogue sont pillés, les Bibles brûlées, les maisons saccagées, dix-sept Juifs sont obligés de se convertir, les autres s’enfuient. Kirmanchah: même scénario, un enfant est égorgé, toutes les maisons juives pillées. Chiraz, 1910, une accusation de meurtre rituel est le prétexte du pillage du quartier juif. Selon un témoin : « En l’espace de quel­ques heures 6 000 personnes, hommes, femmes, enfants, vieillards, se sont vu arracher tout ce qu’ils possédaient… 12 personnes tuées, 50 environ plus ou moins grièvement blessées, les 5 à 6 000 individus que compte la communauté de Chiraz ne possèdent plus au monde que les quelques loques qu’ils portaient au moment où leur quartier fut envahi. »3

L’examen de l’un des événements de cette chronique parmi tant d’autres semblables éclaire des aspects déjà cités. Ils apparaissent dans un rapport du 7 novembre 1889, rela­tant les circonstances des émeutes concernant un sanctuaire juif à Sangan, village proche d’Ispahan. Le 10 août 1889, des Musulmans accusèrent des pèlerins juifs de jets de pierres, de coups portés contre un cadi et de profanation d’une mosquée par de l’eau-de-vie. Aussitôt la populace brisa les mains et les jambes d’une centaine de pèlerins et blessa tous les autres. Le lendemain les Juifs d’Ispahan, attaqués dans les rues, se cachèrent dans leurs maisons ; deux qui se risquèrent à sortir furent tués. Leurs cadavres traînés dans les rues et destinés au feu, furent la nuit venue, abandonnés au quartier juif. Le lendemain vit le viol des femmes et la signature par les cadis d’une pétition réclamant l’extermination des Juifs. Le fils du chah, le prince Zil-Sultan, accourut pour protéger

 

  1. Lettre (31 oct. 1910) de M. Nataf, directeur de l’école des garçons à Chiraz, au président de l’AIU à Paris, cf. BA1U, voir infra, document 35, 1910, pp. 182-188, repr. in Littman, « Les Juifs en Perse », pp. 1915-1935.

 

(p.135) les victimes, mais les sévices continuèrent. Le 5 octobre 1889, un Musulman ayant frappé un Juif l’accusa de son propre geste. Aussitôt les Juifs furent battus et leur quartier pillé. Seule l’arrivée du prince Zil-Sultan empêcha un mas­sacre général. Ce rapport signale en outre les efforts déployés par des « prêtres chrétiens », Mirza Norollah en particulier, pour aider les Juifs dont ils sauvèrent un grand nombre et qu’ils secoururent constamment.

Ce récit illustre la protection de l’autorité supérieure, celle du chah, exprimée aux victimes par des ordres expédiés aux gouverneurs interdisant les violences, par l’envoi de troupes et par des condamnations sévères à rencontre des criminels. On relève aussi la solidarité et l’entraide entre dhimmis. Enfin dans toutes ces situations tragiques, les missions diplo­matiques européennes – s’il y en a – apportent une aide humanitaire et un soutien politique par des pressions exer­cées sur le pouvoir. Ces situations se retrouvent au Maroc lors des massacres répétés de Juifs à la même époque, malgré les efforts du Sultan pour les prévenir et les sanctionner. Elles expriment le conflit entre les valeurs modernes du res­pect de la vie et de la dignité humaine, et celles du mépris.

 

(p.136) A Bagdad, une rumeur affirmait que les Juifs devenus les égaux des Musulmans pourraient désormais se défendre s’ils étaient agressés. Le 14 octobre 1908, une foule d’émeutiers attaqua durant plusieurs heures chaque passant juif, « afin de les ramener à une attitude respectueuse ». A Mossoul les Chrétiens furent ouvertement insultés dans les rues. Le mou­vement Union Musulmane, fortement implanté à Damas, Homs, Hama, Alep, Beyrouth et Sidon, réclamait le rétablis­sement de la chari’a et terrorisait les Chrétiens. Sur le plan de la politique extérieure, l’indépendance de la Bulgarie, l’annexion par l’Autriche de la Bosnie-Herzégovine et le rat­tachement de la Crète à la Grèce, exaspérèrent les sentiments anti-occidentaux et l’animosité envers les non-Musulmans.

 

(p.138) Dans son combat millénaire contre Israël, l’Eglise entendait récupérer et exploiter la judéophobie islamique. Sur le che­min de son indépendance, Israël aurait à affronter cette Eglise qui l’avait chassé de Jérusalem et condamné à l’exil et à l’avilissement, tout en combattant sur le terrain les lois du jihâd qui lui imposaient, comme aux Chrétiens, l’abjection de la dhimmitude.

 

(p.141) Quelques phrases plus loin, l’auteur /R.B. Serjeant/ mentionne le massacre et le pillage des Juifs à Aden le 30 novembre 1947 et le choix qui leur fut donné « soit d’accepter l’islam ou d’émi-grer, cette dernière alternative étant entièrement volontaire, je crois ».

 

(p.143) Il semble bien qu’une certaine tendance théologique chrétienne islamophile ait utilisé les stéréotypes négatifs des Juifs, communs aux deux religions, comme facteur de rap­prochement avec l’islam. Or l’identité de la condition dhimmie pour Juifs et Chrétiens impose les mêmes critères d’éva­luation pour l’ensemble de ces populations. On ne peut en raison d’une christianophilie ou d’une judéophobie justifier sélectivement des mesures discriminatoires ou de déshuma-nisation même si elles s’insèrent dans les mentalités et les mœurs de l’époque. C’est précisément l’examen de cette condition pour les différentes communautés quelles que soient leurs antagonismes, qui permet de s’élever au-dessus de ses préjugés, aussi profondément dissimulés soient-ils, pour découvrir l’humain dans ses données universelles.

 

(p.144) Le négationnisme historique qui occultait les notions de dar al-harb, dhimmis et dhimma, traditionnellement atta­chées aux Chrétiens, permit de réaménager la démonisation des Juifs, désormais récupérée dans celle d’Israël, rendu res­ponsable de tous les malheurs des chrétientés orientales.

 

 

(p.145) V LA PERIODE DES MANDATS (1921-1956)

 

Après la Première Guerre mondiale, les puissances victo­rieuses – France, Grande-Bretagne, Etats-Unis d’Amérique – détenaient des cartes géostratégiques déterminantes au Moyen-Orient. Offerte aux stratèges, la terre balafrée par les cicatrices sanglantes des frontières, fumait encore de la chute des Empires. C’est alors que les Alliés, maîtres de l’Histoire, siégeant à la Société des Nations (SON) nouvellement créée à Genève, virent s’avancer des peuples anciens qui témoi­gnaient du pluralisme ethnique du vieil Orient et réclamaient justice. Ils faisaient valoir – quelque peu naïvement – que la guerre, l’extermination et la spoliation ne sauraient aliéner leurs droits.

 

(p.146) De fait, si le pluralisme ethno-religieux de l’Orient était clairement admis par les Puissances de l’Entente, par contre sa reconnaissance en termes de géographie politique présen­tait des difficultés pratiquement insurmontables.

Opposé à cette conception d’Etats intégrés dans une convi­vialité régionale plurireligieuse et culturelle, se dressait le projet monolithique d’une gigantesque Nation arabe, libre de toute ingérence étrangère, qui engloberait l’Arabie, la Mésopotamie, la Syrie, le Liban et la Palestine, sous le gou­vernement d’un calife supposé éclairé, en l’occurrence le chérif de La Mecque, Hussein al-Hashimi. C’était revenir douze siècles en arrière et reconstituer le gouvernement isla­mique de l’Empire des Abbassides avec, pour les Juifs et les Chrétiens, la dhimmitude prescrite par la char’ia, dont seules les pressions et les interventions de l’Europe avaient pu diffi­cilement les émanciper dans les dernières décennies.

Pour défendre son ambitieux dessein, le chérif Hussein se référait à la tolérance témoignée aux Chrétiens par Umar Ibn al-Khattâb (634-644), calife auquel les juristes musulmans attribuaient précisément l’origine du statut humiliant du dhimmi. Dans une lettre adressée à Sir Henry McMahon, le chérif de La Mecque déclarait que les « frères chrétiens » jouiraient des mêmes droits civiques que les Musulmans pour autant que ces droits s’accorderaient aux intérêts géné­raux de toute la Nation arabe. Cette réserve ménageait les restrictions des lois islamiques concernant les non-Musulmans, dont l’application dans le pays même du chérif, l’Arabie, interdisait aux « frères arabes chrétiens » leur culte religieux et leur présence à La Mecque et à Médine.

 

(p.147) C’était en effet dans le désert syrien de Deir el-Zor que des tribus kurdes et arabes avaient fini la sale besogne des Turcs à l’égard des Arméniens et leur bellicisme envers d’autres minorités avait difficilement été maîtrisé par les promesses du califat.

 

 

LES NATIONALISMES CHRETIENS

 

Les Arméniens

 

Au lendemain d’une guerre où la France avait perdu près de deux millions d’hommes et la Grande-Bretagne plus d’un million, quand un tiers de la population libanaise avait péri de la famine imposée par les Turcs (1914-1917) et que sur les routes d’Orient se traînaient les rescapés chrétiens des mas­sacres et des déportations, le désir de liberté raviva l’espoir de peuples survivant aux ruines. Les Arméniens, après les horreurs du génocide et leur soutien militaire aux armées de l’Entente, pouvaient espérer la reconnaissance de leurs droits nationaux. En janvier 1918, le premier ministre britannique Lloyd George, le président américain Wilson et le premier ministre français Clemenceau reconnaissaient à l’Arménie le droit à une existence nationale. Mais le traité de Brest-Litovsk (3 mars 1918), entre la Turquie et la Russie bolche­vique, abandonna à nouveau aux Turcs les territoires de Transcaucasie peuplés d’Arméniens. La volte-face bolche­vique et la défection des Géorgiens facilitèrent la reconquête turque. Les Alliés s’abstenant d’envoyer des renforts, les armées turques et celles d’Azerbaïdjan s’emparèrent de Bakou (septembre 1918). Durant trois jours, des bandits et des soldats, renforcés par la population musulmane, se livrè­rent aux pillages, extorsions, viols et tortures sur la population (p.148) arménienne dont environ vingt mille membres furent massacrés 6.

A la Conférence de la Paix à Paris (janvier 1919), les délé­gués des Arméniens, Avetis Aharonian et Boghos Nubar Pacha, plaidèrent éloquemment leur cause. Mais alors que l’Entente dessinait les frontières d’une Arménie mythique dans le traité mort-né de Sèvres (10 août 1920), un militaire de génie doublé d’un fin politique, Moustafa Kemal (Ataturk), rassembla l’armée turque disloquée et par ses cam­pagnes dévastatrices mit fin aux rêves d’indépendance armé­nienne, assyrienne et kurde. Ulcérés par la défection des Russes, les Arméniens réclamèrent un Etat arménien en Cilicie, sous mandat français ou américain. Vainement. Les Alliés, qui les avaient utilisés dans leurs campagnes, ne son­geaient plus qu’à renforcer la Turquie kemaliste contre la menace bolchevique et à se concilier les peuples musulmans 7.

 

Les Assyro-chaldéens

 

La furie exterminatrice qui s’était abattue sur les Arméniens n’avait pas épargné d’autres communautés chré­tiennes. Dans les villages autour de Mossoul où vivaient mêlés Arméniens et Assyriens, les massacres provoquèrent l’exode de 50000 Assyro-chaldéens8. Cinquante mille autres, hommes, femmes, vieillards furent torturés et fusillés, leurs églises incendiées et leurs livres liturgiques, conservés durant des siècles, disparurent dans les destructions. Comme les Arméniens, les Assyro-chaldéens tentèrent désespérément de gagner les lignes anglaises et s’enfuirent de Turquie. Plusieurs milliers moururent d’épuisement et de famine dans des camps près de Bagdad.

 

  1. Rapport de Mgr Bagratte, Prélat des Arméniens de Bakou, in Beylerian, op. cit., p. 730.
  2. Pour une discussion sur les thèses négationnistes concernant le géno­cide des Arméniens et la politique turcophile des Alliés face à la menace soviétique, voir Norman Ravitch, « The Armenian Catastrophe », Encounter, Londres, décembre 1981, pp. 69-84. Pour l’analyse des revirements politiques de l’historien Arnold Toynbee, ibid. et Elie Kedourie, The Chatham Hou.se Version and other Middle Eastern Studies, Londres, Weidenfeld & Nicholson, 1969, chap. 12.

8.Chrétiens de rite nestorien et nestoriens catholiques.

 

 

(p.153) LE NATIONALISME JUIF : LE SIONISME

 

Alors que les Juifs dans leur ensemble n’intervenaient pas dans les problèmes islamo-chrétiens, les Chrétiens arabes en revanche participaient dans leur majorité au combat antisio­niste. Transmis par le canal des Eglises arabes, les pèlerins et les nombreux contacts avec la France ou la Russie, l’antisé­mitisme occidental dans ses aspects modernes se répandit au Levant par la médiation des Chrétiens indigènes 18. Rescapés des massacres de Syrie, du Liban et d’Irak, les immigrés chrétiens en Palestine, rassemblés autour des Eglises de Jérusalem – traditionnellement les plus judéophobes – se firent les serviteurs les plus zélés des causes islamiques.

 

  1. Pierre-André Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion : Intro­duction à l’étude des Protocoles, un faux et ses usages dans le siècle, Paris, Berg International, 1992,1, pp. 261-274 ; (…).

 

(p.155) En Europe, où s’affichait en ce début de siècle la violence antisémite, l’éventualité d’une souveraineté juive en Palestine soulevait l’opposition radicale de milieux laïques et ecclésiastiques. Ce combat contribua à renforcer dans la lutte antisioniste le seul terrain d’entente réunissant Chrétiens et Musulmans en Palestine. Car si les Musulmans adhéraient au panarabisme islamique, les Chrétiens pour leur part récla­maient la protection d’un mandat anglais ou américain selon les clientélismes politiques de chaque communauté. De surcroît, les guerres balkaniques (1911-1913), l’occupation de la Libye par les Italiens (1911-1912) et l’arrivée de réfu­giés musulmans d’Europe, avaient exacerbé la christianophobie. Les cris « La Palestine est notre pays et les Juifs sont nos chiens », qui accompagnaient les manifestations judéophobes, (p.156) réveillaient chez les Chrétiens des souvenirs où le mot Juif était

remplacé par celui de Chrétien.

 

(p.158) La Palestine, désignée par le mandat de la SDN comme Foyer National Juif, fut amputée en septembre 1922 des trois-quarts de sa superficie. Cette nouvelle région constitua désormais l’émirat arabo-palestinien de TransJordanie sous mandat britannique dirigé par l’émir Abdallah, un autre fils du chérif Hussein de La Mecque.

 

(p.162) En Palestine, la méfiance et l’hostilité réciproques entre Musulmans et Chrétiens persistaient malgré les efforts de l’administration coloniale pour unifier leurs positions. Les victoires turques sur les Grecs en 1924, les conflits en Mésopotamie et en Syrie, la haine des masses islamiques contre la domination chrétienne occidentale, empoisonnaient les relations islamo-chrétiennes. La violence culmina dans les émeutes d’août 1929, quand des bandes arabes pillèrent les villages et quartiers juifs et massacrèrent 133 Juifs, en blessèrent 339, à Jérusalem, à Hébron, à Safed et ailleurs. Cette émeute avait été provoquée par la demande des Juifs d’obtenir l’autorisation de placer quelques bancs et un para­vent dans l’étroit passage de deux mètres devant le Mur du Temple à Jérusalem où depuis treize siècles, ils achetaient aux Musulmans le droit de prier sous leurs quolibets à côté des latrines. Après avoir passé quelques mois à débattre sur le problème crucial concernant le droit de s’asseoir de quelques vieillards juifs, l’administration britannique trancha pour le statu quo en faveur des Musulmans qui de manifesta­tions monstres en multiples pétitions menaient une violente campagne « pour sauvegarder leurs droits religieux ». La gravité des pogroms incita les Britanniques à sévir par quelques exécutions et des amendes dont les Chrétiens, n’ayant guère participé à ces émeutes, furent exemptés. Cette situation exacerba l’animosité des Musulmans qui leur repro­chèrent leur passivité. L’été suivant, le meurtre d’un journa­liste chrétien, Jamil al-Bahri par un Musulman, divisa davan­tage les deux communautés. Dans de nombreuses villes palestiniennes, les Chrétiens furent sporadiquement attaqués par des bandes de Musulmans qui, à Lodd, profanèrent une église. Certains notables chrétiens présentèrent à l’adminis­tration des pétitions où ils rejetaient toutes connections avec la Ligue Islamo-Chrétienne et les Musulmans. Les années suivantes, la tragédie des Assyriens en Mésopotamie et l’aggravation des tensions religieuses inquiétèrent les Chrétiens et les incitèrent à se rapprocher des Musulmans. Dans une lettre confidentielle du 15 septembre 1931 au Secrétaire aux Colonies, le Haut-Commissaire écrivait :

 

(p.163) « Les notables arabes chrétiens m’ont confirmé qu’en établissant de proches relations politiques avec les Musulmans, les Chrétiens n’étaient pas indifférents à la crainte du traitement qu’ils pourraient souffrir aux mains de la majorité musulmane dans certaines circonstances ».

En décembre 1934 le Conseil Suprême Musulman (CSM) prononça une fatwa interdisant la vente de la terre palesti­nienne, car elle appartenait à Dieu. De fortes pressions s’exercèrent sur les Chrétiens pour les inciter à participer à cette campagne à tonalité islamique. Un seul y répondit, un grec-orthodoxe, Ilyas Qanawati, qui diffusa une déclaration avertissant que « quiconque vend ou sert d’intermédiaire dans la vente de la plus petite parcelle de la mère patrie aux Juifs… sera considéré comme un traître au christianisme et pourrait recevoir la malédiction de l’Eglise et l’excommuni­cation ». Durant la révolte arabe (1936-1939) à laquelle fort peu de Chrétiens participèrent, des bandes de villageois et de Bédouins semèrent la terreur par leurs exactions et leurs pillages. Si les villageois chrétiens refusaient de leur fournir des hommes, des armes et de la nourriture, leurs vignes étaient arrachées et leurs femmes violées. Les rebelles obli­gèrent la population chrétienne à observer le repos hebdomadaire le vendredi en place du dimanche, à remplacer le tar­bouch par la keffya pour les hommes, tandis que le voile était imposé aux femmes. Souvent les ordres de boycott des Juifs englobaient aussi les Chrétiens. Fin 1936, quand les Chrétiens libanais obtinrent la reconnaissance de l’autonomie du Liban, contestée par leurs concitoyens musulmans, la campagne anti-chrétienne en Palestine s’aggrava. Dans le village chrétien de Bir Zayt près de Ramallah, des Musulmans défilèrent en chantant : « Nous tuerons les Chrétiens ».

 

(p.165) Cependant, dès son indépendance, le gouvernement égyptien favorisa la discrimination des Juifs dans l’emploi. La loi sur la nationalité du 27 février 1929, exigeait des seuls Juifs une résidence dans le pays depuis 1849 sans interruption, preuve souvent impossible à fournir. Les Juifs, anciens sujets ottomans constituèrent désormais une masse d’apatrides, « sujets locaux », discriminés sur le plan de l’embauche. Par ailleurs, les prétentions au califat du roi Fouad, reprises par son fils Farouk, et la création en 1928 de la confrérie panislamiste des Frères Musulmans, engagè­rent une réislamisation de l’appareil politique et une intensi­fication de l’enseignement coranique dans les écoles. Pour discréditer le Wafd, parti populaire comptant de nombreux Coptes, le recteur d’al-Azhar, Moustapha al-Maraghi, accusa les Coptes de le contrôler et lança une campagne contre eux dans la presse et à la radio. En février 1938, al-Maraghi pro­clama l’amitié entre Coptes et Musulmans contraire à la loi de Dieu et déclara que les institutions sociales, politiques et juridiques égyptiennes, devaient être fondées sur la reli­gion.

 

 

(p.169) L’ANTISIONISME ISLAMO-CHRÉTIEN

 

Le principe d’une souveraineté nationale des Juifs en Palestine, population indigène qui fut réduite au plus bas degré de la dhimmitude par les Musulmans et au mépris théo­logique par les Chrétiens palestiniens, paraissait blasphéma­toire pour le monde arabe islamo-chrétien. Le Vatican main­tenait la politique instaurée par l’Eglise dès les ive et ve siècles. Celle-ci avait fondé sa théologie de la substitution sur la destruction du judaïsme palestinien, le bannissement des Juifs de Jérusalem et leur rejet dans un statut d’avilissement. Désormais la défense des droits islamiques représenta l’arme du Vatican pour empêcher la restauration de l’Etat hébreu.

Menacées elles-mêmes par la vague nationaliste, les puis­sances mandataires et surtout les chrétientés locales focalisè­rent toutes les frustrations nationalistes dans la lutte antisio­niste dont elles définirent les arguments politiques. Les plus virulentes furent les Eglises palestiniennes héritières d’une vieille tradition judéophobe. Les théories conspirationnistes des Protocoles des Sages de Sion, et les accusations de (p.170) crimes rituels, fréquentes parmi les communautés grecques-orthodoxes, se conjuguèrent à l’antisémitisme nazi.

Le millionaire américain Charles Crâne, l’un des cosigna­taires de la Commission King-Crane de 1919, devenu le patron de George Antonius, était un fervent admirateur de Hitler et du nazisme. Dans ses rencontres avec des leaders arabes, organisées par Antonius, il leur démontrait la malfaisance des Juifs et du sionisme, conjuguant judéophobie théo­logique et politique. Transmis par le canal chrétien aux Musulmans, ces concoctions constituèrent le fondement de l’alliance islamo-chrétienne dans l’antisionisme, tandis que sur le terrain même, la révolte arabe (1936-1939) contre les Juifs palestiniens, développait une instabilité insurrection­nelle qui conduisit Londres à limiter l’immigration juive exclusivement (White Paper, 1939).

(…) Pour les chrétientés arabes, le combat antisioniste leur ménageait un répit et les valorisait comme agents de trans­mission de l’antisémitisme chrétien dans le monde islamique. Il leur fournissait un ancrage dans un environnement isla­mique où l’identification religieuse desservait les Chrétiens, assimilés aux colonisateurs européens ou aux Grecs, ennemis traditionnels de l’islam. Quant aux Musulmans, le soutien chrétien renforçait devant l’Occident leur position. Toutefois si quelques notables musulmans comprimaient l’intérêt stra­tégique de l’alliance chrétienne, les préjugés demeuraient vivaces dans le peuple et les milieux religieux. Dans les années trente, l’insécurité ressentie par les Chrétiens induisit

(p.171) une haine de soi, un rejet du christianisme et un courant d’islamisation.

D’autres courants chrétiens, maronites surtout, se disso­ciaient cependant de l’antisionisme. Ainsi le patriarche maro­nite Antun Arida (1932-1954) considérait la libération sio­niste comme un modèle pour le Liban et préconisait un petit Etat chrétien, terre d’asile pour les persécutés. Alors que la presse arabe, autant musulmane que chrétienne vantait l’idéologie nazie, Mgr Arida stigmatisait la persécution des Juifs et souhaitait une coopération avec les sionistes dont il louait l’œuvre de renaissance en Palestine62. Le Vatican répondit à cette « provocation » en élevant au rang de cardi­nal le patriarche syriaque nouvellement arrivé à Beyrouth, Ignatius Tappuni, chef de 3 500 fidèles et promu premier pré­lat catholique au Liban « . La politique vaticane obligera en 1954 le patriarche pro-sioniste à démissionner et tentera d’écarter, contre le voeu des fidèles, les postulants pro-israéliens.

Dès le début des années 1930, la propagande nazie se développa avec succès dans les pays arabes où ses thèses antijuives soulevèrent l’enthousiasme et une totale adhésion. Distribution gratuite de brochures antisémites, traductions arabes de Mein Kampf, et des Protocoles des Sages de Sion, appels au meurtre des Juifs, suscitèrent un climat hai­neux. Reprise par la presse et les radios arabes, cette propa­gande fut combattue par la communauté juive d’Egypte, mais ses actions en justice se heurtèrent à une opposition gouver­nementale. Jusqu’en 1939, l’idéologie nazie se propageait par des placards publicitaires, des bulletins d’information dans la presse arabe, par des contacts personnels, et par le financement de voyages et de bourses d’études en Allemagne (p.172) 67. En Palestine, à l’occasion du jour anniversaire du Prophète, en mai 1937, les drapeaux italiens et allemands déployés voisinaient avec les portraits d’Hitler et de Mussolini68. Ce militantisme conjuguait la judéophobie et le combat arabe anticolonial.

Armes et argent provenant d’Allemagne affluèrent après 1939 dans les milieux nationalistes arabes, notamment chez les Arabes palestiniens. La propagande hitlérienne qui consa­crait cinq programmes radiophoniques hebdomadaires aux pays arabes, fut particulièrement active en Syrie où opérait le Haut-Commandement des Arabes palestiniens. Diffusée par des intellectuels arabes, cette propagande s’intensifia après la visite d’officiers nazis en 1937. Aussi les contacts se resser­rèrent-ils au plus haut niveau entre les Allemands et les chefs religieux musulmans, dont le plus distingué, le mufti de Jérusalem, Haj Amin al Husseini69.

Entre 1937 et 1939, se créèrent dans les pays arabes de nombreuses organisations paramilitaires selon le modèle fas­ciste. En Egypte, on dénombre les Chemises Bleues (Wafd), Chemises Vertes, Armée Territoriale (royaliste) et les milices religieuses des Frères Musulmans. Toutes ces organisations de jeunesse entretenaient dans les capitales arabes une atmo­sphère d’émeutes. En août 1939 le cabinet égyptien du ger­manophile Ali Maher comptait plusieurs ministres pro-nazis et Frères Musulmans.

La judéophobie développa dans tout le monde arabe des situations identiques : discrimination économique, assassi­nats, incendies de synagogues, attentats à la bombe et meurtres. En Irak, en 1934, des dizaines de fonctionnaires juifs furent expulsés des ministères des Finances et des Transports, et l’année suivante, un décret limita l’admission de Juifs dans les écoles d’Etat d’enseignement secondaire et supérieur. L’émigration en Palestine et l’enseignement de l’hébreu furent interdits, hormis la lecture de la Bible, mais

 

  1. Lukacs Hirszowicz, The Third Reich and the Arab East, Londres/ Toronto, University of Toronto Press/Routledge Kegan Paul, 1966, p. 27. Parmi les journaux financés par les nazis, La Nation Arabe, éd. Shakib Arslan, publié à Genève et Al-Nahar, Beyrouth, in ibid., pp. 130-131. Pour une ana­lyse exhaustive des relations arabo-nazies, voir ibid.
  2. 68. , p. 27.

69.Hirszowicz, op. cit., passim, examine la collaboration du mufti avec les nazis, ses proches contacts avec Hitler et son activité militaire pour la conscription de soldats musulmans, arabes ou non, dans les troupes nazies ; pour les troupes arabes combattant avec les nazis en Grèce et dans les Balkans, pp. 311-312 ; pour la collaboration du mufti dans l’extermination des Juifs, ibid. et Maurice Pearlman, The Story of Haj Amin el Husseini, Mufti of Jérusalem, Londres, Gollancz, 1947.

 

(p.173) sans traduction ni interprétation. Les sermons enflammés dans les mosquées, les manifestations massives aux cris de « Mort aux Juifs » encourageaient la violence. Des Juifs furent poignardés dans les rues ou dans leurs magasins à Bagdad (sept. 1936), Basra (1936), Aden (1933), Damas (1938). Des bombes jetées dans les synagogues firent plu­sieurs victimes à Beyrouth (7 août et 24 juillet 1938), Bagdad (septembre 1936), le Caire, Mansourah, Mahalla, Assiout (juillet 1939). Les succès nazis amplifièrent cette campagne ; enthousiasmées, les foules annonçaient le grand massacre des Juifs 70.

Durant l’année 1941, les contacts aux plus hauts niveaux se maintinrent entre les nazis, les nationalistes arabes et les officiers égyptiens et irakiens. En avril, l’Irakien Rachid Ali al-Kaylani, allié aux forces de l’Axe, s’empara du pouvoir. La présence à Bagdad du mufti de Jérusalem, fervent allié d’Hitler, favorisa une campagne de provocations, d’arresta­tions et de violences judéophobes. Malgré la fuite, le 29 mai, de Rachid Ali à l’approche des forces britanniques, les sol­dats irakiens, les policiers et les membres des groupes de jeu­nesse s’emparèrent, le 1er juin, de piétons juifs, les ligotèrent et les jetèrent sous les roues des tramways ; d’autres furent poignardés. Le massacre, les pillages, les viols, les incendies de magasins et de maisons juives, durèrent deux jours. Bilan : 170 à 180 Juifs tués et plusieurs centaines blessés 71.

Le 28 novembre 1941 à Berlin, le mufti de Jérusalem, accompagné de von Ribbentrop, ministre des Affaires étran­gères, rencontra Hitler pour discuter du processus d’extermi­nation des Juifs et de l’alliance arabo-nazie. Fin décembre, Rachid Ali, fort du support des nationalistes arabes, soumit aux Allemands un projet de traité entre l’Allemagne, l’Irak, la Syrie, le Liban, la TransJordanie et les Arabes palestiniens.

 

  1. Articles antisémites injurieux dans la presse égyptienne notamment dans Mokattam, Misr al-Fatat, Proche-Orient, Akhbar al-Yom, al-Ahram, al-Ikwan al-MusIimun ; manifestations antijuives au Caire et à Alexandrie, cf. La Tribune Juive d’Egypte, 3 mai et 1″ novembre 1938 ; incitations à la haine prêchée dans les mosquées, ibid., 3, 24 mai, 12 juillet 1938 et nombreux numéros suivants ; distribution de tracts « Tout Musulman qui enfonce un couteau dans les entrailles d’un Juif s’assure une place au paradis », ibid., 8 février 1938.
  2. C’est le chiffre officiel considéré généralement bien au-dessous du nombre véritable. L’historien Elie Kedourie, Juif irakien, cite une source ira­kienne et avance le chiffre de 600 tués et un très grand nombre de blessés, cf. The Chatham, p. 307. Pour la collaboration de l’administration britannique dans ces massacres et l’inculpation du sionisme (même processus que pour les Arméniens), ibid., pp. 306-308 et id., Arabie Polical, pp. 283-314. Description vécue de ces événements par Naim Kattan, Adieu Babylone, Montréal, La Presse, 1975.

 

(p.174) La révolte pro-nazie en Irak souleva en Egypte un immense enthousiasme. Pour l’armée, impatiente de rejeter la tutelle anglaise : « C’était le premier signe de la libération du monde arabe, et nous [les officiers] suivions le cours de la révolte avec admiration ». Méfiantes envers l’armée égyp­tienne, les autorités britanniques la contraignirent à évacuer la région de Mersa Matruh (novembre 1941). A l’arrivée de l’Afrika Korps à El Alamein (1942), la foule hurlait dans les rues : Rommel ! Rommel !

De fait, avec au nord de la Méditerranée l’Europe occupée par l’Axe et au sud, l’hystérie pro-nazie des masses arabes, les Juifs du Levant étaient pris dans une nasse. En Afrique du Nord, au Liban et en Syrie, Vichy gouvernait les colonies arabes ; les fascistes italiens contrôlaient la Tripolitaine et Rommel siégeait aux portes d’Alexandrie. A l’est les natio­nalistes arabes irakiens avaient démontré leurs intentions dans un massacre de Juifs stoppé tardivement par les troupes britanniques. Quant à la Palestine, Londres en verrouillait les portes pour les Juifs. C’est à cette même époque que se constituèrent à Bagdad, au Caire et ailleurs, des groupes de jeunesse d’auto-défense juive, certes courageux mais dont les moyens n’en étaient pas moins dérisoires dans un tel contexte.

 

 

(p.175) VI DE L’EXODE DES JUIFS A L’EXODE DES CHRÉTIENS

 

Après la Seconde Guerre mondiale, les mouvements natio­nalistes arabes intensifièrent leurs luttes contre le mouvement de libération nationale juif. Ce combat puisait ses justifica­tions dans le fondement historique et juridique de la dhimmitude, obligatoire pour les Juifs autant du reste que pour les Chrétiens, comme l’avait démontré l’écrasement des Arméniens et des Assyriens au cours des dernières décennies. Le terrorisme antisioniste n’était que la version moderne du jihâd.

Conscients de ce danger et prévenus de l’arrivée à terme des mandats, les Chrétiens arabophones s’engagèrent totale­ment dans le nationalisme arabe antisioniste, politique encouragée d’ailleurs à Londres et Paris. L’amalgame de peur et de judéophobie constitua un terrain idéologique cor­rosif qui structura, inspira et dirigea certains aspects de la politique antisioniste, exprimée par l’aile chrétienne du nationalisme arabe.

Depuis les années trente, d’étroits contacts fondés sur des affinités idéologiques avaient uni dans la même lutte révolu­tionnaire Musulmans et nazis. Aussi après la guerre, ceux-ci trouvèrent-ils asile en Egypte et en Syrie, où ils occupèrent sous des noms arabisés, des postes importants. Le Caire, siège de la Ligue Arabe, créée sous l’influence du Foreign Office en 1945, devint un chaudron politique. Panarabistes et islamistes, dirigés par les Frères Musulmans, provoquèrent la violence politique, les grèves, les émeutes contre le régime déconsidéré du roi Farouk et contre l’occupant britannique. Invité par le roi qui jouait la carte islamiste, le mufti de (p.176) Jérusalem, Haj Amin al-Husseini, résida au Caire avant de se rendre en 1962 à Beyrouth. Durant la guerre les forces alliées avaient pu contrôler la situation et imposer la sécurité. Mais le retrait des armées et la violence nationaliste et xénophobe qui accompagnèrent les luttes d’indépendance des pays arabes contribuèrent à aggraver la situation des Juifs dans l’ensemble du Moyen-Orient. La presse arabe se livra à une campagne judéophobe, et certains journaux, notamment le Misr el-Fataî, (Egypte), publièrent des extraits des Proto­coles des Sages de Sion.

A Damas les émeutiers pillèrent le quartier juif en 1944, et à nouveau en mai 1945. Le mois suivant, l’assistant-directeur de l’Ecole de l’Alliance Israélite Universelle, Jacques Franco, fut poignardé. Le 18 novembre, conduite par des étu­diants, une foule vociférante s’attaqua à la Grande Synagogue d’Alep, roua de coups deux vieillards, puis brûla dans la rue les livres de prières. Au nord du Liban, à Tripoli, les émeutiers massacrèrent douze Juifs.

En Egypte, les 2 et 3 novembre 1945, l’agitation antijuive au Caire, à Alexandrie, à Mansourah, Tanta, Port-Saïd fit une dizaine de morts et trois cent cinquante blessés. Des milliers de manifestants déferlèrent dans les rues aux cris de « Mort aux Juifs ». A Alexandrie les manifestants pillèrent et incen­dièrent trois synagogues, l’Hôpital Israélite et le quartier juif dont des habitants furent poignardés et violés. Au Caire les émeutiers pillèrent et incendièrent une synagogue et des immeubles communautaires. Asile de vieillards, écoles, hôpi­tal, tout fut mis à sac. Vingt-sept Bibles manuscrites furent profanées et brûlées dans les rues. Le grand rabbin Nahoum Effendi déclara avoir reçu des lettres de menaces .

La fièvre gagna la Libye où des pogroms se déroulèrent les 4, 6 et 7 novembre 1945 à Tripoli et dans les environs, à Zanzour, Zawiya, Cussabat et Zitlin. Bilan : 130 Juifs massa­crés, 450 gravement blessés et d’autres forcés de se convertir à l’Islam, 2 000 expulsés de leurs foyers, des magasins détruits, neuf synagogues attaquées, trente-cinq Bibles et 2 084 livres liturgiques profanés. Durant ces attaques on vit : « Des bébés battus à mort avec des barres de fer, des vieillards coupés en morceaux quand ils tombaient, des femmes enceintes le ventre ouvert, des familles entières brûlées (p.177) vives dans leur maison ». Un extrait du mémorandum de la communauté libyenne est reproduit ici :

« Les Arabes attaquèrent les Juifs, obéissant à des ordres et à des directives mystérieux, leur élan de violence bestiale ne peut être attribué à aucun prétexte plausible ; pendant 50 heures, ils s’adon­nèrent à la chasse à l’homme, assaillirent les maisons et les maga­sins, assassinèrent hommes, femmes, vieillards et enfants, sévis­sant horriblement et massacrant des groupes de Juifs isolés dans des localités intérieures et cela avec la complicité prouvée de la police arabe locale et avec la plus absolue inertie de la part de l’Administration et des forces années de la puissance occupante [Militaire Britannique] à laquelle incombait la responsabilité de l’ordre. »

Les années suivantes, la campagne anti-juive s’intensifiera dans le monde arabe, avec des attaques contre les quartiers juifs, l’incendie de synagogues et de maisons (Damas, 1947), des bombes lancées contre des écoles et des synagogues (Alexandrie, janvier 1947 ; Beyrouth, mai 1946, janvier et juillet 1948, Libye, juin 1948). A Alep, en décembre 1947, la populace tua un nombre indéterminé de Juifs, incendia sept synagogues et 150 maisons. Des Juifs furent arbitrairement arrêtés et torturés, et l’émigration en Palestine interdite sous peine de mort5. A Aden sous contrôle britannique comme l’était la Libye, la populace se rua dans le quartier juif les 2 et 3 décembre 1947, incendia les écoles et trente maisons, pilla cent quatorze magasins, massacra quatre-vingt-deux Juifs et en blessa soixante-seize, selon le bilan officiel. Dans le camp de réfugiés juifs yéménites à Cheikh Othman, mai­sons, écoles, commerces et synagogues furent incendiés et pillés.

Le lendemain de la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël le 15 mai 1948, les armées de cinq pays arabes envahirent (p.178) le nouvel Etat. Les sermons enflammés dans les capi­tales arabes, les appels aux tueries amplifiés par haut-parleurs dans les rues et diffusés par les radios, développèrent un cli­mat d’hystérie collective. L’humiliation des défaites et le tra­gique exode des Arabes palestiniens des zones de combat aggravèrent les tensions. Les Juifs furent indistinctement poi­gnardés dans les rues, des bombes lancées contre leurs mai­sons, leurs magasins, leurs quartiers, au Caire (6, 20, 28 juin et 19 juillet, 1er août et 22 septembre 1948), à Beyrouth (3, 9 janvier, 24 mai et en juillet 1948), à Damas (5 août 1949), à Baghdad (27 avril 1948). Au Maroc, à Oujda, les émeutiers poignardèrent cinq Juifs et en blessèrent trente autres, pillant boutiques et maisons et à Djerada, trente-neuf autres furent tués et trente grièvement blessés ; à Tripoli (Libye), les bandes arabes pillèrent le quartier juif, tuant et mutilant hommes, femmes, vieillards et enfants.

(…) En mars 1950, le gouvernement irakien promulga une loi autorisant les Juifs à quitter l’Irak aux conditions suivantes : abandon de tous leurs biens et départ avec £50 par adulte et £20 par enfant. (…)

 

 

(p.180) Le conflit israélo-arabe libéra une haine latente, contrôlée naguère par l’appareil colonisateur occidental. Sporadique à la façon d’une fièvre récurrente, elle s’exacerba vers les années cinquante, réveillant chez les masses ce vieil instinct de piller et tuer les dhimmis, et c’est pourquoi elle enflamma le monde arabe avec une désolante uniformité. Certains gouvernements – au Maroc, en Tunisie – s’efforcèrent de maîtriser le fanatisme populaire, mais en Libye, en Egypte, en Syrie, en Irak, ce fut le pouvoir qui livra des civils à un peuple conditionné par des appels au meurtre largement diffusés. Les nationalistes arabes qui libéraient ces passions collectives parlaient le lan­gage de haine et de mépris des siècles passés. Ainsi disparu­rent des territoires islamisés les communautés juives millé­naires coupables de s’être rebellées contre la dhimma. (…)

En Egypte le 27 mars 1947, l’église copte de Zagazig fut incendiée par les Frères Musulmans pendant le service religieux. L’incendie d’autres églises à Alexandrie et en Haute-Egypte, s’accompagna de manifestations antichrétiennes scandées de slogans tels que :

« Aujourd’hui c’est le jour du Sionisme et demain sera le jour du Christianisme ; aujourd’hui c’est le samedi, demain ce sera le dimanche. » 14

 

14 Sélim Naguib, Les Droits de l’homme en Egypte, le cas des Coptes, Thèse pour le diplôme d’Etudes Doctorales de l’Université de Droit, Paris, juin 1992, pp. 229-230.

 

(p.179) De juin 1950 à juin 1951, plus de 110 000 Juifs émigrèrent en Israël, quelque 13 000 autres s’étaient enfuis clan­destinement par l’Iran les années précédentes. En 1952, il ne restait que 6 000 Juifs en Irak sur une communauté d’environ 140 000 en 1949.

Après l’armistice de mars 1949, les mesures d’exception contre les Juifs s’atténuèrent, mais la victoire d’Israël et l’humiliation des défaites renforcèrent la xénophobie, la vio­lence politique et les attentats, bien que l’antisionisme, par son idéologie et son discours politique, se différenciât de l’agitation révolutionnaire entretenue par les groupes com­munistes ou nationalistes. Les nombreux criminels de guerre nazis, réfugiés notamment en Egypte et Syrie, programmè­rent une campagne de diffamation judéophobe. L’admira­tion pour Hitler et son régime, affichée dans certains milieux, banalisait la négation du génocide des Juifs et des camps de concentration. Ce négationnisme était professé sur le ton de la dérision dès les années cinquante en Egypte, bien avant sa théorisation en France.

Au cours des décennies suivantes, les guerres israélo-arabes de 1956, 1967 et 1973, avivèrent les tensions poli­tiques ; les mesures policières se durcirent : arrestations des Juifs (Syrie, Egypte, Irak, en 1956 et 1967) avec tortures, expulsions, licenciements, pendaisons (Irak : janvier et août 1969). Des émeutes sanglantes se déroulèrent en Tunisie, Algérie et Aden.

Seul le petit Liban maintint une politique différente d’autant plus remarquable dans son environnement d’hysté­rie haineuse. En 1947 et 1948, et en 1967, des forces de police chrétiennes protégèrent le quartier juif à Beyrouth, les réfugiés de Syrie et d’Irak furent accueillis et aucune mesure discriminatoire ne fut promulguée.

Il n’est pas utile de relater dans le détail la vague de vio­lences qui déferla dans tout le Proche-Orient et le Maghreb. La xénophobie ranima les vieilles traditions de la dhimma, camouflées en termes de nationalisme et de socialisme arabes. Effacer les séquelles et l’humiliation de la colonisa­tion européenne consista surtout, pour le nationalisme arabe moderne, à arracher aux communautés ethno-religieuses les libertés et les droits qu’elles avaient obtenus de l’Europe par leur émancipation religieuse et culturelle.

 

(p.181) Le déracinement des Juifs dans l’hystérie, le pillage, les tueries, suscita chez les nationalistes arabes chrétiens, notam­ment les Grecs-orthodoxes, une surenchère judéophobe. L’univers angoissé de la dhimmitude ne permettait ni solida­rité, ni compassion. Pour les Juifs, l’histoire de la dhimmi­tude prenait fin. Leur départ clandestin et l’abandon de leurs vestiges millénaires, au su des Chrétiens, n’étaient que l’un des épisodes tragiques de leur commune destinée, parmi les cataclysmes qui avaient poussé des centaines de milliers des leurs sur les routes de l’exode depuis un siècle.

 

(p.182) En 1952 l’avènement du nassérisme favorisa paradoxale­ment l’islamisation de certains secteurs de l’Etat. La suppres­sion en 1955 des tribunaux ecclésiastiques (loi 462) soumit les Coptes à la juridiction des tribunaux nationaux où sié­geaient des juges musulmans (cadis) alors que les juges chré­tiens en étaient exclus. Les premiers, en effet, possédaient les compétences nécessaires en cas de divergence des lois, pour l’application du droit islamique, conformément aux nom­breuses Constitutions égyptiennes (1923, 1930, 1956) stipu­lant que l’islam est la religion de l’Etat. Sous Sadate (1970-1981) la Constitution de 1971 précisait que « les principes du droit islamique sont une source principale de législation » (art. 2), disposition qui fut modifiée le 30 avril 1980 par un amendement adopté par le Parlement précisant que la chari’a est la source principale de la législation. Dès 1971, la chari’a devenait le critère de la constitutionnalité des lois, de leur promulgation ou de leur rejet.

 

(p.183) (…)  quand Sadate pour juguler les communistes, favorisa les islamistes dans les années 1970, la violence anticopte se déchaîna : incendies d’églises, vols, injures, meurtres, viols et lynchages des Chrétiens « . En 1981, les émeutes sanglantes et l’incendie de trois églises à Zawya al-Hamra (Le Caire) firent trente-cinq morts, dont vingt-cinq Coptes. De surcroît, la guerre au Liban, perçue par les masses populaires comme un conflit religieux, attisa les tensions confessionnelles. Ces événements se déroulaient durant les difficiles négociations de paix avec Israël, entre­prises par Sadate. Vilipendé par le monde islamique, l’OLP et la gauche internationale, exclu de la Ligue Arabe et de la Conférence Islamique (1979), Sadate fut piégé par les provo­cations des islamistes. Ces dernières, ternissant son image à l’extérieur, risquaient – craignait-il – d’affaiblir le soutien occidental nécessaire pour sortir son pays du désastre nasse-rien. Sa politique de réconciliation, d’ouverture vers la modernisation, lui conférait une stature de géant parmi les pygmées qui tentaient de l’abattre par des provocations contre les Coptes, eux-mêmes otages du contexte politique. A plusieurs reprises, en 1971, en décembre 1976 et au cours de l’année 1977, les organes civils et religieux repré­sentant les Coptes adressèrent des pétitions au gouverne­ment, dénonçant le fanatisme, les violations de leurs droits, de leurs libertés, et les persécutions religieuses qu’ils subis­saient. Aux Etats-Unis et au Canada, la diaspora copte s’organisa pour dénoncer publiquement les atteintes aux Droits de l’homme subies par ses coreligionnaires. Les Coptes qui conservent avec fierté la mémoire de leur origine (p.184) et de leur histoire, comprenaient que la réislamisation de la vie politique les condamnerait à l’exclusion.

Le combat des Coptes contre la dhimmitude provoqua de violentes représailles dirigées par les islamistes. Les pillages et les destructions des maisons coptes et des maga­sins, les incendies et le vandalisme dans les églises, les villes et les villages, les menaces et les agressions physiques contre une population civile désarmée, allant jusqu’aux assassinats, aux meurtres collectifs, ont tristement émaillé les chroniques coptes de ces vingt dernières années et les informations de la presse internationale. Nombre de Musulmans parmi le peuple, les intellectuels ou les personnalités politiques, condamnèrent avec véhémence cette criminalité. Certains comme l’écrivain Farag Foda, défenseur de la laïcité et des Coptes, furent assassinés (8 juin 1992). D’autres, prônant une réinterprétation des textes religieux permettant d’allier l’éthique du Coran avec la modernité et l’acceptation des autres nations, persistent – malgré les dangers – dans leur combat. Le terrain social explosif facilite les menées des démagogues qui abusent les sentiments religieux de masses paupérisées par les effets conjugués et cumulés de la misère et de l’analphabétisme.

 

Liban

 

(p.185) Le Liban s’était construit sur deux piliers : l’espoir en la coexistence islamo-chrétienne, née du traumatisme des mas­sacres de 1860, et d’un fragile équilibre intercommunautaire où la prééminence chrétienne garantissait la liberté des non-Musulmans. En politicien, Charles Malik, ministre libanais des Affaires étrangères, posait les questions fondamentales de la coexistence islamo-chrétienne dans un article de 1952, intitulé : Le Proche-Orient : à la recherche de la vérité. Vérité dans l’obligation – disait-il – de connaître la mentalité du Bédouin, la domination des foules sur les chefs, la pré­éminence de la rhétorique sur la pensée. Il s’interrogeait – question essentielle – sur la possibilité dans l’islam, de compromis, de modifications, permettant un véritable éveil aux autres. Lucidité certes, quand il attirait l’attention sur la fascination qu’exerçait le passé sur l’Arabe, son désir de le revivre intégralement et sur l’inquiétant développement du fanatisme millénaire au lendemain des indépendances.

 

(p.189) En février 1976, à Damour où gisaient les corps de 500 Chrétiens, femmes, enfants, vieillards, charcutés et piétines par les Palestiniens, les murs des églises souillées portaient les mots : Aujourd’hui Damour, demain la Palestine.

Elément spécifique du contexte de la dhimmitude : les Chrétiens libanais furent poignardés dans le dos par ceux-là mêmes qu’ils avaient accueillis et dont ils avaient inlassable­ment défendu la cause. Surarmés par les pays arabes et l’Union soviétique, les bandes de l’OLP leur infligèrent dans les années de guerre, massacres, enlèvements et destructions. A ce carnage participèrent l’Iran, l’Irak, la Syrie, l’Egypte, la Libye et l’Algérie par leur politique hostile ou par l’envoi de fonds, d’équipements militaires, de mercenaires ou de troupes.

Alors que l’OLP s’armait massivement, Moubarac, dans son obsession anti-israélienne, recommandait « la formation de la masse du peuple libanais à cette résistance non violente, grâce à laquelle il doit être au Moyen-Orient comme la cel­lule radioactive qui désintègre le processus de la violence, enlève au système sioniste sa raison d’être […] ».

 

(p.190) Toutefois c’est Béchir Gemayel qui témoigne, par ses actes et discours du conflit entre la dhimmitude et la liberté, et dénonce dans le mensonge d’une coexistence pacifique islamo-chrétienne, et la fallacieuse alliance palestino-chrétienne, une source mortelle de compromis et de compromis­sions.

Contexte de la dhimmitude, c’est par l’acte d’un dhimmi que s’effrita le rêve du Liban libre, l’assassinat de Béchir Gemayel le 14 septembre 1982 par le dhimmi chrétien, sou­doyé par la Syrie. L’Europe, alignée sur la politique arabe et par conséquent hostile à la candidature de Béchir Gemayel poussa un lâche soupir de soulagement. Désormais disparais­sait l’éventualité d’une paix libano-israélienne qui, signée par un président chrétien, risquait de compromettre les rela­tions commerciales avec le monde arabe. Car « l’affaire palestinienne » était devenue :

« […] la première et la plus grande des causes arabes : celle qui a conditionné l’évolution de leurs [les Arabes] relations avec le monde extérieur, grandes et petites puissances. » 52

 

  1. Chamoun, op. cit., p. 3. Après la prise d’otages aux Jeux Olympiques de Munich (été 1972) les capitales européennes s’empressèrent d’ouvrir des bureaux de l’OLP, subissant attentats terroristes et prises d’otages. Les médias rivalisèrent d’amabilité pour l’OLP, ses ennemis furent qualifiés d’ « isola­tionnistes-conservateurs » alliés  aux   sionistes-nazis  contre  les   « islamo-progressistes ».  Le  bloc  soviéto-islamique-tiers-mondiste fit adopter  par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 10 novembre 1975, la résolution assimilant le sionisme au racisme et le Pape Jean-Paul II reçut Arafat au Vatican le jour même de l’enterrement du président Béchir Gemayel le 15 septembre 1982.

 

(p.193) Parmi les Chrétiens, la mémoire historique et la conscience d’une altérité par rapport à l’umma, se manifestè­rent surtout chez les Arméniens, les Coptes et les Maronites, déterminant des comportements variés. Peuple de la mémoire, les Arméniens qui avaient toujours conservé leur langue, leur histoire et leur culture, concentrèrent leurs griefs contre les Turcs, bien que les Kurdes, les populations arabes syro-irakiennes et les Bédouins aient participé au génocide. Traumatisés par le passé, dispersés dans l’aire arabo-islamique, les Arméniens libanais proches de la République soviétique arménienne furent récupérés par la mouvance ter­roriste gauchiste d’obédience soviétique. Dans la décennie 1970-1980, les hommes de l’ASALA s’entraînèrent dans les camps terroristes palestiniens au Liban, en Syrie et en Iraq alors que d’autres Arméniens militaient dans le Dashnak proche des phalanges maronites. La conscience de la dhimmitude, comme destin commun déterminé par des lois isla­miques pour l’ensemble des chrétientés, ne semble pas – à ma connaissance – s’être manifestée chez les Arméniens. Cette lacune permit leur récupération par les communistes liés aux « palestino-islamo-progressistes ». La participation de certains groupes arméniens aux activités de l’OLP n’aida guère la résistance libanaise. Ayant retrouvé une indépen­dance territoriale, les Arméniens limitèrent leur lutte à tenter d’imposer à la Turquie la reconnaissance du génocide.

 

 

(p.201) VII JIHAD ET DHIMMA : FORMULATIONS MODERNES

 

LES THÈMES

 

(…) Excepté pour une minorité occidentalisée, le jihâd consti­tua le moteur et le fondement idéologique des revendications et des guerres de décolonisation contre les Etats européens.

 

(p.204) Pour Khomeiny :

« Le gouvernement islamique est le gouvernement de droit divin, et ses lois ne peuvent être ni changées, ni modifiées, ni contestées. […] La loi coranique, qui n’est autre que la loi divine, constitue l’entité de tout gouvernement islamique et règne immanquable­ment sur tous les individus qui en font partie. Le Prophète, les califes et les gens du peuple doivent obéissance absolue à ces lois éternelles du Tout-Puissant transmises aux mortels à travers le Coran et le Prophète, et qui resteront immuables jusqu’à la fin des temps. »8

 

  1. Ruhollah Khomeiny, Principes Politiques, Philosophiques, Sociaux et Religieux, Extraits de trois ouvrages majeurs de l’Ayatollah, textes choisis et tr. du persan par Jean-Marie Xavière avec introd. et notes expl., Paris, Hallier, 1979, pp. 19-21 ; cf. Coran IV-82.

 

(p.205) En politique intérieure, l’Etat islamique doit se construire par l’éradication totale de toute pensée, influence, institution non islamique, c’est-à-dire par l’élimination des moindres influences extérieures transmises par la colonisation ou par des concepts empruntés à d’autres cultures. Ce retour à une orthodoxie antérieure à l’intrusion de l’Occident, prolonge le combat de purification morale et institutionnelle de la déco­lonisation. C’est la conception classique du rejet des civilisa­tions infidèles et inférieures auxquelles l’islam, en vertu de sa supériorité et de sa perfection, ne saurait sans se souiller emprunter la moindre pensée.

 

 

(p.208) L HISTOIRE REFOULÉE

 

L’occultation du jihâd et de la dhimmitude en Occident -notamment dans les sociétés communistes – a contribué à figer les conflits ethno-religieux sans les résoudre. Or seule une critique sereine de l’impérialisme islamique pourrait déblayer la voie vers une réconciliation avec les peuples qui en furent les victimes. Cette étape est indispensable pour obtenir la reconnaissance d’une légitimité nationale non isla­mique, démarche qui peut seule annuler le jihâd. Ce domaine (p.209) de réflexion n’a jamais été abordé. La néantisation de l’his­toire ou pis, sa perversion par le mythe de la tolérance, ont libéré le retour vénéneux du passé, tandis que dans l’ex-­Yougoslavie le refoulement de l’histoire a déclenché une guerre barbare.

Pour qui connaît quelque peu l’histoire séculaire de la résistance serbe à la domination ottomane, il était évident qu’un Etat de Bosnie-Herzégovine serait inacceptable. Les cinq siècles de « coexistence harmonieuse et pacifique » sous la domination islamique, invoqués par le président bosniaque Alija Izetbegovic, appartiennent au dogme théologique de la perfection de la chari’a et de la dhimma 21. Car les Serbes orthodoxes pour leur part, considèrent ce même régime comme celui des massacres, pillages, esclavages, déporta­tions, exils des populations chrétiennes, un régime justifiant l’usurpation des terres et le déni de leurs droits, donc le contraire d’une coexistence pacifique pluri-ethnique fondée sur un système de justice sociale et politique. Ainsi se heur­tent deux conceptions de l’histoire qui ne furent jamais confrontées : celle des victimes dhimmies et celle des vain­queurs dujihâd.

Dans leurs guerres séculaires d’émancipation et de libération, les Serbes orthodoxes trouvèrent en leurs concitoyens musulmans les plus acharnés de leurs adversaires, attachés à leurs privilèges religieux et à leur humiliante domination sur les Chrétiens. Durant la Seconde Guerre mondiale, les forces de l’Axe envahirent la Yougoslavie et imposèrent un Etat croate nazi (Oustachi), auquel collaborèrent des Musulmans bosniaques. Sous l’impulsion du mufti de Jérusalem, Haj Amin al Husseini, ils formèrent des corps militaires, comme la 13e (Hanjar) Waffen SS Division parmi d’autres formations, dont certaines s’entraînèrent en France. Ces Musulmans slaves participèrent activement à la politique des Croates oustachis et des nazis, dans le génocide de cen-  » laines de milliers de Serbes, Juifs et Tziganes. Les atrocités commises alors choquèrent même les Allemands. Femmes, enfants, vieillards, furent tués à coups de hache, empalés, enterrés vivants, suspendus à des crocs de boucherie, enseve-

 

  1. International Herald Tribune, 10 août 1992, p. 2. Voir les déclarations sur la vie tranquille et heureuse des Assyriens « pendant des siècles », par des délégués turcs après les massacres au début du siècle, p. 149, et celles sem­blables du Hamas concernant les dhimmis en Palestine.

 

(p.210) lis dans des fosses sous la chaux vive après avoir été sauva­gement mutilés.

Les nazis encouragèrent les revendications sécessionnistes des Musulmans, dont quelques chefs, invoquant la tradition­nelle coexistence pacifique sous l’islam, dénoncèrent ces atrocités qu’ils imputèrent aux Croates, bien que la participa­tion des Musulmans dans les massacres fût notoire 24. De fait, ces allégations visaient à exploiter les conflits inter-chrétiens entre catholiques et orthodoxes, qui favorisèrent durant un millénaire l’expansion de l’islam.

Sous la férule communiste du Croate Tito, l’irrédentisme musulman fut favorisé par la reconnaissance d’une « nation musulmane », seul groupe défini par des critères religieux alors que des différences ethniques caractérisaient les autres. La politique délibérée d’islamisation de la Serbie orthodoxe (Kossovo et Bosnie-Herzégovine) procurait à Tito des sou­tiens économiques et politiques fournis par le monde isla­mique et perpétuait les scissions inter-chrétiennes. Le dogme communiste de la fraternisation des peuples gela les conflits sans les résoudre. En 1970, Alija Izetbegovic avait précisé dans sa Déclaration islamique, reéditée en anglais à Sarajevo en 1991 : « II ne peut exister de paix ou de coexistence entre la foi islamique et des institutions sociales et politiques non islamiques ». Et dans sa conclusion :

« Le mouvement islamique doit et peut prendre le pouvoir dès qu’il est moralement et numériquement capable de détruire le pou­voir non islamique existant. »

Sous le camouflage de « l’Etat islamique pluriculturel » et des « cinq cents ans de coexistence pacifique », les Serbes bosniaques décèlent le système de la chari’a qui les décima. Aussi la cruauté des combats en Bosnie traduit-elle le contentieux historique qui, faute de se régler par le dialogue,

 

(NB John Zametica, The Yugoslav Conflict, Londres, (International Institute for Stratégie Studies, Adelphi Paper 270), Brassey’s, 1992, pp. 38-39. Même opinion exprimée par le cheikh Abubakr Mahmoud Goumi, ancien grand Cadi du nord du Nigeria : « Lorsque vous êtes musulman, vous ne pouvez pas accepter d’être dirigé par un non-Musulman, aussi si nous voulons un Nigeria viable, nous devons suivre une seule foi ». Cf. Jacques de Barrin, « Le Nigeria, fragile colosse », Le Monde, 18 février 1988. La même sécession musulmane provoque une guerre civile dans le sud de la Thaïlande, et aux Philippines. En Angleterre, où vit une importante communauté islamique immi­grée, Kalim Siddiqui, président de l’Institut musulman de Londres, réclame pour les Musulmans une sorte d’autonomie juridique fondée sur la chari’a (espaces islamisés), cf. Roy, L’Echec, op. cit., pp. 108, 154.)

 

(p.211) se libère dans la haine. Barbarie qui exprime la revanche d’une histoire refoulée, travestie dans le mythe pervers de la coexistence idyllique. Le « paradis ottoman » réclamé par Izetbegovitc scandalise les Serbes, les Grecs, les Arméniens. Aujourd’hui des populations innocentes, toutes religions confondues, sont victimes d’un passé qui, parce qu’il fut enseveli dans le silence, se venge par d’effroyables fureurs ; les responsables en sont ceux-là mêmes qui, pour sauvegar­der leurs intérêts, tentèrent d’imposer un mythe à ceux qui en furent les victimes.

Au Soudan, les mêmes conflits ethniques et religieux polarisés par le rétablissement de la charï a opposent le Nord, arabisé et islamisé, au Sud africain, chrétien et ani­miste, réserve traditionnelle d’esclaves pour le Nord. Depuis l’indépendance (1 janvier 1956), le double processus d’arabi­sation et d’islamisation du Sud provoqua une guerre civile et des centaines de milliers de victimes. Les Accords d’Addis Abeba (1972), reconnurent l’autonomie régionale du Sud et garantirent sa totale liberté culturelle et religieuse. Mais la prise de pouvoir par le général Numeyri, et le rétablissement de la chari’a (1983) même pour les Chrétiens du Nord, rallu­mèrent la guerre civile. Durant les négociations prévoyant la suspension de la chari’a, un coup d’Etat (1989) porta au pou­voir le général Omar al-Béchir et le parti des islamistes (FNI) présidé par Hassan al-Tourabi. Dès lors le régime islamique mena une politique d’épuration et d’extermination ethnique et religieuse. Massacres, répression, déplacements de popula­tions et famine s’intensifièrent considérablement au lende­main de la guerre du Golfe (1991). Le gouvernement de Khartoum obtint d’importantes fournitures d’armes de l’Iran, autre régime fondamentaliste. Les témoignages parlent d’un « véritable processus d’extermination », « d’atrocités sur une grande échelle, [de] volonté délibérée, on pourrait dire planifiée, d’épuration et d’extermination ethniques et reli­gieuses » 27. La junte au pouvoir, dans le cadre de son jihâd, lâcha également des milices fortement armées sur les Monts Nouba, région du Nord-Ouest, précédemment épargnée par la guerre. Le 16 février 1993, le père Hubert Barbier, qui

 

  1. Père Hubert Barbier, Intervention à la Commission des Droits de l’homme, Genève, sous les auspices du Mouvement International de la Récon­ciliation (E/CN.4/1993/SR.22   et   enregistrement   Verbatim   de   l’ONU) ; Vigilance Soudan, Paris, avril 1993, n° 9 (supplément), décembre 1993, n° 15 (Rapport préliminaire de Gaspar Bfrô) ; Le Monde, 18 février 1993 (article Isabelle Vichniac).

 

(p.212) résida vingt-trois ans en Afrique, dont neuf au Soudan, vint témoigner devant la Commission des Droits de l’homme des Nations Unies à Genève :

« Les Noubas de souche africaine furent massacrés par milliers, leurs femmes très souvent violées et emmenées en esclavage avec leurs enfants. Le terrain ainsi libéré par purification ethnico-religieuse fut immédiatement occupé par des tribus arabes islamisées du Nord ».

Plus de 150 000 familles Noubas furent déportées, par la force, de leurs villages traditionnels et cantonnées dans les régions désertiques du Nord arabisé, tandis que des tribus arabes s’emparaient de leurs foyers et de leurs champs. Plus de 20 000 enfants Noubas furent vendus en esclavage et convertis de force avec la pleine connivence du régime.

Aux environs de Khartoum où des populations civiles – principalement du Sud – s’étaient rassemblées, le Front National Islamique planifia une politique de déportations massives. Dès novembre 1991 plus d’un demi-million de personnes furent déportées et parquées dans des camps situés dans une zone désertique, dépourvue d’eau et de nourriture. La distribution de l’aide alimentaire et médicale, contrôlée par les islamistes, fut soumise au chantage de la conversion. Le divorce entre cette réalité quotidienne et le dogme appa­raît dans le discours au pape du chef de l’Etat soudanais. Se référant au Coran, le général al-Béchir déclara que pour les Musulmans, la volonté d’imposer leurs croyances et leurs valeurs à d’autres « est tout simplement impensable et inad­missible ». Aussi « l’attitude des Musulmans envers les non-Musulmans, n’est pas seulement celle de la tolérance ; c’est une expression d’amour » 30. Un amour qui a fait fuir du Sud-

 

  1. Discours devant le pape Jean-Paul II, Khartoum, 10 février 1993. Le gouvernement soudanais accusa les Etats-Unis et l’Europe d’utiliser « deux poids deux mesures » (double standard) pour discréditer le Soudan. Dans sa réfutation du rapport du Rapporteur Spécial sur l’Intolérance Religieuse de la Commission des Droits de l’homme (E/CN.4/1993/62), le gouvernement sou­danais déclara «… nous sommes fermement convaincus que nulle part sur terre, il ne peut y avoir plus de tolérance religieuse que celle qu’on trouve au Soudan. » Extrait de l’intervention orale du Rév. Dr William L. Wipfler, cf. n. 28 supra.

 

(p.213) Soudan plus de 100 000 personnes en vingt jours en août 1993 31.

Le rapport de M. Gâspâr Birô, Rapporteur Spécial pour le Soudan, soumis à la Commission des Droits de l’homme, le 1er février 1994, fait état dans le Bahr al-Ghazal et le sud du Kordofan d’enlèvements de femmes et d’enfants déportés pour l’esclavage et les travaux forcés. Ces actes, perpétrés sur une large échelle par les Forces de Défense Populaire, les Moujahedin et les escortes armées, s’accompagnent de pillages, de vols du bétail, de massacres et de viols (§ 62-65). Sur le plan religieux le rapport atteste en divers lieux du pays des conversions forcées surtout dans des camps de déportés, la persécution des prêtres, la destruction des églises (§ 66-67), la déclaration d’un jihâd, contre les non-Musulmans et surtout les Chrétiens (§ 78), la peine de mort pour l’apostasie (§ 79), la discrimination des femmes (§ 102-105), le rétablis­sement de peines corporelles (§ 127)32. Après la publication de ce rapport, le président soudanais Omar al-Béchir déclara le 12 février que le rapporteur de la commission de l’ONU, M. Bîrô, est « un ennemi de l’islam et des lois islamiques », pour avoir publié, selon Khartoum, un rapport « blasphéma­toire »33. Le 17 février 1994, la délégation du Soudan à Genève distribuait une mise en garde à la Commission des Droits de l’homme, sous le titre : « Attaque contre l’Islam ».

 

  1. Le Monde, 27 août 1993.
  2. Commission des Droits de l’homme, Nations Unies, Genève, E/CN.4/ 1994/48, 1 février 1994.

33 Tribune de Genève (AFP), Genève, 14 février 1994 et AFP (Khar­toum), 14 et 22 février 1994.

 

(p.215) Le but commun poursuivi par les deux mouvements – la destruction de l’Etat d’Israël – se fonde sur le même postu­lat : délégitimation de la souveraineté nationale des Juifs. Le Hamas se réfère au droit islamique selon lequel les terres conquises par le jihâd, constituent un waqf pour les Musulmans. Cette disposition qui se fonde sur les décisions du deuxième calife Omar ibn al-Khattâb et l’avis de Ali, qua­trième calife, lors de la conquête en 635-642 du Sawad (Irak), est également valable pour toutes les terres qui furent islamisées par le jihâd (Hamas, art. 11) c’est-à-dire (p.216) l’Espagne, la Sicile, la Grèce, les Balkans, l’Arménie, etc. Cette conception s’intègre dans l’idéologie de délégitimation globale du dar al-harb.

Si dans la charte de l’OLP, l’Etat arabe remplacera l’Etat d’Israël, pour le Hamas cet Etat sera islamique, mais les deux versions sont décrites de façon idyllique (Charte art. 16 ; Constitution, art. 6, 31). Le Hamas développe ces idées en termes classiques. Son but est de :

« […] lever la bannière d’Allah sur chaque centimètre de Palestine car sous l’aile de l’islam, les adeptes de toutes les religions peuvent coexister en sécurité, quant à leur vie, leurs biens, leurs droits. En l’absence de l’islam, les divisions se répandent l’oppression s’étend, le mal domine, les schismes et les guerres éclatent » (art. 6).

Le Hamas est :

«[…] guidé par la tolérance islamique dans ses relations avec les adhérents d’autres religions […] Sous l’aile de l’islam il est pos­sible aux adhérents des trois religions – islam, christianisme, judaïsme – de coexister en paix et tranquillité l’un avec l’autre. Paix et tranquillité ne seront possibles que sous l’aile de l’islam. L’histoire passée et présente sont les meilleurs témoins de cela. C’est le devoir des adhérents des autres religions de cesser de contester la souveraineté de l’islam dans cette région, parce que les jours où ces adhérents domineraient, il n’y aura rien que le car­nage, les déplacements et la terreur. Chacun d’eux diffère de son coreligionnaire sans même parler des adhérents d’autres religions […] L’islam confère à chacun ses droits légitimes. L’islam prévient les atteintes aux droits des autres peuples. » (art. 31)

C’est donc le retour à la condition idyllique de la dhimmi-tude, aussi bien pour les Juifs que pour les Chrétiens anti­israéliens. Cet avenir de paix et de prospérité dans l’Etat isla­mique supplantant Israël est décrit avantageusement par le Palestinien Ismail R. al-Faruqi, professeur d’Etudes isla­miques à l’Université de Temple (Philadelphie). Car :

«[…] une paix durable ne peut être assurée aux Juifs nulle part excepté par l’Islam et sous sa domination politique. […] Est-il nécessaire au désir de paix, que les Juifs jouissent de la souverai­neté nationale comme les pays européens ? Non ! (…) »

 

(p.220) Les maîtres à penser des mouvements islamistes sont diplômés d’éminentes universités occidentales. L’idéologue iranien Ali Shariati fut un élève de Jacques Berque, Tourabi étudia à Londres et à la Sorbonne, Sayed Qutb passa quelques années aux Etats-Unis (1948-1951). Confrontés aux dramatiques problèmes économiques et sociaux des sociétés islamiques, ces intellectuels occidentalisés opérèrent la trans­lation de conceptions politiques européennes dans une thé­matique islamique. Humiliations et frustrations furent canali­sées dans le moule anti-occidental, tandis que la glorification de la supériorité islamique compensait le décalage entre le symbolisme narcissique et les réalités intolérables. Cons­cients de ce facteur psychologique, Berque déclarait un mois après l’invasion du Koweit par l’Irak et à la veille de la guerre du Golfe :

 

« L’humiliation du monde arabe est un luxe que nous ne pouvons pas nous payer. » 51

 

A bien des égards l’islamisme semble décalqué du panara­bisme, dans la version panislamique de la majorité des milieux musulmans, et non dans son expression séculière majoritairement chrétienne. En effet le programme islamiste de subversion mondiale – y compris contre les Etats musul­mans n’appliquant pas la chari’a et liés à l’Occident – est décalqué du panarabisme. Replacé dans une conception reli­gieuse, c’est l’ensemble de l’Occident, le dar al-harb, qui se trouve visé et non seulement Israël.

Ce programme apparaît en contrepoint dans un article de Berque en 1973 où sont exposés le dogme antisioniste et les tactiques géopolitiques nécessaires à la destruction d’Israël.

 

  1. Evénement du Jeudi, 13-19 septembre   1990; Edward Mortimer, « Pourquoi l’Occident doit craindre l’humiliation des Arabes », The Times, Londres, 8 juin 1982. Le thème de « l’humiliation des Arabes » a constitué un souci permanent de la politique et du discours occidental. Ce problème pour­tant serait résolu si les Occidentaux s’humiliaient eux-mêmes en se soumettant aux règlements de la dhimma.

 

(p.221) Né en 1910, élevé dans l’atmosphère antisémite de la colonie française algéroise, on ne saurait s’étonner si Berque perçoit Israël à travers un prisme conspirationniste. Obnubilé par la paranoïa judéophobe qu’il partage avec le monde arabe, son argumentation antisioniste développe tous les thèmes repris plus tard par les islamistes diabolisant l’Occident. La satanisation d’Israël, qu’il module indifféremment sur le registre arabe ou islamiste, déplace le combat palestinien du domaine historique au niveau métaphysique, l’ennemi représentant le mal ontologique. Ainsi de tous les conflits universels histo­riques, seule l’affaire palestinienne est tragique au sens aris­totélicien, nous précise l’auteur, car « le fondamental est là, parce que le Regard veille ». La destruction des peuples et des cultures par l’islam conquérant, le génocide arménien, le génocide soudanais en cours, pour ne pas mentionner l’escla­vage, la Choa, l’apartheid, les souffrances indescriptibles d’une humanité décimée par les invasions et les guerres, sont éclipsées parce que sur un minuscule territoire, un petit peuple a pu restaurer son indépendance dans sa patrie ancestrale. L’interprétation démonologique de l’histoire d’Israël que l’éminent professeur à l’Institut de France partage avec le monde arabe, s’élargit pour les islamistes et embrasse tout le dar al-harb.

La victimisation du Proche-Orient par un complot de l’Occident exprimée par Berque : « Le Proche-Orient [est] victime de ses fautes et de la conspiration des Occidentaux en faveur d’Israël », devient chez les islamistes le fonde­ment d’une démonstration victimaire remontant à l’origine des temps. Préoccupé par les moyens de détruire Israël, le vénérable arabisant élabore une stratégie mondiale qui oppo­serait au sionisme cosmopolite « une véritable mondialité ».

« Dans une telle situation, ce n’est plus la guerre classique qui sol­licite l’attention, mais la guérilla, l’attentat, l’irréductibilité morale, la mise à feu du psychisme collectif : conduites dont la chronique (p.222) du dernier quart de siècle a montré l’adéquation comme réponse des peuples à l’injustice. »

Berque, comme l’ensemble du courant occidental tiers-mondiste, peut d’autant mieux vilipender l’impérialisme occidental que cette satanisation rejaillissant sur Israël qui en est le prétendu rejeton, procure une bonne conscience. Le courant laïque tiers-mondiste rejoint d’ailleurs le tiers-mondisme théologique chrétien qui invoque la régénération de l’âme arabe par la destruction de l’Etat d’Israël :

« La grâce de cette nouvelle naissance ne s’acquiert qu’à travers une Palestine rendue à elle-même ».57

De même qu’Israël n’a pas à réclamer la reconnaissance d’une légitimité, ainsi la légitimité de tout Etat non fondé sur la chari’a est contestée. De même que la délégitimisation d’Israël se fondait sur la prééminence du droit arabe sur le droit israélien, ainsi le droit islamique doit prévaloir sur tous les autres, rejetant l’Occident dans l’illégalité de \ajahiliyya. L’illégalité d’Israël s’incorpore dans celle de l’Occident tout entier. Sa satanisation, menée en Occident par des milieux orientalistes gauchistes et par une certaine tendance de l’extrême-droite, s’exprime dans les valeurs islamiques de christianophobie et de rejet du dar al-harb. Les étapes de la destruction d’Israël décrites par Berque dans un processus d’unification et de mondialisation, s’appliquent à l’Occident : unité du monde islamique, satanisation de l’Occident, divi­sion des rôles entre les mouvements terroristes subversifs de déstabilisation et la façade légale de l’Etat, jusqu’au soulève­ment général de toute Vumma contre le monde de la jâhiliyya.

Cette relation d’interdépendance entre Occident et Israël ne résulte guère d’une actualité conjoncturelle, car elle s’ins­crit dans l’origine même du dogme islamique. Ce n’est point

 

  1. Mgr Khodr, métropolite de Byblos et du Mont Liban, conférence don­née sous l’égide de l’Association de Solidarité Franco-Arabe, le 2 juin 1970, « L’Arabité », in Musulmans, chrétiens et juifs à l’épreuve de la Palestine, Paris, France-Pays Arabes, 1970, p. 42.

 

(p.223) la démonologie d’Israël qui se reflète sur l’Occident mais plutôt l’inverse avec toute la charge émotionnelle des conflits ininterrompus entre Etats chrétiens et musulmans. L’exploita­tion de la paranoïa antisioniste par des gouvernements euro­péens et aux Nations Unies (refus de la paix entre Israël et l’Egypte pendant dix ans, légitimation du terrorisme palesti­nien) ne correspond pas seulement à des intérêts géostraté­giques et économiques, mais aussi à une politique d’auto-protection consistant à détourner l’agressivité sur un tiers (displaced agressivity), politique traditionnelle des commu­nautés chrétiennes arabes d’Orient, transférée au niveau des Etats d’Europe.

 

(p.226) Le thème de l’exclusion devint on le sait un argument majeur de la politique tiers-mondiste. Mais on peut se demander comment des théologiens ont pu ignorer les bénédictions (p.227)  universalistes professées dans la Bible, et l’exclu­sion du salut inscrite dans de nombreux versets coraniques à rencontre des Juifs, des Chrétiens et des autres peuples non musulmans. De même il suffit de jeter un coup d’oeil sur la carte pour constater que les immenses territoires que s’est gagné l’islam font précisément des Juifs et des Chrétiens des exclus et des humiliés dont « les privilèges » appartiennent à l’imaginaire.

 

 (p.229) VIII LE RETOUR DE LA DHIMMITUDE

 

(…) Les motivations de l’islamisation sont nombreuses. Elles comportent le désir légitime d’une société de retrouver ses racines et ses propres valeurs. Cependant, le mouvement de réislamisation n’est pas seulement culturel ou piétiste, mais également politique. Et dans la mesure où le rejet total de concepts non islamiques, notamment de normes juives ou chrétiennes, s’inscrit dans de nombreux versets du Coran, cette réislamisation génère l’élimination radicale de tout élé­ment juridique, social ou idéologique étranger. Ce rejet se justifie par la satanisation des peuples du dar al-harb : Occident/Croisés, Israël, etc., et déclenche un processus de diabolisation idéologique diffusé par les réseaux religieux, éducatifs, politiques intégrés au mouvement de réislamisa­tion.

 

 

(p.230) PAYS APPLIQUANT LA CHARI’ A

 

Arabie Saoudite

 

La char’ia y est strictement appliquée et la pratique du culte obligatoire. Les Chrétiens représentent une population de travailleurs immigrés se chiffrant entre un demi million et un million. Les églises, l’importation de Bibles, de livres de prières et la célébration du culte y sont strictement interdites. La police religieuse punit sévèrement toute infraction par la destruction des oratoires clandestins, des tabernacles, des missels et de tout objet de culte. Les officiants sont traqués, emprisonnés, maintenus au secret et, dans les meilleurs cas, expulsés.

Aucun Juif, hormis quelques diplomates américains importants, n’est toléré sur le territoire saoudien. La judéophobie est intégrée dans les programmes scolaires et dans les doctrines politico-religieuses du royaume4. L’impureté et la souillure attribuées au non-Musulman interdisent leur pré­sence à La Mecque et à Médine. Cette conviction partagée par l’ensemble du monde musulman se manifeste sous une forme extrême chez Khomeiny.

 

4 Olivier Carré, L’utopie islamique dans l’Orient arabe, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1991, pp. 106-107, 131-132.

(p.231)

« Onze choses sont impures : l’urine, l’excrément, le sperme, les ossements, le sang, le chien, le porc, l’homme et la femme non musulmans, le vin, la bière, la sueur du chameau mangeur d’or­dures, (p. 59)

Tout le corps d’un individu non musulman est impur, même ses cheveux, ses poils, ses ongles, et toutes les sécrétions de son corps, (p. 62)

Tout homme ou femme qui nie l’existence de Dieu, ou qui croit en ses partenaires [la Trinité], ou bien encore qui ne croit pas en son Prophète Muhammad est impur […]. Il l’est même s’il met en doute un seul de ces principes, (p. 62)

L’enfant impubère est impur si ses parents et ses aïeux ne sont pas musulmans, mais s’il a un musulman dans son ascendance il est pur. (p. 63)

L’homme ou la femme non musulman qui se convertit à l’Islam a automatiquement le corps, la salive, les sécrétions nasales et la sueur purs. Quant à leurs habits, s’ils ont été en contact avec leur corps en sueur avant leur conversion, ils resteront impurs. » (p. 75)5

 

Iran

Chrétiens (principalement Arméniens), Juifs, Zoroastriens et Baha’is, constituaient la population indigène non musul­mane d’Iran. En 1979 le rétablissement de la chari’a par l’imam Khomeiny, provoqua l’expulsion de la majorité des prêtres et pasteurs étrangers et la fermeture de toutes les écoles religieuses étrangères (1980). Le gouvernement isla­mique imposa à nouveau les mutilations pénales, les lapida­tions pour adultère, l’exécution pour blasphème et apostasie, le rejet du témoignage du non-Musulman contre celui du Musulman, les discriminations dans l’emploi. Les interdic­tions concernent les constructions d’églises, l’importation de livres ou de revues chrétiennes qui sont soumises à un contrôle sévère. L’islamisation des non-Musulmans s’opère par la loi du talion qui défavorise le non-Musulman et par l’armée structurée par l’idéologie du jihâd. L’Etat contrôle l’éducation religieuse obligatoire des écoliers non musul­mans. L’enseignement scolaire – géographie, histoire, littéra­ture – imbibé de christianophobie et de judéophobie, est tota­lement islamisé. Les non-Musulmans, désignés globalement comme kafir : incroyants, sont conspués dans les médias, les mosquées, l’école.

Les faits suivants sont extraits du Rapport final sur la situation des Droits de l’homme dans la République isla­mique d’Iran, établi en 1992 par M. Reynaldo Galindo Pohl,

 

5 Khomeiny, Principes, op. cit.

 

(p.232) Rapporteur Spécial de la Commission des Droits de l’homme des Nations Unies6. Ce rapport mentionne des cas d’empri­sonnements et de tortures de Musulmans convertis au chris­tianisme et de pasteurs arméniens et assyriens (paras. 244 à 250), la dissolution de la Société biblique iranienne (1990), la fermeture de toutes les librairies chrétiennes, la confisca­tion de tous les livres chrétiens et de 20 000 exemplaires du Nouveau Testament (1991, para. 250). Quelques extraits de ce rapport sont ici reproduits :

« 251. Il a été rapporté que toutes les activités chrétiennes sont contrôlées par le Ministère de la culture et de l’orientation isla­mique qui est responsable des minorités religieuses en République islamique d’Iran. Les chrétiens doivent obtenir la permission d’imprimer leurs bulletins paroissiaux et ne sont pas autorisés à construire de nouvelles églises. Ils peuvent seulement rénover les bâtiments anciens à condition de n’y adjoindre aucune construction nouvelle.

  1. Il a été rapporté que les chrétiens arméniens et assyriens ne sont pas autorisés à prier ou à lire leurs livres sacrés à haute voix chez eux ou dans les églises de peur que les Musulmans n’enten­dent leurs prières ; ils ne sont pas autorisés à imprimer leurs ouvrages religieux ni à les vendre dans des lieux publics ou sur les marchés, et n’ont pas le droit de se rassembler dans les rues pen­dant leurs fêtes religieuses. Les chrétiens arméniens et assyriens ne sont pas autorisés à émettre des programmes radiodiffusés ou télé­visés sur leurs pratiques religieuses ni à publier des photos de leurs cérémonies dans des journaux ou des revues, et n’ont pas le droit d’apposer la croix sur leurs églises ou maisons. Obtenu du vin pour la communion est sévèrement puni et les écoles chrétiennes doivent désormais enseigner la conception islamique de Jésus, celui-ci étant « l’un des 120 000 prophètes. » » 7

 

  1. Rapport établi par Reynaldo Galindo Pohl, 4 mars 1992, Conseil Economique et Social des Nations Unies (E/CN.4/1993/41, 28 janvier 1993) ; aussi, cf. Observations finales du « Comité des droits économiques, sociaux et culturels » des Nations Unies, au sujet du rapport initial de la République Islamique de l’Iran (9 juin 1993, E/C. 12/1993/7) ; et les Commentaires du « Comité des Droits de l’homme » concernant le 2e rapport périodique de la République Islamique d’Iran (17 août 1993, CCPR/C/79/Add. 25)

 

7Ibid. Voir l’intervention à la Sous-Commission des Droits de l’homme à Genève du représentant de Pax-Christi International, 10 août 1992 (E/CN.4/ Sub.2/1992/SR.2) et celle de Hassan Aghilipour, Président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’homme de l’Iran en exil, intervenant sous les auspices du Mouvement International de la Réconciliation, le 20 août (E/CN.4/Sub.2/1992/SR.25). Tous ces règlements sont conformes aux stipula­tions des jurisconsultes musulmans, concernant les dhimmis. La censure rela­tive aux médias (radios, télévisions, journaux, photographies) exclut du domaine public les manifestations du culte de religions tolérées dans l’humi­lité. Cf., Rapport Galindo Pohl (2 février 1994, E/CN.4/1994/50).

 

(p.233) Aux termes de la Constitution de la République islamique d’Iran, et dans les documents officiels, les Baha’is sont considérés comme appartenant à la « secte dissidente éga­rée » et ne bénéficient de ce fait d’aucune protection, pas même celle accordée aux dhimmis, selon les définitions du rapport dont quelques extraits sont cités ici :

« 227. Ni les mariages ni les divorces des bahaïs ne sont légale­ment reconnus en République islamique d’Iran. Ces derniers conti­nuent d’être privés de leurs droits à l’héritage. Au cours des 12 dernières années, la communauté bahaïe s’est vu refuser le droit de se réunir, d’élire et de gérer ses institutions administratives. Ces institutions constituent le noyau de la vie communautaire religieuse du fait qu’il n’existe pas de clergé chez les bahaïs. Sans institutions administratives, l’existence même des bahaïs en tant que commu­nauté religieuse serait sérieusement compromise. En tant qu’indivi­dus, les bahaïs sont officiellement considérés comme des « infidèles non protégés », de sorte que leurs droits civils et leurs libertés sont souvent bafoués. La non-reconnaissance de leur religion se mani­feste de diverses manières, y compris le déni de leur droit fonda­mental d’exprimer librement leurs convictions religieuses. 309. En ce qui concerne les adeptes de la foi bahaïe, le Représentant spécial dispose d’informations faisant état de nom­breux cas de harcèlements, de détentions arbitraires, de confisca­tion de leurs biens, d’expulsion de leur logement et, de façon géné­rale, de discrimination. Comme on l’a signalé dans la partie du présent rapport consacrée aux faits, deux bahaïs ont été condamnés à mort en 1992 en raison de leur foi et un membre au moins de cette communauté a été exécuté au cours de l’année. […] 31 Oc. En ce qui concerne leur situation sur le plan juridique et social : i) il faut laisser aux bahaïs un niveau de vie modeste, com­parable à celui de la population en général ; ii) dans la mesure où cela ne les encourage pas à persister dans le bahaïsme, ils doivent conserver les moyens ordinaires à la disposition des citoyens ira­niens, tels que carnet de rationnement, passeport, certificat de décès, permis de travail ; iii) il faut refuser un emploi à ceux qui s’identifient comme bahaïs ; iv) il faut également leur refuser des postes de responsabilité, dans le secteur de l’éducation par exemple. »

 

Soudan

 

L’application de la chari’a en 1983 provoqua une rébel­lion du Sud chrétien et animiste, aggravant une situation insurrectionnelle latente. Depuis la prise du pouvoir le 30 juin 1989 par le Front National Islamique (FNI), la poli­tique d’arabisation et d’islamisation des populations du Sud s’exprima en termes de « nettoyage ethnique et de génocide ».

(p.234) Le rétablissement de la chari’a y a imposé les dispositions de la loi islamique déjà citées : mutilations corporelles pénales, peine de mort pour apostasie et blasphème, cent coups de fouet pour adultère, selon les cas cruxifixion des cadavres des suppliciés. Dans le domaine de l’éducation, l’étude de l’islam est obligatoire et l’admission à l’université comporte un examen en instruction musulmane. L’enseigne­ment de l’arabe, seule langue autorisée alors que le Sud est plutôt anglophone, se base exclusivement sur l’utilisation de textes islamiques. La présentation d’un certificat d’apparte­nance à la religion musulmane, et des connaissances sur l’islam, sont exigées pour l’obtention d’un emploi gouverne­mental. Au niveau du culte, l’autorisation de construire des églises n’est jamais concédée. En de nombreux lieux les réunions de Chrétiens pour la prière, assimilées à des églises ouvertes, sont interdites. Prêtres et religieuses étrangers sont expulsés, refoulés ou difficilement admis, tandis que le per­sonnel ecclésiastique, même soudanais, subit un harcèlement continuel : fermetures de centres de prière, expulsions, attaques des églises, arrestations arbitraires, confiscations des écoles, interdictions de déplacements.

Les pressions à la conversion s’exercent par le chantage à l’aide alimentaire destinée aux populations affamées dépor­tées, par l’intimidation et les menaces exercées sur des pri­sonniers, des malades, des infirmières, des étudiants. Le christianisme est diffamé dans la presse, les médias, l’école et les sermons religieux 8.

 

Pakistan

 

Bien que le Pakistan soit exclu de notre sujet, on peut le citer pour souligner l’uniformisation de la juridiction isla­mique dans des pays musulmans de cultures différentes. Comme dans les autres Etats cités plus haut, on retrouve les mêmes situations juridiques et scolaires concernant les non-Musulmans. Des cas sont cités d’emprisonnements et d’exé­cutions sans procès de non-Musulmans accusés de blas­phème. Les églises doivent être gardées. Cependant au Pakistan comme dans tous les autres pays musulmans la res­tauration de la chari’a, soulève une vive opposition des milieux musulmans libéraux. Ainsi S.A. Rahman, qui fut

 

8 Barbier, op. cit. ; lettre ouverte de l’archevêque Erwin Joseph Ender, prononce apostolique, adressée au président soudanais, News Bulletin, Londres, 6 octobre 1991 ; Macram Max Cassis, évêque de el-Obeid, Soudan, op. cit.

 

(p.235) Président de la Cour Suprême du Pakistan, défendit la liberté de pensée avec des arguments tirés du Coran et dans le contexte de la culture islamique. Il invoquait également les Constitutions de 1956 et 1962, promulguées au Pakistan, « qui garantissaient à tous les citoyens, y compris les com­munautés minoritaires, l’égalité devant la Loi et le droit de professer, pratiquer et propager n’importe quelle religion, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et de la moralité.

 

pays s’inspirant de la chari’a

 

Egypte

 

(…) Comme dans les autres pays, la dhimmitude s’observe à deux niveaux : les lois et les mœurs. Dans le domaine juri­dique certaines lois islamiques sont rétablies, comme l’inter­diction de construire ou rénover les églises et leurs annexes, serait-ce l’emplacement d’une tente dans une cour ou la réfection des toilettes – contraintes destinées à l’humiliation d’un culte toléré. Depuis 1981 et sous le président Hosni Moubarak, les restrictions furent étendues à toutes les institu­tions coptes : halls d’églises, hôpitaux, résidences d’évêques, etc. Dans la province d’Assiout (Dariout), de Sohag, d’Alexandrie, de nombreuses églises, réparées sans permis, furent détruites ou saccagées. Excepté à Noël et à Pâques, seuls les programmes islamiques sont télévisés.

Au Caire, l’Etat confisqua quinze églises historiques et déferra la propriété de terres de main-morte (waqf) détenue par l’Eglise au ministère des Affaires islamiques (1968), restreignant de ce fait les prestations sociales communau­taires. Concernant le culte, le mémorandum issu du Patriarcat (17 décembre 1976) mentionne « à plusieurs reprises, [les] attaques sanglantes lorsqu’ils [les Coptes] désirent construire une église. » L’histoire copte – du 1er au viie siècle – est (p.236) retranchée des livres et des programmes d’enseignement. En août 1976 et l’année suivante, les expressions extérieures du culte telles que décorations, illuminations, cortèges, provo­quèrent des manifestations d’hostilité à l’égard des Coptes. Des pierres amoncelées dans ce but avaient été lancées contre une cathédrale, deux églises évangéliques, des maga­sins et des maisons de Chrétiens. Sur les terres laissées au Patriarcat une construction, présumée être une église, fut démolie en 1973, mais une mosquée y fut édifiée en 1976. D’autres tentatives, avortées ou réussies, de construire des mosquées sur les terres appartenant au Patriarcat ou confis­quées, ou sur des propriétés de Chrétiens, sont mention­nées ».

Les jugements des tribunaux en faveur des Chrétiens contre des Musulmans ne sont pas exécutés. La police et les postes négligent les plaintes et le courrier des Coptes. Dans certains lieux des droits de « protection » – l’ancienne jizya s’ajoutent à d’autres extorsions et à l’interdiction de célébrer publiquement fêtes religieuses, mariages ou funérailles. Aujourd’hui la loi impose à nouveau les prescriptions concernant l’apostasie, les conversions et le mariage d’une Musulmane avec un Chrétien. De même, l’interdiction aux Coptes d’accéder aux postes de responsabilité ou leur confé­rant une autorité sur un Musulman se manifeste par diverses discriminations. Ainsi les fonctions élevées dans l’armée, l’administration, les universités, la magistrature, la police, les banques, les compagnies industrielles et commerciales leur sont fermées.

Dans le domaine scolaire, les écoles primaires refusent aux Coptes le poste d’enseignant d’arabe après la cinquième année. Même dans le secteur d’éducation privée, l’enseigne­ment de la langue et de la littérature arabes est exclusivement réservé aux professeurs musulmans. Les diplômes des insti­tuts religieux coptes sont dévalorisés par rapport à ceux des instituts musulmans. Des manuels scolaires obligatoires inculquent la supériorité de l’islam sur les autres religions destinées à disparaître par le jihâd qui incombe aux Musulmans. Cette situation expose les écoliers chrétiens à

 

(NB  En 1972, le ministère des Affaires Islamiques confisqua des terres de main-morte appartenant à la communauté copte, et en réserva le revenu pour les pauvres musulmans seule­ment. La Cour ordonna en 1989 la restitution de leurs biens aux Chrétiens. L’ordre n’a pas encore été exécuté début 1994.)

 

(p.237) être considérés comme infidèles par leurs camarades et même par des professeurs.

Sur le plan des préjugés et des mœurs les mémorandums de février 1977, déjà cités, font état d’une campagne de diffa­mation contre le christianisme, le dogme et le clergé dans les médias et la presse. Les mass média colportent des injures à l’égard des Chrétiens qualifiés d’infidèles, des appels au jihâd contre eux et des sarcasmes ridiculisant le christia­nisme.

Des prêtres sont parfois poursuivis par des enfants et des adolescents qui leur lancent des pierres et des ordures, sans que des Musulmans présents n’interviennent. Les insultes à l’égard des Chrétiens et du christianisme se sont générali­sées, pour petits et grands, dans les rues, les écoles, les lieux de travail, les transports publics. Les tentatives d’islamisation par l’école, les pressions, la corruption, le chantage et surtout le mépris et les discriminations à tous les niveaux de la vie sociale, représentent – selon des témoignages – une « guerre d’extermination paisible » des Coptes qui « meurent des doses lentes de poison pénétrant dans leur corps » ‘3.

Enfin les rapports de Coptes font état de leur sous-repré­sentativité dans les organes parlementaires et de cas d’islami­sation forcée de jeunes chrétiens. Désormais les églises doi­vent être protégées contre les projectiles par une muraille et par des gardes, tandis que l’insécurité et les discriminations accélèrent un mouvement d’émigration des Coptes l4.

Depuis 1992, la guerre des islamistes contre les Coptes se manifeste par des agressions à l’arme blanche, des jets de pierres, des fusillades, des bombes, des incendies. Cette cam­pagne haineuse suscite la réprobation et l’indignation des milieux égyptiens non islamistes et a incité le gouvernement du président Moubarak, lui-même menacé par la terreur isla­miste, à promulguer des mesures assurant la protection des Coptes.

 

Judée-Samarie (Cisjordanie)

Malgré l’adhésion des Chrétiens palestiniens à l’OLP et leur soutien au terrorisme anti-israélien, leur situation n’a cessé d’empirer. De fait la discrimination des non-Musulmans (p.238) s’était manifestée dès la fin du mandat britannique et depuis l’annexion de ces territoires par la Jordanie de 1948 à 1967. Les Juifs palestiniens furent alors expulsés, leurs biens et leurs maisons transférés aux Musulmans, toutes leurs synagogues détruites et leurs cimetières profanés. Trente-huit mille pierres du cimetière juif du mont des Oliviers furent brisées ou réemployées dans des fortins militaires ou des latrines. L’accès aux Lieux saints à Jérusalem et dans toute la Jordanie fut interdit aux Juifs conformément à la loi jorda­nienne sur la citoyenneté, stipulant que : « chaque homme peut devenir un citoyen jordanien, s’il n’est pas juif » 15.

L’administration jordanienne entreprit également d’islami­ser le quartier chrétien de la Vieille ville de Jérusalem par des mesures interdisant aux Chrétiens d’acheter des maisons et des terrains, et par l’établissement d’un strict contrôle de leurs institutions sociales et scolaires. Elle décréta la ferme­ture obligatoire des écoles les jours fériés musulmans et auto­risa la construction de mosquées près des églises, excluant ainsi toute possibilité d’agrandissement. Aussi de 1948 à 1967, la population chrétienne de Jérusalem sous administra­tion jordanienne passa de 25 000 à 12 600 et celle de Judée-Samarie et Gaza déclina de 80 000 à 32 000 âmes.

Sous l’administration israélienne (à partir de 1967), de nombreuses églises et propriétés ecclésiastiques furent res­taurées à Jérusalem avec l’assistance financière du gouverne­ment ou celle de la Municipalité. Parmi ces monuments réno­vés, on peut citer l’hôpital Augusta Victoria sur le mont des Oliviers et l’église catholique syrienne sur la route de Naplouse. De même la communauté orthodoxe syriaque bénéficia d’un million de dollars destiné à des travaux de soutènement pour l’église Saint-Marc. Une aide économique importante fut également accordée à la communauté maro­nite. Restaurations, rénovations ou constructions d’églises et de centres communautaires chrétiens avec la participation financière de l’Etat hébreu dans la Vieille ville de Jérusalem, à Bethléem et en Galilée, furent sans doute interprétées comme une provocation à une époque où le rétablissement de la chari’a dans les pays musulmans interdisait effectivement le développement du culte chrétien.

 

15 Loi n° 6, § 3 du 3 avril 1954, (…).

 

(p.239) (…) A Bethléem les célébrations de Pâques et de Noël, consi­dérées comme une violation de l’Intifada, furent assombries par des menaces et intimidations. Désormais les infractions aux ordres de grève sont punies par les incendies de com­merces chrétiens. L’incendie d’une école religieuse à Beth­léem (21 décembre 1990), l’attaque d’un monastère carmé­lite et d’une école chrétienne (12 mars 1991) par des Palestiniens masqués, la profanation d’un cimetière grec-orthodoxe, avec destruction des croix et mutilation des corps déterrés, incitent les clergés palestiniens à accentuer leurs pressions sur la communauté internationale pour l’amener à promouvoir des sanctions contre Israël. Profanations d’églises, attaques de religieuses, assassinats de Chrétiens palestiniens et de pèlerins étrangers, violations de tombes, graffiti haineux anti-chrétiens, incendies de restaurants (Ramallah, 16 mars 1992) et de centres chrétiens par le Hamas, ainsi que des opérations terroristes de Palestiniens masqués, accompagnées d’intimidations et de menaces, constituent une politique islamique visant à accélérer le départ des Chrétiens de Cisjordanie. Le 30 mars 1991, la municipalité de Bethléem publiait une Déclaration :

« Vu les attaques criminelles constantes des institutions religieuses, des propriétés privées et publiques, y compris la violation des tombes et des morts dans la ville de Bethléem, les représentants des institutions et sociétés, et une foule de citoyens se sont précipi­tés à la Municipalité de Bethléem pour discuter des derniers événe­ments et pour prendre les mesures nécessaires pour s’opposer à ces attaques perverses et pour éliminer les actes prémédités de dom­mages, comme les vols dans les institutions religieuses et éduca­tives et les commerces, les vols et incendies de voitures, le trafic de drogue et la diffamation des gens honorables et honnêtes. »

 

(p.240) En 1991, sur les 245 Palestiniens tués par d’autres Palestiniens pour collaboration ou vendettas, plus de la moitié étaient chrétiens. A Hébron l’Eglise russe-orthodoxe dut se protéger par un haut mur, aussitôt couvert de graffiti islamistes, et à Bethléem des bar­belés encerclèrent l’Eglise baptiste. Cette détérioration du climat social s’inscrit dans le conflit de pouvoir entre l’aile laïque et ex-communiste palestinienne et le Hamas.

Dans d’autres pays, Turquie, Syrie, Irak la discrimination des Chrétiens s’ordonne à des degrés divers dans ces sché­mas qui reproduisent des comportements traditionnels, mais témoignent aussi des incidences de la guerre du Golfe, du conflit bosniaque et des rivalités de pouvoirs internes.

 

causes de l’exode des chrétiens

 

(p.241) Par ailleurs, la décomposition des partis communistes arabes, privés des subsides soviétiques, discréditent les Chrétiens, majoritairement grec-orthodoxes, qui constituaient leurs principaux adhérents. Confrontés au retour du religieux qu’ils avaient toujours combattu, ils se sentent désormais triplement menacés, comme communistes, chrétiens et laïcs. De surcroît, les mots « laïques » et « assimilationnistes » (entente avec l’Occident), tendent à devenir des accusations, plus graves même que celle de « sioniste ». Aussi, tandis que les musulmans ex-communistes rejoignent les rangs de l’intégrisme, les Chrétiens quant à eux alimen­tent un important mouvement d’émigration. En outre les nombreux conflits qui se développent – afgans, azéris, ira­kiens, bosniaques, guerre du Golfe – interprétés dans le contexte du jihâd traditionnel contre la Chrétienté, ne per­mettent plus de circonscrire au seul Israël le Mal qui désor­mais déborde sur l’ensemble du dar al-harb. Même les Palestiniens chrétiens, fussent-ils des terroristes de l’OLP, sont dénoncés par certains courants comme traîtres et com­plices d’une nouvelle croisade de l’Occident. Leurs accusa­teurs se référant à la tradition les jugent non qualifiés, puisque Chrétiens, pour parler au nom des Musulmans. L’alliance euro-palestinienne, forgée à l’origine par la gauche antisioniste comme une formidable force de pression média­tique, économique, politique et militaire contre Israël, se retourne aujourd’hui contre ses instigateurs accusés de com­ploter contre l’Islam. Désormais les flux haineux qu’ils avaient eux-mêmes orchestrés, portés par le vent islamiste, les prennent pour cibles.

A ces facteurs politiques, s’ajoute une conjoncture inté­rieure désastreuse. La démographie galopante des pays arabo-musulmans – source de misère et d’analphabétisme -paralyse le développement et génère une violence récupérée

 

19 La presse, les informations radiodiffusées ont souvent mentionné ces exodes, voir aussi F. Corley, « Christian Travails in a Muslim Land », The Wall Street Journal, Europe, 11 août 1993. En Egypte, le cheikh Mohammed Ghozali connu par ses nombreux commentaires à la télévision, déclara que les personnes professant des opinions laïques devraient être tuées car : « Un laïc représente un danger pour la société et la nation et devrait être éliminé, c’est le devoir du gouvernement de le tuer. » International Herald Tribune, 19 août 1993. Pour la hiérarchie religieuse modérée où se situe le cheikh Ghozali, la séparation de la religion et de l’Etat constitue une apostasie méritant la mort, ibid. Naguib Mahfouz, prix Nobel égyptien de littérature, menacé de mort par les islamistes comme de nombreux autres intellectuels égyptiens, vit sous la protection de gardes du corps, ibid. (…)

 

 

(p.242) LES STRATÉGIES ADOPTÉES

 

Les stratégies de la dhimmitude

LE SILENCE

On peut tout d’abord observer le silence général sur cette situation pourtant endémique depuis de nombreuses années, à croire que la persécution des non-Musulmans dans les pays islamiques, tout comme la dhimmitude, constituent des sujets expressément interdits. Cette interdiction émane des Eglises elles-mêmes et particulièrement des Eglises arabes. Ainsi se perpétue l’absence du témoignage, surtout si ce témoignage implique la critique d’un gouvernement arabo-musulman.

Cependant trois sortes de messages s’expriment, si l’on peut dire, dans ce vide : le mutisme de la victime terrorisée, le silence imposé par le gouvernement qui l’opprime, la sur­dité intentionnelle du monde extérieur, facteur sur lequel on reviendra plus loin.

 

L’INTERDICTION DU TÉMOIGNAGE

 

(…) En avril 1980, lors d’une visite à Washington du président Sadate, les Coptes manifestèrent contre les discriminations et les assassinats de leurs coreligionnaires en Egypte. Cette expression de liberté scandalisa Sadate. Dans son discours du

(p.243) 14 mai 1980, il reprocha aux Coptes d’avoir publiquement exprimé leurs griefs et diffamé l’islam en lui imputant une discrimination contre les non-Musulmans. Mettant en garde les Coptes contre la mobilisation d’un Front chrétien (sans doute la pression d’une opinion publique occidentale), Sadate justifia la légitimité de la chari’a en Egypte, pays dont le président et l’Etat sont musulmans. Affirmant par deux fois que l’islam constituait la meilleure garantie de sécurité pour les Coptes en Egypte, Sadate implicitement confirmait ainsi leur dhimmitude, puisque l’islam, et non le droit naturel, garantit leur sécurité.

La même attitude dogmatique se manifeste au Soudan où toute référence à Bakhita, Africaine kidnappée enfant et ven­due cinq fois en esclavage, est interdite sous le prétexte que les Musulmans ne sont pas des esclavagistes. Dans son adresse au pape Jean-Paul II à Khartoum (10 février 1993), le président de l’Etat soudanais, Omar al-Béshir, niait toutes persécutions religieuses et conversions forcées au Soudan, puisque l’islam condamne l’intolérance et enjoint aux Musulmans non seulement une attitude de bienveillance envers le non-Musulman, mais de vénération.

 

 

L’INCULPATION DE BOUCS ÉMISSAIRES

 

(p.244) En Judée et Samarie (Cisjordanie) le déclenchement de l’intifada, en décembre 1987, développa une vague de vio­lences, d’assassinats, de grèves, de slogans injurieux anti­chrétiens qui provoquèrent le déclin économique et l’émigra­tion des Chrétiens. Le clergé réagit comme prévu : un soutien inconditionnel à Yintifada et la condamnation unilatérale d’Is­raël. Geries Khoury, prêtre grec-catholique, directeur du Cen­tre Al-Liqa 21, écrivit un livre glorifiant la théologie de Yinti­fada, signe annonciateur du retour de Jésus ; « la mission de la théologie de l’intifada – écrivait-il – est la mission du Christ ».

Dans les villages israéliens les Chrétiens, généralement communistes, se sentent menacés par le pouvoir des isla­mistes. Kamal Khatib, chef islamiste de Kfar Kanna (village proche de Nazareth, en Galilée) exprima – dans une déclara­tion en 1986 qui lui fut attribuée – le désir d’instaurer en

 

  1. Centre pour les Etudes Religieuses en Terre sainte, Jérusalem. L’inti­fada est issue du Hamas dont l’idéologie islamique est autant anti-chrétienne et anti-occidentale que anti-israélienne. Par conséquent ce soutien médiatique et idéologique de l’Europe à l’Intifada conforte un militantisme dont les buts et la stratégie sont dirigés contre elle-même. L’intifada restitue le droit de tuer n’importe quel harbi ou Musulman dissident. Ceux qui l’ont encouragée contre les Israéliens, journalistes occidentaux, intellectuels musulmans, doi­vent maintenant la subir en Egypte et en Algérie.

 

(p.245) Palestine un Etat islamique et traita Georges Habache et l’archevêque Hilarion Capucci de nouveaux Croisés, au sens islamique. Dans le village apparurent des affiches proclamant l’Etat islamique de Palestine symbolisé par un Coran et des épées intrecroisées. A Acre, Samir Asai, l’un des chefs isla­mistes, expliqua son refus de collaborer avec les commu­nistes par l’interdiction coranique d’association avec les Infidèles. En novembre 1987 le journal Al-Sirat (islamiste palestinien) désigna les Chrétiens de l’OLP comme des Croisés. Cette situation incita les patriarches de Jérusalem à signer une Déclaration de soutien aux Palestiniens (Semaine de prières, 24 et 31 janvier 1988). Attitude qui pro­voqua immédiatement une vigoureuse riposte de l’Internatio­nal Christian Embassy à Jérusalem (Proclamation du 14 avril 1988), ainsi que de nombreux autres théologiens 25. A nou­veau le 27 avril 1989, les chefs de communautés chrétiennes à Jérusalem firent appel à la communauté internationale pour dénoncer Israël, en omettant de mentionner les actes de terro­risme qui provoquaient les mesures policières nécessaires au maintien de l’ordre et de la sécurité publics.

En novembre 1989 le Conseil des Eglises du Moyen-Orient (Middle East Council of Churches) organisa une réunion internationale à Genève pour lancer le mouvement « Chrétiens pour la paix en Terre sainte ». Une très grande diffusion fut accordée à une déclaration des chefs des com­munautés chrétiennes de Jérusalem, appelant les Eglises dans le monde entier à prier et à agir, depuis le dimanche des Rameaux jusqu’à la Pentecôte, en faveur des Palestiniens et de la paix au Moyen-Orient. Cependant, selon les termes de nombreux théologiens occidentaux, le caractère unilatéral, les accusations et les sous-entendus de ces déclarations leur apparurent « sous couvert de prière », comme une nouvelle forme de propagande anti-israélienne. Ces procédés soulevè­rent la réprobation de nombreux milieux chrétiens religieux et laïques 26.

 

  1. Pour la campagne anti-israélienne menée par les Eglises palesti­niennes, cf. The Jérusalem Post, 26 et 29 janvier 1988.

26« Prière pour Jérusalem, Dimanche des Rameaux 1990, Chrétiens pour la paix en Terre sainte. » Ce texte suscita l’indignation de nombreux théolo­giens d’Europe. Voir aussi le beau texte de Jacques Ellul, « Les Chrétiens et Beyrouth », in Réforme, Paris, 30 mai 1970.

 

(p.246) Effectivement la crainte des Chrétiens à l’égard de leur environnement islamique – et non des Israéliens – fut si grande que l’évêque de l’Eglise évangélique luthérienne de Jordanie, Naïm Nassar, réclama une protection internatio­nale 28. Pourtant c’était Israël qui recevait les missiles ira­kiens en janvier 1991 pendant que des Palestiniens fes­toyaient sur les terrasses et que les populations arabes, du Maghreb à l’Egypte, applaudissaient dans la liesse. Pour juin 1993, l’organisation Aide Chrétienne (Christian Aid) lança une « action spéciale » sous forme d’une campagne pour la cause palestinienne qui bénéficia d’une large publicité dans les colonnes du Church Times de Londres. Le séminaire (18 juin) pour les « Chrétiens de Terre sainte », sous les aus­pices du World Islamic Trust, Christian Aid et le Middle East Council of Churches (MECC), reprirent les accusations habi­tuelles. Dans les colonnes du Church Times, le Dr John Perkins d’Anglesey s’appliqua à démontrer que « Les Palesti­niens sont les descendants de ceux qui vivaient sur cette terre depuis le temps du Christ » 29.

 

  1. Déclaration affichée, Jérusalem 29 janvier 1991.
  2. Church Times, (hebdomadaire du Church of England), Londres, 11 juin 1993. L’initiative d’une conférence internationale sur la condition des Chrétiens en Terre sainte fut lancée par le World Islam Festival Trust, et sou­tenue par Mgr Samir Kafity, évêque anglican à Jérusalem. Les réponses des Eglises  furent  prudentes,  mitigées  ou  favorables  (…).

 

(p.247) Constamment récupérées par le terrorisme christianophobe, les Eglises arabes palestiniennes servirent de canal de diffusion au racisme antisioniste à l’échelle internationale, par le biais de certaines Eglises occidentales. De fait leur conception des Israéliens est celle d’un peuple dhimmi n’ayant dans son pays nul droit historique, politique ni reli­gieux. Thèse traditionnelle bi-millénaire des Eglises d’Orient et conforme à la théologie de la substitution, l’Eglise rempla­çant Israël.

Comme au Moyen Age, où les Croisés en route pour la Terre sainte massacraient les Juifs en Europe parce que les Musulmans en Orient exterminaient des Chrétiens, des églises, menacées par l’islamisme, diffusaient en Occident l’antisionisme pour infléchir l’opinion publique et promou­voir une politique de sanctions contre l’Etat hébreu.

 

(p.249) les libanais chrétiens

Les causes du conflit libanais (1975-1991) furent claire­ment dénoncées par les chefs chrétiens : l’irrédentisme arabo-islamique, les visées annexionnistes de Damas, la volonté de :

« Tuer le plus grand nombre [de Chrétiens], faire partir les autres […], avec le même esprit et la même technique, de manière à faire le vide dans les régions convoitées afin de modifier la texture démographique et culturelle du pays. » 36

Déjà en 1980, parlant à une délégation française conduite par Marie-Madeleine Fourcade, Béchir Gemayel déclarait :

« Fer de lance de la cause arabe, comme ils [les Palestiniens] disent, faut-il croire que cette cause a aussi pour objet la réduction des Chrétiens du Liban ? « La route de Tel Aviv passe par Jounieh », proclament les dirigeants palestiniens, depuis les débuts de cette guerre. On s’est longtemps demandé pourquoi la conquête de la Palestine doit passer par celle du Kesrouan. Kadhafi vient de répondre à cette question : parce qu’un chrétien, tout comme un juif, un druze ou un alaouite, n’est pas un citoyen à part entière, et ne peut pas exercer de droits politiques dans aucun des pays ayant jadis été conquis par l’islam. » « 

 

  1. Béchir Gemayel, Liberté et Sécurité, 2′ éd., Beyrouth, La Résistance Libanaise, 1983, p. 15.

37 Ibid., pp. 37-38 ; voir aussi Chamoun. op. cit.

 

(p.250) les soudanais

Menacés par le rétablissement de la chari’a, les Chrétiens soudanais se défendirent depuis 1983 par les armes. Comme les Coptes et les Libanais ils dénoncèrent les véritables causes de conflit. Dans une lettre adressée au secrétaire-géné­ral des Nations Unies, le Forum de la Paix réuni à Nairobi le 20 août 1992, condamnait la destruction des langues et des cultures africaines par l’arabisation forcée et le génocide par islamisation, avec enlèvements et conversions d’enfants, et l’esclavage.

Les rapports détaillés sur les véritables causes des pro­blèmes islamo-chrétiens ne manquèrent, par conséquent, ni dans les milieux ecclésiastiques, ni dans les chancelleries européennes. Les Chrétiens d’Orient lançaient à l’intention du monde deux discours totalement opposés : l’un était arabophile et judéophobe, l’autre étant un appel au secours. Quel discours l’Occident choisit-il de recevoir et de répercu­ter et pour quelles raisons ?

 

 

LE CONSENSUS DU SILENCE

 

L’interdiction de témoigner n’établit pas seulement la pri­son intérieure du silence, mais aussi un mur auquel se heurte la plainte dont on refuse l’écoute. Comme les Coptes l’avaient noté, l’agressé était accusé de se plaindre.

 

(p.251) Dans une lettre adressée au pape Jean-Paul II, le Conseil soudanais des Eglises pré­cise que les politiciens de Khartoum sont :

« Les mêmes qui pratiquent l’esclavage, capturent et vendent des enfants africains […]. Les mêmes qui persécutent, torturent et tuent des prêtres, des pasteurs, des sœurs, des catéchistes, des évangélisateurs […]. Les mêmes qui ont élevé un rideau de silence autour de nous ». 44

 

  1. Lettre du 4 février 1993, citée dans La Croix, Paris, 9 février 1993.

 

(p.252) Consensus donc du silence, imposé aussi bien à l’intérieur par la peur des représailles, que par la surdité délibérée du monde extérieur.

Les causes de cette surdité ? Laissons parler les intéres­sés :

« D’aucuns attribuent ce relâchement du monde occidental, que Soljénitsyne appelle le déclin du courage, à un syndrome dont l’une des composantes est l’antisémitisme atavique de l’Europe et qui a abouti au massacre de six millions de Juifs. […] Aussi, comme on l’a écrit récemment, « quand l’antique Eglise libanaise a été menacée d’anéantissement, une bonne partie de l’opinion catholique occidentale, notamment française, a pris parti pour les « islamo-progressistes » contre les « chrétiens conservateurs », à la stupeur des Israéliens. Conscient, semble-t-il, de la persistance de ses démons, et effrayé par sa puissance de nuire, l’homme occidentalis, aujourd’hui, se mutile. » 47

Dans le même discours à la délégation française, le 26 août 1980, Béchir Gemayel, mentionnant la zone libre du Liban, poursuit :

« Tout le reste [du Liban] ploie sous le joug d’une nouvelle puis­sance des ténèbres, la puissance palestinienne. Puissance d’argent au premier chef, elle pompe dans le pactole pétrolier pour acheter des consciences, alimenter la subversion et répandre la terreur. De là son empire sur les uns et sur les autres : elle tient les pays arabes, qu’elle rançonne, à sa merci, intimide les nations d’Europe et d’Amérique, entretient de cruels dictateurs dans les pays du tiers-monde, usant partout, du chantage, du mensonge et de l’arro­gance, toujours payants, hélas! en politique. […] Puissance des ténèbres, elle se pare du nom de résistance pour mendier la charité du monde libre, tandis qu’elle agit ici en agresseur contre ce peuple libanais qui avait pourtant ouvert largement ses portes aux réfugiés palestiniens. Depuis près de six ans, ils tiennent ce pays plongé dans un enfer de violence : bombardement des agglomérations urbaines, destruction des entreprises, des institutions, anéantisse­ment drastique de certaines villes et villages, massacres, pillages, séquestration de personnes, terrorisme sauvage par explosion de voitures piégées là où ils peuvent faire le plus de victimes. Voilà un petit bilan des agissements de ce peuple pour lequel s’agitent à longueur d’année les chancelleries du monde civilisé, et dont les vieilles nations d’Europe se bousculent pour arracher les faveurs. »48

 

  1. Gemayel, Liberté, pp. 17-18.
  2. Ibid., pp. 36-37. La même situation vue par le poète palestinien Mahmoud Darwich qui vécut à Beyrouth de 1972 à 1982 et ex-membre de l’OLP : « A Beyrouth, les Palestiniens ont trouvé une tribune politique comme ils n’en avaient jamais eue. La cause palestinienne y a connu un essor sur les plans militaire, politique et informationnel. […] Beyrouth est cher au cœur de chaque combattant car c’est là que s’est constituée notre personnalité politique libre et indépendante. C’est là que nous avons accédé à la dimension interna­tionale. J’ajouterai que l’impuissance du monde arabe à reproduire chez lui les valeurs qui florissaient à Beyrouth a fait de cette ville la proie des Israéliens. Ce que l’on recherchait ce n’était pas seulement à nous expulser, mais à vider Beyrouth de son contenu, de ses projets de démocratie, de droit à la diffé­rence, de liberté. […] Alors Israël déclencha une guerre dont les résultats étaient garantis. » Cf. « Entretien. En marge de temporaire » (« accordé par le poète palestinien Mahmoud Darwish, l’un des plus grands poètes arabes contemporains, à Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar », 25 novembre 1983), REP 10, hiver 1984, pp. 19-20.

 

(p.253) Ces explications du consensus du silence peuvent se regrouper sous trois thèmes interdépendants : a) les intérêts économiques, b) l’antisionisme, c) le mythe de la coexistence islamo-chrétienne ou mythe andalou.

Il n’est guère nécessaire de démontrer, tant il est évident, l’asservissement des gouvernements européens aux marchés arabes et iraniens, à partir des années 1970. L’affairisme et l’enrichissement par le biais des ristournes sur les conces­sions d’investissement balayèrent toute considération éthique ou sécuritaire.

Donnant, donnant. Cet éblouissement de l’or noir avait un prix : la diabolisation de l’Etat d’Israël, sa flétrissure, son isolement politique et finalement son élimination. La cam­pagne internationale exceptionnelle de diffamation de l’Etat hébreu permit aux idéologues tiers-mondistes et aux commu­nistes de façonner l’idéologie d’une palestinité nimbée de justice, symbole universel de vertu révolutionnaire, luttant pour sauver le monde du Mal absolu. Confrontés au terro­risme pratiqué par les bandes palestiniennes et aux prises d’otages, les Etats les mieux armés ouvrirent leurs cassettes tandis que l’intelligentsia légitimait le crime par le « déses­poir ». Théologie manichéenne qui conditionnait la paix du monde, le bonheur des peuples et l’harmonie islamo-chré­tienne, à la suppression d’Israël.

 

(p.255) Ce type de raisonnement, au moment où les Palestino-islamistes se préparaient à détruire le Liban, illustre bien la men­talité pervertie du dhimmi qui, impuissant sous la férule à nommer son véritable oppresseur, lui en substitue un autre. Cette propagande judéophobe imposa les tabous de la désin­formation indispensable au maquillage d’une façade fictive dont les éléments « truqués » au service de « la cause », firent exploser le Liban.

 

(p.261) Engagée à cultiver de nouvelles Andalousies par la natura­lisation de millions d’immigrés musulmans, et soucieuse des dérives xénophobes qui auraient empoisonné les échanges économiques euro-arabes, l’Europe des Droits de l’homme se soumit dans les années 1970 au terrorisme international palestinien, occultant les discriminations subies par les chrétientés orientales. L’inculpation d’Israël pour les persécutions infligées aux Chrétiens par les Musulmans, assortie d’une glorification louangeuse de la civilisation arabe maintenaient la pureté de la doctrine et servaient les intérêts économiques. La survie des chrétientés orientales et la paix du monde furent liées par une certaine propagande à la supplantation d’Israël par la Palestine, stimulant une campagne de diaboli­sation au niveau mondial. Diagnostic truqué, consensus de désinformation générale achetés par l’or et la terreur, le mal alla empirant. Le « palestinisme », terme que nous emprun­tons à Jorge Semprun : « Le Palestinisme est une nouvelle forme, subtile et perverse de l’antisémitisme », conçu par des courants chrétiens pour détruire Israël, travestit l’histoire et masqua les réalités qui déracinaient les chrétientés arabes.

Aujourd’hui quelques milieux ecclésiastiques et laïques s’enhardissent à prononcer le mot « dhimmi ». Peut-être auront-ils le courage de prononcer le mot « jihâd ».

Le siècle s’achève. A son éclosion, toutes les promesses étaient permises aux Chrétiens d’Orient. D’exodes en mas­sacres, de rejets par l’Occident en abandons, c’est aujour­d’hui la déroute. Car l’islam retourne à l’islamisme, le dar al-harb (p.262) au jihâd et les Chrétiens à la dhimmitude. Pourtant dans leur combat ne leur manquèrent ni courage, ni intelli­gence. Toutes les formules furent essayées : parlementarisme libéral, nationalisme laïque, socialisme, marxisme, judéopho-bie, terrorisme… vainement. Aussi jihâd et dhimmitude, comme types de relations de ï’umma avec les Peuples de la Bible, portés par le reflux islamiste, semblent désormais menacer l’avenir.

De la déchirure des idéologies éventées affleure l’histoire ensevelie. Sous le filet de « l’harmonieuse coexistence pluri-culturelle » surgit aujourd’hui la dhimmitude. Mythe fonda­teur, le « miracle andalou » avorta de l’euro-arabisme. L’anti­sionisme occulta une souffrance chrétienne qui révélée aurait rompu l’isolement délibéré d’Israël. Le mythe de la palesti-nité créé pour détruire Israël détruisit le christianisme d’Orient et la glorification du passé arabo-islamique, pluriculturel et harmonieux, fut le cheval de Troie du fondamenta­lisme semant dans le monde les germes sanglants de l’avenir.

 

 

IX PROLONGEMENTS DES CONFLITS INTER-DHIMMIS A L’EPOQUE MODERNE

 

(p.266) En 1949, 35% des Chrétiens (env. 40 000) étaient restés dans les frontières de l’Etat d’Israël ; aujourd’hui leur nombre dépasse 120000, non compris la Cisjordanie (35000) et à Jérusalem (10 000).

(p.267) 1. La sacralisation du nationalisme arabe par des courants chrétiens arabophones, dont le délire paranoïaque présente tant d’affinités avec l’exaltation fasciste et nazie contempo­raine, manifeste l’extase d’une communion mystique d’une minorité avec une majorité qui ne la tolère que par un sys­tème d’exclusion. La dévotion morbide, l’irrationalité hysté­rique et fanatique du discours nationaliste des Chrétiens ara­bophones révèlent le syndrome minoritaire émanant d’une conjoncture politique de violence et d’insécurité. Ses aspects négatifs, avec ses paroxysmes allant jusqu’à la justification des crimes antisémites, s’inscrivent dans le combat pour la survie du christianisme en milieu islamique.

 

 

(p.268) LE DOMAINE THÉOLOGIQUE : PALESTINOLATRIE ET INIQUITÉ d’ISRAËL

Dès 1963, la décision du Vatican de réviser la position de l’Eglise concernant le rôle des Juifs dans la crucifixion de Jésus avait violemment irrité les Musulmans qui, cependant, ne reconnaissent pas cette crucifixion (Coran IV, 156-158). De fait, c’est le rapprochement judéo-chrétien, et la réhabili­tation du peuple juif, qui révulsaient le monde musulman. Aussi, soumises à de très fortes pressions de la Ligue Arabe, les Eglises orientales uniates (jacobite, grecque, nestorienne) combattirent avec acharnement la politique d’ouverture vers le judaïsme entreprise par le pape Jean XXIII. Elles s’oppo­sèrent aux déclarations du concile Vatican II (octobre 1965) qui récusaient l’accusation de « déicide » pour le peuple juif dans la déclaration Nostra Aetate et réussirent à en imposer une version édulcorée. Elles firent valoir plusieurs arguments : le texte devait satisfaire les Musulmans ; il nécessitait un équilibre pour éviter de choquer ou de nuire aux Chrétiens et exigeait l’établissement d’une équivalence entre Juifs et Musulmans « .

 

(p.274) Signalons incidemment que toute la campagne antisioniste émanant des organes ecclésiastiques occulta les humiliations et les discriminations infligées à la même époque aux Chrétiens par leur environne­ment islamique. Elle en était d’ailleurs la réplique, inscrite dans le millénaire de massacres et d’humiliations de Chré­tiens par l’islam et répercutés par l’Eglise sur la Synagogue, par les mécanismes inconscients des transferts psycholo­giques compensatoires.

(…) Durant la guerre du Golfe (janvier 1991), Israël accepta d’assumer au cours de sa longue histoire et une fois de plus, le rôle du dhimmi, par le renoncement à l’auto-défense contre les scuds irakiens. Et ceci dans le silence des nations occi­dentales promotrices des Droits de l’homme. Malgré cela, un porte-parole du Saint-Siège, à l’issue d’un synode convoqué par le pape (4-5 mars 1991), déclarait que les Nations Unies

(p.276) recouraient à deux poids, deux mesures, et favorisaient Israël. Mgr Michel Sabbah, patriarche latin de Jérusalem déclarait que : « L’unique frontière sûre, pour l’Etat juif, c’est la justice, la réconciliation et le pardon » « .

Cette évocation de la justice pour le peuple juif, ne précise pas à quelle aune elle lui sera mesurée. S’agira-t-il de la jus­tice qui a conduit à l’Inquisition et à la Choa, ou de celle de la dhimmitude qui a couvert de ruines le monde juif et chré­tien antique. Quant au pardon, le patriarche, dans sa grande générosité, semble impliquer que c’est aux Israéliens à se faire pardonner par les Chrétiens d’avoir mis fin aux misères de leur exil et de leur bannissement de Jérusalem, décrétés par l’Eglise. De même, vis-à-vis des Musulmans, les Juifs devraient se faire pardonner de s’être libérés, dans leur pays, d’une condition qui fut un interminable martyre. Le peuple juif devrait demander pardon à l’Eglise et à la Mosquée pour avoir cessé d’être leur victime.

(p.278) On résumera ici les thèmes spécifiques qui se transposent aux Chrétiens arabes, même si ceux-ci en furent à l’égard des Juifs israéliens, les plus grands diffuseurs. Cette thématique émane de sa configuration. Sa projection sur Israël témoigne de façon éclatante des diverses facettes de la condition dhimmie, où l’homologie du Juif et du Chrétien opère le transfert, l’interpénétration et l’identification des deux entités : Israël et Occident. Cette interpénétration s’enracine dans la struc­ture et la rationalisation des conceptions islamistes concer­nant les Peuples du Livre. Ainsi le considérable capital de haine élaboré et mis en circulation sur la planète par des lob­bies occidentaux fascistes, communistes et tiers-mondistes depuis quelque vingt-cinq ans, contre trois à quatre millions d’Israéliens, a enfermé dans son filet les idéologues arabes et les Etats qui s’en étaient fait les instruments.

 

(p.281) L’isolement

La politique arabe qui avait réussi à isoler l’Etat hébreu par un boycott imposé au niveau planétaire et par des condamnations rituelles dans les instances internationales correspond à l’attitude traditionnelle de mépris et de dérision adoptée par l’umma envers les dhimmis comme en témoigne la presse fondamentaliste. « La véritable paix viendra quand Jérusalem et la Palestine seront libérées des mains de ces misérables descendants des singes et des cochons »39. « Quand la guerre éclatera [une guerre totale contre Israël], elle purifiera les Musulmans de tous ces facteurs de faiblesse et de déshonneur lorsqu’ils font face au rebut du genre humain, ce peuple sans nom »40. Cet isolement engloba les Chrétiens libanais désignés comme « isolationnistes » par opposition aux « palestino-progressistes ». Il étouffa les humiliations des Coptes et le désespoir des Chrétiens du sud-Soudan. L’isolement s’intègre dans la partialité du traitement de l’information et la déshumanisation inhérente au silence.

 

La tactique de substitution historique

Dans une conférence de presse au Palais des Nations à Genève, tenue le 2 septembre 1983, Yasser Arafat déclarait :

 

  1. Al-I’tisam, rapporté par Haaretz et The Jérusalem Post, 10 mars 1989, cité par Israeli, Muslim Fundamentalism, p. 161. ; Ibid.

 

(p.282) 4l. Shimon fils de Jonas, l’un des douze apôtres ; nos italiques. Venu pour une « Conférence sur la Palestine » aux Nations Unies à Genève, Arafat conclut sa conférence de presse avec un sourire de connivence sur ces mots : « Jésus-Christ fut le premier feddayin palestinien qui porta son épée sur la voie où aujourd’hui les Palestiniens portent leur croix ». Cette comparaison de Jésus avec un feddayin, c’est-à-dire littéralement un combattant contre les Chrétiens pour le triomphe de l’islam, ne souleva aucune protestation parmi les 100 journalistes présents, et les représentants d’Eglises officielles. Propos d’Arafat (enregistrement officiel des Nations Unies) recueillis par David Gerald Littman, présent à la conférence de presse, cf. « courrier », Tribune Dimanche, Lausanne, 11 septembre 1983, La Tribune de Genève, 13 sep­tembre 1983, Y International Herald Tribune, 4 avril 1984. Ceci justifie la pré­somption d’une connivence qui apparaît également dans la diffusion d’une affiche dix ans auparavant à Genève, représentant Jésus cloué sur une étoile de David avec le mot « Palestine ». Selon François Abou Mokh, Arafat, au cours de son entrevue avec le pape [15 sept. 1983] lui aurait dit qu’il se sentait chez lui au Vatican, siège des successeurs de saint Pierre, « le premier exilé palesti­nien », cf. Les Confessions d’un Arabe Catholique. Entretiens avec Joëlle Chabert et François Mourvillier, Paris, Centurion, 1991, p. 195. Naturellement ces anecdotes trahissent une totale ignorance de l’histoire car des milliers d’exilés juifs à Rome avaient déjà précédé saint Pierre d’un siècle et l’utilisa­tion du terme « Palestinien » est un anachronisme avant 135 de l’ère chré­tienne.

 

(p.288)  La diabolisation des Juifs fut réactivée et projetée à l’époque moderne comme nous l’avons déjà dit, sur l’Etat hébreu. La satanisation apparaît à deux niveaux : politique et idéologique. Les résolutions anti-israéliennes de l’UNESCO (17 octobre-23 novembre 1974) visaient à acculer l’Etat hébreu dans un isolement diplomatique et culturel. Sa diabo­lisation fut concrétisée par la résolution 3379 de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 10 novembre 1975, imposée par le bloc islamo-communiste et tiers-mondiste. Elle fut annulée en décembre 1991 sous l’influence des Etats-Unis, après la guerre du Golfe. Cette résolution, assimilant le sionisme, (p.289) c’est-à-dire le nationalisme juif, à une forme de racisme, mit Israël au ban des nations. On tenta de l’imposer comme un dogme grâce à une campagne médiatique de sata-nisation d’ampleur internationale dans les radios, les télévi­sions, les organes de presse et dans les publications éduca­tives de l’ONU. Cet acharnement sans précédent s’intégrait aux intérêts géo-stratégiques et économiques de l’Europe engagée à créer un bloc euro-arabe opposé aux Etats-Unis, politique qui suscita tant de controverses avant la guerre du Golfe.

 

(p.292) Ce courant culpabilisant l’Occident rassembla laïcs et ecclésiastiques. Il tendait à établir des parallèles entre les relations chrétienté-judaïsme et chrétienté-islam alors que ces deux types d’histoire excluent toute analogie. Dans son aspect unilatéral, la culpabilisation de l’Occident demeure dans la tradition de satanisation du dar al-harb. Ce courant moralisateur qui attribue à l’Occident une culpabilité inex­piable envers le dar al-islam, juge en revanche infondée la culpabilité chrétienne à l’égard des Juifs. Ce thème s’exprime par deux discours complémentaires : négation de la Choa et nazification d’Israël. Les thèses négationnistes, nées en Egypte et en Syrie, se greffèrent en Europe dans la mouvance néo-nazie et pro-palestinienne.

(p.293) Aussi depuis une vingtaine d’années, une floraison d’ou­vrages écrits par de distingués arabisants occidentaux, a-t-elle magnifié cette contribution islamique à la civilisation européenne, comme si les cultures persane, grecque, romaine, byzantine, arménienne, slave et dhimmies étaient inexistantes. Semblable aux autres courants, celui-ci, par son exagération même, se dessine en contrepoint aux déclara­tions de Vatican II, aux Orientations de l’épiscopat français (1973) et du Vatican (1975) sur les rapports de filiation théo­logique, spirituelle et culturelle entre judaïsme et christia­nisme.

 

(p.300) LES AVATARS POLITIQUES DU MYTHE ANDALOU

Les thèmes de coexistence séculaire heureuse et pacifique sous la loi islamique sont colportés en Occident par les réseaux juifs et chrétiens de la dhimmitude. Ceux récupérés par la Turquie, vantent l’ottomanisme, version négationniste de l’histoire des Grecs, des Slaves, des Arméniens. D’autres, soutenus par la Ligue Arabe, magnifient la symbiose reli­gieuse du califat ou du mythe andalou. Ce dernier modernisé dans les années soixante sous la formule de Palestine laïque et démocratique, Etat palestinien pluriculturel, constitua le pivot du combat anti-israélien et un obstacle à toute tentative de critique historique. En termes lyriques Arafat avait évo­qué, aux Nations Unies en 1974, avec nostalgie l’âge d’or palestinien :

 

(p.301) Propagé en Europe, le dogme de l’harmonieuse coexis-tence sous l’islam légitima la justice du jihâd et de la chari’a. Accusés de le démentir, les Chrétiens libanais furent forcés de le subir jusque dans les massacres et les destruc­tions. Même leurs révoltes et leurs souffrances leur furent reprochées.

En 1992, le projet de reconstituer une Bosnie pluriculturelle sur le modèle de tolérance ottomane mit ce territoire à feu et à sang. Pour avoir déclaré que Serbes et Musulmans se haïssaient réciproquement, le général MacKenzie, chef des forces de l’ONU à Sarajevo fut traité « d’homme ignorant » par le président bosniaque Alija Itzetbegovic, pour lequel une telle remarque ne pouvait être exprimée que par une per­sonne ne connaissant rien des Musulmans de Sarajevo et de leurs « cinq cents ans de tolérance traditionnelle » 15.

Le mythe andalou survécut aux démentis infligés par le komeinisme, qualifié de « faux islam », bien que l’imam Khomeiny fût expert en Coran, hadîths et chari’a. Il servit de base à l’édification de la future civilisation euro-arabe dont les architectes – lobbies anti-américains et arabophiles, orientalistes « aux cœurs ralliés », tiers-mondistes – cares­saient le projet grandiose d’une civilisation méditerranéenne dans une large perpective « braudelienne » de brassage de populations, d’échanges économiques et d’émergence de sociétés pluriculturelles. Parfois anciens communistes recy­clés dans l’islamisme et l’antisionisme, les idéologues de ce monde nouveau bâtissaient leurs théories sur les nécessités

 

15 International Herald Tribune, 10 août 1992. Pour l’affirmation de ce dogme par les Turcs concernant les Assyriens dans les années 1920, supra, p. 149.

 

(p.302) des lois du marché, occultant les spécificités idéologiques et culturelles. Se référant à l’exemplaire harmonie pluricultu-relle umma-dhimmi, ils souhaitaient voir, comme Jacques Berque, plusieurs « Andalousies » fleurir en Europe.

Dans les laboratoires d’islamologie de la capitale française promue centre spirituel du monde euro-arabe, s’élaborait un islam moderne, expurgé, garant de la symbiose islamo-française qui ressusciterait à la fin du xxe siècle, sur le sol euro­péen, les splendeurs des califats de Damas, de Bagdad, de Cordoue, ou d’Istanbul. Grandiose conception destinée à por­ter la francophonie jusqu’aux Indes et en sens inverse l’islam jusqu’en Europe, par une politique d’immigration et d’inté­gration, vaste ensemble symbiotique euro-arabe dressé contre l’Amérique, et où la déstabilisation d’Israël favoriserait le développement de l’Etat palestinien qui procurerait aux Juifs et Chrétiens ce bonheur privilégié, octroyé autrefois par l’islam, dans la dhimmitude.

Moyennant une rétribution pécunière sous forme de mar­chés ou autres avantages, la France se fit l’instrument de cette stratégie au sein de la Communauté Economique Européenne. Rejetant dès le début avec les Nations Unies, les accords de Camp David et le traité de paix entre l’Egypte et Israël (26 mars 1979), elle opposa à l’axe Washington-Jérusalem-Le Caire, l’axe Paris-Bagdad-Alger-OLP avec l’espoir d’ancrer son influence dans un futur Etat palestinien. Porte-voix des intérêts maghrébins et irakiens, la France sou­tint et renforça la crédibilité de l’OLP pour faire pièce à la politique américaine, affaiblir Israël, accroître son influence dans le monde arabe et se ménager un rôle dans le règlement euro-arabe de la question palestinienne.

 

(p.303)  SYMPTOMES DE DHIMMITUDE EN OCCIDENT

Terrorisme et insécurité

 

(…) C’est vers les années 1970, avec l’intrusion du terrorisme international arabo-palestinien que la dhimmitude fit irrup­tion sur le sol européen par la violence et la mort délibéré­ment infligées à une catégorie d’Européens singularisés comme à l’époque nazie, par leur religion, les Juifs. Les consignes de sécurité distribuées alors dans les synagogues

(p.304) impliquent que la célébration d’un culte juif en Europe constitue un risque de mort.

Aussi, du fait des structures idéologiques de la dhimmitude, l’insécurité des Juifs s’est-elle transposée aux diasporas chrétiennes, copte, assyrienne, libanaise, réfugiées en Occident où la même campagne d’intimidation et de menaces sévit contre les individus osant critiquer leur pays d’origine ou l’islam. Ce terrorisme s’exerce même plus sévè­rement contre des Musulmans européens dont les opinions sont jugés blasphématoires. Du cas célèbre de l’Anglais Salman Rusdhie (fatwa du 14 février 1989) à celui de l’essayiste Amir Taheri, contraint d’annuler une conférence à Genève, ou à celui du médecin copte Makin Morcos assas­siné à Sidney (Australie) le 12 avril 1991, les cas sont nom­breux d’Européens ou autres, prêtres, pasteurs ou laïques toutes religions confondues, dont les droits à la liberté d’expression et à la sécurité, garantis par leur citoyenneté, sont violés par le terrorisme de lois étrangères qui leur inter­disent dans leur propre pays la liberté d’opinion.

 

(p.306) Signalons pour terminer avec ce registre non exhaustif concernant Israël, le regret que la prise d’otages et la tuerie sur le navire Achille Lauro (1985), « pro­voque une crispation de l’opinion tout au bénéfice d’Israël », seule raison apparemment de les désapprouver. S’acharnant à dénoncer « les crimes contre l’humanité d’Israël », l’auteur désigne le terrorisme palestinien par : « les grandes opérations à l’étranger, en particulier les détournements d’avions », en termes clairs le terrorisme international, dont l’affaire d’Entebbe (Uganda) en juin 1976, où Israël libéra tous les otages le 4 juillet 1976, y com­pris français et américains, et non les Israéliens seulement comme l’écrit l’auteur. Qui sont les instigateurs de ce terro­risme ? « La grande figure de cette intransigeance et de cette pureté révolutionnaire, c’est le Dr Georges Habache, un chef dont le charisme réside dans la simplicité de vie au service des humbles ». Autrement dit, la haine contre l’Etat hébreu est érigée en seul critère de moralité. Tout le profond travail de mémoire entrepris par l’Occident sur la Choa et sur ses rapports avec le peuple juif est qualifié « d’immense mouve­ment de « voyeurisme » [guillemets dans le texte] culturel, religieux, littéraire qu’a déclenché le traumatisme des pra­tiques nazies » […], tandis que l’Etat hébreu est le « Zorro du Proche-Orient, suscitant l’enthousiasme des foules d’Occident ». Qui parle de dérision et mépris ?

 

(p.312) Or les émigrés musulmans en Europe sont des émigrés volontaires nullement persécutés dans leur pays, excepté les réfugiés politiques, tandis que les réfugiés juifs européens condamnés à l’extermination totale à l’époque nazie n’avaient nulle patrie de refuge. De plus les problèmes liés à l’immigration musulmane ou autre ne sont pas assimilables aux problématiques deux fois millénaires de l’antisémitisme chrétien. Une fois de plus, l’histoire juive servit de camouflage à des données politiques d’une toute autre nature. L’amalgame entre la xénophobie dont pourrait souffrir l’immigration maghrébine ou turque et l’extermina­tion du judaïsme européen non seulement occulte l’histoire bi-millénaire de l’antisémitisme, réduisant la Choa à un pro­blème moderne d’émigration, mais par la récupération d’une culpabilité européenne déplacée dans un autre contexte, il constitue un procédé cynique et dangereux. Notons que les thèses révisionnistes, négationnistes et racistes sont large­ment diffusées par ces mêmes milieux immigrés antisionistes qui, à un autre niveau, exploitent la Choa 50.

 

50 Dans un récent article, Le Figaro signalait la virulence de l’anti­sémitisme dans certains milieux musulmans en France : « Quelques pieux défenseurs du Coran lisent en effet à leurs heures perdues Mein Kampf ou les Protocoles des Sages de Sion », in Thierry Oberlé, « Islamistes : la France sur la défensive», Le Figaro, 26-27 septembre 1990; Yves Lacoste, «La crise actuelle, une chance pour l’intégration. » Entretien avec Arezki Damani (président de l’Association France-Plus), in Hérodote, (L’Occident et la Guerre des Arabes), n° 60/61, 1″ et 2′ trim. 1991, p. 28 ; voir aussi Hussein Zaanoun, Alain Chery, « Dans les collèges de la banlieue nord de Paris », in ibid., pp. 235-238. Le 5 février 1994, des organisations musulmanes de nombreuses villes françaises manifestèrent à Grenoble pour obtenir le port du foulard. Selon le journal Le Monde, 8 février 1994, (p. 15) : « La plupart des manifestants arboraient un brassard représentant, en jaune sur fond noir, le croissant de l’islam assorti de cette mention : « A quand notre tour ? », allusion explicite à l’étoile jaune imposée aux Juifs sous l’occupation nazie. » Cette récupération réduit la Choa à un problème de foulard. Par ailleurs la politique de la France à l’égard de l’immigration maghrébine ne peut se com­parer sur aucun point à celle des nazis envers les Juifs. Ce procédé consiste à attribuer une culpabilité imaginaire pour l’exploiter.

 

(p.321) Si un mouvement de réconciliation judéo-chrétien a pu être amorcé et plus ou moins aboutir à la reconnaissance d’Israël par le Vatican, c’est grâce à la permanence dans l’histoire d’un courant chrétien conjuguant réceptivité et ouverture, même s’il fut minoritaire et trop souvent témoin impuissant. Il est impossible d’énumérer tous les Chrétiens qui par leurs luttes et leurs écrits témoignèrent de l’enracine­ment des deux religions dans les mêmes valeurs, et de leur complémentarité. C’est de ce terreau que germa, à l’époque -moderne, dans une volonté mutuelle de rapprochement, un dialogue qui laissait aux Juifs la possibilité de s’exprimer librement et conférait aux Chrétiens la force morale et le courage d’écouter leur message, de s’y confronter et de réflé­chir. Le dialogue se poursuivit même dans les abîmes de la Choa d’où il émergea, non pas pour associer l’ensemble de la chrétienté à la Choa mais pour dénoncer et éliminer ce qui y avait conduit.

Ce type de dialogue n’existe pas dans la dhimmitude. Seule la parole servile y est autorisée. Il est donc important de reconnaître dans une société cette qualité majeure d’écoute, de participation, cette possibilité d’autocritique, de retour sur soi, profondément ancrées dans des valeurs qui (p.322) seules permettent le changement et l’amélioration des relations humaines.

 

  1. Une bonne partie des clergés catholique et orthodoxe du Proche-Orient reprocha au Vatican sa « hâte » à normaliser ses relations avec Israël, Le Monde, 30 décembre 1993. Le patriarche latin défunt, de Jérusalem, Mgr G.G. Beltritti, craignait que les Chrétiens orientaux ne fassent les frais de la réconciliation et ceux du dialogue islamo-chrétien. Il évoquait les senti­ments d’insécurité des Chrétiens confrontés aux islamistes, Terra Santa, Ann. 69,jan.-fév. 1993, p. 27.

 

(p.324) Sur le plan international on constate que l’Occident rede­vient le dar al-harb. Les meurtres d’occidentaux constituent une stratégie des islamistes visant à reconstituer deux entités ennemies et à détruire un patient travail de rapprochement mené durant des siècles par des traités de non-agression et d’amitié et par l’appareil juridique des Capitulations, qui intégrait la notion d’aman dans un système international de droits réciproques et égaux. Aussi les efforts pour ramener la paix en Bosnie, le soutien aux initiatives de paix israélo-palestienne et la politique européenne de lutte contre la xéno­phobie et le racisme, conjuguée au respect des lois et de l’ordre public, constituent des éléments très positifs.

Toutefois l’immigration de plusieurs millions de Musulmans en Occident en quelques années, y a transféré tous les problè­mes occultés de coexistence. On peut en citer quelques aspects :

Au niveau juridique, la conception occidentale des Droits de l’homme, fondée sur le principe de l’égalité des sexes et des êtres humains, s’oppose irréductiblement à la « Déclaration Islamique des Droits de l’homme en Islam » du 5 août 1990, qui soumise aux dispositions de la chari’a, perpétue l’inégalité des sexes et des religions. Dix ans aupa­ravant, la Déclaration Islamique Universelle des Droits de l’homme», rédigée à l’initiative du Conseil islamique pour l’Europe et proclamée à l’UNESCO (Paris) le 19 septembre 1981 indiquait dans une note d’explication finale que «le terme ‘loi’ signifie la chari’a, c’est-à-dire la totalité des ordonnances tirées du Coran et de la Sunna (traditions) et toute autre loi déduite de ces deux sources par des méthodes jugées valables en jurisprudence islamique ». Ce conflit de juridiction, non seulement se répercute au plan international mais constitue une difficulté supplémentaire d’intégration pour des populations musulmanes immigrées qui adhére­raient à un code juridique refusé par leurs concitoyens et qui, censé être d’origine divine, devrait l’emporter. Dans l’introduction (p.325) de ses Commentaires (18 février 1994) réfutant le Rapport Biro sur le Soudan, le gouvernement soudanais déclarait :

« Dieu ordonne à tous les Musulmans de se soumettre aux lois de la chari’a, et cet ordre ne peut être contesté ni opposé par aucun Rapporteur Spécial ou autres agences des Nations Unies ou leurs représentants. » 64

Au niveau religieux la croyance en l’impureté des non-Musulmans, concrétisée par leur exclusion des villes saintes de l’islam (Médine et La Mecque) et les interdictions cul­tuelles en Arabie Saoudite, perpétuent les sentiments de supériorité élitiste de Vumma. Le conflit religieux porte éga­lement sur l’islamisation de la Bible, processus qui délégi­time comme textes falsifiés, les Ecritures des religions juive et chrétienne. Le processus de déjudaïsation de la Bible, entrepris par les Eglises arabes, au profit d’une version arabo-islamisante, provoque un conflit au sein même du monde chrétien qui se trouve ainsi contaminé par l’auto­reniement et la falsification historique exigés du dhimmi. Ce courant, largement représenté dans les milieux pro-palestiniens et arabophiles d’Occident, propage la version isla­mique de l’Histoire qui évacue dans le néant les civilisations antérieures, confortant ainsi le refus de l’Autre plutôt que sa reconnaissance65.

 

  1. Sudan Delegation to the 50th session of the Commission on Human Rights, Continents by thé Government of thé Sudan on thé Report of thé Spécial Rapporteur, Mr Gaspar Biro, Contained in Document E/CN.4l19941 48, dated 1 February 1994, Genève, 18 fév. 1994 (40 pages).

65 Le père Moubarac estime que : « La laïcité ne devrait pas être présen­tée par ses promoteurs comme une invention occidentale […] », mais plutôt comme une « reprise » d’une tradition propre à l’Orient. Pour que la laïcité ait quelque chance de succès en Orient, il conseille aux Chrétiens d’accepter le droit musulman non seulement comme une source du droit, mais comme la première source du droit. A cette condition, la laïcité serait acceptée par l’islam, et les communautés chrétiennes récupéreraient leurs droits particuliers (ceux des dhimmis), cf. Jean-Paul Gabus, Ali Merad, Youakim Moubarac, Islam et Christianisme en Dialogue, Paris, Le Cerf, 1982, p. 133. Dans cette même optique, cf. Olivier Carré, L’Islam laïque ou le retour à la Grande Tradition, Paris, Armand Colin, 1993. On retrouve ici le processus d’islamisa­tion de notions modernes occidentales, nécessaire à leur introduction dans l’Orient arabe. Cette attitude de rejet doctrinal – qui ne s’observe chez aucun autre peuple – est liée à la satanisation du dar al-harb, générée par la relation problématique à l’Autre. Cette situation a été examinée par Tyan, Histoire ; Fattal, op. cit.

 

(p.336) Juifs et Chrétiens en Palestine au XIXe siècle

Autrefois ces Juifs indigènes avaient eu pleinement leur part de souffrances et de vexations du fait du comportement tyrannique des Musulmans. Privés de toute ressource leur permettant de vivre en Terre sainte, ils étaient entretenus par des offrandes réunies dans les synagogues du monde entier. Les Musulmans, qui n’ignoraient pas cet état de choses, les soumettaient de génération en génération à des exactions et des rapines (certains individus cependant ayant eu temporairement des postes lucratifs). Cette oppression a été l’une des causes qui ont imposé à la communauté la plus épouvan­table des dettes dont l’intérêt grève lourdement le revenu reçu de l’étranger.

Ils possèdent quatre synagogues à Jérusalem, réunies sous un même toit, de manière qu’ils puissent passer de l’une à l’autre. Les lieux ne sont toutefois que sommairement meublés.

Jusqu’au jour où un consulat d’Angleterre [1839] fut établi à Jérusalem, il n’y avait évidemment pas d’autre juridiction dans le pays que celle, corrompue et inefficace des Musulmans.

(I, pp . 103 -105 )

A peu près à cette époque [1847], un Juif fut attaqué par une foule de pèlerins chrétiens fanatiques et faillit passer de vie à tré­pas pour avoir osé traverser la partie la plus éloignée du parvis, devant l’église du Saint-Sépulcre. Etant récemment venu d’Europe, il n’était pas informé de la coutume qui a cours dans la ville et qui n’autorise le passage qu’aux Chrétiens, qui y admettent toutefois les Musulmans qu’ils n’osent pas exclure des lieux. L’infortuné demanda justice au consulat d’Angleterre, bien qu’il fût sujet de Russie ou d’Autriche, ces pays n’ayant pas de consul à Jérusalem. Je m’adressai donc au pacha. Le clergé grec affirma pour sa défense que ce passage n’était pas une voie publique, mais qu’il constituait une partie du Sanctuaire chrétien et ne pouvait être fran­chi. Il eut même l’outrecuidance de me faire savoir qu’il était en possession d’un ancien firman qui fixait à dix paras (environ un demi-penny anglais) le « Deeyeh », ou amende pour le sang, payable par lui au cas où un Juif, battu dans les parages, serait tué.

(p.338) Malgré le caractère ridicule et pervers du message, il était de mon devoir de le communiquer à Constantinople et de demander un démenti officiel. Ainsi que prévu, la réponse autorisée fut que jamais un tel firman n’avait été publié. C’est ainsi que cette alléga­tion malveillante fut démentie, mais cet incident démontre les intentions malveillantes des autorités monastiques chrétiennes à l’égard des Juifs. Il se peut qu’elles-mêmes croient de bonne foi à l’existence d’un tel firman et, s’il en est ainsi, quelle compassion ou esprit de tolérance peut-on espérer de la horde des pèlerins ? Le pacha me fit dire qu’il n’était pas au courant d’un tel firman, mais que Grecs, Latins et Arméniens croyaient tous qu’il était légitime de tuer un Juif en de telles circonstances.

(I, pp. 111-112)

Encore une autre observation sur la condition des Juifs de Jérusalem. A cette époque, comme cela avait été le cas pendant des siècles auparavant, les ordures de la cité (la Meslakh) étaient dépo­sées au beau milieu du quartier juif. Ces immondices s’accumu­laient dans une fosse aussi large que profonde qui n’était jamais nettoyée et qui était naturellement, en toutes saisons mais particu­lièrement en été, nocive pour la santé ; et cela continua encore quelques années après la fin de la guerre russe [1856]. Cette fosse s’y trouvait avant même la conquête arabe et, selon la tradition, avait été laissée là à dessein après que le calife Omar en ait eu connaissance. Son existence est d’ailleurs mentionnée par un chro­niqueur normand de l’époque des croisades.

(L, pp. 118-120)

II était pénible d’être témoin de cette pusillanimité créée par des siècles d’oppression. Souvent un pauvre Juif venait demander jus­tice contre un Musulman et, après avoir exposé et démontré son cas et avoir été amené par le consulat devant les autorités turques, il se rétractait, terrorisé par une éventuelle vengeance future, niant même le tort qui lui avait été causé ; ou bien, au cas où ce tort sau­tait aux yeux, il déclarait ne pas être en mesure d’identifier son agresseur ou ne pouvoir faire venir son témoin. Malgré tout, le fait même qu’il y eût quelqu’un pour enregistrer ces plaintes dissuadait les criminels qui, dans le passé, considéraient ces pauvres Juifs sans défense comme une proie dont ils pouvaient disposer en toute liberté!…].

Les érudits d’Europe commettent la grossière erreur de croire que l’hébreu est une langue morte. Or, à Jérusalem, elle est une langue vivante d’usage quotidien – par la force des choses d’ail­leurs ; comment des Juifs venus des quatre coins du monde pour­raient-ils autrement communiquer entre eux ? Dans les bureaux du consulat, on entendait fréquemment parler hébreu ; j’eus l’occasion d’entendre un Juif de Kaboul s’expliquer en hébreu avec un de ses coreligionnaires de Californie.

(I.pp. 127-128)

 

(p.340) Si l’on exclut les mosquées, il y avait en Palestine deux endroits où le fanatisme était particulièrement virulent :

1)  Le premier était le Haram de Jérusalem, siège de l’ancien Temple de Salomon, que les Musulmans appelaient le « noble sanctuaire » et auquel les Européens donnaient l’appellation erro­née de mosquée d’Omar.

2)  Le second était le Haram d’Hébron, soit la Macpélah (tom­beau des Patriarches).

Personne, sauf les Musulmans, n’avait accès à ces lieux, le pre­mier étant gardé par une police composée d’Africains féroces, les Takarni de la tribu de Darfoor.

Qui n’a pas entendu parler de l’impossibilité qu’il y avait autre­fois à visiter la mosquée d’Omar et quel voyageur arrivé à Jérusalem en des temps plus distants n’a-t-il pas regardé d’un œil envieux ces lieux sacrés qui autrefois abritaient le Temple du Dieu unique et que prêtres, prophètes, rois, apôtres, et le Sauveur lui-même, ont certainement foulé de leurs pas ? Vus du mont des Oliviers ou du toit d’édifices auxquels on pouvait être admis par faveur spéciale, ils présentent maintenant une apparence bien orientale, celle d’un tertre spacieux où un bâtiment d’une remar­quable beauté est entouré de verdure, de cyprès et d’oliviers.

Bien des erreurs, conduisant à des affronts et des sévices, ont été commises par des étrangers qui imaginaient, bien à tort, que l’endroit observé à travers les portes ouvertes était une promenade publique. Les nôtres furent souvent bâtonnés par les gardiens afri­cains ou lapidés avant même qu’ils ne s’approchent des lieux.

(I, pp. 205-206)

(p.341) La ville de Naplouse (Schehem) a la triste réputation d’être la plus intolérante à l’égard des Chrétiens. Peu de Chrétiens y rési­dent et ils ont de bonnes raisons de ne cesser de se plaindre des sévices et injustices dont ils sont les victimes de la part des autori­tés locales. Les voyageurs européens ont été aussi hués et hous­pillés alors qu’ils passaient à travers les rues […]

Au village de Sebastyia, édifié sur les ruines de l’ancienne métropole de la Samarie, à deux heures de marche de Naplouse, les habitants ont un caractère encore plus mauvais et se distinguent par une expression de vive agressivité à l’égard des Européens.

(I, p. 207)

(James Finn, Consul de Grande-Bretagne à Jérusalem de 1845 à 1862)

 

(p.343) Massacre de Chrétiens à Damas (juillet 1860)

Beyrouth, 23 Septembre 1860 Mémorandum ‘

Dès le commencement de la guerre entre Chrétiens et Druzes au Liban, les Chrétiens de Damas furent pris d’une très grande frayeur car leurs concitoyens Musulmans usaient constamment d’un lan­gage menaçant et très insultant envers eux. Chaque fois qu’ils pénétraient dans les bazars ou dans les rues du quartier Musulman de la cité, des hommes et des garçons prononçaient des insultes infamantes contre eux et leur religion. Ils les maudissaient et les menaçaient fréquemment d’émeutes. Les succès renouvelés des Druzes accrurent l’insolence de l’une des factions et la terreur de l’autre. [La nouvelle] des assassinats des Chrétiens de Kinakir connue dans la ville, le 11 juin, les massacres à Hasbeya et Rasheya2, les outrages commis par les Musulmans et les Druzes dans les villages, dans les campagnes environnantes et le spectacle des malheureux rescapés qui déferlèrent vers la ville en quête de sécurité et de vivres, au nombre de 5 000 ou 6 000, excitèrent et enhardirent les Musulmans et augmentèrent la terreur des Chrétiens.

L’impression selon laquelle le gouvernement lui-même désirait la destruction des Chrétiens, commença à prévaloir. Ils n’étaient retenus dans la ville que par l’impossibilité de s’enfuir vers des lieux plus sûrs. La chute de Zahleh et le massacre de Deir-el-Kamar ajoutèrent à l’exultation des Musulmans et rendirent la panique des Chrétiens extrême et totale.

Pendant ce temps les Musulmans devinrent plus téméraires, insolents et menaçants. Les bordées d’insultes dont ils couvraient les Chrétiens étaient d’autant plus nombreuses, honteuses et alar­mantes, que les Chrétiens devenaient plus craintifs, soumis et obsé­quieux. Ils semblaient soudain renoncer à tous les droits et libertés qu’ils avaient gagnés depuis vingt-sept ans. Ils ne s’aventuraient pas à monter une bête dans la ville. Ils cessèrent d’être offensés par les insultes et ne se plaignirent pas des blessures. Ils s’abstinrent de réclamer le remboursement des dettes ou de déposer des plaintes contre les Musulmans. Ils se soumirent en silence aux impositions et parfois même aux agressions. Afin d’éviter les abus auxquels ils étaient exposés, ils renoncèrent à fréquenter les cafés et les prome­nades dans les parcs et tout autre lieu public. (…)

 

  1. Ce mémorandum fut transmis par Lord Dufferin, chargé d’enquêter sur les massacres au Levant à Lord John Russell, ministre britannique des Affaires étrangères. L’auteur du mémorandum, M. Robson, presbytérien irlan­dais, résida à Damas dix-huit ans.
  2. Les conflits entre Druzes et Chrétiens au Liban (1841-1861) provoquè­rent le massacre de onze mille Chrétiens et l’exode de cent mille autres. Pour la publication des lettres du consul britannique décrivant ces événements, cf. Bat Ye’or, The Dhimmi, pp. 254-259.

 

(p.354) La dhimma en Algérie, au Maroc et en Tunisie, début XIXe siècle

Maroc

On exige des Juifs les plus humiliants services : ils exécutent les criminels et doivent enterrer leurs corps ; ils doivent porter les Maures sur leurs épaules quand ils débarquent en eau peu pro­fonde ; ils sont chargés de nettoyer les rues, de nourrir les animaux des ménageries du sérail ; « bref », dit Keatinge, « quand n’importe quel puissant a besoin d’un éboueur, ce travail incombe à un Juif » […] Passant le long des rues, le Juif était toujours obligé de céder le côté de la muraille à un Musulman et, en outre, de le saluer en se courbant jusqu’à terre ; s’il y manquait, il était sévèrement battu, ou pouvait recevoir un coup de yatagan. Cette inégalité entre les fidèles de croyances différentes commence dès le berceau ; le plus jeune Turc peut piétiner le plus âgé des Juifs ; et comme triste preuve de combien tôt commence la dégradation d’un côté et la tyrannie de l’autre, un enfant juif se soumettra à être battu par un Maure de son âge sans lever la main pour sa propre défense. Les Juifs sont de plus obligés de porter un costume distinctif, d’enlever leurs babouches en passant devant une mosquée ou la maison d’un cadi, et même devant celle d’un Musulman important, alors que dans certaines villes, comme Fez et particulièrement Safi, où il y a de nombreux sanctuaires, ils sont forcés d’aller partout nu-pieds. En aucun lieu on ne leur permet de monter à cheval, celui-ci étant considéré comme un animal beaucoup trop noble pour une tâche si méprisable ; mais on leur permet de monter un âne ou, faveur par­ticulière, une mule, tout en leur demandant, cependant, d’en des­cendre et de prendre une attitude respectueuse si par hasard un vrai (p.355) croyant se trouve sur leur chemin. Un Juif s’approche-t-il d’une fontaine, il est obligé d’attendre que tous les Mahométans, même ceux qui pourraient arriver bien après lui, l’aient quittée avant qu’il ne tente d’en tirer de l’eau. La mort serait son châtiment s’il s’avi­sait de monter sur le toit de sa propre maison d’où il pourrait voir des jeunes filles mauresques ; et la mort serait son châtiment s’il intriguait contre le gouvernement, frappait un vrai croyant, ou regardait incidemment dans une mosquée quand les fidèles sont en prière. Ils sont tous considérés comme des esclaves du dey ou de l’empereur dans les États où ils vivent et ne peuvent partir sans obtenir sa permission, ni sans donner une grosse somme garantis­sant leur retour. N’importe quel Turc peut entrer dans la ville des Juifs pénétrer dans une maison, manger, boire, insulter le proprié­taire et maltraiter les femmes, sans opposition ni plainte : le Juif est trop content d’en réchapper sans être battu ou blessé.

Au Maroc, aucun Maure ne peut être mis mort pour avoir tué un Juif, alors que tuer un Chrétien peut être une offense capitale ; en fait, il n’est pas rare qu’un Juif, se plaignant de la mort d’un ami ou d’un parent, ne soit puni lui-même, alors que le meurtrier est laissé en liberté. La conséquence en est que le Juif pense rarement à faire appel à la justice ou à essayer d’obtenir satisfaction. Il se dérobe pour recevoir un coup et lèche la main qui se lève pour le frapper.

Lord Perceval Barton (cf., Bibliographie) (II, pp. 80-84).

 

James Riley

 

(p.356) Les Juifs à Alger avant la conquête française

Les Juifs, qui sont au nombre de cinq mille environ dans cette ville [Alger], sont assurés du libre exercice de leur religion ; ils (p.357) sont gouvernés par leurs propres lois dans les cas civils, adminis­trés par un chef de leur nation, qui est appointé par le Bashaw [Pacha] ; en qualité de sujets algériens, ils peuvent circuler libre­ment, s’établir où ils le désirent et exercer n’importe quelle activité légale dans tout le royaume, et ils ne peuvent être réduits en escla­vage. Ils payent une taxe de capitation et le double des droits sur chaque qualité de marchandise importée de l’extérieur ; comme ailleurs, ils exercent toutes les branches du commerce et ils sont ici les seuls courtiers et commerçants d’argent et de change ; il y a parmi eux de nombreux orfèvres travaillant l’or et l’argent et ils sont les seuls artisans employés à la Monnaie.

Indépendamment des incapacités légales des Juifs, ils sont à Alger le peuple le plus opprimé ; il leur est interdit de résister à toute agression personnelle, de quelque nature qu’elle soit, venant d’un Musulman ; ils sont obligés de porter des vêtements de cou­leur noire ou sombre ; ils ne peuvent monter à cheval ni porter une arme quelle qu’elle soit, pas même une canne ; il leur est permis le samedi et le mercredi seulement de sortir des portes de la ville sans permission ; et, chaque fois qu’une corvée inattendue doit être exé­cutée, les Juifs sont amenés pour la faire. En été 1815, ce pays fut couvert de troupes incroyables de sauterelles qui détruisaient toute verdure sur leur passage ; plusieurs centaines de Juifs reçurent alors l’ordre de protéger les jardins du Bashaw, où ils furent obli­gés de surveiller et de souffrir jour et nuit, aussi longtemps que ces insectes continuaient à infester le pays.

Plusieurs fois, quand les Janissaires se sont révoltés, les Juifs ont été pillés indistinctement ; et ils vivent dans la crainte perpé­tuelle de voir se renouveler de pareilles scènes; ils sont poursuivis même par les enfants, et en résumé toute leur existence ici n’est qu’un état d’abjecte oppression et d’outrages. Les enfants de Jacob supportent ces humiliations avec une merveilleuse patience ; ils apprennent la patience depuis l’enfance et la pratiquent tout au long de leur vie sans même oser murmurer contre leur dur destin. Malgré ces circonstances décourageantes de leur condition, les Juifs, qui, par leur correspondance avec des pays étrangers, sont la seule classe de la société algérienne possédant quelque connais­sance exacte des affaires extérieures, se mêlent à toutes sortes d’intrigues, au risque même de leur vie et, en conséquence, en meurent souvent. La fonction de chef des Juifs est obtenue et conservée par la corruption et l’intrigue ; elle est exercée avec une tyrannie et une oppression correspondant à la période de jouis­sance. Au temps de la prospérité de la Régence, plusieurs maisons de commerce juives atteignirent une grande opulence, mais, ces dernières années, l’intolérable oppression pesant sur eux a ruiné de nombreux individus riches ; d’autres ont trouvé moyen d’émigrer, et les Maures, qui ont une singulière aptitude pour le commerce, les supplantent journellement dans les différentes branches du commerce du pays ; de sorte qu’ils semblent aujourd’hui décliner rapidement, même numériquement. Je crois qu’aujourd’hui les Juifs d’Alger constituent les restes les plus malheureux d’Israël.

(p.358) En ce qui concerne les manières, les habitudes et les mœurs les Juifs d’Alger, avec les exceptions sus mentionnées, diffèrent si peu des autres classes correspondantes de la société qu’il ne vaut pas la peine de les décrire. Les Juifs d’Alger sont une belle race robuste, avec une bonne santé, mais les effets de l’état d’abjection dans lequel ils sont nés et vivent se reflètent dans leur comportement ; rien n’est plus rare que de découvrir un trait distingué dans la phy­sionomie d’un Juif algérien, homme ou femme. Il y a ici chez ce peuple un usage très attendrissant et qui ne peut être contemplé sans un sentiment de respect et même de tendresse pour cette race miraculeuse. Plusieurs Juifs âgés et infirmes, sentant que leurs sou­cis temporels sont près de finir, meurent comme d’une mort civile, investissant leurs héritiers de tous leurs biens terrestres, se réser­vant seulement une modeste pitance nécessaire pour soutenir leurs jours languissants à Jérusalem, où ils vont pour mourir. Dans l’année 1816, j’ai vu l’embarquement de nombreux Hébreux âgés, pour ce dernier pèlerinage terrestre, à bord d’un navire affrété spé­cialement pour les transporter vers la côte de Syrie. Le nombre de Juifs du royaume d’Alger est évalué à environ trente mille.

William Shaler (consul des Etats-Unis à Alger de 1816 à 1828), (cf. Bibliographie) (pp. 65-68).

 

Les Juifs en Tunisie vers 1800

Les Juifs sont les seuls des sujets de la Régence qui payent au Bey une imposition personnelle ; cependant, quoique cette rede­vance ait pour prétexte le but d’assurer leur sécurité, rien n’est plus commun que de les voir outrager et même frapper par les Maures ; ils reçoivent même les mauvais traitements ou les coups avec une résignation vraiment étonnante : mais aussi si jamais un d’eux osait en {sic] riposter à ses agresseurs, il risquerait infailliblement d’être compromis dans un procès sérieux, qui ne pourrait s’arranger que par le sacrifice d’une forte somme d’argent ; et souvent ces insultes n’ont pas d’autre but que cette extorsion abusive et tyrannique.

Quelques-uns parmi les Juifs s’habillent à l’européenne et ce costume est plus particulièrement adopté par ceux qui sont origi­naires de Livourne ; d’autres adoptent les vêtements orientaux, portant le bonnet et le châle gris ou bleu car cette couleur leur est imposée, afin qu’ils ne puissent pas être confondus avec les musul­mans dont leur costume ne diffère pas d’ailleurs.

Malgré les humiliations qu’ils essuyent et l’état d’avilissement auquel ils sont réduits ils peuvent cependant monter des chevaux et des mulets, ce qui leur est défendu en Egypte et dans la plupart des autres contrées soumises aux musulmans. (p.95)

 

(p.359) Un assez grand nombre de Juifs et de Juives parcourent la ville en colportant des marchandises que ces marchands ambulants offrent à acheter dans les maisons et les harems ; et il est à remar­quer que les femmes mauresques ne croient pas être obligées de se voiler devant un Juif, qu’elles ne regardent que comme de vils ani­maux, et qu’elles sont loin de croire appartenir à l’espèce humaine. Comme il est arrivé plusieurs fois que des Juifs et des Juives ont été assassinés dans des maisons, pour s’approprier leurs marchan­dises, le Bey a ordonné qu’à l’avenir les colporteurs de l’un ou de l’autre sexe iraient toujours deux à deux, et que l’un d’eux serait obligé de rester devant la porte de la maison pendans [sic] que son compagnon y entrerait avec ses marchandises. Depuis cette ordon­nance, aussi simple que sage, aucun Juif n’a été la victime de l’avi­dité et de la perfidie des spoliateurs meurtriers.

Dr Louis Frank (cf. Bibliographie) (p. 96).

 

Le XXe siècle

(p.363) Décret promulgué au Yémen par l’imam Yahya en 1905 demeuré en vigueur jusqu’en 1949-1950

Au nom d’Allah le miséricordieux et plein de clémence.

Voici le règlement que je donne pour tous les Israélites qui doi­vent rester soumis à mes lois et payer l’impôt sans rien y changer.

Je rappelle les paroles vieilles d’années et leur signification ; je rappelle les devoirs que les Turcs ont oubliés et qu’on observait du temps des pieux Imams, avant le triomphe des gens ignorant la loi.

Les juifs peuvent être tranquilles et être assurés de leur exis­tence, s’ils paient régulièrement le djizii.

Tout mâle ayant atteint l’âge de treize ans est soumis à cet impôt […] et, par cela, leur sang sera conservé sous notre domination.

Personne ne peut se dispenser de verser cette taxe avant la fin de l’année […] suivant qu’il est dit dans le Coran, le livre reçu de Dieu.

Les commerçants et les boutiquiers doivent, en outre, payer le

(p.364) vingtième de leurs bénéfices s’ils atteignent le chiffre connu ; autrement ils en sont dispensés comme ceux qui font tout autre tra­vail. Les juifs ne doivent pas :

1) Élever la voix devant un musulman.

2) Construire des maisons plus hautes que les maisons des musulmans.

3) Frôler un musulman en passant dans la rue.

4) Faire le même commerce que les Arabes.

5) Dire que la loi musulmane peut avoir un défaut.

6) Insulter les prophètes.

7) Discuter de religion avec un musulman.

8) Monter sur les bêtes suivant l’usage à califourchon.

9) Cligner des yeux en apercevant la nudité d’un musulman.

10) S’occuper de leur loi hors de leurs temples.

11) Elever la voix pendant les prières.

12) Sonner du schofar avec éclat.

13)  Donner de l’argent à intérêt ce qui peut amener la destruc­tion du monde.

14)  Ils doivent toujours se lever devant les musulmans et les honorer en toutes circonstances (pp. 38-40)

Yomtob-David Sémach (cf. Bibliographie).

 

(p.367) Arabie Saoudite, 5 février 1993 : FATWA [Opinion juridique]

L’autorité d’un non-musulman, est-elle permise ?

Question [de quelques employés d’une société]

Nous sommes des Musulmans employés dans une société appar­tenant à un Musulman. Le propriétaire toutefois a nommé un direc­teur chrétien qui nous commande et nous souffrons du comporte­ment de ce directeur chrétien qui cherche à nous faire passer devant le propriétaire de la société comme improductifs, nous cau­sant ainsi des problèmes.

Est-il permis [en Islam] à ce Musulman, le propriétaire de la société, de conférer à un Chrétien une autorité sur nous ?

Réponse :

Cheikh Mannaa K. Al Qubtan, professeur des hautes études à l’Ecole de Chari’a, Riyadh, déclare ce qui suit :

« L’autorité d’un non-Musulman sur un Musulman n’est pas permise selon la parole d’Allah : « Dieu ne donnera pas aux infi­dèles l’avantage sur les croyants » [Coran, IV, 141].

Dieu le Tout-Puissant a conféré aux Musulmans le plus haut rang et l’autorité [sur tous les hommes] leur donnant force et puis­sance : « Force et puissance appartiennent à Dieu, à son prophète et aux croyants » [Coran LXIII, 8].

L’autorité d’un non-Musulman est par conséquent en contradic­tion avec le texte de ces deux saints versets ; [car] le Musulman [qui] devra obéir à quiconque le commandera, deviendra ainsi son inférieur. Une telle situation est inacceptable pour un Musulman ».

 

Dr Saleh al-Sadlan, professeur de la chari’a, à l’Ecole de Chari’a, Riyadh, fournit la règle suivante :

« Dieu tout-puissant proclame : « Dieu ne donnera pas aux infi­dèles l’avantage sur les croyants » [Coran IV, 141], Que ce soit dans le secteur privé ou public, un infidèle ne peut, dans la mesure du possible, être supérieur à un Musulman parce qu’une telle situa­tion impliquerait l’humiliation du Musulman et l’exaltation de l’infidèle. Un infidèle pourrait profiter de sa position pour rabaisser et dominer les Musulmans travaillant sous son autorité.

Le conseil que nous donnons au propriétaire de l’entreprise est de craindre Dieu tout-puissant et de ne donner qu’aux Musulmans l’autorité sur les Musulmans. Le commandement islamique enseigne qu’un infidèle ne doit pas être engagé si le Musulman peut employer un Musulman à sa place. Notre conseil à ce proprié­taire d’entreprise est de remplacer ce directeur infidèle par un Musulman. »

(p.368) Sous le titre : « Crains Dieu et éloigne-toi de l’interdit », Dr Fahd al-Oseimi, professeur d’études islamiques à Riyadh, conseille :

« Cet employeur musulman qui a placé un Chrétien au-dessus de Musulmans aurait dû chercher un employé musulman meilleur que le chrétien, son égal ou disposé à apprendre. Il n’est pas permis d’appointer ce Chrétien au-dessus des Musulmans, pour toutes les raisons avancées : « Dieu ne donnera pas aux infidèles l’avantage sur les croyants » [Coran IV, 141].

Il est bien connu qu’une telle autorité chrétienne forcerait les Musulmans à flatter cet infidèle, et nous connaissons tous l’histoire de Omar [Omar Ibn al-Khattâb, l’un des compagnons du Prophète] qui en apprenant la nomination d’un fonctionnaire chrétien observa : « Les femmes sont-elles devenues stériles, donnant seule­ment naissance à cet homme ? »

Par conséquent les Musulmans devraient craindre Dieu dans la manière dont ils traitent leurs frères musulmans [ils devraient] leur procurer une formation utile pour le court et le long terme. C’est un principe : le Musulman est honnête, alors que le non-Musulman est malhonnête et ne craint pas Dieu. Dans ces pays gouvernés par les non-Musulmans, les Musulmans s’appauvrissent contrairement aux autres habitants qui reçoivent formation et éducation.

Les Musulmans doivent y penser et ils ne devraient pas aggra­ver la calamité, mais au contraire, faciliter les choses [pour leurs frères]. Le Musulman qui engage un infidèle doit le surveiller, ne jamais suivre son avis, mais plutôt écouter les deux parties. Le pro­priétaire ne devrait pas avoir une totale confiance dans le Chrétien quand il s’agit de s’occuper des affaires des Musulmans et devrait le démettre [le Chrétien] de son travail, aussitôt qu’il peut le remplacer par un Musulman. »

 

Al-Muslimoon, (hébd. en arabe), vol. 8, n° 418, Riyadh, 5 fév. 1993

 

Egypte / nazislamisme antichrétien

(LB, 11/08/1989)

Grèce/ Les musulmans ne veulent pas se soumettre aux lois chrétiennes

(LB, 01/02/1990)

Turquie / Antisémitisme dans deux journaux, aussi lus par la communauté turque en Belgique: Türkiye & Mille Gazete

(LB, 18/05/1993)

France / Aspergée d'essence par une musulmane parce que "catholique"

(LS, 21/05/1993)

Egypte / Torturé pour s'être converti au christianisme

(LB, 27/12/1996)

Pakistan / Nazislamisme antichrétien

(LB, 19/05/1998)

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