Que

in: André Hella , Les avatars de QUE, AL 26/10/1988

 

Que est un petit mot tout gonflé de sève gram­maticale.  Véritable liga­ture universelle, il exerce un nombre indéfini d’em­plois.  Nous l’utilisons comme d’instinct dès qu’il y a soit à joindre des pro­positions, soit à unir un complément à un nom ou même à un adjectif qualifi­catif.

 

Polyvalence

 

Il change de nature avec une telle aisance qu’il n’est pas toujours facile à identifier.  Le plus générale­ment il est conjonction ou pronom (relatif ou interrogatif, mais ses change­ments de nature sont loin de s’arrêter là.  Il peut aussi être adverbe, et alors marquer l’intensité : « Qu’il fait chaud ! »  ou, en composition avec ne, l’exclusivité : « Il ne fait que de se vanter ».

 

Que peut encore faire partie d’une locution prépositive, particulière­ment dans les tours expri­mant la comparaison: « Il est plus grand que toi » ou même être franchement une préposition : « Un homme tel que lui devait agir autrement ».  Il peut encore et toujours se subs­tituer à un mot-copule (par exemple est): « Quel étourdi que ton frère ! »Dans ces constructions ex­clamatives où l’attribut précède souvent le sujet, le que n’est pas indispensa­ble : il ne fait que donner un ton plus vif et plus in­sistant à l’idée.  Enfin, il peut devenir particule mo­dale comme dans « Qu’il entre !» Il se mue alors en « béquille du subjonctif » (le mot est de Lucien Fou­let).

En tant que con ‘ jonction, que se prête à un usage d’une grande souplesse.  Il ne se limite pas, loin de là, à introduire les multiples complétives (compléments d’objet, attributs, complé­ments de l’adjectif, etc.) ou à remplacer des conjonc­tions de subordination déjà exprimées : « Il viendra quand j’aurai pris mon petit déjeuner et que le facteur sera passé ». « Si elle regardait et qu’il ne fût pas là, elle en était toute triste ), (Zola).  Il ar­rive qu’il se suffise à lui­-même pour énoncer certai­nes valeurs, entre autres celles de but :  « Viens donc que je te présente », – de temps : « Il ne sera pas content qu’il ne vous ait ruiné » (Molière) et de con­séquence : « Il pleuvait que c’en était une vraie ca­lamité. »

 

Que intervient enfin dans de nombreuses combinaisons syntaxiques où il joue le rôle de simple coordonnant.  Il n’est pas indispensable dans : « A peine avais-je sonné que la porte s’ouvrait ». Il l’est à peine plus quand il unit deux propositions au con­ditionnel en vue d’énoncer une hypothèse généralement assortie d’une nuance concessive : « Il était sùr de son emploi.  Aujourd’hui, on lui an­noncerait son préavis, qu’il n’en serait pas sur­pris , (c.-à-d. « même si on lui annonçait… »).  Que ne sert ici qu’à donner plus de vigueur à l’expression : on pourrait, sans modifier le sens, lui substituer deux points ou même une virgule.

 

Dans les énoncés de ce type, que joint en fait deux propositions indépendan­tes.  Ainsi « Etes-vous fà­ché contre moi que vous m’accueillez aussi froide­ment ? , équivaut à : « Etes-vous fâché contre moi ? Vous m’accueillez si froidement!»

 

Incorrections

 

Cheville passe-partout et particule bonne à tout faire, que exerce trop d’emplois pour ne pas être source fréquente de confu­sions et d’erreurs.

Il est tellement ancré dans nos réflexes linguis­tiques qu’il surgit à peu près partout où l’esprit est en quête d’un mot de liai­son.  Dans la langue popu­laire, que est fréquem­ment utilisé à la place d’autres pronoms relatifs : « Avez-vous tout ce que (pour ce dont) vous avez besoin ? » , C’est la per­sonne que (pour dont) je vous ai parlé ».

Nombreux sont les que parasites dans la langue populaire : « Comment que j’aurais fait autre­ment ? ), (pour «Comment aurais-je fait autre­ment ? »  – « Il ne m’écou­tait plus tellement qu’il était fatigué , (pour « tel­lement il était fatigué »).

 Ce phénomène s’observe surtout dans les incises : « Drôle de corps, que je me dis » (Giono) – « Tu viens dehors ? que je lui fais »(Sartre).  Les écrivains usent volontiers de ce tour dans les dialogues où leur souci prioritaire est de faire « vrai ».

Il est toutefois d’autres que parasites, dont sont même assez coutumiers des gens cultivés.  J’en re­tiendrai deux parmi les plus courants.

Si que peut représenter toute conjonction qui le précède, c’est à condition qu’elle soit subordonnée.  Il ne peut dès lors remplacer, car, comme dans cette phrase d’Edmond Jaloux: « Puis elle nettoyait la plaie à l’éther – à l’éther, car l’alcool aurait fait trop mal et qu’elle voulait évi­ter toute douleur à ce jeune garçon ),.

On entend trop souvent en Belgique des « assez ri­che que pour… » des « trop petit que pour… », etc.  Il n’est sans doute pas inutile de rappeler qu’a­près assez, trop, trop peu, suffisant, suffisamment, insuffisant et insuffisamment, on ne peut faire sui­vre pour de que sous peine de commettre un wallo­nisme (à Liège, on dit « Il èst bin trop malin qu’ po s’ lèyî couyoner »).

Ainsi le prescrit l’Usage, et non la logique, car dans les tours de l’espèce, la présence d’un que de con­séquence se justifierait parfaitement.

Il n’est pas rare qu’après des adjectifs de comparai­son, que se mue à tort en préposition, entre autres après pareil et différent : « C’est juste pareil que (pour à) des fleurs ), (Clau­del). « Succès d’une nature bien différente que (pour de) celui de mes réussites scolaires » (Simone de Beauvoir).  Ici l’auteur a sans doute préféré commettre une incorrection plutôt que d’alourdir sa phrase par un de répété « différente de celui de mes réussites scolaires »).

Que entre tout naturel­lement dans la composi­tion des locutions conjonctives.  Celles-ci ne sont pas toujours également accep­tables.  Si, malgré l’opposi­tion des puristes, surtout que l’a emporté, il en a été autrement de même que « Il va mieux, même qu’il remarche déjà » qu’il con­vient de réserver à la langue familière.e

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