500 schandalen in onze instellingen sinds de jaren 1980 / 500 scandales dans nos institutions depuis les années 1980

PLAN

0 Généralités

1 Elections

2 Partis

3 Communes

4 Provinces

5 Régions

6 Niveau national

6.1 Gouvernements

6.2 Ministères

6.3 Parlements

6.4 Royaume

7 Politique et médias

8 Services

9 La Belgique et le monde

10 Varia : l’embrigadement politique d’enfants

 

 

0 Généralités

0.1 Analyses

0.2 Documents

0.1 Analyses

M. Sparks, The GTI News Flash, in: Actua Presss, 373, 1990s, p.10, sd

 

J.-Cl. Defossé was amazed to find that Belgium was rich in ineffectual constructions: bridges, stretches of motorways, underground stations, nuclear shelters and swimming pools, all costing huge amounts of money to build and either unfinished but crumbling with disuse.

 

Etienne Delmotte, On chame à deûs pîds, c’ èst flamind, ça ?, in : Remue-Méninges, 181, p.4, déc. 2000

 

Monsieur Patrick Dewael, Ministre Président de la Communauté flamande, prônait un (pseudo)fédéralisme à deux partenaires comme structure pour notre Etat belge.

L’Autriche-Hongrie, et la Tchécoslovaquie, vous connaissez ?

Cette proposition d’un (pseudo) fédéralisme à deux partenaires est évidemment invivable. A deux, en excluant l’hypothèse d’une grande passion amoureuse, il n’y a aucun avenir. A deux, dans la vie d’une démocratie, c’est une alternative permanente : l’unanimité ou le blocage.

A trois, c’est à peine moins ridicule. Une composante (interchangeable) peut « jouer la bascule » et mettre en minorité tantôt l’un, tantôt l’autre. C’est le conflit … ouvert ou larvé, mais permanent.

Ces deux structures (pseudo) fédérales sont aussi invivables l’une que l’autre.

Il n’y a de salut, sur le terrain du fédéralisme, sans créer une structure à multiples composantes. Il en faut six, sept ou huit, au moins. Ceci, de manière à permettre des solidarités, temporaires et variables, qui se manifestent au-delà des clivages simplistes comme le clivage linguistique. Dans une structure de ce type, la Belgique pourrait se reconstruire un avenir.

Mais … L’oligarchie des princes qui nous gouvernent, c’est-à-dire, les présidents des partis associés dans une majorité … Elle ne manifeste plus aucun sens de l’Etat. Ces Messieurs dames ne font (même) pas de la politique. Comme d’autres spéculent en bourse, eux, ils passent leur temps à spéculer sur des hypothèses de résultats électoraux. Et c’est ça qui nous gouverne. Progressistes ou réactionnaires, vrais ou faux, auteurs d’une solution « sui generis » à la Belge, ils nous conduisent au suicide de notre Etat belge.

Par contre… Un fédéralisme fondé sur de multiples composantes (par exemple els provinces, à revivifier) nous placerait dans le même type de structures que la république d’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, les USA, etc. Tous les Etats fédéraux vivables. Ils sont tous fondés sur de multiples composantes. Et aucun ne se prive de partis nationaux qui, réunis sur une idéologie commune, transcendent les clivages linguistiques ou autres.

 

André Philippart de Foy (Bruxelles), La séparation des pouvoirs, LB 03/03/2001

 

D’après l’article 25 de notre Constitution, la Belgique est un État de droit au sein

duquel la Souveraineté se partage entre les trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) qui sont indépendants l’un de l’autre, ayant chacun une mission différente et dont aucun ne peut envahir les attributions de l’autre.

C’est pourquoi un gouvernement (exécutif) ne peut faire que ce que la loi lui permet.

La séparation des pouvoirs est la base même d’un État démocratique.

N’est-il pas dès lors consternant de lire dans la presse que tant le Président du PS que l’ancien Président du PRL estiment qu’il faut passer outre à l’avis du Conseil d’État au sujet de la régionalisation de la loi communale ?

L’opinion du Parlement – disent-ils – doit en l’occurrence primer celle des magistrats du Conseil d’Etat.

Cette dernière affirmation est la négation même de notre État de droit, car aucun des trois pouvoirs ne peut primer un autre du fait qu’ils sont indépendants, chacun dans leur sphère.

Ceci démontre la déliquescence de notre démocratie qui ne se partage plus entre les trois pouvoirs et qui est aux mains exclusives des Présidents de partis.

Ce constat est grave car il signifie qu’il n’y a plus de contre-pouvoirs et que dès lors le pays est mûr pour la dictature d’une oligarchie qui n’a plus de compte à rendre à personne.

Et que penser d’un professeur de droit constitutionnel qui, en l’absence de toute déontologie, soutient la thèse du gouvernement en omettant de rappeler qu’il est le mari de Madame Onkelinx ! C’est digne d’une république bananière.

 

Michel Lamensch, Marc Eyskens (ex-Premier ministre, Député CVP) : « Le fédéralisme n’a pas transformé le pays en paradis », LS 19/04/2001

 

– Une réussite, le fédéralisme belge ?

– Force est de constater que malgré un frémissement dans certains secteurs, la reprise économique est extrêmement lente en Wallonie. Et l’écart avec la Flandre ne cesse de se creuser. De ce point e vue-là, on ne peut pas dire que le fédéralisme ait été spectaculairement bénéfique à la Wallonie. Bruxelles ? Le fédéralisme « confédéralisant » fragilise sa situation comme capitale incontestée du pays. Autre ombre : Bruxelles est une ville à infime minorité flamande. Si nous n’y trouvons pas les garanties nécessaires de représentation, son rôle de siège des institutions européennes et de nombreuses multinationales serait mortellement menacé.

Enfin, si la Flandre est devenue une des régions les plus prospères d’Europe, c’est surtout grâce à l’Europe et non grâce au fédéralisme … L’ombre de la Flandre est évidemment l’extrême-droite et ses relents de racisme. En Flandre, le fédéralisme a causé un déficit éthique sociétal. « Eigen volk eerst », c’est le comble de l’égoïsme dans une région ultra-prospère. Bref, dans les trois régions, on ne peut pas dire que le fédéralisme ait transformé la Belgique en paradis terrestre…

 

– Etes-vous nostalgique du régime unitaire ?

– Non. Nous devons faire fonctionner nos institutions fédérales. Je vois un paradoxe typiquement belge. On commence par scinder en deux ou en rois et puis on négocie des accords de coopération pour refédéraliser ! Prenons la sécurité sociale. Si vous scindez tous ses pans (allocations de chômage, pensions, etc.), la pauvreté double en Wallonie et diminue en Flandre. C’est un problème éthique insurmontable. Ce qui me scandalise, c’est que ce que je vous dis, les trois quarts des hommes politiques, flamands et francophones, le disent entre eux dans les couloirs mais jamais à la tribune du Parlement !

 

– (…) la régionalisation du commerce extérieur est combattue pour son inefficacité par les partisans de l’économie de marché dont vous êtes …

– Là aussi je constate une grande hypocrisie. On crie victoire dans certains camps extrémistes. Mais, là aussi, on s’empresse de négocier des accords de coopération ! Et on part ensemble à l’étranger, couverts du drapeau belge… c’est la seule façon d’avoir pignon sur rue. Il est impossible d’expliquer hors de Belgique ce qu’est la Flandre ou la Wallonie… La vocation de la Belgique est de devenir une province européenne. La Flandre et la Wallonie, belges ou autonomes, deviennent des préfectures. Dans dix ou quinze ans, les problèmes linguistiques seront largement dépassés par des moyens de communication technologiques. On pourra traduire toutes les langues dans toutes les langues… mais le changement est si rapide qu’on ne le remarque pas.

 

– (…) Le séparatisme serait une catastrophe pour la Wallonie, la fin de Bruxelles et un dommage pour la Flandre qui perdrait Bruxelles et sa périphérie. Ce serait une mutation terrible.

(…) Cela ne me gêne pas d’être minoritaire dans mon parti… Tous ceux qui ont eu nue expérience gouvernementale fédérale finissent par penser comme moi. « Louez un autocar, allez voir la situation à La Louvière, à Charleroi et Liège. » Si on avait une telle situation en Flandre, on n’en parlerait pas à la légère. Je comprends un certain désespoir wallon mais il n’est pas exclu que les gouvernements wallons successifs n’aient pas fait assez pour reprendre les choses en main.

 

Francis Briquemont, lt-gén. e.r., Comme la Belgique, l’Armée s’évapore, LB 30/12/2002

 

Il est frappant de voir la crise profonde que traversent les organes représentant le plus l’autorité de l’Etat : la justice, la police, l’armée. Depuis peu, certains s’en prennent même à l’institution monarchique.

 

Noé Michel (Bruxelles), Démocratie / Chaque jour de moins en moins, LB 11/10/2002

 

DANS MA CANDEUR NAÏVE, je croyais qu’une tempête de protestations allait s’élever contre les projets actuelle­ment à l’ordre du jour, qui me paraissent écorner sérieuse­ment les principes de notre dé­mocratie parlementaire.

 

Il n’en a rien été, ou si peu, même de la part des partis d’opposition ou des organis­mes défenseurs des droits de l’homme.

Et pourtant:

– la diminution de compéten­ces du Sénat, du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes amoindrit le contrôle sur l’exé­cutif et lui donne les coudées plus franches pour réaliser les projets des partis au pouvoir.

– la fixation d’un seuil d’éligibi­lité, combinée avec l’élargisse­ment des circonscriptions élec­torales, diminue notablement les possibilités de création de nouveaux partis politiques, confortant le monopole des partis existants;

– l’élargissement des circons­criptions électorales, combiné à l’interdiction des cumuls, va éloigner encore un peu plus l’élu de ses électeurs;

– les possibilités de doubles candidatures, combinées au ré­tablissement des suppléants, suppriment toute garantie à l’électeur quant à la destina­tion de son vote;

– l’extension des amend.es ad­ministratives élargit l’empiéte­ment, déjà perceptible, du pou­voir exécutif sur les compéten­ces du pouvoir judiciaire;

la « privatisation » de certai­nes activités policières confie la constatation de certaines in­fractions à des agents non as­sermentés. (…)

 

Herwig Lerouge, Le dossier Nihoul, Les enjeux du procès Dutroux, EPO 2004

 

(p.7) Les indices sont bien minces

 

Après six ans d’enquête dans l’affaire Dutroux-Nihoul, le juge Jacques Langlois présente, le 6 septembre 2002, son rap­port d’instruction à la Chambre du conseil de Neufchâteau. La Chambre du conseil, à l’issue de l’instruction d’une affai­re, doit décider, pour chaque inculpé, s’il existe ou non des indices suffisants quant à l’existence d’un crime. Si oui, elle ordonne la transmission des pièces du dossier au Procureur général, en l’occurrence Anne Thily à Liège. Celui-ci consulte alors la Chambre des mises en accusation qui décide quel inculpé sera renvoyé devant la Cour d’assises et pour quels crimes.

 

Bref rappel des faits

 

Jacques Langlois est le juge d’instruction qui a succédé au juge Connerotte. Connerotte avait arrêté Marc Dutroux, le kidnappeur de Laetitia Delhez qui avait disparu le 9 août 1996 à Bertrix, dans la province du Luxembourg.

Dans les heures qui suivent cette disparition, le procureur du Roi Bourlet, du parquet de Neufchâteau, ouvre une enquête et Jean-Marc Connerotte est désigné comme juge d’instruction. Après quatre jours, il arrête Dutroux et ses complices Michel Lelièvre et Michelle Martin. Il les interroge et mène des perquisitions à leurs domiciles, notamment à Marcinelle. Le 15 août, il retrouve, séquestrées dans la cave de Dutroux, Laetitia Delhez et Sabine Dardenne, enlevée le (p.8) 28 mai à Kain, dans le Hainaut. En aboutissant en une semai­ne d’enquête, Connerotte a sans doute sauvé d’une mort cer­taine et de souffrances atroces les deux dernières victimes de Dutroux. Les victimes précédentes de celui-ci, les petites Julie Lejeune et Mélissa Russo, An Marchai et Eefje Lambrecks n’auront pas cette chance. On les retrouvera mortes dans les jours et les semaines qui suivent.

Pourtant, le 14 octobre 1996, à la demande de Julien Pierre, l’avocat de Dutroux, le juge Connerotte est récusé, sous prétexte d’avoir manqué d’impartialité en mangeant un spaghetti à une soirée donnée au profit des victimes. Bravant la colère populaire, la Cour de cassation, la plus haute Cour du pays, le renvoie. Il est remplacé par un collègue, Jacques Langlois.

Près de six ans plus tard, le 6 septembre 2002, le juge Langlois termine enfin son enquête. Il explique alors pendant quatre heures, devant la Chambre du conseil, les conclusions auxquelles il a abouti. En résumé : il existe une association de malfaiteurs qui enlève, séquestre, torture et assassine des enfants. Elle est dirigée par Dutroux, et Lelièvre et Martin en font partie. Dutroux et Lelièvre ont enlevé et séquestré Sabine et Laetitia. Michelle Martin a participé à cette séquestration. Dutroux les a violées. Pour Nihoul, il n’y a pas de charges suf­fisantes.

Comme, en quatre ans d’enquête, Langlois a refusé un tas de perquisitions, de reconstitutions et de recherches, il n’est pas parvenu à éclaircir exactement la manière dont Julie et Mélissa, An et Eefje ont été enlevées, violées, tuées, ni quand, ni par qui.

 

(p.9) Toutefois, pour l’enlèvement d’An, les charges contre Dutroux et Lelièvre sont jugées suffisantes. Martin est impli­quée avec Lelièvre et Dutroux dans la séquestration d’An et Eefje, Dutroux et Lelièvre dans les viols, et Dutroux est responsable de leur assassinat.

En ce qui concerne Julie et Mélissa, Martin et Dutroux sont inculpés de la séquestration. Dutroux est inculpé de l’enlèvement. Il n’y pas d’aveux concernant l’enlèvement, mais comme les petites filles ont été séquestrées à Marcinelle, on peut penser que c’est Dutroux qui a organisé l’enlève­ment. C’est ce qu’affirmé aussi Martin. Dutroux nie et char­ge Lelièvre. Lelièvre nie et charge Dutroux. Il affirme même qu’en juin 1995, il ne connaissait pas Dutroux, ce qui est jugé peu crédible vu les témoignages recueillis pour le dos­sier. Langlois demande aussi l’inculpation de Dutroux pour les viols de Julie et Mélissa et de trois filles slovaques, pour plusieurs séquestrations et l’assassinat de son complice Weinstein.

 

Nihoul échappe aux assises, Langlois demande le non-lieu.

Le procureur Bourlet, de son côté, demande le renvoi de Nihoul devant les assises.1 Les charges lui semblent suffisan­tes pour retenir que Nihoul faisait partie d’une association de malfaiteurs avec Lelièvre et Dutroux.

Il n’accuse pas Nihoul de participation à l’enlèvement de Laetitia. Non parce qu’il est convaincu de son innocence, mais parce qu’il lui est impossible d’établir cette implication à partir du dossier qu’a préparé le juge Langlois. Seulement, il veut des explications. Le 10 août 1996, lendemain de l’enlè­vement de Laetitia, Nihoul a remis 1.000 pilules d’XTC à Lelièvre. Nihoul avait reçu ces pilules du trafiquant de dro­gue Walsh afin de les écouler. Nihoul a trahi et fait arrêter le (p.10) trafiquant, mais gardé les 5.000 pilules d’XTC. A ce moment-là, une telle pilule se vend 500 francs, 1.000 pilules valent donc 500.000 francs.

Langlois a envisagé à un certain moment qu’il s’agissait du paiement de l’enlèvement de Laetitia. Mais jamais il n’a tenté de vérifier cette hypothèse. Nihoul a toujours nié ce trafic et seules les dénégations de Nihoul figurent au dossier.

Bourlet aurait voulu que Nihoul explique devant les assises son trafic de drogue avec Lelièvre à l’époque de l’enlèvement de Laetitia. Il aurait voulu qu’il explique pourquoi les pre­mières livraisons à Lelièvre et Dutroux, avant le 10 août, se font par quantités de 100 pilules payées à la livraison et que, le 10 août 1996, c’est une quantité dix fois supérieure qui est livrée, sans paiement apparent.

 

Même si Nihoul affirme que les comprimés d’XTC ne sont pas le paiement de l’enlèvement, Bourlet estime qu’il est difficile de croire à tant de coïncidences dans cette affaire, dont la remise de 1.000 pilules d’XTC le lendemain de l’enlè­vement de Laetitia. Il aurait voulu savoir comment Nihoul a expliqué aux gendarmes de Dinant et de Bruxelles l’absence, lors de l’arrestation du trafiquant de drogue, de 5.000 pilules d’XTC. Il leur en avait pourtant parlé lors du premier contact en vue de préparer l’arrestation de Walsh. Et que sont deve­nues les 3.500 pilules qui n’ont pas été livrées aux deux autres inculpés ?

D’autant qu’après avoir nié, durant six ans, avoir recelé chez lui les 5.000 pilules et en avoir donné à Michel Lelièvre, Nihoul change complètement de version le jour où la Cham­bre du conseil statue sur son sort. Il annonce froidement qu’il possédait bien ces pilules au su de la gendarmerie et (p.11) que, le 10 août 1996, il en a donné 1.000 à Lelièvre. Mais c’était, dit-il, dans le but de démanteler le réseau de trafic de drogue de celui-ci. Il déclare au même moment qu’en fait, pendant tout ce temps, i! a fréquenté Marc Dutroux en tant qu’informateur de la gendarmerie «ayant pour mission de démanteler le réseau de prostitution de Dutroux et Lelièvre». Il ne se gêne même pas pour dire qu’il était sur le point de fai­re tomber Dutroux. «J’ose même affirmer que, si Dutroux et Lelièvre n’avaient pas été arrêtés en août 1996, ils n’auraient plus pu continuer longtemps, et ce grâce à moi.»2

 

Pourtant, on ne retrouve aucune information qu’il aurait fournie sur le réseau Lelièvre permettant d’arrêter le moindre petit ou grand dealer. Et l’informateur Nihoul n’a fourni à la gendarmerie aucune information, ni sur les enlèvements d’en­fants, ni sur les plans qu’il concoctait lui-même pour mettre sur pied un réseau de prostitution avec des filles de l’Est.

Selon Jan Fermon et Georges-Henri Beauthier, les défen­seurs de Laetitia Delhez, «le procureur Bourlet avait avancé un si grand nombre d’arguments contre lui dans son réquisi­toire que plus personne ne pouvait continuer à croire aux affabulations de Nihoul.»

Nihoul a aussi probablement parié que la Chambre du conseil n’allait pas prendre le risque d’ouvrir une nouvelle « affaire » où était impliqués la gendarmerie et l’un de ses informateurs.

Toujours est-il que la dernière version de Nihoul n’a pas été vérifiée par l’enquête à l’heure qu’il est. Ainsi, pour savoir si, oui ou non, Nihoul n’est pas purement et simplement impliqué avec Dutroux et Lelièvre dans un trafic de drogue éventuellement lié aux enlèvements d’enfants, il faudra savoir (p.12) si Nihoul dit vrai et si la gendarmerie a bel et bien couvert Nihoul dans ce trafic. Son enquêteur responsable à la BSRde Dinant, Gérard Vanesse, est entre-temps décédé et il ne pour­ra plus le contredire. Les avocats des parties civiles ont demandé que les membres de la BSR de Bruxelles qui ont tra­vaillé avec Nihoul soient interrogés. Mais si Nihoul n’est pas renvoyé en assises, on ne pourra jamais le faire.

 

Quant à l’impossibilité de l’implication de Nihoul dans l’enlèvement de Julie et Mélissa, Bourlet se montre aussi cri­tique envers le travail de Langlois : «II aurait fallu tenir comp­te des témoignages qui parlent d’une rencontre Dutroux-Nihoul avant l’enlèvement de Julie et Mélissa. Or ces témoi­gnages n’ont pas été repris dans le procès-verbal de synthèse du juge d’instruction.»

 

Il est aussi en désaccord avec le fait que Langlois n’a pas vérifié la plupart des autres tentatives d’enlèvement signalées à charge de Dutroux et de Nihoul via la ligne verte 0800 ouverte par Connerotte en octobre 1996, sous le prétexte que « la médiatisation excessive des inculpés a conduit les gens à les avoir vus partout ». Il estime qu’il y a de bonnes raisons de penser que «les victimes de tentatives d’enlèvement qui se sont plaintes ne sont pas toutes des fabulatrices qui regardent trop la télé.» Puisque Langlois n’a pas enquêté sérieusement sur ces tentatives d’enlèvement, Bourlet demande que la Cour d’assises les examine et accepte les témoins (une dizai­ne) qui revendiqueraient le droit de témoigner.

Bourlet veut que ce travail soit repris lors de « l’enquête bis » décidée par Cour d’appel de Liège, le 22 octobre 2001.

 

Pour Bourlet, Nihoul est, en outre, le chef d’une association de malfaiteurs s’occupant de trafic de drogue et de voitures (p.13) volées, de faux papiers et d%5trafic avec des filles de l’Est. Dutroux et Lelièvre en font partie. Contrairement à Langlois, Bourlet estime prouvée la remise par Nihoul d’XTC à Lelièvre, ravisseur de Laetitia. Il y a donc association de malfaiteurs entre Lelièvre et Nihoul. Ce que Langlois ne retenait même pas, jugeant que les « indices sont bien minces ».

 

Tous ces arguments n’ont apparemment pas convaincu le président Moinet, de la Chambre du conseil de Neufchâteau. Le 17 janvier 2003, il se range aux arguments de Langlois et décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre Nihoul pour les enlè­vements d’enfants, ni pour son implication éventuelle dans une association de malfaiteurs avec Dutroux et ses compli­ces.3 Nihoul n’aurait été contacté par Dutroux et Lelièvre que « pour solutionner des problèmes de chômage, de radiation de domicile, d’expertise et de location d’immeubles… » Bref, de l’assistanat social. Pour lui, les témoins qui affirment avoir vu Nihoul à Bertrix la veille de l’enlèvement de Laetitia Delhez ne sont pas crédibles. Nihoul a bien fourni un faux alibi pour cette journée, mais qu’est-ce que cela prouve? Oui, Nihoul a bien eu des contacts physiques et téléphoniques fré­quents en juillet et août 1996 avec Dutroux et Lelièvre. Il a bien téléphoné plusieurs fois à Dutroux le jour de l’arresta­tion de celui-ci, mais c’était pour avoir des nouvelles de sa voiture confiée à un garagiste, ami de Lelièvre et que Dutroux connaissait à peine. Au lendemain de l’enlèvement de Laetitia, il a bien remis 1.000 pilules d’XTC à Lelièvre, le complice de Dutroux dans cet enlèvement. Mais « rien ne permet d’établir un lien entre ces deux affaires ». Il s’agirait d’une affaire de tra­fic de drogue entre Nihoul et Lelièvre, où Dutroux n’inter­vient pas.

 

Ce jugement fait d’une pierre deux coups. Nihoul n’a rien à voir avec les enlèvements et il n’y a pas d’association de (p.14) malfaiteurs autour de Nihoul-Dutroux. Car Dutroux n’est pas impliqué dans les trafics de Nihoul et Lelièvre.

Nombre de représentants haut placés de l’appareil judiciaire ont applaudi des deux mains la décision de non-lieu bénéfi­ciant à Nihoul, estimant qu’elle était excessivement bien moti­vée. Au point que d’autres avocats et juristes se sont inquiétés de ce «ouf» de soulagement.4 Parmi eux, Jean-Maurice Arnould, de la Ligue des Droits de l’Homme de Mons, Michel Graindorge, avocat au barreau de Bruxelles, et Lau­rent Arnauts, l’ancien avocat de la famille Benaïssa. Ils se demandent comment on peut juger que «le non-lieu serait excessivement bien motivé, alors que pour apprécier pleine­ment l’existence ou l’absence de charges suffisantes pouvant conduire au renvoi (devant les assises), il convient à tout le moins d’avoir eu accès au dossier répressif.» Ce qui, en princi­pe, n’est pas le cas des partisans de Langlois. Ils rappellent « que certains des parents et leurs conseils (qui ont accès au dossier répressif) sont convaincus – à tort ou à raison – que toutes les pistes utiles n’ont pas été explorées. La Chambre du conseil a avalisé l’enquête qu’ils estiment incomplète, balayant leurs arguments, (parce que) les faits épingles ne seraient que de pures coïncidences ou qu’ils ne seraient pas suffisamment étayés par l’enquête dont les parents déplorent, précisément, l’orientation trop limitée. » Ils s’inquiètent sur­tout de la motivation du non-renvoi. « En écartant systémati­quement les dites coïncidences d’événements ou de dates, au motif qu’elles ne pourraient constituer des « présomptions que lorsqu’il existe entre elles un lien établi avec certitude », la Chambre du conseil se substitue à la Cour d’assises.» Et ils citent les principes légaux en matière de procédure : « Le doute n’a pas la même portée selon les stades de la procédure.

 

Si un (p.15) doute persiste devant la Cour d’assises, il devra bénéficier à l’accusé et entraîner son acquittement. En revanche, le doute qui existe à ce stade du règlement de la procédure (la Cham­bre du conseil qui décide du renvoi devant le tribunal) devrait conduire au renvoi devant la juridiction de jugement (la Cour d’assises). Le doute suffit comme charge suffisante justifiant un renvoi. » La décision de la Chambre du conseil de ne pas renvoyer Nihoul devant la Cour d’assises signifie donc que la justice estime qu’il ne subsisterait pas même un doute quant à son implication éventuelle, alors qu’un renvoi laisse ouvertes toutes les possibilités quant à l’issue du procès. « En pratique, ne pas renvoyer Nihoul devant la juridiction de fond privera la société d’une chance minimale essentielle que l’hypothèse d’une association de malfaiteurs ou d’une organisation crimi­nelle soit analysée et tranchée, fût-ce partiellement, au terme d’un débat public. Ce qui accrédite l’idée déplaisante qu’une partie de la vérité ne sera jamais connue. »

 

Ainsi, on s’acheminait, début 2003, vers l’un des plus grands scandales policiers et judiciaires de l’après-guerre en Belgique et vers son dénouement classique : un enterrement de première classe. Tout comme dans l’affaire de la Bande du Brabant wallon : 28 personnes assassinées, des membres et officiers de la gendarmerie suspectés, mais aucun coupable découvert. Et les suspects se trouvent dans le même milieu nébuleux de la droite et de l’extrême droite politiques, mêlés à la haute finance, à des hauts gradés de la police et de la gen­darmerie, à des magistrats, des avocats et à la criminalité orga­nisée. Le milieu où gravite Nihoul depuis plus de vingt ans.

 

Six ans auparavant, le quotidien La Dernière Heure écrivait que « les deux jeunes filles étaient tombées dans les mains d’un (p.16) réseau de pédophilie qui avait ses bases à Charleroi. On pour­rait écrire que tout est bien qui finit bien, si on ne se rendait pas compte que la Belgique est devenue un pays où les pédo­philes sont organisés aussi bien que les truands. »5 On parlait alors beaucoup du rapport du Centre pour l’Egalité des chan­ces de mars 1996, qui notait que «notre pays n’échappe pas au grave problème des réseaux de prostitution et de pornogra­phie enfantine mais l’on ne dispose d’aucun moyen concret pour le quantifier.» Ces affirmations étaient soutenues par les déclarations de Lelièvre aux enquêteurs : Dutroux avait eu besoin de lui ou de Weinstein pour enlever des fillettes, disait-il, et An et Eefje avaient été « une commande ». Dutroux par­lait à tous ses amis de commandes et de livraisons, de centai­nes de milliers de francs à gagner. Puis, dès octobre, Lelièvre a été menacé, notamment par Nihoul, et il s’est tu.

 

Six ans plus tard, le 17 janvier 2003, il ne reste que Dutroux, un pervers isolé, sa compagne Martin et Lelièvre. Finies les commandes, et donc les intermédiaires et les clients. Il n’y a pas d’organisation criminelle qui enlève des enfants à des fins de prostitution ou de pornographie. Et Nihoul n’a rien à voir dans l’affaire.

 

Un long travail de déstabilisation

 

Pourtant, la conclusion du juge d’instruction Langlois de ne pas renvoyer Nihoul en assises n’étonne pas. Après avoir pris en mains le dossier, il a très vite orienté son enquête dans le sens de Dutroux, « pervers isolé ». Dès le début, il a jugé qu’il était impossible et inutile de reconstruire l’histoire cri­minelle des deux protagonistes Nihoul et Dutroux.

 

(p.17) Avec le recul, le remplacement de Connerotte par Langlois a été une première étape dans la reprise en main par le som­met de la justice, de la gendarmerie et de l’establishment poli­tique.

En libérant Laetitia et Sabine du cachot que Dutroux avait aménagé dans sa cave, Connerotte et le procureur Bourlet de Neufchâteau étaient devenus les héros du peuple. Mais ils étaient en même temps une accusation vivante du lamentable échec d’une grande partie de l’appareil policier. Un petit juge avait réussi, là où la justice de Liège et de Charleroi, la gen­darmerie du Royaume et la Police judiciaire avaient lamenta­blement échoué. Pendant plus d’un an, ceux-ci, pour des rai­sons que la Commission d’enquête parlementaire sur cette enquête n’a pas réussi ou voulu découvrir, n’ont pas retrouvé Julie et Mélissa, An et Eefje.

 

En plus, ces deux magistrats déclaraient vouloir aller jus­qu’au bout dans leur recherche de la vérité. Ils voulaient savoir si Dutroux avait agi seul ou sur commande. Ils vou­laient savoir s’il avait bénéficié de protections policières ou judiciaires. Ils étaient convaincus que les faits commis par Nihoul et Dutroux formaient un ensemble indissociable. Du moins, « si on les laissait faire », comme l’avait dit Bourlet.

 

Et « on » ne les a pas laissé faire. Le 13 octobre 1996, l’avo­cat général Mazy déclare: «Connerotte et Bourlet: deux dan­gers! On aurait dû leur tenir les rênes plus tôt. » Ce qui se cache derrière tout ça, ajoute-t-il, c’est l’orgueil fou de deux personnes qui s’estiment au-dessus des lois. On a affaire à deux cow-boys de l’appareil judiciaire qu’il aurait fallu remet­tre au pas de façon disciplinaire. »6 Le lendemain, la Cour de (p.18) cassation décide de dessaisir le juge Connerotte. Pour Gino Russo, le papa de Mélissa, cette décision revient « à cracher sur la tombe de nos enfants ».

 

Immense colère dans la population. Les ouvriers de VW partent en grève pour exiger toute la lumière. Ils sont suivis par des dizaines d’écoles et d’usines, de Caterpillar à Ford Genk, de Cockerill Sambre à Sidmar. Un fossé de méfiance se creuse entre les institutions politiques, policières et judiciai­res d’un côté et la population de l’autre. Les gens sentent qu’un Dutroux ne peut exister sans protections en haut lieu. L’affaire des enfants kidnappés et assassinés fait apparaître une justice de classe.

Une justice qui fonctionne très bien quand il s’agit de ser­vir les riches. Une justice inhumaine envers le peuple. On se rappelle qu’en 1992, Anthony, le fils de l’industriel milliar­daire De Clerck, est enlevé. Toutes les polices du pays sont immédiatement sur pied de guerre. En quelques jours, l’en­fant est retrouvé et les gangsters arrêtés. La même année, Loubna, petite Marocaine de 8 ans, est enlevée. La police accuse le père d’avoir enlevé lui-même sa fille pour la marier au Maroc. Il faudra cinq jours avant que la police judiciaire s’en occupe. L’affaire Loubna n’a pas été soumise à un juge d’instruction. On ne pouvait donc faire de perquisitions. La police a arrêté Derochette, le coupable, mais elle a facilement cru son alibi, négligeant les nombreux indices qui en faisaient le suspect numéro un. Une telle légèreté serait-elle possible si l’affaire concernait un grand industriel ?

 

(p.22) Jean Lesage, adjudant-chef de la BSR de Seraing, n’a reçu qu’un avertissement pour la perte de son carnet de notes. La commission Dutroux-Nihoul lui avait pourtant aussi repro­ché de ne pas avoir dressé procès-verbal pour le juge d’ins­truction Doutrèwe avec tout ce que la gendarmerie savait sur Dutroux.

Avec le recul, il faut bien constater que la destitution de Connerotte a constitué la première étape dans ce qu’il faut appeler l’Opération Oubliettes, la tentative organisée d’en­terrer ce scandale.

Pendant que Dehaene promettait que l’enquête irait jus­qu’au bout, les manœuvres de déstabilisation de l’enquête avaient déjà commencé. Le 27 octobre 2000, Connerotte écrit à Michel Bourlet qu’il a le sentiment d’être, «depuis six ans déjà, la cible d’une campagne qui a pour but de faire échouer l’instruction judiciaire de certains dossiers sensibles et ce, avec l’aide de certains médias». Il estime que l’enquête est sabotée depuis le début. « Les faits dans le dossier Dutroux sont tellement graves que l’on peut tout de même supposer que des enquêteurs allaient mettre tout en œuvre pour découvrir la vérité. Mais c’est le contraire qui se produit : on a rarement mis autant d’énergie contre une instruction. Cela est vrai depuis août 1996. »8

 

Certains officiers de la gendarmerie refusent de collaborer et mentent au juge d’instruction. L’adjudant de gendarmerie Patrick De Baets, dont l’équipe a interrogé les fameux X, accuse son patron, le lieutenant-colonel Jean-Marie Brabant, commandant de la BSR de Bruxelles. De Baets (…).

 

(p.25) Les bonnes et les mauvaises fuites

 

Connerotte fait la comparaison avec le dossier de l’assassi­nat d’André Cools qu’il avait en charge. Ce dossier-là aussi, la Cour de cassation le lui a retiré, le 1er juin 1994. Il avait fait arrêter quelques suspects de l’entourage du cabinet de feu le ministre Alain Vanderbiest, les mêmes qui ont comparu devant la justice. Selon Connerotte, tant dans l’affaire Cools que dans l’affaire Dutroux, les médias (téléguidés par certains hommes politiques) ont joué un rôle néfaste, certains hom­mes politiques et certains médias ont mis en route un proces­sus d’outrages, d’isolement et de mise à l’écart de magistrats, d’enquêteurs, de témoins… qui étaient en train de découvrir des éléments importants pouvant élucider l’affaire.11

Prenons l’affaire du gendarme De Baets et de son collègue Aimé Bille. Ils ont interrogé les fameux témoins X, dans le cadre de la recherche de réseaux de prostitution enfantine où auraient figuré des personnalités, ainsi que Nihoul. La plus connue est sans doute Regina Louf, appelée XI.

 

(p.30) Le 11 juillet 1997, le juge Langlois rédige l’ordre de « reli­re » les déclarations des témoins X. Il y mentionne expressé­ment que les déclarations ne peuvent pas être relues par ceux qui ont procédé aux interrogatoires.

Le 20 août 1997, Duterme décide d’éliminer l’équipe de De Baets. La gendarmerie couvre Duterme. Le 26 août 1997, le chef de la BSR de Bruxelles, Jean-Marie Brabant, confir­me la mise à l’écart de De Baets dans une note à Bourlet et Langlois. Bourlet dira qu’il a dû céder à une forme de chan­tage de la part du commandement de la BSR de Bruxelles pour écarter certaines personnes de l’enquête.

 

Duterme dépose le même jour une plainte contre De Baets pour « faux en écriture par fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ». Le juge d’instruction bruxellois Pignolet ouvre une enquête qui finit par laver De Baets et son collègue Bille de tout soupçon. Ils n’ont commis aucune faute. Mais pen­dant deux ans, l’adjudant a subi un calvaire. La justice bruxel­loise a dépensé un argent fou pour trouver des reproches à lui faire. On a enquêté pour savoir si lui ou son père n’étaient pas impliqués dans le meurtre d’Alexandre Galopin, directeur de la Société Générale. Le meurtre a été commis le 28 février 1944 et De Baets est né en… 1952. Puis, ils ont tenté de démontrer qu’il avait été en classe avec Regina Louf qui est née… 17 ans après lui.

 

Le baron Benoît de Bonvoisin, financier de l’extrême droite, escroc et ami de Vanden Boeynants, a raconté que le (p.31) père de De Baets était un collaborateur pendant la guerre. En juillet 1998, Claude Eerdekens, chef de groupe PS et membre de la Commission Dutroux, s’y met aussi. Il accu­se De Baets d’avoir violé le secret professionnel. Tous ces mensonges paraissent dans les mêmes journaux qui mènent campagne pour disculper Nihoul dans l’affaire Dutroux. Jamais la gendarmerie n’a réagi pour défendre son adju­dant.

Deux ans plus tard, De Baets et son collègue Bille sont complètement blanchis. Et… les relecteurs font aujourd’hui l’objet d’une plainte pour faux en écriture. Mais entre-temps, la Justice a enterré les enquêtes sur les faits dénoncés par les témoins X, notamment parce que certaines déclarations de Regina Louf « ne pouvaient pas être démontrées par des véri­fications qui s’en sont suivies ». On a agi avec Louf comme si c’était à elle de tout démontrer et au pouvoir judiciaire de ne retenir que «ce qui ne colle pas» au lieu d’enquêter sur base de ce qui « colle ». Pourtant, les relecteurs des auditions de Regina Louf, quoique très hostiles à la victime et à De Baets, ont reconnu douze points de similitude entre sa description et l’endroit où a été assassinée la jeune Christine Van Hees en 1984.

 

(p.33) Le magistrat officiellement chargé des contacts avec la presse, le procureur Bourlet, est tenu à l’écart. Le 12 janvier 2000, il écrit une lettre à l’avocat Thomas Braun, qui défend De Baets et Bille en justice. On peut y lire : « Le 12 septem­bre 1997, vers I6h30-17h, messieurs Brewaeys et Deliège du Soir Illustré sont entrés dans mon bureau pour me saluer ; ils étaient conviés à une réunion avec le juge d’ins­truction Langlois, le major Cuissard, et peut-être d’autres personnes, au Palais de Justice de Neufchâteau, au sous-sol, en même temps que leur collègue Gérard Rogge de la RTBF (Au Nom de la Loi). C’était sans doute une réunion de mise au point vis-à-vis de la presse avant l’émission Au Nom de la Loi qui mit le feu aux poudres. En tant que magistrat de pres­se, je n’étais ni informé, ni convié (une fois de plus) à cette réunion.»19 Ces deux journalistes du Soir Illustré comptent parmi les pourfendeurs les plus durs de l’équipe De Baets. Langlois savait donc à qui il avait à faire.

Cinq jours plus tard, l’émission Au Nom de la Loi tourne en dérision les indices de culpabilité que Connerotte avait rassemblés contre Nihoul. Elle réécrit l’affaire dans le sens du « Dutroux, pervers isolé ». L’ancien ministre de la Justice Verwilghen dit qu’il dispose de la « preuve noir sur blanc » que cette émission Au Nom de la Loi s’inscrit dans le cadre d’une « campagne orchestrée ».20 Une campagne orchestrée servant à justifier la thèse préétablie de Langlois. Le juge a donc fait preuve d’une partialité autrement plus condamnable que la participation à une soirée spaghetti qui, somme toute, n’était qu’une réaction humaine élémentaire. Contrairement à (p.34) Connerotte, Langlois a reçu la protection des plus hautes instances judiciaires. Le Parquet général de Liège et l’ex-ministre de la Justice Tony Van Parys l’ont couvert, à l’époque.

 

Le procureur général de Liège, madame Thily, n’a pas hési­té à traiter Regina Louf de « malade » devant les caméras de la BBC, le 16 janvier 2002. Vincent Decroly, député Ecolo à l’époque, a même dû interpeller le ministre de la Justice sur cette attitude partiale et insultante de Thily envers une victi­me de tortures sexuelles à l’époque de son enfance. Thily est le plus haut magistrat chargé de la politique criminelle en matière d’aide aux victimes. Au cours de la même émission, Thily affirme avec insistance que le dossier 109/96 de Regina Louf était « classé », alors qu’elle-même est censée le faire avancer parce que Regina Louf s’est constituée partie civile. Or, il n’a pas progressé d’un pouce en deux ans, dit Decroly.21

 

Le Parquet général de Liège a d’ailleurs toujours fait preuve d’une grande sélectivité dans ses réactions aux fuites dans les médias. Connerotte en sait quelque chose : «Les médias (par exemple, les responsables d’Au Nom de la Loi) qui ont aidé à dénigrer des enquêteurs ou des magistrats et les enquêteurs qui ont donné des informations à ces médias semblent manifestement être protégés (…) tandis que d’au­tres enquêteurs et magistrats sont suspectés de violation du secret professionnel. Dans les enquêtes menées à leur encontre, on ne s’épargne vraiment aucune peine. Pire encore, ils sont souvent l’objet d’un véritable lynchage médiatique. »22

 

(p.35) Les mauvais enquêteurs… et les bons

 

« Certains enquêteurs, poursuit Connerotte, ont constam­ment été harcelés, alors qu’ils effectuaient du très bon travail dans des dossiers sensibles. (Ils) ont été la cible de terribles attaques dans les médias et ont été accusés de faits très graves qui n’ont jamais été prouvés. »24 Il parle de Patrick De Baets et Aimé Bille, chargés de l’enquête XI.

 

(p.42) Les pistes laissées en friche

 

L’énergie investie dans ces fausses pistes contraste étrange­ment avec le manque de curiosité du juge Langlois dans d’au­tres domaines. Au point que fin 2000, le procureur Bourlet dépose devant la Chambre des mises en accusation de Liège une requête avec 32 griefs contre Langlois. Il demande qu’on ordonne au juge, notamment, de faire analyser tous les che­veux saisis dans la cache de Sabine et Laetitia, afin de tenter de déterminer quelles autres fillettes ont habité la cache et qui y est venu. Recueillis en 1996 pour une expertise commandi­tée par le juge Connerotte, les cheveux ne sont donc partis à l’analyse que début 2001, suite à une décision de la Chambre des mises en accusation de Liège, sur la demande insistante (p.43) du procureur Bourlet et contre l’avis du juge Langlois. Le Comité de Soutien aux parents de Julie et Mélissa avait cons­taté en juin 2000 que, « malgré les efforts entrepris depuis plusieurs années pour convaincre l’opinion publique belge de cette thèse, l’enquête sur l’enlèvement la séquestration et la mort de Julie et Mélissa n’est pas parvenue à produire des réponses logiques aux questions fondamentales que le Comi­té de Soutien aux parents ne cesse d’exprimer avec eux. C’est-à-dire : Qui a enlevé Julie et Mélissa? Pour quels mobiles ou pour qui? Où ont-elles été séquestrées ? Quels sévices ont-elles subis? Qui les a assassinées? Vouloir prétendre que les enfants aient pu survivre 106 jours dans l’ancienne citerne de la cave de Dutroux défie toute rationalité: ce n’est possible ni biologiquement ni psychologiquement. En fait, il n’y a pas l’ombre d’une preuve que les petites filles soient restées dans cette cache sordide, sans aération et sans lumière, pendant 106 jours. Cela n’empêche que toute l’instruction s’est cons­truite autour de cette réalité virtuelle. (…) On peut conclure que l’instruction, depuis août 1996, n’a pas comme objectif de rechercher l’exactitude des faits. Dans cette affaire, les enquêteurs n’ont pas pour mission de trouver mais (…) de fermer toutes les portes et toutes les autres pistes. L’enquête est parvenue à isoler Dutroux de toutes ses relations compli­ces qu’il avait pu avoir comme trafiquant et voleur avant que les enfants soient enlevées, et pendant qu’elles étaient, com­me il le prétend, séquestrées chez lui!»

 

Malgré ce constat d’échec, quelques mois plus tard, le 22 octobre 2001, la même Chambre des mises ordonne au juge Langlois de terminer l’instruction. L’analyse génétique (ADN) de ces cheveux de propriétaires inconnus est suspendue…, mais non clôturée. Elle est renvoyée à ce qu’on a appelé le «dossier bis» sur le volet «réseau de pédophilie».

 

(p.44) Le 16 janvier 2002, Madame Thily affirme que les analyses ADN sont terminées dans le dossier «Julie et Mélissa» et qu’elles n’ont rien donné. Pourtant, à l’époque, certaines des analyses ADN des 6.000 cheveux retrouvés chez Marc Dutroux ou dans ses véhicules n’étaient pas terminées (tout comme aujourd’hui encore). Certaines traces présentaient, mêlées à des micro-traces de Julie et Mélissa, des caractéris­tiques sans rapport avec aucun des inculpés de Neufchâteau. Vincent Decroly demande au ministre de la Justice Marc Verwilghen, dans une question parlementaire du 5 décem­bre 2002, avec qui les fillettes ont été mises en contact pen­dant leur séquestration.

 

Le prédateur solitaire

 

La Commission d’enquête parlementaire Dutroux-Nihoul était arrivé à la conclusion qu’«il y a des indices selon lesquels tant Dutroux que Nihoul auraient mené soit séparément, soit ensemble, une activité polycriminelle se déployant dans de nombreux domaines ( escroquerie, trafic de drogues, enlève­ments et viols d’enfants, suivis d’assassinats, traite d’êtres humains, trafic de voitures, etc…) et que les réseaux qu’ils ont mis en place pour favoriser cette activité ont bénéficié à divers niveaux d’une protection indirecte engendrée par des phéno­mènes individuels ou collectifs d’estompement de la norme ou des comportements corrupteurs.»31 Si on traduit le jargon de la commission, cela signifie en clair: il y a des indices que Nihoul et Dutroux ont, ensemble et/ou séparément, mis sur pied une organisation criminelle dont les activités peuvent être complémentaires. On vole par exemple des voitures pour (p.45) perpétrer des enlèvements. On a des complices pour les vols de voitures, d’autres ou les mêmes pour les enlèvements.

 

Ensuite, dit la Commission, ils ont bénéficié de protec­tions grâce à des flics ou des juges corrompus ou grâce à des pratiques dans la police ou la justice qui ont favorisé leurs agissements criminels. Exemple : un policier, à la demande de Nihoul, laisse Lelièvre en liberté, sous le prétexte d’infiltrer son trafic de drogue. Entre-temps, Lelièvre enlève Laetitia Delhez avec Dutroux.

 

Le juge d’instruction Langlois, soutenu par l’appareil judi­ciaire, policier et une grande partie du monde politique, n’a pourtant poursuivi qu’un seul but : enterrer cette conclusion de la Commission. Il n’a cherché que dans une direction : cel­le pour laquelle il avait déjà pris parti avant même d’entamer son enquête sur Julie et Mélissa. Le 12 août 1998, il a publi­quement déclaré au journal Vers l’Avenir que Dutroux était un pervers isolé. Le Collège des Procureurs généraux, pour sa part, a suivi la même voie. La plus haute instance du pays en matière de politique judiciaire a décidé, en octobre 1997, de séparer le Dutroux, voleur et assassin d’enfants, du Dutroux, chef d’une bande de voleurs de camions, de trafiquants de voitures, de drogue etc… Les vols de voitures, c’est à Nivelles, les enlèvements d’enfants, c’est à Neufchâteau; un tel dossier à Namur et un autre enfin à Charleroi. Le Collège a absolu­ment voulu « saucissonner » le dossier «Dutroux, Nihoul et consorts» concernant une bande active dans divers secteurs (du vol de véhicules à la drogue en passant par la traite des êtres humains).

En agissant ainsi, les responsables de l’appareil judiciaire ont décidé, avant d’en avoir examiné la possibilité, que la cri­minalité organisée n’est pas impliquée dans l’affaire. Sinon, il aurait fallu centraliser les enquêtes.

 

(p.46) Tout ce travail de sape pour arriver à la conclusion que Dutroux est un prédateur isolé. Tout cela pour aboutir au non-lieu pour Nihoul, le 17 janvier 2003, dans lequel le pré­sident Moinet, reprend à son compte l’image de Nihoul qui aurait « solutionné des problèmes de chômage, de radiation de domicile, d’expertise et de location d’immeubles pour Dutroux et Lelièvre ». L’image de Nihoul assistant social est grotesque. Evidemment, Nihoul aime se présenter comme celui qui ne peut jamais refuser un service à quelqu’un. Mais de là à ce qu’un juge d’instruction prenne cette image qu’il se donne pour argent comptant… C’est pourtant ce qu’a fait Langlois dans le rapport de l’enquête de moralité de Nihoul. Un rapport de moralité décrit la personnalité et les fréquenta­tions de l’inculpé. D’abord, le juge Langlois n’était pas pressé de réaliser cette enquête: elle ne sera finie qu’en septembre 2001 – cinq ans après l’arrestation de Nihoul. Il a même fallu un ordre du Parquet général de Liège pour qu’elle se fasse. Une fois rédigé, le rapport de l’enquête nous livre l’image sur­réaliste d’un Nihoul, homme d’affaires, certes un peu escroc et partouzeur, mais certainement pas lié aux affaires de prosti­tution enfantine. Nihoul y est même décrit comme un hom­me d’affaires courageux et créatif qui n’avait malheureuse­ment pas la fibre gestionnaire. Que pensez-vous de ceci:  «Nihoul a exercé de nombreux emplois dans cette période, mis sur pied de nouvelles sociétés qui ont terminé faillies pour toujours en revenir à ses activités d’expert en bâtiment. Force est de reconnaître qu’à chaque fois, il fait preuve de créativité et d’une énergie débordante pour relancer ses socié­tés. Pour mettre sur pied sa société (de commerce de poisson) DCN, il n’hésite pas à faire des voyages quotidiens à la mer. Après quoi il fait encore la tournée de ses clients l’après-midi.»32 (p.47) Nous aurons l’occasion de revenir sur les «affaires» de l’homme d’affaires Nihoul. Mais il est incontestable que, si toutes ses sociétés ont fait faillite, c’est uniquement parce qu’à chaque fois il puisait allègrement dans la caisse, ne payait pas ses fournisseurs et escroquait ses clients. Ses sociétés ne servaient qu’à cela. Depuis 1968 se succèdent les peines du chef de banqueroute, chèques sans provision, escroquerie, abus de confiance. L’enquête de moralité se contente de reprendre la version de Nihoul qui se décrit lui-même com­me «un bon commercial, mais un mauvais gestionnaire».33

 

Sur sa vie sociale, on interroge ses amis, la plupart du temps ses complices, et sa famille. Ayant participé à la plupart de ses mauvais coups, ils parlent d’un petit escroc sympa­thique « animateur, boute-en-train, sympathique, jovial, bla­gueur, amateur de bonne chère et de vin, noceur», évidem­ment «fabulateur», mais aussi «toujours prêt à rendre service aux autres et qui ne parlait jamais de ses problèmes person­nels».

 

On ne s’étonnera pas que Nihoul se déclare tout à fait d’ac­cord avec ce portrait flatteur. Les seules réserves qu’il formule concernent les déclarations des quatre personnes qui disent du mal de lui : une employée qu’il a licenciée parce qu’elle ne voulait pas coucher avec lui, sa première femme qu’il n’a pas hésité à envoyer en prison, son fils Jean-Michel, qu’il a tenté d’impliquer dans ses activités criminelles, et son frère Daniel.

 

Nous sommes loin du corrupteur décrit dans le livre de son ancien ami et complice Philippe Deleu/e pour qui «il usait de tous les systèmes existants… s’appuyait sur la faiblesse de certaines institutions et, une fois pénétrés leurs mécanis­mes, tirait toute la monnaie du jackpot.»34 Nous sommes (p.48) loin d’une première synthèse du commissaire Drisket de la PJ sur les activités de Nihoul, qui parle d’un «homme d’affaires véreux, profiteur et opportuniste», d’un corrupteur et maître chanteur qui «est partant dès qu’une affaire – peu importe le domaine – peut rapporter de l’argent ou un avantage de type relationnel, allant jusqu’au protectionnel».35

 

Nous sommes surtout très loin de la réalité du dossier. On y découvre un Nihoul multicriminel: escroc condamné à plusieurs reprises, jouant sur tous les tableaux, trafiquant lui-même, complice, informateur de police, maître chanteur et corrupteur et parfois tout cela en même temps. Il n’y a prati­quement pas un terrain de la criminalité auquel il n’ait tou­ché : escroqueries en tous genres, trafic de drogue, de voitures, de faux papiers, trafic d’êtres humains, corruption, chan­tage… Il avait parmi ses amis, ses connaissances et ses rela­tions des trafiquants de drogue, de voitures, d’armes, de faux papiers et d’êtres humains, des assassins, des pédo-criminels, des escrocs, des hommes politiques et des fonctionnaires cor­rompus et évidemment la bande à Dutroux…

 

Comme le dit Frédéric Loore dans La Libre Match : «Michel Nihoul navigue depuis trente ans au cœur d’un réseau inextricable où se mêlent les affaires de sexe et de grand banditisme, les dossiers criminels et les trafics de toutes espè­ces. Et depuis trente ans, il jouit d’une apparente mansuétu­de »36 y compris dans l’affaire Dutroux.

 

Nous ne considérons pas Michel Nihoul comme coupable ni comme innocent d’avance. Nous nous étonnons de la volonté manifeste de certains à faire de Dutroux, un « préda­teur isolé » dans un pays où des enfants continuent à disparaî­tre depuis l’arrestation de Dutroux, tous victimes sans doute (p.49) de pervers isolés. La Belgique serait-elle le seul pays au monde où les réseaux de trafic d’enfants n’existent pas ?

 

Nous nous étonnons du manque de suivi par la justice de certaines pistes dans lesquelles était impliqué Michel Nihoul. Nous nous étonnons de l’acharnement que certains -journa­listes, magistrats, policiers et hommes politiques – ont mis à tenter d’empêcher que Nihoul ne paraisse devant un jury populaire à la Cour d’assises. S’il en avait été selon la volonté du juge Langlois, du président de la Chambre du conseil de Neufchâteau Moinet, de certains hommes politiques et d’une partie de la presse, Michel Nihoul n’aurait pas comparu à Arlon en mars 2004. Le 17 janvier 2002, Mr Moinet avait jugé qu’il existait bien une association de malfaiteurs qui enlevait des enfants. Mais à son avis, elle était limitée à Dutroux, Michelle Martin et Michel Lelièvre. Il ne jugeait même pas nécessaire d’évoquer devant la Cour d’assises l’exis­tence d’une association de malfaiteurs dirigée par Nihoul avec Dutroux et Lelièvre et ayant pour objet un trafic de stu­péfiants, de faux documents d’identité, de voitures, de plaques et documents de voitures et de traite des êtres humains. Dutroux n’aurait pas participé à un trafic de drogue avec Nihoul et Lelièvre. Pour lui, l’enquête dans cette affaire devait être poursuivie à Bruxelles.

 

S’il n’y avait eu l’acharnement des avocats des victimes et particulièrement de maîtres Fermon et Beauthier, les avocats de Laetitia Delhez devant la Chambre des mises en accusa­tion de Liège en mars 2003, on en serait peut-être resté là. On aurait alors vécu une scandaleuse opération d’étouffement.

 

Les familles des victimes n’auraient jamais pu évoquer l’hypothèse de l’existence ou non d’une organisation crimi­nelle, active dans les kidnappings d’enfants à des fins de pros­titution en Belgique. Il aurait été interdit d’évoquer les pistes (p.50) laissées en friche par l’instruction du juge Langlois. Des pistes conduisant immanquablement à Michel Nihoul.

 

Le moins qu’on puisse dire, c’est que tout n’est pas clair dans les liens entre Nihoul et la bande de Dutroux. Il se peut que les nombreux contacts, tant physiques que télépho­niques, entre Nihoul et la mouvance Dutroux ne soient que de «pures coïncidences d’événements et de dates», comme le formulait le président Moinet. Ceux qui disent avoir vu Nihoul à Bertrix lors de l’enlèvement de Laetitia peuvent avoir rêvé. Mais il est impossible de dire qu’il n’y pas de dou­tes sérieux quant à son implication avec la bande de Dutroux. Il vaut au moins la peine d’examiner la réalité de la version du Nihoul « assistant social », dont les contacts avec Dutroux et Lelièvre servaient à «solutionner des problèmes de chômage, de radiation de domicile, d’expertise et de location d’immeu­bles». Il ne faut pas exclure son implication, au regard de son passé et de ses relations de longue date avec les milieux du grand banditisme, de la traite des êtres humains, avec des pédo-criminels.

 

Le doute n’a pas la même signification quand il s’agit de savoir si quelqu’un doit être jugé ou quand il s’agit de le condamner. Si un doute persiste après les débats devant la Cour d’assises, il devra bénéficier à l’accusé et entraîner son acquittement. Mais pour savoir si un accusé doit être renvoyé devant le tribunal, le doute suffit comme charge. Ne pas ren­voyer Nihoul devant la Cour d’assises aurait signifié que la justice estime qu’il ne subsiste pas même un doute quant à son implication éventuelle dans une association de malfaiteurs.

 

(p.54) (…) la rue de la Victoire à St Gilles, près de chez lui. On y a retrouvé un bordereau à son nom daté du 10 septembre 1993. Le tenancier M.7: « J’ai connu Nihoul Michel en 1985, à l’époque où il avait sa radio au Centre Rogier à Bruxelles. (…) Il me demandait si je voulais monter des spectacles… Trois de ces spectacles ont été montés et se sont révélés des flops complets… Je garde en mémoire un spectacle à La Louvière où je partageais l’affiche avec Claude Barzotti… Je l’ai perdu de vue jusqu’en 1992.» En 1991, M. occupe, avec d’autres comédiens, une salle au-dessus de la Spaghetterie, rue de la Victoire, à St Gilles. Ils y créent une asbl baptisée Comiqu’art. M.: « Pour assister aux spectacles, les gens devaient en être membres. Nous avons baptisé ces spectacles « Les lundis du Comiqu’art ». »8 M. reprend la Spaghetterie en décembre 1992 : « C’est à ce moment-là que Nihoul est réap­paru. (…) Nous avons plusieurs fois mangé avec lui dans des restaurants. Il menait grand train. Mais il n’a jamais organisé de radios crochets pour des jeunes filles au Comiqu’art. Il n’a jamais été partie prenante dans l’organisation.  »9

 

D’autres témoins n’en sont pas si sûrs. L. M. est technicien en agro-alimentaire. Fin 1992, il a rencontré Nihoul, qui était alors dans la branche du poisson. Un soir, Nihoul l’a invité au Comiqu’art. «Le lundi soir avait lieu un concours de chant pour des gamines de 8 à 15 ans… Il me semble que Nihoul était l’organisateur de cette manifestation. J’ai remar­qué à cette époque que Nihoul se trouvait régulièrement dans les loges de ces jeunes artistes », dit-il.10

Toujours est-il qu’un lien entre Dutroux et Nihoul est pos­sible à travers cet établissement. Dutroux est aussi venu au Comiqu’art. Au moins une fois, en compagnie d’E.M., un voisin de l’avenue de Philippeville à Marcinelle. Ils se (p.55) connaissaient bien, car Dutroux est venu chez lui le jour de sa dernière sortie de prison, en mars 1996, en fin d’après-midi. Ils sont même allé chercher ensemble les vêtements de Dutroux à la prison de Jamioulx, en attendant l’arrivée de Michelle Martin.11 E.M. pratique la chanson comme hobby. En parlant de chanson avec Dutroux, il a mentionné qu’il allait régulièrement au Comiqu’art. Le Comiqu’art étant une asbl de membres, on a retrouvé la carte d’E.M., valable un an jusqu’au 22 juin 1995. Dutroux s’est montré intéressé et a accompagné E.M. au Comiqu’art. E.M. ne se rappelle plus très bien si c’était en septembre ou en octobre 1995.n E.M.: «Je n’ai jamais rencontré Nihoul au Comiqu’art et Dutroux ne m’a jamais dit s’il s’était retrouvé au Comiqu’art, seul ou sans moi, bien qu’il ait évoqué devant moi la possibi­lité d’y retourner un jour.»13

 

La carte de d’inscription au nom de Dutroux était attachée avec plusieurs autres bordereaux apparemment datés du 29 mai 1995. Le gendarme qui dresse le PV pense pouvoir dater l’inscription de Dutroux à cette date. Cet épisode se passerait donc avant l’enlèvement de Julie et Mélissa et d’An et Eefje. L’inscription de Nihoul porte la date du 10 septembre 1993.14

A-t-on vérifié si Dutroux est retourné à cet endroit ? Y a-t-il rencontré Nihoul? Ou s’agit-il encore d’une de ces coïnci­dences…

 

(p.88) Lelièvre écoule la drogue avec l’assistance de Dutroux.16 Le témoin C. décrit Dutroux com­me celui qui dirige l’opération : «Lelièvre (…) est venu une fois avec un homme conduisant une camionnette blanche aménagée en mobilhome. Par la suite, j’ai appris que cet homme était Marc Dutroux. Ils ont contacté un jeune hom­me dont j’ignore le nom afin de lui vendre des pilules. Dutroux attendait en dehors du parc et Lelièvre jouait le rôle d’intermédiaire. Il y a eu une altercation entre eux parce que Dutroux ne voulait pas baisser son prix en-dessous de 12.000 francs. Finalement, le marché s’est réalisé. Lelièvre s’occupait des présentations, mais ce n’est pas lui qui discutait du mar­ché. (…) J’ai eu l’impression que c’est Dutroux qui fournissait les pilules à Lelièvre. Lelièvre faisait constamment la navette entre Dutroux et le client.»17 On retrouvera aussi une boite cachée chez Dutroux avec quelques pilules.18

Les deux ravisseurs de Laetitia Delhez ont donc bénéficié de ce trafic. Comment peut-on dire que Dutroux n’a pas par­ticipé activement au commerce de stupéfiants ?

 

Les défenseurs de Laetitia arrivent ainsi à la conclusion que la remise d’une importante quantité de pilules d’XTC par Nihoul à Lelièvre, le lendemain de l’enlèvement de Laetitia Delhez, constitue un important élément à charge de Nihoul. La seule explication raisonnable semble être que les stupé­fiants ont servi de paiement à l’enlèvement.

Le juge Langlois avait donné comme mission aux enquê­teurs de « s’assurer qu’il n’existe pas de lien entre ce trafic et les faits d’enlèvements ». Ils arrivent à la conclusion : « Il ne nous est pas permis d’établir qu’il n’y a pas de lien entre ce trafic avéré de stupéfiants et les faits d’enlèvements et de séquestrations d’enfants.» Le juge Moinet interprète cette (p.89) conclusion dans le sens qu’il n’existe pas de lien entre les faits, alors que les enquêteurs disent qu’il n’est pas possible d’exclure cette hypothèse.

 

(p.94) De plus, où est l’urgence, quand on sait que Nihoul a laissé son véhicule immobilisé à la société Radar pendant dix jours, du 31 juillet au 10 août; quand il dit lui-même pouvoir disposer d’autres voitures, dont celle d’Henry G.9 qu’il a d’ailleurs «gracieusement» immatriculée et assurée à son pro­pre nom, son propriétaire réel étant en situation irrégulière.10 Ce Henry G. servira aussi d’alibi à Nihoul après son arresta­tion. D’après Annie Bouty, il aurait travaillé avec Nihoul dans un appartement à Bruxelles, la veille de l’enlèvement de Laetitia.11 Nihoul, qui devait tout de même bien connaître ce monsieur G., a, lui, toujours parlé d’un certain «Bernard» qui aurait travaillé avec lui dans cet appartement.12 Ayant reçu un ordre de quitter le territoire en 1997, Henri G. n’a jamais été entendu.

 

Selon Moinet et Langlois, le contenu des communications téléphoniques soumises à des écoutes confirmerait qu’il s’agissait bien de la réparation de la voiture. Le 16 décembre 1998, les enquêteurs concluent : «Dans notre procès-verbal 100936/98, un relevé des communications enregistrées en live (écoutes téléphoniques en cours) tend à démontrer qu’effectivement les communications lancées par Nihoul sont à mettre en rapport avec la panne de son véhicule et son intention de le récupérer.»13 En réalité, la transcription des écoutes téléphoniques ne montre qu’une seule fois une allusion de Nihoul à sa voiture, et cela le 14 août 1996 à 19 heures. A ce moment, il pouvait être au courant des arrestations de Dutroux, Lelièvre et Martin et il avait donc un intérêt à donner une «justification» à ses multiples contacts.14 Randazzo a téléphoné le 13 août 1996 à 22 heures à Dutroux pour tenter de prendre contact avec Lelièvre concernant l’Audi. Peut-on en conclure que toutes les communications (p.95) pendant cette période sont nécessairement en rapport avec cette voiture ?

 

Nihoul à Bertrix, un ectoplasme?

 

Beaucoup de gens pensent avoir vu Nihoul à Bertrix le 8 ou le 9 août. On a beaucoup parlé du témoignage de la famille Ophalvens. Ce jeudi 8 août (on a d’abord pensé qu’il s’agissait du 9), à deux heures de l’après-midi, cette famille, en vacances dans la région, attend l’ouverture de la piscine de Bertrix. Elle voit trois hommes et une femme qui épient les enfants jouant devant le bâtiment. Leur témoignage compor­te de nombreux détails qu’ils ne peuvent pas avoir trouvé dans la presse.15 De nombreux autres témoins signalent éga­lement la présence de Nihoul dans la région de Bertrix, en compagnie des autres ou seul, dans les jours qui précèdent l’enlèvement de Laetitia Delhez ou même le jour de l’enlève­ment:16 Francis Arnould17, Philippe Saussez et son épouse Nadia Dembo Faro18, Daniel Roiseux19, Maria Klels20 et Raymond Jeangout21. On n’a pas trouvé de liens entre ces témoins. Aucun d’entre eux n’a un intérêt particulier à faire de fausses déclarations à charge de Nihoul.

 

Francis Arnould est maître-nageur à la piscine de Bertrix. A la sortie de son travail, il a vu Nihoul, qu’il reconnaît formelle­ment sur photo. Il ne se rappelle plus si c’était le 8 ou le 9 août. Il a quitté son travail le 8 août à 12 heures 50 et le lendemain à 9 heures. Il fera d’abord une déclaration, peu de temps après les faits, le 18 octobre 1996, en gardant l’anonymat.22 Plus tard, il confirmera sa déclaration en dévoilant son nom.23

 

Maria Klels a vu Nihoul à côté d’une camionnette station­née sur le parking de la piscine au moment où elle levait le (p.96) volet de sa maison, le 9 août vers 8 heures, 8 heures 30 du matin. La description du véhicule qu’elle a vu correspond à celle de la camionnette de Dutroux. Elle mentionne le fait que « les rideaux étaient fermés ».24 Nihoul n’a pas d’alibi pour le 9 août, tôt le matin, au moment où il est signalé par ces deux témoins. Ce n’est qu’à partir de 11 heures qu’il peut justifier son emploi du temps de façon crédible.25 Avant cette heure, seul son amie De Cokere confirme sa présence à Bruxelles.26 Mais De Cokere reproduit l’emploi du temps de Nihoul avec une précision suspecte en parlant de nombreux faits auxquels elle n’a pas assisté directement et elle admet27 avoir parlé de l’emploi du temps de Nihoul avec Vander Elst après l’arrestation de Nihoul.

 

Philippe Saussez et son épouse Nadia Dembo Faro exploi­tent une station-service. Ils affirment que Nihoul est passé chez eux le 8 ou le 9 août vers 14 heures. Philippe Saussez est formel. Nihoul aurait payé l’essence avec une carte Visa por­tant son nom. Il a encore fait le rapprochement avec le célè­bre pâtissier Nihoul de Bruxelles. Il a demandé à Nihoul si le pâtissier était de sa famille, mais celui-ci a semblé être bien embarrassé (peut être parce que son nom avait attiré l’atten­tion?). La police a tenté de savoir28 qui étaient les propriétai­res des cartes Visa utilisées ce jour là dans la station-service. Aucune carte émise au nom de Michel Nihoul n’a été utilisée. Mais on n’a pas pu identifier plusieurs cartes étrangères utili­sées ces jours-là. Or on sait par Lelièvre qu’Annie Bouty, Casper Plier et Nihoul se livraient à un trafic de cartes Visa volées et falsifiées.29 Nihoul avait déjà utilisé des cartes Visa falsifiées.30 Le fait que son nom n’apparaisse pas sur la liste des utilisateurs n’exclut donc pas que ces témoins aient réelle­ment vu Nihoul. Il peut avoir utilisé une des cartes non identifiées, (p.97) émises par exemple au Luxembourg, ou avoir utilisé une carte falsifiée. Nihoul n’a pas d’alibi crédible pour l’après-midi du 9 août. Son emploi du temps n’est «confir­mé» que par Michel Vander Elst, qui ne peut être considéré comme fiable.

 

Daniel Roiseux roulait en voiture à Bertrix le 8 ou le 9 août après 16 heures. Il a dû s’arrêter pour une camionnette blanche. Parmi les passagers, il a reconnu Michel Nihoul. Il n’a pas tout de suite fait de déclaration parce qu’il avait appris l’arrestation des personnes qu’il avait reconnues. Il pensait que ce n’était plus utile. Quand il apprend que Nihoul est relâché, il réagit et fait une déclaration. Il donne une description de la camionnet­te qui ne correspond pas exactement à celle utilisée par Dutroux à l’époque. Mais un détail l’a frappé: une ligne latérale foncée. Cette ligne est caractéristique de la camionnette de Dutroux. Nihoul n’a pas d’alibi pour l’après-midi du 8 août. Un alibi lui avait été fourni dans un premier temps par Michel Vander Elst, qui s’est rétracté ensuite. Nihoul a branché sa ligne téléphonique sur les services Comfort de Belgacom à 14 heures 29. Elle ne sera débranchée qu’à 18 heures 49.

 

Raymond Jeangout se rendait chez son médecin, sans dou­te le mardi 6 août. Il se rappelle avoir croisé Nihoul avec Dutroux dans la camionnette blanche à Bertrix. Il fait sa déclaration seulement le 28 janvier 2003, car il ne voulait pas être mêlé à une affaire aussi sinistre et il avait constaté que les personnes qu’il avait vues avaient été arrêtées. Il s’est ravisé quand il a vu que l’implication de Nihoul dans les faits était mise en doute. Ce jour-là, les services Comfort Belgacom sur la ligne téléphonique de Nihoul sont branchés à 15 heures 02. Il ne seront débranchés qu’à 18 heures 54.

(p.98) Le juge Moinet a écarté ces témoignages avec les argu­ments suivants : « Les témoignages qui attestent de la présence de Nihoul le 8 août 1996, soit la veille de l’enlèvement, man­quent de la plus élémentaire cohérence. A titre d’exemple, Nihoul est vu en même temps à plusieurs endroits et dans des tenues différentes. Ces témoignages ne concordent pas avec l’emploi du temps de l’inculpé… Par ailleurs, Dutroux et Lelièvre ont toujours prétendu avoir été en reconnaissance, seuls, les 6 et 7 août 1996, sans jamais avoir fait état de la pré­sence de Nihoul; leurs déclarations sont confirmées par les éléments du dossier (voir la pièce 86/2682 et la synthèse du juge d’instruction du 23 mars, annexe 1 et annexe 2).»31

 

Cette motivation ne tient pas compte des témoignages de Klels et Arnould qui signalent la présence de Michel Nihoul à Bertrix aux environs de la piscine de Bertrix le 9 août entre 8 heures et 9 heures du matin. Quant à son emploi du temps, Nihoul en a présenté de nombreuses versions, s’adaptant constamment aux éléments d’enquête qui lui sont soumis et jouant sur ce qu’il appelle sa mémoire défaillante pour les chiffres et les dates.32

 

D’ailleurs, les témoins ne signalent pas la présence de Nihoul à des endroits différents au même moment. Klels et Arnould signalent la présence de Nihoul le 9 août entre 8 et 9 heures du matin. Saussez, Dembo Faro et Roiseux signalent sa présence au cours de l’après-midi du 8 août.

Personne ne peut contester que M. Tinant a bien vu la camionnette de Dutroux à Bertrix. C’est sur base des élé­ments de la plaque d’immatriculation de cette camionnette dont il se souvient que Dutroux sera finalement identifié et arrêté. Contrairement à ce qu’affirment Dutroux et Lelièvre,

(p.99) il les a vu à Bertrix le 8 août dans l’après-midi.33 Pourtant, le juge n’en tient pas compte.

 

Contrairement à ce que prétend le juge Moinet, les témoins ne se contredisent pas tous quant à la tenue vesti­mentaire de Nihoul. Pour Saussez, «il était bien habillé: costume (blazer bleu foncé), cravate, porte une pochette (type foulard) dans poche extérieure de son blazer. Il était propre et portait les cheveux en altière. Il était très élégant.»34 Pour Arnould, « il portait un costume et une cravate foncés, une chemise blanche.»35 Roiseux se rappelle qu’il «était vêtu d’un costume noir et d’une chemise blanche avec, peut-être, un gilet.» Il pense qu’il portait un costume, «car au moment où il les a croisés, Nihoul s’est levé de son siège pour tirer sur son pantalon afin d’en réajuster les jambes.»36

Au lieu d’analyser chacun des témoignages en fonction de sa crédibilité, le juge Moinet a écarté l’ensemble des témoi­gnages en invoquant le fait que certains de ces témoignages sont contradictoires entre eux.

 

Un alibi construit de toutes pièces

 

Nihoul ment sur son emploi du temps pendant les jours qui ont précédé l’enlèvement de Laetitia Delhez. Tantôt il invoque les relevés de ses appels téléphoniques pour «prou­ver» sa présence à son bureau, tantôt il donne un emploi du temps incompatible avec sa propre interprétation de ses rele­vés téléphoniques. Il aurait été au même moment à son bureau et dans un appartement pour y effectuer des travaux de rénovation. Il apporte ainsi lui-même la preuve que les coups de téléphone donnés à partir de son bureau n’impli­quent nullement qu’il ait été réellement sur place. (…)

 

(p.116) Que Nihoul ait été libéré est un fait. Mais Maître Baranyanka aura des difficultés à démontrer que c’est pour la rai­son qu’elle invoque. Car à ce moment, la justice de Neufchâteau en savait déjà long sur les contacts de Nihoul dans les milieux de délinquants sexuels pédophiles.

Nihoul fréquentait les clubs à partouzes, il s’y frottait aussi aux milieux sadomasochistes.2 C’est son affaire, évidemment, et il n’y a là rien que la loi interdise. Si ce n’est que, dans cer­taines circonstances, ces activités peuvent dégénérer et dépas­ser les limites de la légalité. Plusieurs témoignages évoquent notamment la présence de mineurs lors des parties fines de Nihoul.

Nihoul déclare lui-même: «J’ai été une fois au club d’O. Cela se passait en 1988. C’est un certain Rony qui tenait le club et je crois qu’il a eu des problèmes avec la justice parce qu’il avait introduit une mineure dans ce club. (…) »3

Pendant plusieurs années, le quartier général de Nihoul le partouzeur est le club Les Atrébates, qui deviendra ensui­te The Dolo. D’après Nihoul lui-même, il aurait commen­cé à fréquenter ce genre d’établissement après sa séparation d’avec Annie Bouty. En septembre 82, il sort beaucoup. « Pour oublier sa peine amoureuse », dit-il. Un copain « dont il ne se souvient plus du nom » l’amène au club dit Les Atré­bates, un club échangiste tenu depuis 1975 par Dolores Bara et le Français Michel Forgeot. Dolores Bara avait fait de la prison avant de devenir serveuse à la gare du Luxem­bourg.

 

(p.119) Au Dolo, il n’y avait donc pas que des couples ama­teurs, mais aussi des professionnelles.9

Un policier mentionne « qu’il est porté à notre connaissan­ce que le nommé Rodel ferait entrer des jeunes filles noires ou asiatiques dans l’établissement The Dolo .»10

René Rodel est un bon ami de Nihoul et coopérateur de la société coopérative de Forgeot. Il possède le restaurant L’R du Temps, à Schaerbeek, et une société de repas à domicile.

Un autre témoin cite aussi Rodel en relation avec un trafic de filles noires et la prostitution. Il est même question d’une jeune fille de 13 ans. Rodel possède un appartement où, selon une habitante du même immeuble, il n’habitait pas mais, où il «plaçait de jeunes femmes dont je ne peux préciser l’âge exact mais qui me semblaient jeunes. Elles étaient bien habillées et draguaient ouvertement devant la maison. Elles n’avaient jamais d’argent et mendiaient dans l’immeuble… Ces femmes recevaient régulièrement la visite d’hommes zaï­rois qui montaient, parfois même à plusieurs… Les co­propriétaires de l’immeuble ont soupçonné Rodel de s’occu­per (?) de ces prostituées zaïroises… Un avocat est intervenu prétextant que ces dames étaient des « amies » de Mr Rodel. Le 1er novembre 1995, l’officier… a interpellé une mineure d’âge de 13 ans, sans papiers, mais j’ignore en quoi consistait son enquête… Les « clients » de ces Zaïroises roulaient dans de magnifiques voitures.»11

 

Si Dutroux n’est pas venu au Dolo, ses méthodes pour vio­ler des filles en les droguant y étaient apparemment connues. Une jeune fille (majeure) a témoigné. Elle se souvient avoir reçu un verre de Dolores Bara et avoir été menacée par For­geot et Rodel. Puis, elle s’est réveillée à un autre endroit, nue. Elle avait une trace de brûlure à un bras. Elle se souvient avoir (p.120) été tenue par les épaules et violée par Forgeot, un restaura­teur, et un vieux monsieur. Il y avait une piscine dans l’im­meuble où elle s’est retrouvée. En sortant, elle a remarqué qu’elle avait été amenée à l’établissement La Piscine, à Etter-beek, établissement que Nihoul fréquentait aussi régulièrement.12

 

Des enfants ?

 

Selon Forgeot et Nihoul, il n’y a jamais eu d’enfants ou de mineurs ni au Dolo, ni aux Atrébates. L’enquête semble tou­jours en cours. Mais ce qui est certain, c’est qu’on y rencon­trait bien des pédophiles et des individus proches des milieux du tourisme sexuel ou du commerce d’êtres humains.

Rodel par exemple. Il est aussi l’actionnaire majoritaire de l’agence de voyages Azur Evasion, spécialisée dans les voyages vers la Thaïlande. Le policier de quartier se souvient qu’un jour, Rodel lui a confié « qu’il se rendait deux fois par an en Thaïlande et, ce, dans le Nord du pays (…), qu’il était très facile d’avoir des gamins et des gamines dans ce pays et qu’il était possible de les louer bon marché pendant une semaine.» Prudent, le policier ajoute qu’ «à aucun moment, il n’a dit qu’il allait en Thaïlande pour des enfants.»13 Rodel est aussi en contact avec Jean-Marie Rihoux, d’Europe Love Travel, organisateur de mariages avec des Thaïlandaises. Rihoux exploite aussi un café-restaurant dans ce pays.14 Il a connu Nihoul au milieu des années quatre-vingt. «Nihoul animait alors une radio libre, radio JMB, situé au centre Rogier à la place Rogier. (Rihoux) possédait au même endroit un maga­sin de montres. Il affirme ne plus avoir vu Nihoul depuis 1986 et ne pas connaître Rodel. Toutefois, il connaît bien un (p.121) certain Patrick, d’Azur Evasion, chez qui il a acheté un billet d’avion. Il a fréquente l’APV Atrébates, le précurseur du Dolo en l975.»15

 

L’ancien chauffeur de taxi Fontenelle, quant à lui, a vu des mineurs dans cette boîte. « Dans les années 70, j’étais taxi man. (…) j’ai conduit monsieur Nihoul à Etterbeek, rue des Atrébates, dans une maison. Il m’a invité à le suivre au pre­mier étage car il ne voulait payer qu’à l’intérieur. Quand je suis rentré dans la pièce, il y avait trois jeunes filles âgées de plus ou moins 12 ou 13 ans, et elles étaient quasi déshabillées, elles portaient juste une combinaison. J’ai vu que c’étaient des jeunes filles car elles n’avaient même pas de poils au pubis. Deux des trois filles étaient d’origine étrangère, la troi­sième, je ne sais plus. Dans la pièce, il y avait également deux hommes qui étaient habillés. Nihoul m’a obligé à me désha­biller et devant mon refus, m’a jeté dehors avec ma chemise et ma veste. (…) Je suis formel, il s’agissait bien de Nihoul. (…) Je suis également certain qu’il s’agit de la maison située rue des Atrébates.»16 Un certain Lambermont, ancien restaura­teur à Woluwé, abonde dans le même sens. Il aurait vu Nihoul aux Atrébates en compagnie de mineurs.17

 

Parmi les amis de Nihoul, certains fréquentent manifeste­ment les partouzes avec mineurs. Nous sommes en 1993-1994. Au coin de l’avenue Jaspar et de la rue de l’Hôtel des Monnaies, tout près de l’appartement de Nihoul, Guy Van Herstraeten, tient un magasin de meubles à l’enseigne Vaner. Il est pédophile et condamné pour des faits de mœurs sur sa fillette et deux jeunes de 14 ans à Knokke. Nihoul sait qu’il organise des partouzes au-dessus de son magasin. Une connaissance du Dolo, un certain Miro, qui travaille dans (p.122) l’industrie pharmaceutique et possède une villa du côté de Rixensart, lui a même confirmé qu’il y a des filles de 15 ou 16 ans. Un jour, Nihoul rencontre par hasard son ex-femme dans la librairie en bas de chez lui. Elle est à la recherche de S.V., une fille placée en internat et dont Annie Bouty a reçu la tutel­le. Van Herstraeten aurait proposé à S.V. de faire des photos d’elle contre de l’argent. Le policier qui établit le PV demande au juge Langlois d’enquêter plus loin sur ce pédophile qui «circule dans une camionnette bJanche de marque Renault où il aurait installé un lit».18 Manifestement, Langlois n’a pas jugé ces informations suffisamment importantes.

 

Puis, il y a le témoignage du chauffeur de Dolores Bara, Claude Vankeerberghen, dit Max. Nihoul le connaît depuis la fin des années 80.19 Max est introduit au Dolo par l’avocat et criminologue Edouard Vanhuyneghem, dit Doudou. Doudou est l’avocat du Dolo. D’après Max, Nihoul faisait partie du noyau de base du Dolo et il est un ami de Doudou. Quand il est interrogé le 10 octobre 199620, Nihoul se rap­pelle bien de Doudou. Il parle de « l’avocat de Forgeot dont le nom m’échappe, surnommé Doudou, Vanhuyneghem, il est appelé à devenir magistrat. » Il donne même son adresse.

Max affirme21 avoir vu deux petits vieux sortir d’une pièce avec un gamin de cinq ans pour lui donner son bain. Il y aurait aussi eu une affaire avec le neveu de Marleen, ce que Nihoul nie farouchement.

 

D’après Max, Doudou est également en contact avec un ex-professeur de l’Athénée Adolphe Max. Doudou et le prof étaient « dans la fabrication de cassettes pédophiles», dit-il. Il aurait entendu Doudou et Nihoul parler à plusieurs reprises de «cages pour enfants pour les faire souffrir et de cassettes vidéo importées des Etats-Unis où des enfants noirs étaient (p.123)

torturés avant d’être brûlés dans la cage. C’était dans le cou­rant de 1992-1993.» « Dolores Bara sait tout cela», ajoute-t-il.22 A-t-on vérifié? Une lettre anonyme envoyée au procureur du Roi Bourlet prétend que « Vanhuyneghem allait souvent en Thaïlande et affirmait qu’en allant là-bas, il pourrait y trouver des gamines.»23 «Je sais que Nihoul n’est pas un pédophile», dit Max. C’est un truand notoire, sans scrupule, qu’on achète pour n’importe quoi. Et il affirme même que «Nihoul a appris à enlever des enfants, pour se faire de l’ar­gent». Il a essayé au Dolo mais Forgeot a dit: «Ce n’est pas comme ça qu’on fait.»24

Nihoul connaît aussi Jacques Genevois, qui a été à un cer­tain moment décrit comme suspect n°l dans l’enlèvement de Loubna Benaïssa, kidnappée le 5 août 1992. Loubna a été vue la dernière fois près d’un café. Genevois était dans ce café. Les serveuses ont remarqué son comportement étrange. Sub­itement, il a laissé son verre et est sorti. Recherché par la gen­darmerie, il se cache. Puis il est arrêté. Il nie tout et explique qu’il a quitté le café dans la hâte parce qu’il devait aller à la gare du Midi. «J’y ai rencontré mon amie», dit-il. Celle-ci a d’abord écrit une lettre confirmant l’histoire de Genevois. Sur ce, la justice l’a libéré. Puis l’amie s’est rétractée. Mais on a fini par découvrir le vrai kidnappeur de Loubna. D’après Max, Genevois venait au Dolo en 1988. Nihoul l’y a vu. « Il se faisait passer pour un inspecteur de la PJ. Je ne l’ai jamais vu partouzer et jamais vu avec une dame », dit-il.25 Nihoul a aussi rencontré Genevois dans d’autres établissements, dont Le Perroquet, à Laeken.

 

Mais revenons à « Doudou » Vanhuyneghem. Il était, à l’époque, à la fois l’avocat et le client d’une certaine Maîtresse (p.124) Roxanne (un travesti français (…)) (p.125) En juin 1994, la police française s’intéresse à lui après la disparition de deux jeunes Françaises. Il est inculpé de séquestration de personnes et de proxénétisme. Mais après six mois passés en prison, et malgré des indices sérieux et des témoignages acca­blants, il est libéré. Il disparaît. Depuis, il est également recherché par la brigade financière de Perpignan en France qui le soupçonne d’avoir abusé de mineurs âgés de huit à seize ans, scènes qu’il aurait d’ailleurs filmées pour en faire commerce. Il ressort de son « carnet intime » que Messinger a mis sur pied tout un système de corruption de mineurs, surtout originaires d’Asie et de l’Europe de l’Est. Messinger reste introuvable, mais son complice, Gérard Ménoud, pro­priétaire des supermarchés du sexe en France, s’est fait arrêter pour viols et diffusion d’images de mineurs à caractère por­nographique. Ménoud diffusait le matériel de Messinger via sa société Défi.

 

Roxanne est à aussi la tête de la secte sataniste Wicca. Les enseignements de cette secte, sur vidéo, sont également diffu­sés par Ménoud et Messinger. Ce dernier semble d’ailleurs un adepte de cette secte, car une des charges qui pèsent sur lui concerne un rituel satanique au cours duquel une jeune fille de 19 ans de la région d’Antibes aurait perdu la vie.26 Un catalogue de vidéos X de la société Défi vante des cassettes intitulées « Sabbats et sorcellerie s» consacrées à la Wicca internationale qui vous «permettra de découvrir réellement ce qui est interdit et souvent vous terroriserait. La sorcellerie se veut naturiste et écologiste, ouverte à toutes les sexuali­tés…»27

 

Après son arrestation, Ménoud aurait révélé que Messinger et Dutroux se seraient rencontrés à plusieurs reprises. Dans quel but? Même si Ménoud n’est pas nécessairement un témoin désintéressé, on pourrait espérer que le juge Langlois (p.126) se soit intéressé à l’affaire. L’a-t-il fait ? Deux des inculpés dans l’affaire qui l’occupe pourraient être impliqués. Ou cette piste ne cadrait-elle pas dans la version qu’il voulait à tout prix fai­re triompher : celle de Dutroux, le pervers isolé, qui enlève des enfants pour agrandir sa famille?

Nihoul et De Cokere ont donc fréquenté de près le milieu de la pornographie infantile et de la pédocriminalité. Nous sommes curieux de savoir quelles informations « l’informa­teur » Nihoul a transmises à la police sur ces contacts. Il est à craindre que ce dossier soit vide.

 

N’en déplaise à Maître Baranyanka, Michel Nihoul et son ex-amie et complice de toujours Annie Bouty avaient parmi leurs connaissances, même proches, un grand nombre de délinquants sexuels, dont plusieurs pédo-criminels.

En 1980, Nihoul vit avec Annie Bouty, avenue Jaspar à Saint-Gilles. Parmi les amis qu’il reçoivent régulièrement figure un certain Claude-Luis Ceresa de Jette. D’après la Sûreté de l’Etat28, Ceresa compte parmi les fondateurs de l’asblAsetanas. Fondée en 1980, cette asbl se charge officielle­ment de la « défense des intérêts des étudiants d’Afrique noire et d’Amérique du Sud en Belgique». En réalité, il s’agit d’une façade conçue par Bouty pour donner une apparence de légalité à ses interventions auprès d’instances politiques pour régulariser des étrangers. L’asbl permet aussi de dédui­re, sur le plan fiscal, les frais des interventions de Nihoul auprès de ses amis politiques. Le conseil d’administration de cette association « humanitaire » n’est pas des plus recommandables. Parmi les fondateurs, nous retrouvons Geor­ges Bouty, le frère d’Annie, régent littéraire chômage, condamné pour recel, viol, attentat à la pudeur et outrage aux mœurs. Puis Ceresa, expert-comptable, qui changera de nom plus tard.

 

(p.164) VDB et Co

 

Nihoul entretient les meilleures relations avec le CEPIC, l’aile droite du PSC, dirigée par Vanden Boeynants et le fameux baron noir De Bonvoisin, financier des fascistes du Front de la Jeunesse. Son collègue au bureau de Bouty, Philippe Deleuze, y est actif. Deleuze est le beau-frère du juge d’instruction Van Espen et s’en vantait. Il aurait joué un rôle dans sa nomination et pouvait en attendre des services, disait-il. Il occupe de nombreux mandats: il est le conseil de la société de logements sociaux la Vie Laekenoise. Il siège au conseil d’administration du Marché de gros de Bruxelles, à la commission d’animation du quartier Nord, au comité des repas scolaires, au Théâtre Royal du Parc, aux Bains bruxel­lois, à l’Office international du Tourisme, au service d’aide aux familles et dans de nombreuses associations sportives. Il gère la comptabilité de l’asbl Parc des Expositions, présidée par Vanden Boeynants, et devient même le président du Mont de Piété, la caisse publique de prêts. Deleuze devra démissionner du Mont de Piété en 1992, après des rumeurs relatives à des malversations. Un an plus tard, il sera arrêté pour escroquerie et détournement de fonds.

 

(p.169) Le Peket du Houyeu

 

La Confrérie des Maîtres Brasseurs sera, pour Nihoul, une nouvelle source de relations et lui fournira une nouvelle apparence de respectabilité. Cette Confrérie a été créée en 1977 pour promouvoir les bières de tradition et distillats du terroir wallon, dont le fameux « peket ». Nihoul y est admis en 1988, par l’entremise de Marcel Henrottay, un client régulier du Dolo et compagnon de partouzes de Nihoul. Il y entre comme « apprenti » avec Marleen De Cokere et Michel Forgeot, le patron du Dolo. Deux ans plus tard, il est déjà passé « maître » et on lui demandera de devenir président. Il sera le premier président qui n’est pas distilleur ou brasseur. Il gagne aussi de l’argent en plaçant le « Peket du Houyeu » notamment au Royal Yacht Club de Belgique. C’est dire s’il connaît du beau monde.

 

Les relations sont faites pour s’en servir

 

Nihoul se vante d’avoir « le bras long comme le Danube ». Et il s’en sert. Début 1978, il est condamné à huit mois de détention ferme pour banqueroute frauduleuse. De sa pri­son, il fait appel, le 14 avril 1978, à la permanence sociale de Joseph Michel (PSC), qui n’est pourtant pas ministre de la Justice, mais de l’Education nationale. Michel envoie une lettre au ministre de la Justice, Renaat Van Elslande (CVP): «Je suis sollicité par M. Michel Nihoul qui accomplit en ce

(p.170) moment une peine de semi-détention à la prison de Saint-Gilles. L’intéressé souhaiterait avoir un congé pénitentiaire certains week-ends afin de pouvoir rendre visite à ses enfants. Auriez-vous l’amabilité d’examiner avec bienveillance cette demande et d’y donner la suite que vous jugerez la plus judi­cieuse.»38 Il essuie un refus mais insiste. Il écrit une deuxième lettre: « M. Nihoul s’est retrouvé dans cette situation en rai­son… de la légèreté de son épouse et il n’a nullement une mentalité de falsificateur.» A ce moment-là, Nihoul avait quatre condamnations à son actif. Il n’est pas la victime de son épouse, mais au contraire il a envoyé son épouse en pri­son pour des escroqueries qu’il a commises lui-même. Peu après, Nihoul est relaxé. Nihoul dit n’avoir jamais rencontré Joseph Michel. L’intervention auprès de sa permanence sociale fut le fait, affirme-t-il, d’un « père dominicain qui veillait mon papa qui allait mourir d’un cancer de la gorge.» Selon Joëlle Milquet, l’actuelle présidente du PSC devenu CdH, les permanences sociales des députés recevaient, à l’époque, une quinzaine de demandes d’intervention de détenus par mois.39 Peut-être, mais l’insistance était grande. Qui, dans l’entourage de Michel, voulait que Nihoul sorte à tout prix de prison ?

 

Vingt ans plus tard, Joseph Michel croise à nouveau la rou­te de Nihoul. Selon André Rossignon, candidat à la présiden­ce de l’ex-PSC, le remplacement du juge Connerotte aurait été arrangé par Michel et les instances luxembourgeoises du parti. Selon le quotidien De Morgen40, Joseph Michel aurait empêché que le juge Langlois mène des perquisitions au siège bruxellois du PSC. Le juge aurait, selon le journal flamand, interdit que l’enquête soit encore menée sur le cercle de rela­tions de Nihoul. Michel connaît bien Langlois. En 1988, il a lancé le futur juge – alors avocat – en politique dans la province (p.171) du Luxembourg. Langlois habite à Etalle et son voisin est un des fils de Joseph Michel. Sa tante fut longtemps bourgmestre PSC du village de Saint-Vincent. La filiation politique sociale-chrétienne du juge d’instruction éclaire-t-elle d’une lumière nouvelle la manière dont l’enquête Dutroux a été menée ?

De Morgen affirme aussi que Francis Moinet, le président du tribunal de première instance de Neufchâteau, qui refusa de renvoyer Nihoul aux assises, est un membre du PSC, ami de Langlois et fidèle de Joseph Michel.

Sur intervention de Nihoul, Nolet, directeur de la TVA, a arrangé les affaires de Plastic Bertrand, qui devait 30 millions au fisc. Il a effacé l’ardoise contre une rémunération de deux à trois millions. Nihoul a aussi obtenu, d’un fonctionnaire du ministère de l’Emploi et du Travail, qu’une personne obtien­ne un emploi près de son domicile. Intervention payée et réglée au Dolo. Un autre fonctionnaire a attribué un marché de dépannages de voitures à une firme, sous la pression de Nihoul.

 

Début 80, Nihoul est dans la branche «r égularisation des réfugiés » avec sa nouvelle compagne Annie Bouty. Ils se sont rencontrés une première fois au début des années septante, lors d’une foire commerciale. Annie Bouty était alors la fian­cée de Claude Michel41, le beau-frère de Georges Frisque, que nous retrouverons avec le couple Nihoul-Bouty dans l’affaire CME. En 1975, il avait repris contact avec elle lors «d’une soirée mémorable organisée par notre ami commun (Michel)». Il avait incité Bouty à quitter son patron de stage, Jacques Marres, spécialisé dans les affaires zaïroises et conseil du dictateur zaïrois Mobutu.

 

(p.188) Otez ces témoins que je ne veux pas voir

 

Le 30 janvier 2001, Jean-Denis Lejeune, le père de Julie, dit à la TV Allemande ZDF: «Comme par hasard, des gens meurent de façon inexplicable. Ils ont par exemple un acci­dent de voiture mortel, justement sur le chemin pour appor­ter leur témoignage, ou bien on les retrouve chez eux, com­plètement carbonisés. Cela ne trouble apparemment pas notre justice.»

Vingt témoins sont morts depuis l’arrestation de Dutroux. Chaque fois, la justice a accusé des suspects n’ayant aucun rapport avec l’affaire, ou conclu à l’accident ou au suicide.

 

En 1986, Dutroux, Michelle Martin et leur jeune com­plice, Jean Van Peteghem, sont condamnés pour enlève­ment et sévices sexuels sur des mineurs d’âge. A l’époque déjà, ils opèrent avec une camionnette conduite par Mar­tin. Van Peteghem est le seul à faire des aveux complets. Après la libération conditionnelle de ses complices, il périt dans l’incendie de sa caravane. En prison, un détenu entend une conversation entre Dutroux et Van Peteghem. Il s’agit de décider qui va porter le chapeau dans cette affaire. Il rap­porte la conversation aux autorités, et il est probable que sa déposition se trouve dans le dossier auquel Dutroux a accès. Une fois libéré, l’homme disparaît de la surface du globe. Malgré ses recherches, la police ne sait pas ce qu’il est deve­nu.

(p.189) Le 21 mai 1989, Lucien Vial, un marchand de vins de Walcourt, et un certain Di Giorgio enlèvent deux jeunes filles de 15 et 16 ans. Ils les embarquent dans un hôtel et les violent. L’une d’entre elles réussit à blesser Di Giorgio avec un couteau. Vial s’endort. Les deux jeunes filles parviennent à s’enfuir. Le lendemain, les deux criminels sont arrêtés mais ils sont très rapidement libérés. Dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, on retrouve le petit ami de l’une des filles, Pascal Meu­nier, mort, dans une rue de Charleroi. L’autopsie conclut à une overdose. Mais son corps porte la trace de coups. Sept ans plus tard, des enquêteurs constateront que les photos du jeune garçon prises après son décès ne sont toujours pas développées. Jamais ses parents n’ont été entendus. Coupa­ble de plusieurs viols, Vial ne fera jamais de prison. Tout au plus passe-t-il 56 jours dans des instituts psychiatriques. Il est dans les meilleurs termes avec la brigade de gendarmerie de Walcourt. Il est de notoriété publique que des gendarmes travaillent pour lui en noir. Quand d’autres gendarmes veu­lent tenir à l’œil la demeure de Vial, celui-ci appelle la briga­de de Walcourt pour signaler les numéros de plaque. Lors de l’opération Villages Roumains, un camion de Vial, conduit par des gendarmes, apporte des vêtements et des vivres en Roumanie. Même en France, Vial a des protecteurs. Le 31 mai 1995, il y est arrêté pour « importation illégale» de jeu­nes filles des pays de l’Est. L’une d’entre elles est mineure d’âge. Il passera trois jours en prison. Vial et Dutroux sont vus ensemble, au moment de la disparition de Julie et Mélissa, dans un café de la ville basse de Charleroi. Vial et Nihoul se connaissent également. Ils ont été vus ensemble dans le snack de Vial, à la Tour Martini, place Rogier à Bruxelles au milieu des années 80. Nihoul anime alors sa radio JMB dans le même bâtiment.

 

 

(p.193) José Steppe était bien connu dans son quartier de Charleroi et il était au courant de tout ce qui s’y passait. Il travaillait de temps en temps comme informateur pour un journaliste. Quelques semaines après l’arrestation de Dutroux, il télépho­ne, paniqué, au journaliste: il avait d’importantes informa­tions sur Dutroux… Le journaliste ne le contacte pas immé­diatement. Il ne le reverra plus vivant. Le jour de sa mort, Steppe est allé boire un café au bistrot en face de chez lui, comme à son habitude. Une heure plus tard, sa femme le (p.194) trouve dans le couloir, étendu par terre. Dans son appareil respiratoire – il souffrait de crises d’asthme – on retrouve un comprimé de Rohypnol, une drogue anesthésiante qui n’a pas sa place dans un tel appareil. Dutroux utilisait le Rohyp­nol pour endormir ses victimes. La justice n’a rien trouvé de suspect dans la mort de José Steppe.

 

Le gendarme Guy Geubels est retrouvé mort, à côté de son arme de service. Officiellement, il s’est suicidé. Mais sa famille en doute: il aimait la vie et n’avait pas de grand pro­blème. Il travaillait sur l’affaire Julie et Mélissa depuis leur disparition. Deux jours avant sa mort, il avait décidé avec des collègues d’élargir l’enquête. Chaque fois que Carine Russo demande des informations sur sa mort à la justice, elle reçoit des réponses différentes.

 

Le ferrailleur Bruno Tagliaferro habite le village de Keumie, près de Charleroi. Le 5 novembre 1995, il est retrouvé mort, officiellement victime d’une crise cardiaque. Sa femme, Fabienne Jaupart, est convaincue qu’il ne s’agit pas d’une mort naturelle, mais d’un empoisonnement. Il lui avait annoncé sa mort, affirme-t-elle. Il avait dit que « tout était fini, qu’il en savait trop et qu’il serait bientôt mort.» Sa mort intervient au lendemain de la prise en otage, par Dutroux et Weinstein, de trois jeunes qu’ils soupçonnaient d’avoir volé un camion déjà volé par Dutroux. Quelques jours après, Dutroux tue Weinstein, sans doute parce qu’il en savait trop. Tagliaferro connaît bien Diakostavrianos, un complice de Dutroux. Il lui vend des pneus. Diakostavrianos serait même venu sur son terrain avec Nihoul. Une amie de Fabienne Jaupart rapporte que celle-ci lui a dit que: «Bruno avait démonté une voiture qui avait servi lors de l’enlèvement de

(p.195) deux petites filles et qu’on n’en aurait plus rien retrouvé. C’est seulement après que j’ai compris qu’il s’agissait de Julie et Mélissa.» Un complice de Nihoul, un certain Thierry, affirme: «Je l’ai dit immédiatement aux enquêteurs: Dutroux voulait faire tuer Tagliaferro et sa femme. Il offrait pour cela 50.000 francs et une arme. Mais il ne m’a pas dit pourquoi. J’étais assis avec Dutroux dans la voiture, c’est Dutroux qui me l’a dit.»

 

Un an plus tard, le corps de Tagliaferro est exhumé. Il res­sort de l’analyse des échantillons qu’il a été empoisonné. Fabienne Jaupart veut tout révéler sur les relations de Dutroux. Mais la justice de Namur n’est pas intéressée. Elle demande en vain la protection de la police. Elle n’est pas pri­se au sérieux.

Le 18 décembre 1998, son fils de 14 ans la trouve morte à côté de son lit, à moitié carbonisée. Cause du décès : suffoca­tion. Le matelas a été aspergé de méthanol. La justice conclut à l’accident ou au suicide. Ses amis n’y croient pas. Elle avait fait tourner le lave-vaisselle et mis des pommes de terre sur le feu. De plus, elle venait de renouer une relation. Elle aurait aussi essayé de quitter la chambre par la fenêtre. Une porte de la maison avait été forcée, ce qui fait supposer que quelqu’un est entré par effraction. Le parquet de Neufchâteau devait entendre Fabienne Jaupart quelque temps plus tard.

En avril 1998, on repêche le corps d’Anna Konjevoda, 60 ans, dans la Meuse à Liège. Elle a été battue et étranglée avant d’être jetée dans le fleuve. Anna avait téléphoné, fin 1996, à la ligne verte d’appel aux témoins ouverte par le juge Connerotte. Elle détenait des informations sur les liens existants, selon elle, entre le trafic de voitures et les enlèvements d’enfants. Son mari, Henri Couline, de Herstal, a expliqué à l’agence Belga (p.196) que, quelques années auparavant, Anna Konjevoda avait été conduite en Yougoslavie par M. Rochow. Il s’agit du père de Pierre Rochow, inculpé avec Dutroux dans le dossier du trafic de voitures. Le 5 novembre 1995, Dutroux et son complice Weinstein avaient attiré Rochow et un ami dans le chalet de Weinstein à Jumet. Ils soupçonnaient les jeunes d’avoir volé un camion, volé auparavant par Dutroux sur les parkings de la firme Fabricom. Après avoir drogué et attaché les deux jeu­nes ainsi que l’amie de Rochow, ils s’étaient rendus au domi­cile de Rochow pour trouver des traces du vol. Pendant ce temps, l’amie de Rochow avait pu s’échapper et prévenir la police communale de Charleroi. Un mois plus tard, Dutroux est arrêté pour cette affaire de séquestration. Entre-temps, le démolisseur de voitures Tagliaferro et le complice Weinstein avaient disparu de la surface de la terre. Quand Anna Konje­voda et son mari apprennent l’arrestation du fils Rochow, le 26 août 1996, ils signalent ce voyage en Yougoslavie à la poli­ce. Mme Konjevoda ne sera jamais plus entendue ensuite. Gino Russo a invoqué le témoignage de cette dame assassinée pour démontrer le lien qu’il peut y avoir entre les enlève­ments et le trafic de voitures. En vain.

 

Le 26 février 1997, le cinéaste Jean-Marc Houdmont est victime d’un accident mortel au moment où il s’apprête à fai­re des déclarations peut-être importantes sur l’enlèvement d’Elisabeth Brichet. Houdmont était connu pour détenir des photos et cassettes pédophiles. Au moment de la disparition de la petite fille, il était domicilié non loin de chez elle, à Saint-Servais.

 

En septembre 1998, Gini Pardaens, une assistante sociale qui s’occupe d’enfants victimes de réseaux pédo-pornographiques (p.197) et collaboratrice du groupe de travail Morkhoven, meurt dans un accident de voiture. En rentrant chez elle à deux heures du matin, elle a heurté le muret d’un pont à 80 km/h. L’expert judiciaire conclut à l’accident. La voiture n’a pas été examinée par les experts judiciaires mais abandonnée dans un garage. Il est difficilement imaginable qu’elle ait pu rouler à 80 km/h à cet endroit, dit un de ses proches. En 1992, le groupe de travail Morkhoven avait dévoilé l’existen­ce d’un réseau de prostitution enfantine au centre duquel se trouvait un pédophile de la ville flamande de Temse. Pendant des années, la justice locale a mis en doute les affirmations du groupe de travail Morkhoven. Devant l’évidence, elle a dû admettre les faits.

 

En août 1998, le groupe dévoile l’existence d’un réseau international de prostitution enfantine opérant sur Internet. Le réseau tourne autour des mêmes personnages.

 

Gini Pardaens traquait infatigablement les réseaux sur Internet. Selon certains, elle venait d’envoyer à la police suis­se un cd-rom avec les résultats de ses recherches sur un réseau belgo-français ayant des ramifications en Suisse. La police suisse aurait été ravie de ses informations. Jusqu’au moment où les autorités belges lui auraient demandé de ne pas aller plus loin dans cette affaire.

Au mois d’août, Gini Pardaens, qui collabore à ce moment à une émission de Faits Divers (RTBF) sur le réseau de pros­titution découvert par le groupe de travail Morkhoven, est interrogée par des membres du Bureau central de Recherches de la gendarmerie. Un interrogatoire qu’elle qualifie de «très étrange et intimidant».

Cet interrogatoire aurait été la conséquence d’un coup de téléphone anonyme à Child Focus, le Centre pour enfants disparus. Un correspondant anonyme aurait affirmé que (p.198) Gini Pardaens en savait plus sur la disparition de M. Schad-wald, un garçon exploité dans un réseau de prostitution enfantine. Quelques jours avant sa mort, elle écrit une lettre dans laquelle elle révèle qu’elle a reçu des menaces de mort et craint pour sa vie. Elle se rend même à la police, car on l’au­rait menacée de provoquer un accident de voiture. Elle se sent observée et suivie. Dans le train, un inconnu lui conseille d’arrêter son travail social, sinon, lui dit-il, elle n’aura plus longtemps à vivre. Avant sa mort, elle parle à ses amis d’une cassette vidéo sur laquelle on pouvait voir la mise à mort d’une petite fille pendant une partouze. Elle pensait avoir reconnu l’un des abuseurs. Il s’agirait d’un proche de Nihoul.

 

Début avril 1995, Jean-Paul Taminiau disparaît de Charleroi peu après avoir confié à un ami qu’il a reçu des informa­tions importantes, et non sans avoir acheté d’abord une nou­velle arme. Taminiau ayant été videur dans un night-club, il connaît bien le milieu de la prostitution et a de bonnes rela­tions avec les receleurs de voitures. Il a été propriétaire d’un night-club avec bordel, fréquenté par la bonne société de Charleroi. Il loue un garage à un complice de Dutroux et le garage d’en face appartient à Dutroux lui-même. Un an plus tard, un pêcheur trouve un pied de Taminiau dans le canal. Son cadavre n’a jamais été retrouvé.

 

En février 1996, Simon Poncelet est tué dans les locaux de la police judiciaire de Mons par quatre balles tirées à bout portant. Il était de service de nuit et seul. Il est le fils de l’avo­cat général de Tournai. Les règles sont strictes, la nuit: ne fai­re entrer aucun inconnu. L’entrée est surveillée par des camé­ras. On peut donc supposer que Simon Poncelet connaissait son agresseur, puisqu’il lui a ouvert la porte. Mais l’appareil (p.199) de surveillance ne fonctionnait pas. Poncelet ne s’occupai pas d’affaires problématiques et il n’avait pas été menacé. Son père voit deux pistes. Soit un règlement de comptes interne auquel il ne voit aucun mobile. Soit un meurtre lié au trafic international de voitures qui monopolisait alors toute l’éner­gie de son fils. Dutroux a toujours puisé dans le milieu de; receleurs de voitures pour organiser des enlèvements d’en­fants. Mais la justice a séparé le dossier des vols de voitures et celui des abus d’enfants qui, pourtant, sont intimement liés.

 

Des cheminots découvrent le cadavre de François Reyskens, 28 ans, sur les rails, écrasé par un train. Ce jour-là, la gendar­merie souhaitait l’entendre à propos de la disparition de Mélissa. François Reyskens se droguait, il était vraisemblable­ment aussi dealer. Il s’était adressé au gendarme Melon à propos de « quelque chose de grave, de la fille Mélissa ». Le gendarme Melon sait que ce ne sont que des gens comme Reyskens, vivant dans le milieu, qui obtiennent des informa­tions sur un cas pareil. D’après Carine Russo, il a vu les enfants, ou il leur a parlé, dans un bar de Maastricht.

 

En juillet 1999, l’avocat général Massa de Liège se suicide. Il suivait, pour le Parquet général de Liège, le déroulement des enquêtes à Neufchâteau. On le retrouve mort à son domi­cile, peu de temps après un entretien qu’on dit houleux avec le nouveau ministre de la Justice, Marc Verwilghen.

 

En août 1999, on apprend le suicide de l’inspecteur Gregory Antipine de la police judiciaire de Bruxelles. Antipine infiltrait, pour la police judiciaire, les milieux des partouzes de Bruxelles, et notamment celles que fréquentait Nihoul. Il est, avec son chef Marnette, à la base de l’affaire Di Rupo.

(p.200) Antipine était sur le point de recevoir une promotion: il n’avait donc pas d’ennuis professionnels. Il était grand ama­teur d’armes. Pourquoi avoir choisi une mort atroce par pen­daison à une rampe d’escalier plutôt que de se tirer une balle dans la tête ?

 

(p.201) Conclusion

 

Le procès Dutroux-Nihoul, sera-t-il la dernière étape de l’opération oubliettes voulue depuis plus de sept ans par une partie des institutions judiciaires, policières et politiques? Ou relancera-t-il le débat qui a surgi après la découverte des enfants, quand a explosé la colère de la population?

Que Nihoul comparaisse devant les assises est une grande victoire. La décision de la Chambre du Conseil du 17 janvier 2002 de ne pas le renvoyer en assises était un enterrement de première classe. Le Parquet de Liège avait montré la voie en renvoyant le volet «réseau pédophile» à un «dossier bis», qui n’aurait été entamé qu’après le procès Dutroux. On s’ache­minait donc, début 2003, vers un dénouement inadmissible de l’un des plus grands scandales policiers et judiciaires. On revivait l’affaire des tueurs du Brabant wallon : 28 personnes assassinées, des membres et officiers de la gendarmerie suspectés, mais toujours aucun coupable.

Pendant six ans, un (puissant) lobby de responsables poli­tiques, policiers et judiciaires a oeuvré pour que Nihoul ne comparaisse pas. Il a retiré l’enquête des mains de Connerotte, l’homme qui avait réussi, là où la justice de Liège et de Char-leroi, la gendarmerie et la police judiciaire avaient lamentable­ment échoué. L’homme qui, avec le procureur Bourlet, vou­lait savoir si Dutroux avait agi seul ou sur commande, s’il avait constitué une bande avec Nihoul et si cette bande se livrait à un trafic d’enfants. Il voulait savoir si Dutroux avait bénéficié de protections policières ou judiciaires.

 

La déclaration de mandats et de patrimoine des élus…, LB 09/04/2004

 

En projet depuis 1994, en réponse à ceux qui, pensent qu’ils sont « tous pourris », cette déclaration fera l’objet d’une résolution, puis, l’année suivante, d’une loi. Pour rendre effective la mesure, le Conseil d’Etat signale qu’il faut encore adopter une loi d’exécution. En 2004, la règle n’est toujours pas votée.

La nouvelle majorité avait promis de ‘faire entrer en vigueur immédiatement’ les lois relatives à l’obligation de déposer une liste des mandats et ue déclaration de patrimoine.

Cela fait 9 mois que cela a été écrit… Si le texte n’est pas publié au Moniteur avant la fin du mois de juin, il ne pourra entrer en vigueur, dans le meilleure des cas, que le 1er janvier 2006. Immédiatement ?

 

Jules M. (Nivelles), PENSIONS, DH 18/04/2005 – Détrompez-vous!

 

Si vous croyez que tous les citoyens rémunérés ou salariés cotisent à l’ONSS, détrompez-vous! Nos minis­tres, sénateurs et députés ne cotisent pas à l’ONSS mais affectent leur rete­nue de traitement à un fonds spécial géré par un petit comité de leur as­semblée qui place ces retenues dans divers produits financiers (actions, obligations, etc.). La solidarité si chère au ministre Demotte ne s’applique ni à lui-même ni à ses collègues de parti et d’assemblée. L’adage: faites ce que je dis mais pas ce que je fais est tou­jours d’actualité, surtout dans le monde politique. »

 

Piet Daniel (Fosses), Cris d’orfraie, LS 19/03/2005

 

Dans l’affaire Lizin, on entend les cris d’orfraie du syndicat de la magistrature et de l’Ordre des avocats, parce que, semble-t-il, la présidente du Sénat n’aurait pas respecté la séparation des pouvoirs en adressant une lettre à un juge. Les magistrats lèvent les bras au ciel et jouent à la vierge effarouchée. (…) Je me sou­viens, il y a quelques d’années, quand, travaillant dans un cabi­net ministériel, lors de perma­nences sociales, du défilé lar­moyant des avocats, qui ve­naient « ramper » devant le ministre afin d’obtenir un appui, qui pour une place de procureur du Roi, qui pour un emploi de juge de paix dans un canton…

Ainsi donc, quand cela les ar­range, quand il s’agit de leurs avantages pour une promotion, les « défenseurs » du pouvoir ju­diciaire n’hésitent pas une secon­de à venir se compromettre avec l’exécutif… (…)

 

Jean-Marie Charles (Hachy), Ethique politique, DH 28/12/2007

 

« Éloquente l’image de l’éthique politi­que que lui donnent certains élus nationaux. D. Ducarme junior, le fils de l’ancien ministre distrait au point d’en oublier de payer ses impôts pendant des années, suit déjà la route népotique toute tracée par papa. Le respect de la loi c’est pour le petit peuple et les pandores n’ont qu’à s’écraser devant l’élu national. Il faudra qu’Yves Leterme explique à ses policiers Fla­mands que les plaques spéciales veulent dire profiteurs intouchables. Laisser son chauffeur conduire à 90km/h au lieu de cinquante, c’est un acte criminel qui devrait se conclure par un retrait de permis immédiat. Mais comme tous les parquets sont à la botte des politiciens qui nomment les magistrats, contrairement aux autres trente permis retirés ce week-end, notre jeune MR apprendra rapi­dement ce que veut vraiment dire avoir le pouvoir politique dans notre pays. Y aura-t-il un courageux homme politique, un sénateur donneur de droit et ancien prof d’unif par exemple, pour défendre ce policier honnête ? Non, bien sûr, les profiteurs de tous partis confondus ne se mangent pas entre eux. »

 

L.-P.D (Louis-Pierre David) (Rixensart), La franc-maçonnerie, in : CTR 28/03/2008

 

Supposons qu’un média annonce un jour que la plupart des ministres de notre gouvernement fédé­ral sont membres de l’Opus Dei. On imagine le tollé que cela engendrerait et les hurlements que cela dé chaînerait dans un tas d’associations prétendument attachées aux principes de la laïcité. Or, tout récem­ment, un numéro de « Questions à la une » a ré­vélé que la moitié de ces ministres fédéraux pour­raient appartenir à la franc-maçonnerie. Cela n’a suscité aucune réaction parmi les innombrables groupements disant défendre la démocratie ! Com­ment, pourtant, ne pas être interpellé par le fait de savoir que nous sommes pratiquement dirigés par des membres d’une même association secrète, pour ne pas dire une secte, ne représentant qu’une par­tie infime de la société, aux buts finaux obscurs et, en tout cas, soigneusement cachés sous une façade de pseudo-libre pensée…

 

Pol Dams (Roloux), Militer dès le plus jeune âge, AL 28/05/2008

 

Le PS envoie-t-il deux média­teurs (PS) chez Mme Lagaffe (Vanderspetten-Lizin)? On apprend précédemment qu’ils sont Direc­teurs de la très puissante SGPE et de l’ADEPS.

À l’occasion d’une émission « Controverses»   au sujet des monopoles de Belgacom, on apprend que le directeur de l’organisme de régulation des télécoms est socialiste affiché. Un demandeur d’emploi qui s’adresse à une permanence dite sociale (suffragipète) de ces excellences s’entend dire que moyennant le sésame du SELOR, son dossier peut être accéléré, etc. Donc, le meilleur conseil que les parents puissent donner à leur progéniture est de militer fort jeune, même sans conviction, dans un parti fréquemment au pouvoir. Du moins, si elle est désireuse de faire carrière dans l’administration ou les parastataux où on jouit d’une sécurité d’emploi et d’un montant de pension que ne peut offrir le privé où le stress permanent est souvent la règle. Même si c’est le privé qui finance ces instances publiques.

 

mayeur a peur de son ombre, in : UBU, 2011

 

La gauche bien-pensante dé­laissant le combat laïque – les pionniers de la laïcité doi­vent se retourner dans leur tombe – celui-ci est, heureu­sement, relayé par d’autres partis démocratiques. C’est le cas du MR, dans le camp francophone, et de la N-VA, dans le camp flamand. Ré­cemment, la collaboratrice parlementaire d’une dé­putée socialiste flamande, s’est présentée voilée à une réunion de la commission des Affaires sociales de la Chambre. Un attaché du groupe MR a protesté contre cette marque de prosélytis­me religieux au sein d’une instance de la Chambre. Quant à l’élue N-VA, Zuhal Demir, elle a marqué son vif mécontentement, et dé­claré qu’en Turquie, un tel spectacle serait impossible. Pour Zuhal Demir, d’ori­gine turque et parfaitement intégrée, « il n’est pas question qu’on laisse des signes confessionnels ostensibles entrer au Parlement ». Une fois de plus, ce sont donc les libéraux francophones et le parti de Bart De Wever qui défendent les positions laï­ques, là où la gauche flirte avec les bigots musulmans. Car Yvan Mayeur, président PS de la commission, n’a évidem­ment pas voulu se mouiller dans la controverse. Il a peur de son ombre, ou plu­tôt de celle de Philippe Moureaux. Et pour cause, à Bruxel­les, le PS est devenu un parti confessionnel musulman.

 

 

2 Documents

 

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