Les facilités ou le comble de l’intolérance francophone
article du professeur de droit, M. H. Van Impe (VUB))
intitulé « La liberté linguistique », in : LS, s.d.
L’ARTICLE 23 de la Constitution belge établit la liberté de l’emploi des langues au profit des citoyens et impose dès lors des obligations linguistiques aux autorités publiques. La liberté individuelle est celle des personnes privées. Les pouvoirs publics ont, en la matière, des devoirs qui découlent logiquement des droits linguistiques de la population.
Il va de soi que le bourgmestre ou l’échevin d’une commune qui n’est pas capable de s’entretenir dans la langue de sa région avec ses concitoyens viole la liberté constitutionnelle des langues de ses administrés.
Les différentes lois sur l’emploi des langues ne dérogent pas à l’article 23 de la Constitution; elles ne limitent pas la liberté linguistique. Bien au contraire, elles organisent la liberté des langues. De ce fait, elles ne doivent pas et elles ne peuvent pas être interprétées de façon restrictive.
Rappelons que, entre la promulgation de la Constitution et le vote des premières lois sur l’emploi des langues, c’est-à-dire entre 1831 et 1873, la liberté linguistique est restée lettre morte pour l’immense majorité des Belges : la bourgeoisie absolue imposait sa langue aux Flamands, aux Wallons et aux germanophones (de l’est de la province de Luxembourg). Les lois linguistiques n’étaient pas des lois de contraintes mais des lois protectrices pour les petites gens !
La jurisprudence du conseil d’Etat est par trop timide. On révoque un bourgmestre incapable d’exercer ses fonctions, mais on n’ose pas destituer des conseillers communaux tout aussi incapables de remplir leur mandat. Or, ces élus sont appelés, non seulement à accomplir des tâches politiques, mais aussi à prendre des décisions d’ordre administratif ou juridictionnel (disciplinaire) sur base de dossiers qu’ils ne savent pas lire. Nous songeons plus particulièrement à la nomination du personnel communal et aux sanctions à infliger éventuellement au personnel qui a pourtant le droit d’être enten du ! Soulignons, par ailleurs, que les conseillers communaux doivent pouvoir communiquer avec la population. Il s’agit d’une exigence démocratique élémentaire.
Ils agissent dans ces cas en méconnaissance de l’article 3 ter de la Constitution (relatif aux communautés linguistiques) puisqu’ils veulent exercer des fonctions publiques au sein d’une communauté dont ils ignorent la langue et ils poussent l’outrecuidance jusqu’à prétendre qu’ils ont le droit le plus absolu d’ignorer la langue de leurs administrés. On se croirait parfois au Moyen Age !
Les « facilités » ont été accordées à des fins humanitaires (pour les moins jeunes) et pédagogiques (pour les jeunes). En Suède, les étrangers bénéficient de cours accélérés de langue suédoise afin de les intégrer dans la communauté. Dans la périphérie de Bruxelles, il faudrait pareillement organiser des cours de néerlandais afin de permettre aux jeunes immigrés de s’adapter en apprenant la langue de la région.
Le mot « immigrés » a deux significations : d’une part, les travailleurs immigrés (généralement d’origine étrangère) et les personnes qui changent de région linguistique. Dans la périphérie de Bruxelles, il s’agit, le plus souvent, de « dormeurs » immigrés. Les intéressés continuent à exercer leurs activités professionnelles et autres à Bruxelles-Capitale, mais viennent passer la nuit dans une des communes environnantes où l’air est meilleur et… les terrains moins chers. Le phénomène des communes dortoirs n’est d’ailleurs pas récent. Aussi longtemps que les intéressés se bornent à dormir, il n’y a pas trop de problèmes : ils peuvent continuer à bénéficier de facilités de guichet. Mais lorsqu’ils veulent accaparer des fonctions publiques, tout en étant incapables de s’acquitter des devoirs de leurs charges, le problème change complètement, puisqu’ils foulent aux pieds la liberté constitutionnelle de l’emploi des langues des habitants autochtones.
En faisant jouer le principe majoritaire, lesdits francophones se rendent coupables d’une tentative de génocide culturel. Or, les droits culturels constituent un chapitre essentiel dans les traités internationaux qui protègent les droits fondamentaux de l’Homme. Ces traités ont été ratifiés par la Belgique.
D’aucuns défendent l’idée qu’un francophone, même s’il se trouve dans une région non francophone, peut exercer la plénitude de ses droits politiques… dans sa langue à lui, en bafouant le droit de la population autochtone à l’emploi de sa propre langue. Pareil incivisme linguistique est contraire aux articles 3 bis, 3 ter et 23 de la Constitution, articles dont la portée s’éclaire à la lecture de l’article 59 bis.
On est frappé par le parallélisme qui existe entre de telles prétentions de certains francophones et les affirmations d’Hitler qui soutenait que toute personne de souche allemande avait tous les droits d’allemand, même lorsqu’il était citoyen d’un autre Etat. C’était cet autre Etat qui devait s’incliner devant la qualité d’allemand. Le national-socialisme en matière linguistique ne semble hélas pas être le monopole du IIIe Reich.
La législation sur l’emploi des langues en matière administrative était inspirée par un souci d’apaisement. Après un quart de siècle d’application, il faut reconnaître que l’objectif poursuivi est en grande partie atteint. Sauf à Bruxelles-Capitale, dans la périphérie bruxelloise et à Fourons, les problèmes sont pratiquement résolus. En d’autres termes, pour plus de quatre cinquièmes de la population belge, il n’y a plus de véritables problèmes dans ce domaine.
Quels problèmes subsistent et devraient encore pouvoir trouver une solution, conformément à l’esprit et à l’économie générale de la Constitution révisée ?
En premier lieu, la situation anti-démocratique dans certaines communes de la périphérie bruxelloise où, par un abus de droit, des inadaptés sociaux entendent imposer leur langue à la communauté flamande locale, s En deuxième lieu, la situation antisociale existant dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale. Dans certains services communaux et dans certains C.P.A.S., le bilinguisme n’est pas effectif. Les Flamands se voient imposer le français, même par des médecins, lesquels se conduisent en vétérinaires puisqu’ils ne savent pas communiquer avec leurs malades. Comme ces petites gens se trouvent dans une position de demandeurs, ils ne peuvent se défendre en exigeant le respect de leur liberté linguistique constitutionnelle.
La récente campagne qu’a dû mener la Commission néerlandaise de la culture présidée par M. Hugo Weckx (art. 108 ter de la Constitution) et qui se rapporte à la délivrance des cartes d’identité, prouve clairement que, pour les Flamands de Bruxelles, la liberté est toujours un vain mot.
L’article 3 ter de la Constitution (La Belgique comprend trois communautés : la communauté française, la communauté flamande et la communauté germanophone) est l’article-clé de l’Etat trinational qu’est devenue la Belgique depuis 1970. Il s’agit d’un article inséré en 1970 et révisé en 1980.
Les communautés linguistiques doivent apprendre à se respecter mutuellement, à ne pas s’immiscer dans leurs affaires intérieures respectives et à ne pas se voler des mandats publics. La place de T. Van Overstraeten n’est pas au Conseil régional wallon. La place de M. J. Happart n’est pas à la tête d’une commune flamande. Tout impérialisme est à proscrire.
Rappelons que les Flamands de Flandre ont dû lutter pendant plus d’un siècle pour jouir enfin de leur liberté constitutionnelle. Les petites gens de Bruxelles qui sont Flamandes devront-elles encore attendre longtemps la mise en œuvre pour eux de l’article 23 de la Constitution, article qui date de 1831 ?
Enfin, n’oublions pas la troisième communauté du pays, nos compatriotes germanophones (de l’est de la province de Liège). Quand pourrons-ils régler eux-mêmes l’emploi des langues dans leur région ?
En guise de conclusion, nous exprimons le souhait que le Conseil de la communauté française fasse désormais preuve de tolérance linguistique en reconnaissant et respectant le caractère bilingue de Bruxelles et que, de son côté, le Conseil régional wallon tienne mieux compte de l’existence de la communaué germanophone et de ses droits légitimes.
- Van Impe