Câsser l' vêre dans lès mârches folklorikes d' ètur-Sambe-èt-Moûse / Casser le verre dans les marches folkloriques de l'Entre-Sambre-et-Meuse

li câssadje do vêre / le ‘cassage » du verre

PLAN 

0 Introdwîjadje /Introduction

1 Analise / Analyse

2 Fotos / Photos

3 Ârtikes / Articles 

 4 Li câssadje d’ objèts dins l’ monde / Le brisement d’objets dans le monde 

0 Introdwîjadje / Introduction

(à Bièrcéye / Biercée)

(au Banbwès / à Bambois)

 

1 Analise / Analyse

Le cassage du verre: pourquoi? (Vincent Dubois)

(in: Le Marcheur, 164, 2002)

Le cassage du verre (R. Golard)

(Le Marcheur, 95, 1985)

Le cassage du verre ou le passage des places / Comment se forme un corps d'office? (René Gheys)

(in: Le Marcheur, 220, 2016)

Sur les variantes de la cérémonie du "cassage du verre" (A. Collart)

(in: Le Marcheur, 51, 1974)

 BASE de la marche / BÂSE dè l’ mârche: le « cassage » du verre / li câssadje do vêre (serment prêté par les ‘officiers’ pour l’année suivante / sèrimint faît pauzès-‘oficiers’ po l’ anéye qui sût)

exemple de formule du « cassage » du verre / ègzimpe di fôrmule do câssadje do vêre: à Bambois (marche Saint-Barthélemy) / au Banbwès (mârche Sint-Biètrumé)

« Si dj’ vike co èt si dj’ sé co,

Quand dj’ duvreûve co roter à gngnos,

L’ anéye qui vint, dji mârcherè co ! »

(trad.: Si je vis encore et si je peux encore, / Quand bien même je devrais marcher à genoux, / L’année prochaine, je marcherai encore!)

 

2 fotos / photos

 

Vilé-l'-poterîye - Compagnîye Sint-Maurtin : li câssadje do vêre / Villers-Poterie - Compagnie Saint-Martin : le 'cassage' du verre (info: Rose-Marie Collart)

Viètrîvau : mârche Sint-Piêre / Vitrival : marche Saint-Pierre

Lès Flaches - câssadje do vêre / Les Flaches - "cassage" du verre

(in: Le Marcheur, 104, 1987)

Bièmeréye - câssadje do vêre / Biesmerée - 'cassage' du verre

(colècsion / collection Renée Donot)

Tchèslèt - câssadje do vêre / Châtelet - 'cassage' du verre

(in: s.r., 1991)

(in: Le Marcheur, 204, 2012)

Vilé-l'-Djobin - mârche Sint-Piêre: câssadje do vêre / Villers-deux-Eglises : marche Saint-Pierre: 'cassage' du verre

(in: Le Marcheur, 164, 2002)

 

3 Ârtikes / Articles

1985 - Sint-Aubwin / Saint-Aubin - câssadje do vêre / 'cassage' du verre

(LP, 31/07/1985)

1989 - Dausseu / Daussois - câssadje do vêre / 'cassage' du verre

(VA, 05/04/1989)

2007 - Aujau / Aiseau - 36e câssadje do vêre / 36e 'cassage' du verre

(VA, 15/03/2007)

2012 - Bièrcéye / Biercée - câssadje do vêre / 'cassage' du verre

(VA, 13/02/2012)

2013 - ForchÏye / Forchies - câssadje do vêre / 'cassage' du verre

2013 - Djèrpène, ... - câssadjes do vêre / 'cassages' du verre

2013 - 2015 - 2018 - Lès Flaches / Lees Flaches - câssadjse do vêre / 'cassages' du verre

(VA, 05/04/2013; 09/04/2015; 07/04/2018)

2013 - Vôjenêye / Vogenée - câssadje do vêre / 'cassage' du verre

2013 - Boussu - câssadje do vêre / 'cassage' du verre

(VA, 08/04/2013)

2013 - Vilé-l'-Djobin / Villers-deux-Eglises - câssadje do vêre / 'cassage' du verre

(VA, 11/04/2013)

2013 - Daussois - Pas de majors à la Trinité

(VA, 13/04/2013)

2013 - Lavèrvau / Loverval

(VA, 17/04/2013)

2013 - Twin / Thuin

(VA, 25/03/2013)

2013 - à l' Nèfe / Laneffe

(VA, 28/03/2013)

2015 - Bieume / Biesme - câssadje do vêre / cassage du verre

2016 - Li Saut-à-Statche / Sart-Eustache (sic) (VA, 20/05/2016)

2018 - Tî / Thy-le-Château

(VA, 04/04/2018)

2018 - Djèrpène / Gerpinnes

(VA, 25/04/2018)

2019 - Walcoût / Walcourt

(VA, 20/04/2019)

 

4 Li câssadje d’ objèts dins l’ monde / Le brisement d’objets dans le monde

Jules VANDEREUSE, LE  BRISEMENT DE CERTAINS OBJETS (Verre, assiette, pot, bouteille, etc.), in : Le Folklore Brabançon, 134, 1957, p.113 à 151

 

Il existe un grand nombre de coutumes d’origine inconnue, dont le sens primitif s’est perdu au cours des âges, et que nous pratiquons, néanmoins, d’une façon régulière — automatique, pourrait-on dire — parce que nos parents et nos grands parents agissaient de même.

Tel est le cas, notamment, pour le brisement de certains objets.

Pourquoi, par exemple, brise-t-on, intentionnellement, un verre ou une assiette à l’occasion de certains mariages ? Pour­quoi brise-t-on une bouteille de Champagne sur l’étrave d’un navire lors de son baptême ? Pourquoi retourne-t-on son assiette quand on a fini son repas ? Pourquoi brise- t-on la co­quille d’un œuf après l’avoir mangé ? Et nous pourrions mul­tiplier ces « pourquoi ».

Dans l’exposé qui va suivre, nous nous sommes efforcé de donner une réponse, aussi exacte que possible, à ces différentes questions, ainsi qu’à d’autres du même genre.

 

Indissolubilité du mariage

 

A Romerée (arrondissement de Philippeville) jusque vers 1870, quand on épousait une fillle de l’endroit, il fallait payer à la « Jeunesse », dix francs, si l’on était de la localité, et quinze francs, si l’on était étranger.

Le dimanche suivant la noce, les « officiers de jeunesse », musique en tête (une grosse caisse et un violon), allaient cher­cher les jeunes mariés chez eux et les conduisaient sur la place communale. Là, mariés et « officiers » buvaient, ensemble, un «pot» (deux litres de bière). Les trois verres nécessaires à cette fin, étaient fournis par les nouveaux conjoints. Ces deux derniers buvaient d’abord. Venait, ensuite, le tour du « capitaine » et des « officiers ». Après usage, les verres vides étaient remis aux jeunes époux qui les brisaient en mille mor­ceaux en les lançant contre un mur voisin, cependant que toute la jeunesse criait : « A la santé du marié et de la mariée, et crions : Vivat ! » Tout le monde se prenait alors par la main et on dansait. Si les verres n’étaient pas bien émiettés, on croyait que les époux n’étaient pas bien mariés.

A Walcourt (arrondissement de Philippeville), existait une coutume analogue tombée en désuétude vers 1885. Dans le mur de soutènement de l’ancien cimetière entourant la col­légiale, se trouve encastrée une très vieille statue qu’on appelle Cupidon, on ne sait trop pourquoi. Quand la jeune mariée sortait de l’église, on la conduisait près de la dite statue, on

 

lui présentait un verre de bière et, après l’avoir vidé, elle le brisait aux pieds de Cupidon ( 1 ).

A Ventoux, village situé à 5 km de Metz, on comptait en 1830, 211 Juifs sur 420 habitants. A côté de la porte d’en­trée de leur synagogue, se trouvait, encastrée dans le mur de l’édifice, une pierre de taille sur laquelle un dessin symbolique avait été façonné ; il représentait une rosace à six lobes égaux et portait sur la circonférence, en abrégé, une inscription hé­braïque signifiant : voix de joie et d’allégresse, voix de fiancé et de fiancée, présage favorable. Après la cérémonie nuptiale, le nouveau marié lançait contre cette pierre, une bouteille vide qui devait se briser et les assistants réunis devant l’entrée du temple, jetaient contre la pierre quelques poignées de grains de blé qui, en tombant sur les nouveaux époux, devaient leur assurer la fécondité et la prospérité. Depuis que la synagogue a été désaffectée et vendue, la coutume a disparu (2).

On retrouve une coutume analogue  chez  les Bohémiens.

Comment  se  marie-t-on  chez  ces  nomades ?

Un beau jour, les futurs époux se réunissent avec leurs parents et amis, dans un bois, sans prêtre et sans notaire, sans aucune cérémonie qui ressemble à un acte officiel ou religieux. Le futur jette en l’air une cruche qui se brise en tombant. Les morceaux sont comptés et fixent la durée de l’union conju­gale. Chaque têt représente, paraît-il, une année. On assure que le futur lance plus ou moins haut la cruche, selon qu’il est plus ou moins amoureux (3).

Ce fait est confirmé par un témoin qui raconte avoir assisté à un mariage de Bohémiens, en Auvergne, en 1871. Dans le cours de la cérémonie, on a cassé un pot (4).

 

(1) D’après D. A. V. B. [D. A. Van Bastelaer] in Doc. et rapp. de la. Sté paléont. et arch. de Charleroi, t. XVI, 1888, p. 450, ce bri­sement du verre avait lieu « en signe de renoncement aux libertés du célibat».  Cette interprétation n’est pas exacte, ainsi que nous allons le voir.

(2) R. De Wetsphalen, Petit dictionnaire des traditions populai­res messines, Metz 1934, p. 533.

(3) P. Cuzacq, La naissance, le mariage et le décès, Paris  1902, pp. 78-79.

(4) RTP, t. XII, 1897, p. 463.

 

Victor Hugo, dans son ouvrage Notre-Dame de Paris (5), rappelle comme suit cette curieuse coutume :

« Le duc d’Egypte, sans prononcer une parole, apporta une cruche d’argile. La bohémienne (Esmeralda) la présenta à Gringoire. Jetez-la à terre, lui dit-elle.

» La cruche se brisa en quatre morceaux.

» — Frère, dit alors le duc d’Egypte en leur imposant lies mains sur le front, elle est ta femme ; sœur, il est ton mari. Pour quatre ans. Allez ».

D’après un autre auteur, c’est la bohémienne qui brise un pot de terre devant l’homme dont elle veut devenir la com­pagne ; et elle vit avec lui autant d’années qu’il y a de frag­ments du vase. Au bout de ce temps, les époux sont libres de se quitter, ou de rompre un nouveau pot de terre (6).

Enfin, dans de nombreuses tribus, lors d’un mariage, le chef prend une cruche de terre cuite, pleine de grains de blé et la déverse sur la tête des mariés ; geste symbolique destiné à assurer la prospérité au nouveau ménage.

Après quoi il arrache l’anse qu’il garde pour lui et casse la cruche en la jetant violemment sur le sol. Chacun des assis­tants se précipite pour en ramasser un débris, qu’il conservera comme porte-bonheur.

La tradition veut que les nouveaux mariés aient autant d’années de bonheur qu’il y a de morceaux. Ce rite n’est pas observé dans toutes les tribus (7).

Dans certains villages du Mantois (Seine-et-Oise), la ma­riée brise son verre après avoir bu : autant de morceaux, au­tant d’années de bonheur. On peut juger de quel cœur le verre doit être lancé sur le pavé (8).

A Bièvres (Ardennes françaises), la messe de mariage ter-

 

(5)  Livre deuxième, chap. VI, p. 148, éd. Nelson, Paris.

(6)  Dict. inf. t. I, 1826, p. 408.

(7)  Frans de Ville, Tziganes, Bruxelles,  1956, p.  108. — Le jour­nal La Libre Belgique, du 27 juin  1947, relatant la cérémonie d’une noce de tziganes à Eupen, écrivait : « On vida des grains de froment sur les têtes des jeunes époux et le pot qui les contenait fut brisé, les morceaux étant distribués à chaque membre de la tribu».

(8) Albéric Chéron, Le mariage dans le Mantois, in La Tradition, t. I, 1887, p. 53.

 

minée, les nouveaux époux buvaient dans le même verre un peu de vin. Puis, le mari lançait fortement le verre à terre : s’il ne se brisait pas, c’était signe de malheur ; s’il se brisait, c’était signe de bonheur, et plus les morceaux en étaient pe­tits et nombreux, plus le bonheur devait être grand. Cet usage est, croyons-nous, toujours en vigueur dans cette com­mune (9).

Dans la Loire-Inférieure, le garçon d’honneur, ainsi que la jeune fille d’honneur, viennent à la rencontre des nouveaux époux, avec un plat contenant un peu de pain et de viande, et un seul verre. Le plat est présenté aux mariés qui doivent manger un peu sans résistance ; quand il s’agit de boire au même verre, la femme fait quelque difficulté, mais finit par vider le verre. Alors les assistants qui sont arrivés, chantent : « Buvez la belle, buvez » (10).

Ne faut-il pas voir ici un dernier reste de la coutume constatée à Romerée, Walcourt et dans le Mantois ? Jadis, n’a-t-on pas brisé le verre après la libation ?

Dans les cas que nous venons de voir, pourquoi ce brise­ment du verre ou du pot ? A Romerée et Walcourt il n’est que le symbole de l’indissolubilité de l’hymen, car il serait aussi difficile de rompre les liens unissant les nouveaux con­joints, que de réunir les morceaux de l’objet que l’on brise. C’est ce qui explique la croyance des gens de Romerée, d’après laquelle les jeunes époux « n’étaient pas bien mariés » (c’est-à-dire que leur union n’était pas indissoluble), si les verres lan­cés contre le mur n’étaient pas bien émiettés (c’est-à-dire si on pouvait les reconstituer en en rassemblant les morceaux).

C’est la même idée qui préside au mariage des Bohémiens. Si le pot était brisé en mille morceaux, l’union des conjoints n’aurait pas de fin.

Dans le département de Mantes-sur-Seine, le rite est resté, mais sa signification semble changée. Cependant, pour des ma­riés, les années d’union peuvent être — ou devraient être — considérées comme des années de bonheur et, alors, nous re­trouvons la même idée que ci-avant.

 

(9)  Meyrac, p. 11.

(10) RTP, t. VIII, 1893, p. 542.

 

Il en est de même à Bièvres.

C’est également une idée d’éternité qui est exprimée dans le passage ci-après de la Sainte Bible :

Ainsi a parlé l’Eternel : Va, achète d’un potier un vase de terre, et prends avec toi des anciens du peuple et des an­ciens des sacrificateurs… Tu briseras, ensuite, le vase sous les yeux des hommes qui seront allés avec toi. Et tu leur diras : Ainsi parle l’Eternel des armées : C’est ainsi que je briserai ce peuple et cette ville, comme on brise un vase de potier, sans qu’il puisse être rétabli… (11)

 

(11) Jérémie, XIX, I, 10-11.

 

II

Empêchement de toute action magique

En Belgique, on baptise parfois les avions civils, jamais les appareils militaires. Pour ce faire, la marraine (il n’y a pas de parrain) brise une bouteille de Champagne sur l’hélice quel­ques jours avant le premier départ. Tel a été le rite, notamment, pour le « Point d’interrogation » et le « Princesse Marie José ». En février 1946, le premier des quatre quadrimoteurs DC 4 commandés par la SABENA en vue d’accélérer la liaison aé­rienne Belgique-Congo, sitôt sorti des fameuses usines Douglas, fut baptisé, à Hollywood par la gracieuse artiste de cinéma Barbara Stanwyck qui, d’un geste décidé, brisa une bouteille de Champagne sur le « nez » de l’appareil.

Le même cérémonial est observé lors du baptême des na­vires, lequel a lieu au cours d’une réunion organisée au chan­tier de construction : la marraine brise une bouteille de cham-pagne sur l’étrave du vaisseau. Voici quelques cas : A l’occasion du baptême du « Baudouin ville », le 14 juin 1939, l’acte rituel a été accompli par le jeune prince Baudouin ; il l’a été par la reine Elisabeth, le 11 juillet 1946, lors du baptême du « Ko-ning Albert », sortant des établissements Cockerill.

En France, c’est une bouteille de vin que l’on casse sur l’étrave du navire lors du lancement.

Le 21 janvier 1954, lors du lancement, aux Etats-Unis, du « Nautilus », le premier sous-marin « atomique », Mme Ei-senhower, marraine, a brisé une bouteille de Champagne sur l’étrave de ce submersible.

« J’ai demandé à un vieux marin, dit Anatole France ( 12),

 

(12) Pierre Nozière,  édition  Calmann-Lévy,  Paris,  p. 238.

 

ce que signifiait cette bouteille cassée. Il m’a répondu en riant, que l’étrave glisse mieux quand elle a été d’abord bien arrosée. Puis, reprenant sa gaîté ordinaire, il a ajouté : « C’est un mau­vais signe quand la bouteille ne se brise pas. Il y a dix ans, j’ai vu bénir un grand bateau. La bouteille glissa sur l’étrave et ne se cassa pas. Le bateau se perdit à son premier voyage ».

Selon Anatole France, voici comment il faut interpréter ce geste : En brisant la bouteille, on fait la part du malheur. On dit à ce dernier : « Je te donne ceci. Il faut t’en contenter. Prends mon vin et ne me prends plus rien ».

En Chine on baptise aussi les navires. Voici un cas  :

Le 5 janvier 1887, eut lieu à Stettin, en présence de l’am­bassadeur de Chine, le lancement du cuirassé chinois « King-Juen ». Après les prières prescrites par le rite de Confucius, l’ambassadeur quitta la pagode d’occasion qui avait été dressée pour la circonstance, se dirigea vers une tribune érigée en face du cuirassé et prononça un discours, en chinois, naturellement, à la fin duquel U donna au nouveau cuirassé le nom de « King-Juen ». L’ambassadeur monta, ensuite, à bord du vaisseau et procéda au baptême en répandant du haut de la proue une coupe de Champagne. Le liquide pétillant, coulant le long des parois du cuirassé, fut absorbé par le sol et ce n’est qu’après ce sacrifice au « Dieu de la terre sèche », pour le remercier d’avoir laissé construire Je vaisseau, qu’eut lieu le lance­ment (2).

Dans un article très documenté (3), Paul Sébillot décrit les rites observés pour le baptême des vaisseaux dans d’autres pays.

En Ecosse, c’est une bouteille d’eau-de-vie que l’on brise sur l’avant du bateau. En Italie, à l’occasion du baptême de certaines unités de la marine de guerre (en 1865 et en 1884), on a brisé une bouteille de vin mousseux sur les flancs du na­vire au moment du lancement.

Le même auteur rapporte un usage pratiqué par les pi­rates lorsqu’ils changeaient le nom du navire dont ils s’étaient emparés. On servait une rasade. Le premier, le capitaine buvait

 

(2)  Mélusine, t. III, 1886-87, col. 355.

RTP, t. XIV, 1899, pp. 390 et s.

 

Il en fut de même, à Anvers, le 20 septembre 1952, lors du baptême du navire portugais « Sancta Maria ». On baptise également les bateaux de pêche. En Ecosse, lorsque l’un de ceux-ci arrive à son havre, les gens du village vont sur le port en portant du pain et du fro­mage, de l’aie et du  whisky.  Un verre plein d’alcool  ou  de bière est brisé sur le bateau,  et l’on forme le souhait que le nouveau venu ait une aussi longue durée et prenne autant de poissons  qu’un  vieux  bateau ;   à  Portessie,   en  prononçant  le souhait, on disait le nom de la barque (5). Parfois, c’est une bouteille d’eau-de-vie que l’on brise sur l’avant ou sur l’arrière, suivant  le  côté  par  lequel  le  bateau  est  entré  dans  la  mer. Avant de la briser, on récite les paroles suivantes  : Des  rochers  et des sables, Des terres stériles. Des mains  des méchants, Garde-toi  librement. Sois bien dedans et dehors Avec une bonne marche (6)

En Haute-Bretagne, lors du baptême d’un bateau de pê­che, on écrase sur le pont plusieurs galettes de biscuit, puis le patron brise sur l’avant, une bouteille de vin en disant :

Biscuit et bouteille de vin, Fais que sur mon bateau ne manque jamais de pain (7).

Dans « Das neue Blatt », 1. I, p.  215, nous trouvons sur

 

(4)  Journal de Charleroi, 7 juillet  1951.

(5)  Walter Gregor, in Folk-Lore Journal, t. III, pp.  180 et 197, cité par Sébillot III, p. 140.

(6)  Walter Gregor, ScotJand, p. 197, cité par Sébillot III, p. 146.

Sébillot III, p.  143.

 

 

son verre et le brisait, puis tous les pirates faisaient de même. « Depuis l’avènement du gouvernement nationaliste aux Indes, dans ce pays où les religions prohibent l’usage des bois­sons alcoolisées, on a baptisé les bateaux construits pour la flotte nationale, au moyen de noix de coco, dont le lait s’est répandu sur l’étrave.

» Le 30 juin 1951, à Hoboken, le tanker portugais «Bor­nes » fut baptisé au moyen d’une bouteille de vieux porto (4) ».

 

 

le baptême d’un vaisseau d’Oldemburg, les particularités sui­vantes : Après le lancement du navire, les invités ramèrent jusqu’au vaisseau et montèrent dessus. Aussitôt que chacun était à bord, Je propriétaire du bâtiment prenait une bouteille de vin rouge et se plaçait devant le beaupré. Alors, tenant la bouteille au-dessus de la surface de l’eau, il la cassa sur le bord du navire en disant : « Je te baptise du nom d’Elise ». C’était le nom de sa femme (8).

«Au milieu de ce siècle, les Anglais, dit Jal (9), avaient une pratique singulière. Avant que les premières pièces de bois soient enlevées, une femme allait casser une bouteille contre l’avant, et c’était comme le signal du départ pour le vaisseau. Quelle idée peut représenter cette cérémonie, à moins que ce ne soit celle du vœu formé que le navire résiste aux écueils comme il a résisté au verre. Mais pourquoi une femme ? »

Ce que Jal trouve singulier est cependant bien simple : il s’agit du baptême du navire et la femme est la marraine.

Sur le littoral du Pas-de-Calais, dès qu’un bateau de pêche est construit et calfaté, on le lance à l’eau pour lui donner ensuite ses mâts et son gréement, puis, au moyen de la grande voile, on forme une tente sous laquelle vient un prêtre pour procéder à son baptême. La cérémonie terminée, l’équipage mange de la galette et boit du vin de Bordeaux, dont une bouteille pleine est brisée sur le pont ; puis, un homme muni de quelques autres bouteilles, enjambe le quai où il offre du vin aux passants (10).

Par assimilation, on baptise des « géants », de la même manière, tel a été le cas, à Gembloux, du « Tchirou » (4-7-54) et de « Piconette » (19-6-55), ainsi qu’à Auvelais, de « Jean-le-Porion » (2-9-56).

Le 26 mai 1938, lors du baptême du ballon « Astrid », à Charleroi, la marraine a versé une coupe de Champagne sur la nacelle.

 

(8)  Communication   d’Auguste   Gittée,   in   RTP,   t    VII,   1892, p.  385.

(9)  Scènes de la vie maritime, t. II, p. 259, cité par P. Sébillot, RTP, XIV, 1899, p. 387.

(10) Labille, Les Bords de la Mer, 1858, p. 99, cité par Mélusine, t.II,  1884-85, col. 231.

 

Le 15 juillet 1956, le Président de l’Association des Commerçants de Charleroi, procéda au baptême du nouveau ballon « Pays de Charleroi » en brisant contre sa nacelle, la traditionnelle bouteille de Champagne.

  1. Sébillot (11) interprète ce rite du baptême comme étant une survivance «évidente» (12) de l’époque où l’on sacrifiait des victimes humaines lors du lancement du vais­seau. Cet usage barbare a, en effet, été relevé chez les Vikings, chez les Mahométans du Malabar et chez les primi­tifs de l’Océanie. Il se rattache manifestement à un usage analogue observé dans les temps anciens lors de la construction des habitations. Le savant folkloriste français appuie son interprétation sur le fait qu’au cours de la cérémonie, l’on répandait du vin sur le plancher du navire, le vin tenant lieu du sang autrefois répandu.

Pas plus que celle de Anatole France, cette interpréta­tion, nous devons le dire, ne nous convainct pas.

Il faudrait, à tout le moins, qu’on eut recours à du vin « rouge » pour qu’il fut un simulacre du sang. Or, c’est du vin mousseux qu’on emploie en Italie, de l’eau-de-vie ou de la bière en Ecosse, du Champagne en Belgique.

De plus, cette hypothèse n’explique pas le bris du verre, coupe ou bouteille. Pourquoi anéantir un objet utile, quand il suffit de répandre le vin pour faire la libation rituelle ?

Nous proposons une autre explication, qui nous est sug­gérée par différents usages que nous allons rappeler.

Un wallon, fils de verrier émigré en Russie au moment où l’empire fit appel à des techniciens belges pour établir chez lui l’industrie verrière, a eu la faveur insigne de faire son service militaire dans la Garde impériale. Nous tenons de lui qu’avant la guerre de 1914, lorsque les officiers de la Garde faisaient ripaille entre eux, l’orgie se terminait par le massacre complet des verres et de la vaisselle. L’hôtelier présentait la note le lendemain. Elle était payée.

 

(11)  RTP, t. XIV,  1899, p.  391.

(12)  Ailleurs (Sébillot IV, p.  301), le même auteur atténue cette affirmation  et se contente  de  dire  qu’il  s’agit   « vraisemblablement » d’une survivance de cette coutume barbare.

 

Pourquoi ce rite ? Pour que, nous dit notre interlocu­teur, personne ne puisse se servir après les convives, des mêmes récipients (13).

Une coutume semblable se retrouve dans presque toute la Russie.

Veut-on, dans ce pays, fêter un ami qui a brillamment terminé ses études, qui a obtenu une promotion ou qui a été l’objet d’une cause quelconque de réjouissance, on s’assemble à quelques-uns. Au cours de cette réunion intime, on présente au héros de la fête, une coupe de Champagne, ou un grand verre de vin ou de wodka. Dès que l’intéressé porte le verre à ses lèvres, les autres disent, sur un rythme accéléré : « Bois jusqu’au fond, jusqu’au fond, jusqu’au fond… » et cela, jus­qu’au moment où le verre est complètement vide. Alors, ils crient : « Hourrah ! » et ils félicitent leur ami. Le verre une fois vidé, le buveur le retourne sur sa tête pour bien montrer qu’il ne reste plus une goutte de liquide. Après quoi, il le lance vigoureusement à ses pieds, où il se brise (14).

Dans ce même pays, quand on a vidé son verre au bonheur de quelqu’un ou à une intention bien définie, on l’anéantit en le jetant violemment à terre (15).

Nous trouvons un nouvel exemple de cette coutume dans un reportage par l’Américain Stringer, de la jonction des Amé­ricains avec les Russes à Torgau, où il dit : « Pendant une heure environ, nous portons des toasts à la victoire et à nos grands hommes. A la fin du premier toast, nous cassâmes nos verres suivant la coutume russe » (16).

Voici d’autres faits analogues  :

En 1666, le gouverneur général des Provinces-Unies, se rendant de Gand à Bruges, passa par la commune de Saint-Georges-ten-Distel, qui était alors en pleine kermesse. Le curé de Saint-Georges présenta à son Excellence le vin d’honneur

 

(13)  D’après une communication de M. Arille Carlier.

(14)  Renseignements   qui   nous   ont   été   donnés   par   plusieurs Russes,   ex-officiers  de l’Armée Blanche.

(15)  Max  du  Veuzit,  John,  chauffeur russe,  Paris,  édition   Jules Tallandier,  p.   129.

Revue Europe Amérique, n°  11 du 15 mai 1945.

 

dans  une  coupe  aux  armes  d’Espagne.  La  coupe  fut  ensuite jetée dans la rivière… (17)

Le 24 janvier 1732, le roi (Louis XV) étant en orgie à la Muette avec vingt-quatre convives, porta la santé d’une inconnue et après avoir bu, il cassa son verre, invitant tout le monde à faire de même (18). Cette scène se serait produite la première fois que le Roi (âgé de 22 ans) renonçait à la fidélité conjugale et prenait maîtresse.

Dans une pièce intitulée « La joie des Halles », jouée en 1774, à l’occasion de l’avènement de Louis XVI, un des per­sonnages s’écrie :

— Ça y est et cassons nos verres après : quand on a bu à la santé du roi, on ne doit plus boire dedans (19).

Nous retrouvons la même croyance en Allemagne : « Après qu’il eut porté un toast en l’honneur de sa bien-aimée, chacun jura solennellement que, dorénavant, on ne boirait plus un seul coup dans ces verres-là ; on les jeta derrière soi… » (20).

1,1 y a dans le « Crépuscule des Dieux », de Richard Wag­ner, une scène de la fraternisation par le sang. Après avoir vidé une corne remplie de vin frais, dans laquelle Gunther et Sieg­fried ont fait tomber quelques gouttes de leur sang. Siegfried boit et tend à Hagen la coupe vidée. Hagen brise avec son épée, Ja corne en deux morceaux. Gunther et Siegfried se ten­dent la main (21).

Jadis, à Hyon (Hainaut), le mayeur, à la kermesse, ou­vrait, parfois, la danse avec la plus jeune pucelette. Ensuite, le vin d’honneur était offert et l’on jetait immédiatement après, les verres au plus haut du clocher (22).

Dans le pays de Chimay (Hainaut), au cours des cérémo­nies qui avaient lieu à l’occasion du mariage, lorsqu’une fille

 

(17) RTP, t. XI, 18967 p. 336.

(18.) Sainte-Beuve,   Nouveaux  lundis,  t.  VIII,   p.   285,  édit.   Cal-mann-Lévy, Paris, 1879.

(19)  RTP, t. X, 1895, p. 684.

(20)  Goethe, Dichtung und Wahrheir, livre VIII. — La citation parue dans  RTP, t. XV,  1900, p.  563  est fautive  : les  trois  quarts des mots sont estropiés.

(21)  RTP, t. VI, 1891, p. 731.

RTP, t. XX, 1905, P. 432.

 

 

d’une commune voisine épousait un jeune homme de la loca­lité, tous les participants au cortège vidaient leur verre à la santé de la jeune femme, puis le lançait sur le sol où il se bri­sait en mille morceaux (23).

Ordinairement, dans les Ardennes françaises, lorsque les jeunes gens prévoyaient que le repas de noces tirait à sa fin, ils arrivaient devant la maison et, pour signaler leur présence, tiraient de nombreux coups de fusil. On les faisait entrer et on leur offrait à boire ; assez souvent, après avoir vidé leurs verres, ils les brisaient (24).

A un mariage qui a eu lieu à Cordelle, en 1935, on a pré­senté aux jeunes époux, un verre plein d’eau. Après avoir bu, ils ont cassé le verre en le jetant à terre (25). En agissant de la sorte, ils n’ont, sûrement, que fait revivre une coutume disparue.

«Anciennement, nous dit Thiers (26), dans la province de Milan, les nouveaux mariés buvoient dans un même verre, et après qu’ils y avoient bu, on le cassoit ; qui est une céré­monie qui se pratiquoit aussi parmi les Grecs et parmi les Hé­breux ».

Lorsqu’un jeune étranger vient prendre femme à Breux (département de la Meuse), la jeunesse du village vient le trouver ; elle porte deux bouteilles de vin et deux verres pour les fiancés. La vieille coutume exigeait qu’après avoir bu, la promise jetât son verre au plafond et le brisât (27).

Dans la Brie, la mariée brise le verre qu’on lui a présenté à la sortie de l’église (28).

 

(23)  Cfr Jules Lemoine, Le Folklore au Pays wallon, Gand 1892, pp. 21-28 ; Bulletin de Folklore, t. II, Liège, 1893, p. 27 ; RTP, t. V 1890, p. 182.

(24)  Meyrac, p. 12. L’auteur ajoute que, par ce geste destructeur, les jeunes gens voulaient dire :  « Vous faites un beau mariage, vous êtes assez riches pour payer Ja casse ». Cette explication ne nous paraît pas  plausible.  Ce  n’est  sûrement  pas  ce  mobile  qui  a  fait  agir  les intéressés à l’origine. Nous le démontrerons plus loin.

(25)  Portier, p. 281.

(26)  Thiers, t. IV, p. 475.

(27)  Labourasse,  p.   30.

Jules Grenier, La Brie d’autrefois : mœurs et coutumes des bords du Grand-Morin, Coulommiers, 1883, p. 17.

 

En Bourbonnais, avant de franchir le seuil de l’église, le fiancé brise une bouteille sur la marche ou contre les murs (29). Pourquoi ? Dans quelques villages de la Côte-d’Or, le vin de bienvenue est offert aux futurs, juste sur le seuil (30). Il a dû en être de même en Bourbonnais, et c’est seulement après l’avoir vidée, qu’on brisait la bouteille.

Le bris cérémonial est signalé pour plusieurs communes du territoire de Belfort (Franche-Comté) ; il se fait lors de l’entrée dans la maison, quand la mariée a bu le verre de vin présenté par les garçons du village (31).

En Hainaut existe l’usage de casser le verre avec lequel on a porté la santé d’un supérieur. Edmond Passagez signale (32) qu’il a vu, à Mons, dans un banquet d’étudiants, un jeune ingénieur du Borinage, porter successivement le toast au Roi, à l’Ecole des Mines, au Président, à la Société, et après chacun de ces toasts, casser la coupe dans laquelle il avait bu.

A Louvain, parmi les étudiants wallons, le brisement du verre est une coutume assez peu pratiquée et qui semble ré­servée aux grandes occasions, telles que l’obtention d’un di­plôme, la fin des études universitaires.

Le brisement du verre s’opère cérémonieusement, sur l’or­dre du chef de groupe, dénommé « chef de roulade ». En effet, lorsqu’un groupe d’étudiants s’apprête à faire une sor­tie, on nomme un « chef » qui dirige la « roulade ».

En juillet 1937, nous écrit M. Willy Bal, j’ai vu la pro­motion 1937 des ingénieurs des mines, lors de la « roulade » en groupe organisée pour fêter le succès des examens finals, pratiquer le brisement du verre, avec le cérémonial suivant : Tous se lèvent, tenant le verre en main. Le chef commande F « à fond » que tous exécutent, puis le chef dit : « On ne boira plus dans nos verres » et tous, d’un geste sec, précipitent le verre sur le pavement.

 

(29) Pérot, Folklore bourbonnais, p. 146, cité par Van Gennep I, t. I, p. 453.

(30) Van Gennep II, p.  50.

(31) Van Gennep I, t. I, p. 523.

(32) Wallonia, t. VI,  1898, p. 42.

 

Un fait analogue se retrouve chez nos voisins de l’Est, ainsi que me le signale mon collègue, M. Xhayet.

Dans les associations d’étudiants, en Allemagne, dit-il, il était de coutume que, lors du décès d’un membre, les étudiants se réunissent dans leur local pour une cérémonie commémorative en l’honneur du défunt. La chaise à côté du « Senior » (président) est inoccupée et sur la table, se trou­vent la casquette en couleur, les insignes et le verre drapé de crêpe, du défunt. Trois bougies sont allumées. L’assemblée entonne quelques chansons de circonstance, parmi lesquelles Vlnteger vïtae, scelerisque purus (Ode d’Horace, livre I, ode XXII). Le « Senior » prononce l’oraison funèbre. Les bougies sont ensuite éteintes et le « Senior » lance le verre du disparu, avec force, à terre, de façon qu’il se brise. La séance est levée.

Cet usage fut adopté par l’Association louvaniste « EUMAVIA » (étudiants des cantons de l’Est).

Dans la commune de Sauclières (Aveyron), est une source dont les eaux ont la propriété de guérir les troupeaux de trois sortes de maladies, pourvu que l’on fasse boire aux bêtes ma­lades de l’eau de cette fontaine puisée dans un vase de terre, en marchant à reculons et en ayant soin de jeter ensuite der­rière soi, par dessus l’épaule, contre le rocher d’où coule la source, le vase d’argile, qui doit aller s’y briser. Cette croyance est si répandue dans le pays, et même assez au loin, que l’on ramasserait au pied du rocher, des tombereaux de tessons (33).

Une coutume ayant quelque analogie avec celle qui pré­cède, existait jadis, dans une autre localité française.

A Parfondeval (Aisne), avant 1804, existait un pèle­rinage en l’honneur de saint Arnouldt. Entre autres conditions imposées aux malades qui voulaient obtenir leur guérison, ils devaient puiser de l’eau dans une tasse, la boire et jeter ensuite la tasse dans la fontaine par dessus leur épaule (34).

Il est évident que ce geste avait pour but de briser la tasse, ou tout au moins, de la retirer de la circulation.

 

(33) Sébillot I, t. II, 1905, p. 478.

(34) Mémoires de la Société académique d’archéologie,  Sciences et Arts du département de l’Oise, t. XVIII, 2e partie, Beauvais, 1902, p.369.

 

Des objets de poterie ou des objets de verre sont souvent brisés cérémoniellement lors des noces, tant au Maroc qu’ail­leurs. C’est ainsi qu’à Andjra, quand le fiancé a été passé au henné, son garçon d’honneur prend le bol qui contient le reste du mélange, le soulève au-dessus de sa tête et se met à danser devant le fiancé. Au bout de quelque temps, il donne le bol à un autre célibataire, qui en fait autant ; de sorte que tous les célibataires présents dansent, chacun à son tour, avec le bol sur la tête, jusqu’à ce que le dernier le laisse tomber par terre de manière qu’il se brise ; on suppose que ceci écarte le bas, ou mal. Dans une autre tribu, la fille qui a peint le fiancé avec du henné, met le bol sur sa tête et danse, puis Je jette à terre pour le casser et délivre ainsi, dit-on, le fiancé de son bas. Chez les Bogo de l’Afrique nord-orientale, Je fiancé, avant d’exécuter le coït avec sa nouvelle épouse, casse un pot de terre. En Arménie, on offre un plat au fiancé, qui le jette à terre et le piétine. A Bajâr, quand le contrat de mariage a été conclu, c’était la coutume, pour les hôtes, de jeter des bouteilles d’eau de rosé achetées par eux, contre le mur (38).

Chez les Romains, après la libation (sacrifice) on jette la coupe au feu (36).

A la fontaine de Trévi, à Rome, au bord de la vasque inférieure, on voit, le soir, des jeunes filles se pencher sur l’onde, tandis qu’un fiancé les regarde pensif. Elles ont puisé dans un verre neuf qu’elles briseront quand il aura servi, de cette eau qu’elles présentent avec un sourire d’espérance à l’ami qui va les quitter pour entreprendre un voyage (37).

Thiers (38) dit qu’il a trouvé dans un recueil manuscrit de bons et de mauvais secrets, ce remède contre le mal caduc : « Prenez de la prime-verte, feuille, fleurs et racines ; arrachez-la sans la rompre ; mettez-la dans un pot à contre-mont ; faites-là bouillir ; après qu’elle aura bouilli, tirez-en le jus avec un morceau de toile neuve ; donnez de ce jus à boire au

 

(35) Ed. Westermarck,  Histoire  du  mariage,  t.  IV,  Paris,   1938, p. 205.

(36) Encyclopédie du XIXe siècle, Paris,  1858, p. 653.

(37) Tour du Monde, 1er semestre 1868, p.  356, cité par RTP, t. XIV, 1899, p. 384.

(38) T. III, pp. 178-179.

 

malade neuf jours durant, en même quantité, dans un verre neuf ; les trois premiers jours qu’il en prendra, faites dire trois Messes à son intention, la première à saint Etienne, la seconde à saint Nicolas, et la troisième à saint Jean-Baptiste, et qu’à la fin de chacune de ces trois Messes, le Prêtre qui les dira, mette son Etole sur la tête du malade, et lui dise l’Evangile de saint Jean et la Collecte du saint dont on célèbre ce jour-là, la fête ; et lorsqu’il aura pris ce remède, cassez le verre1, et donnez ïe morceau de toile à quelqu’un pour l’honneur de Dieu ».

Dans ce qui précède, et dans ce qui va suivre, nous avons signalé des cas de brisement de verre ou d’autres objets sem­blables, constatés en Belgique, en France, en Italie, en Angle­terre, en Ecosse, en Allemagne, en Russie, etc., mais le relevé de ces gestes traditionnels n’est pas épuisé. Nous nous sommes limité afin de ne pas alourdir notre travail. A ceux que la chose intéresse, nous signalerons encore quelques sources où ils pourront trouver des pratiques semblables : Allemagne (39), Abyssinie (40), Erythrée (41), Chine (42), Suisse (43), etc. Nous aurions pu poursuivre nos recherches dans d’autres pays et multiplier nos citations mais les faits signalés suffisent am­plement à étayer notre thèse.

L’explication des officiers russes, confirmée par les autres faits rappelés ci-avant, peut servir de point de départ au rai­sonnement que voici :

II ne suffit pas de porter la santé de quelqu’un. Pour don­ner au vœu le maximum d’efficacité, il faut empêcher toute opération magique de nature, non seulement à annihiler le vœu, mais à en retourner le sens. Notamment, il faut se gar­der de laisser à la disposition de qui nourrit des intentions

 

(39)  E.   Köhler,   Aberpfauben.   Sagen   und   andere   alte   Ueberlieferungen un Voigtland, 1867, p. 393.

Handwörterbuch des deutschen Aberglaubens, t. III, p. 854. Von Schroeder, Hochzeitgebräuche der Esten, pp. 84-86.

(40)  P.  Francesco da  Offeio,  Daïl’Eritrea, Roma,   1904, p. 78.

(41)  Rosalia Pianavia Vivaldi, Tre Anni in Eritrea, Milano,  1901, p. 70.

(42)  Charles  de  Mutrécy,   Campagne  de  Chine   1861,  cité   par Laisnel de la Salle, Le Beriy : mœurs et coutumes, Paris, 1902, p. 81.

(43) Schweizerisches Archiv fur Volkskunde, Bâle, 1911, p. 15.

 

hostiles, la coupe qui a servi à l’auteur du souhait. Sinon, on pourrait employer le même verre à des fins diamétralement opposées, par une opération magique en sens contraire.

Pourquoi le magicien malveillant rechercherait-il de pré­férence la coupe en question ? Parce que la puissance malé­fique s’exerce avec bien plus de force en pareil cas. Les études sur la sorcellerie nous ont révélé à cet égard, les constantes préoccupations des sorciers et, inversement, les précautions prises pour échapper à leurs embûches. On sait, en effet, qu’un objet qui vous a appartenu, tombant entre les mains d’une sorcière, constitue un excellent moyen pour celle-ci de se mettre à distance en communication avec vous (44).

Notre hypothèse explique à la fois le bris de la coupe par celui qui a porté la santé de quelqu’un, le bris de la bouteille aux flancs du vaisseau ou de l’avion qu’on baptise, le bris du verre qui a servi à prendre un remède, et, aussi, le bris de la vaisselle à l’occasion du mariage. Ce dernier geste, en effet, implique un souhait de bonheur et de prospérité pour les nou­veaux époux.

Comme on a pu le remarquer, dans certains cas il faut faire usage d’un objet neuf, ceci pour éviter qu’il n’ait été utilisé par une personne impure ou animée de mauvaises in­tentions.

Voici des faits qui corroborent notre façon de voir. Pour faciliter notre exposé, nous allons grouper ceux de même na­ture et les sérier.

  1. — Dans la Creuse, quand les mariés reviennent de l’église, ils trouvent à la porte du logis conjugal, une soupière de soupe qu’ils sont obligés de goûter avec la même cuiller. La soupière fait le tour des convives, puis un verre de vin est pris de la même manière, après quoi l’on brise avec fracas la soupière et le verre pour préserrer les -mariés de la -malice des sorcières (45).

Du côté de Bernode, de retour de la cérémonie du ma­riage, les époux s’arrêtent sur la porte de leur maison et là,

 

(44)  Cf. O. Calson, Les sortilèges et maléfices dans la tradition popu’aire wallonne actuelle, in Walîonia, t. XIV, 1906, pp. 315 et s.

(45)  Auriscote   de   Lazarque,   Traditions   et   superstitions   de   la Creuse, in RTP, t. IX, 1894, p. 580.

 

on leur présente une soupe dont ils mangent quelques cuille­rées ; après quoi, ils jettent le plat à terre et le cassent en plu­sieurs morceaux. Ils s’imaginent apparemment, marquer, par cette pratique singulière, la durée de leur union et de leur amour et que leur hymen n’aura de fin que lorsque les frag­ments de ce plat cesseront d’être séparés (46). Le motif réel de ce geste a échappé à celui qui a rappelé la coutume. In­consciemment, peut-être, les époux de la région de Bernode obéissent aux mêmes raisons que ceux de la Creuse. S’il s’agis­sait simplement de connaître la durée de leur union, il ne serait nullement nécessaire, pour eux, de faire usage d’un plat con­tenant de la soupe et de manger celle-ci. Le simple bris d’un objet quelconque suffirait.

La même coutume se retrouve ailleurs.

A Rochetaillée-Essertine (Loire), jusqu’en 1895, après la cérémonie religieuse, lorsque le cortège arrivait à la maison où devait se faire le dîner de noces, on donnait aux mariés un breuvage à boire dans une écuelle qui, ensuite, était brisée (47).

A Saint-Germain-PEspinasse (Loire), la cuisinière atten­dait à la porte de la maison le retour de la noce. Elle présen­tait aux jeunes mariés un bol contenant un bouillon inbuvable et une cuiller. Après avoir bu, les mariés entraient, mais l’un empoignait le bol et le cassait. Cela se pratiquait vers 1895 (48).

A Montagny (Loire), après avoir bu le breuvage lui pré­senté par la cuisinière, la jeune mariée cassait la tasse. Cette coutume s’est pratiquée jusqu’à la guerre 1914-18 (49).

A La Souterraine (Creuse), on brise le bol ayant contenu la soupe au poivre offerte aux mariés avant de commencer le repas des noces (50).

Dans  le  Berry,   il   était  également  d’usage  de  porter  la

 

(46)  Coutumes  de l’Ariège,  en   1805,  d’après  un  mémoire inédit de Pierre Dardenne, miHié in RFF, t. II, 1933, p. 48.

(47)  Portier,  p. 276.

(48)  ibid., p. 276.

(49)  ibid., p. 280.

(50) P. Valepeau, Le canton de ïa Souterraine, in Mémoires de la Société des Sciences nature/les et d’Archéologie de la Creuse, t. VIII 1893-94, p. 199, cité par Van Gennep I, t. I, p. 525.

 

soupe à la mariée et de casser ensuite l’écuelle. On a commencé par trouver que c’était une perte inutile, et du moment où on n’a plus cassé l’écuelle, on n’a plus porté la soupe. Le len­demain de la noce, on cassait le pot de la mariée (51).

De quel pot s’agit-il ? L’auteur ne donne aucun rensei­gnement à ce sujet.

Dans la région de Beaufort et de Haute-Luce (Savoie), si deux jeunes gens s’accordaient pendant l’inalpage, ils en fai­saient part à leurs compagnons assemblés dans un banquet au cours duquel les jeunes gens buvaient dans un même verre ou une même tasse qu’ensuite le garçon brisait ; les jeunes gens étaient, à partir de ce moment, regardés comme mariés et fai­saient, ensuite, régulariser leur union par le curé ou le maire, après le retour au village, en automne (52).

Il y a longtemps, quand l’Impératrice des Indes était une jeune femme, il était d’usage, dans quelques mess, de porter la santé de la Reine dans un verre qu’on brise après, à la plus grande satisfaction des fournisseurs du mess. Si la coutume est aujourd’hui tombée en désuétude, c’est qu’il ne reste plus grand chose pour quoi il vaille la peine de briser quoi que ce soit (53). Comme on le voit, l’auteur n’a pas saisi la raison initiale du brisement du verre.

En Sardaigne, c’est la coutume que quand un cortège de mariage passe, on lui jette des grains, des fenêtres et des portes, puis, par terre, des vases à garder le grain, de manière qu’ils se brisent « afin d’écarter tous mauvais présages ». Dans les Sette Comuni de la région de Vicence, « il est toujours néces­saire de casser quelque chose lors du banquet nuptial ».

Dans l’Argyllshire, si un verre est cassé accidentelle­ment pendant le repas de noces, c’est signe de malheur pour île jeune couple ; niais quand on boit à la santé du mari et de la mariée, quelqu’un doit jeter son verre par dessus son épaule et le casser, pour la bonne chance (54).

 

(51) Armand Beauvais, A travers le Berry, in  RTP, t.  II,   1887, pp.  111-112.

(52) Van  Gennep V,  p.  73.

(53) Rudyard Kipling, L’homme qui fut, in Les p’us beaux contes, Paris, libr. A. Fayard, 1938, p. 71.

(54) Ed. Westermarck, Joe. cit., p. 206.

 

Chez quelques Slovènes, quand le fiancé et ses amis arri­vent pour enlever la mariée, elle paraît peu après tenant à la main un gobelet de vin recouvert d’un mouchoir rouge. Elle lui offre le mouchoir et on la conduit trois fois autour du fiancé. Puis elle boit un peu de vin et lui donne le gobelet, qu’il vide d’un trait et jette, ensuite, contre le mur ; on re­garde comme une honte pour lui si le gobelet ne se brise pas (55).

Dans une tribu berbère, qui habite le Riff, la mère du fiancé met une cruche sens dessus, elle y place un ornement appelé didlï, qui consiste en pièces d’un dollar ou d’un demi-dollar attachées par une cordelette de crins de cheval et portée par les femmes sur le front; elle y met aussi un œuf et le fiancé casse à la fois la cruche et l’œuf d’un seul coup afin, m’a-t-on dit « de briser le malheur ». Il est probable que ce « malheur » est, en fait, tout empêchement qui s’opposerait à la consommation du mariage. Les Africains du Nord redou­tent beaucoup les obstacles magiques à l’acte sexuel (56).

Chez les Soundanais de la partie occidentale de Java, on met un œuf de poule devant la porte du nouveau couple; ce qui fait supposer l’existence d’un rite semblable. A Bali, un œuf et une noix de coco sont offerts à la fiancée et au fiancé, qui les jettent par terre de manière à les casser et, ensuite, en dispersent les morceaux dans différentes directions comme offrandes aux Kalas ou esprits (57).

  1. — Dans la Charente-Inférieure, si, au cours du dîner de noces l’on casse beaucoup de vaisselle, c’est un gage infaillible d’union et de bonheur (58).

Dans le département de la Loire, pour que les époux aient de ,la chance, il faut qu’à l’occasion du repas des noces on casse, par maladresse, quelques pièces de vaisselle. (59).

A  Saint-André-d’Apchon et  à Pradines   (Loire), la vais-

 

(55)  ibid, p. 207.

(56)  ibid., pp   203-204.

(57)  ibid., p. 204.

(58)  Louis  Morin,  Coutumes  de  Mariage,  in   RTP,  t.  X,   1895, p   617.

(59) Portier, p. 297.

 

selle cassée par inadvertance est un présage de bonheur pour les jeunes époux (60).

Dans la Beauce, pour qu’un mariage soit chanceux, il faut qu’il y ait, pendant la noce, de Ja vaisselle cassée (61).

Il en est de même en Ille-et-Vilaine. Là, s’il n’y a rien de cassé par accident, on casse un objet exprès. (Ercé, près de Liffré) (62).

Dans le Baugeois, lorsqu’une noce se passe sans qu’il y ait de vaisselle cassée, par maladresse, à la maison, les nou­veaux époux ne seront pas heureux ou subiront des revers de fortune (63).

Le bris accasionnel de vaisselle pendant les jours de noces à Thory (Somme et Yonne) et le bris intentionnel de tous les pots sur lesquels on peut mettre la main à Vermenton (Yonne) servent de présages de bonheur pour le nouveau couple (64).

Pour que les époux aient de la chance, il faut que lors du repas de noces quelques pièces de vaisselle soient cassées par maladresse (65). Même coutume dans le Confolentais (66).

A Ambierle (Loire), la vaisselle cassée est un présage de bonheur. Au besoin, on en casse un peu volontairement à la fin du repas (67).

« Lors du mariage de la fille aînée de M. Peraud, le dernier des faïenciers de Moustiers (Basses-Alpes), on brisa volontairement douze douzaines d’assiettes spécialement fabri­quées et décorées pour la circonstance» (68).

En Aunis,  à la  fin de la noce,  les jeunes  gens  cassaient

 

(60)  ibid., p. 297.

(61)  Félix  Chapiseau,  Le  Folklore  de  la  Beauce  et  du   Perche, t. II, Paris, 1902, p. 155.

(62)  Sébillot II, p. 136.

(63)  C.  Fraysse,  Légendes et superstitions préhistoriques de  l’ar­rondissement de » Bauge, in RTP, t. XVII,  1902, pp. 406-407.

(64)  Charles   Moiset,   loc.   cit.,   p.   57,   cité   par  Van   Gennep   I, t. I, P. 522.

(65)  Lacuve, RTP, t. XX,  1905, p. 324.

(66)  Du Marounem, RTP, t. X,  1895, p. 617.

(67)  Fortier, p. 297.

(68)  Communication   de   M.   Reymond,   in   RTP,   t.   VI,   1891, p. 601.

 

deux   ou   trois   plats   pour   porter   bonheur   à   l’époux   (69).

En Maçonnais, vers la fin du repas, « comme on était un peu éméché, on ne manquait pas de casser force vais­selle, car cela portait bonheur ». Il convenait même de casser avec fracas une douzaine entière d’assiettes (70).

Aux environs de Montpellier (Hérault), il arrive que des invités pour mieux tout casser, renversent (virent) la table entière pour porter bonheur (71).

En Poitou, les invités brisaient également, toute la vais­selle (72).

Dans une vingtaine de localités de l’Ardèche, on casse soit un pot, une marmite, une grande cruche, soit plusieurs pots ou assiettes pendant le repas, « pour que le mariage tienne », « pour que le mariage soit bon et durable », « pour que l’union soit solide» (73).

A Futeau (Lorraine), ce n’est que le troisième jour, au dessert, que les jeunes brisent quelques assiettes (74).

A Saint-Galmier (Loire), on devait casser de la vaisselle, le matin même des noces (75).

En Allemagne et en Alsace, c’est la veille du mariage que des amis, selon l’usage, viennent briser de la vaisselle devant la porte de la maison de la fiancée. Cela porte bonheur aux époux (76).

Dans le Boulonnais, le Ternois et une partie de l’Artois, on casse une assiette sur le seuil de la maison des parents

(69)  Abbé }. L. M. Noguès, Les mœurs d’autrefois en Saintonge et en Aunis ; usages, coutumes, croyances, préjugés. —> Saintes. Com­mission des Arts, 1891, p. 22, cité par Van Gennep I, t. I, p. 522.

 

(70)  Gabriel Jeanton, Le Maçonnais traditionnaîiste et populaire, t. IV, Maçon 1923, p. 33. — Emile Violet, Rapport sur la 2e enquête de folklore en Maçonnais, 1936, cité par Van Gennep I, t. I, p. 522.

(71)  François Deleuze, Saveurs et gaîtés du terroir montpeîliérain. Montpellier 1935, pp. 226-227, cité par Van Gennep I, t. I, p. 523.

(72)  Guerry, Notes sur les usages et les traditions du Poitou, cité par Van Gennep I, t. I, p  639.

(73)  Van Gennep I, t. I, pp. 523-524.

(74)  Labourasse, p. 46.

(75)  Portier, p.  297.

(76)  RTP, t   IX, 1894, p. 568 et t. XVII, 1902, p. 577. – Cf. Wuttke, p. 210, l 291 et p. 374, $ 567.

 

de la mariée, avant de la laisser entrer après la bénédiction nuptiale (77). Il en est de même dans le Morvan, localités non indiquées (78).

A Aubigny (Pas-de-Calais), les invités allaient chez les parents des nouveaux époux et cassaient la vaisselle. Il va de soi, qu’au courant de la coutume, ceux-ci ne laissaient que des assiettes et des plats hors d’usage. Dans les fermes, la préférence allait aux pots à lait; il fallait bien les cacher si on ne désirait pas en retrouver les débris (79).

A Panissières (Loire), le bris d’un verre blanc, mais non de couleur, est un présage de bonheur. Toutefois, on ne casse rien intentionnellement (80).

Dans certains milieux élégants de Paris, on dit, en souriant, mais en y croyant au fond un peu, que le bris d’un verre de couleur blanche porte bonheur, surtout si le verre s’est cassé en plusieurs morceaux (81).

Dans la région de Charleroi, briser fortuitement un verre blanc (gobeleterie incolore), porte bonheur. Il en est de même dans les Ardennes (82).

A Arthun (Loire), on ne casse pas volontairement de la vaiselle au repas de noces, mais si on brise un verre blanc, c’est signe de prospérité (83).

Si, le jour de l’an, à votre lever, et surtout sans le vouloir, vous avez la chance de briser, casser ou fêler un verre à boire où l’on n’ait pas encore bu, vous pouvez compter sur une année heureuse et qui amènera de l’agrément dans votre intérieur. Tout sera de bonne humeur autour de vous, et vos amis n’auront qu’à partager vos joies. On est

 

(77) Dergny, ïoc. cit., t.  II, p.  356, cite par Van Gcnncp I, t.  I, p. 497.

(78) L’Ame du Morvan ; contes, légendes,  chansons,  prières,  pro­verbes et  dictons  en   patois ;  croyances,  coutumes,   préjugés,  etc.   Sau-lieu, 1923, p. 134, cité par Van Gennep I, t. I, p. 525.

(79) Claude   Seignolle,   En   Sologne   (enquête   folklorique),   Paris, 1945, p. 45.

(80) Fortier, p. 297.

(81) RTP, t. V, 1890, p.  595.

(82) Louis   Banneux,   L’Ardenne   superstitieuse,   Bruxelles,    1930, p. 80.

(83) Fortier, p. 297.

 

certain de retrouver cette croyance en allant de la Bourgogne à la Champagne  (84).

A Saint-Haon-le-Châtel (Loire), au cours du dîner, on casse une assiette pour que cela porte bonheur, on laisse les morceaux à terre (84 bis).

A  Marlhes   (Loire),  pendant  le  repas  de  noces,  on  cas­sait le vase de nuit dans lequel on avait présenté un breuvage aux époux, puis on en vendait les morceaux aux enchères (85). Dans  le  pays  boulonnais,  casser  de  la  vaisselle  au  cours d’une  fête  de  famille,  porte  bonheur   (86).

A Regny (Loire), quand les mariés rentraient à la mai­son après la cérémonie, on leur donnait à boire un verre de vin. Dès qu’ils avaient bu, chacun cassait son verre; si la jeune mariée cassait le sien la première, elle serait la maîtresse à la maison; si son mari la devançait, ce serait lui le maître. Cette coutume s’est pratiqué jusque vers 1900 (87).

Les citations qui précèdent nous permettent de suivre l’évolution de la coutume qui nous occupe.

A l’origine, suivant une antique tradition, on devait briser toute la vaisselle ayant servi au repas de noces afin d’empêcher qu’on puisse s’en servir pour nuire aux jeunes époux. Peu à peu, le sens premier s’est perdu et on a gardé comme un présage de bonheur, le fait de casser fortuitement quelques assiettes ou verres au cours du dit repas (Charente inférieure, Pradines, Saint-André-d’Apchon, Beauce). En d’autres endroits, si aucun accident de ce genre ne se produi­sait, on cassait intentionnellement de la vaisselle à la fin du dîner (Ambierle, Ercé, Moustiers). Ailleurs, on n’a attri­bué de pouvoir bienfaisant qu’aux verres blancs (Arthun, Panissières). Parfois, s’écartant toujours de plus en plus de la raison d’agir se trouvant à la naissance du rite, on casse déjà la vaisselle le matin des noces (Saint-Galmier) et même la veille du mariage (Allemagne). Enfin, au rite primitif

 

(84) Communication   de   F.   Fertiault,   in   RTP,   t.   IV,    1880, pp. 54-55.

(84bis) Portier, p. 297.

(85) ibid. p. 298.

(86) RTP, t. XIV,  1899, p.  394.

(87) Portier, p.  281.

 

sont venues s’ajouter de petites variantes, fruits de l’imagina­tion fertile de l’un ou l’autre des convives, comme : Vente aux enchères des débris du vase de nuit ayant servi à la libation (Marines); abandon sur le pavement, des morceaux de l’assiette cassée (Saint-Haon-le-Châtel) ; divination de celui des deux, mari ou femme, qui serait le maître à la maison (Regny).

Généralisant la croyance première qui ne s’appliquant qu’aux dîners de noces, en certains endroits on pense que briser fortuitement un verre blanc, quel qu’en soit le motif, cela porte bonheur (Charleroi, Ardennes belges).

  1. — Dans le Bourbonnais, du XVIe au XIX’ siècle, on déposait l’eau bénite dans une écuelle en terre vernissée avec deux oreilles ornées du monogramme du Christ. Une personne suivant le convoi, la portait au cimetière et après les aspersions, la jetait dans la tombe (88).

Dans la Marche, chaque personne a son écuelle. Pen­dant son agonie, on place cette écuelle à son chevet avec de l’eau bénite et une branche de buis. Puis, une personne la transporte à l’église avec le convoi en s’arrêtant à chaque calvaire de carrefour, où les personnes qui ne font pas partie du cortège, viennent bénir le cerceuil en disant une prière. A l’église, cette écuelle est placée près du cercueil; au cime­tière, dans certaines localités, elle est déposée dans la tombe recouverte; et dans d’autres encore, remportée et placée au pied du calvaire le plus rapproché de la maison mortuaire; « mais toujours ce vase est sacrifié et plus jamais personne de la famille ne mange dedans » (89).

Dans l’Hérault, il y a près de chaque maison ou groupe de maisons, une croix protectrice. On porte le cercueil depuis l’habitation jusqu’à cette croix, on fait une prière et, quand on se relève, le porteur de l’assiette contenant de l’eau bénite et le rameau de houx, la brise sur le piédestal de la croix (90).

Francis Pérot, Folklore bourbonnais; anciens usages, sorciers et rebouteurs, etc., Paris 1908, p. 171, cite par Van Gcnnep I, t. 1er, p. 765.

 

(89)  Dergny, loc. cit., t. I, p. 266, cité par Van Genncp I, t. 1er, p. 766.

  • F, Marignan, Une coutume préhistorique de l’Hérault in Bul’. Soc. prchist. franc., t. XXVI,  1929, p.  559.

 

La même coutume se retrouve au Berry : on jette dans la fosse du mort le vase qui a contenu l’eau bénite (91).

A Sainte-Reine (Savoie) on jette également dans la tombe, l’assiette qui a été utilisée aux mêmes fins (92).

Noguès décrit, mais sans localisations précises, trois for­mes en usage en Aunis et en Saintonge : le vase contenant de l’eau bénite et le rameau qui avait servi à asperger le défunt, étaient déposés dans le cercueil, à côté du mort; ou bien, jetés dans la fosse; ou, laissés sur la tombe (93).

A Massiac (Auvergne) le vase à eau bénite est jeté derrière le cercueil et brisé au moment du départ à l’église; à Combronde et à Noalhat, on le jette simplement dans la fosse (94); à Ceyssat, Pécuelle du mort est déposée à côté de lui (95).

En Auxois, le vase de terre contenant l’eau bénite et qui a servi aux funérailles, reste, après l’inhumation, sur la tombe avec un petit rameau de buis bénit qui sert à faire l’aspersion. Ces vases sont, à la longue, écrasés sous le piétine­ment ou enfouis en terre (96).

A Chadecol (Puy-du-Dôme), lorsque le cerceuil quitte le hameau, les assistants l’aspergent d’eau bénite et l’un d’eux brise le verre qui la contenait, contre les pierres du che­min (97).

Pourquoi brise-t-on l’écuelle ou la dépose-t-on dans la fosse en même temps que le cercueil ? Divers auteurs ont rattaché cette coutume aux dons alimentaires et à la con­ception populaire que le mort doit pouvoir se nourir pendant son voyage vers son séjour définitif, dans l’au-delà. Arnold

 

(91)  Laisnel   de   la   Salle,   Le   Berry,   Mœurs   et   coutumes,   Paris, 1902, p. 109.

(92)  Van Gennep V, p. 210.

(93)  Abbé Noguès, Joe. cit., p. 54 et notes, cite par Van Gennep I, t. 1′ », p. 764.

(94)  Dergny, ]oc. cit., t. I, p. 247, 268, 272, cite par Van Gennep, t. 1er p. 764.

(95)  Dr. Pommerol, Folk-Lorc de 1 Auvergne in RTP, t. XII, 1897, p. 447.

(96)  Hippolyte Marlot,  Libations  funéraires  en  Auxois,  in  RTP, t. X,  1895,  p.  108.

(97)  Van   Gennep   III,   p. 70.

 

 

Van Gennep, le savant folkloriste français, estime que telle ne semble pas être l’expression véritable de cette coutume. Selon lui, son point de départ serait plutôt qu’on veut donner au mort l’un de ses objets usuels et, de préférence, celui dont il s’est servi pendant tout le cours de sa vie, d’une manière strictement personnelle. Car, dans la campagne, chacun a, ou du moins avait, son écuelle qui ne se prêtait pas, qu’on emportait aux champs, et même à la foire ou en voyage. D’où ce choix de cet ustensile, sinon partout, du moins dans beaucoup de régions, pour y mettre l’eau bénite pendant l’agonie. Ce récipient est porté, ensuite, devant le convoi, utilisé à l’église, puis porté au cimetière où, selon les localités; on le jette ou dépose dans la tombe (98).

Ce que nous avons vu jusqu’à présent, nous suggère une autre raison de détruire cette écuelle.

Quand une personne asperge d’eau bénite le corps ou le cercueil d’un mort, elle prononce mentalement, si pas de de vive voix, une prière pour le repos de son âme et, souvent, elle ajoute un requiem : « Donnez-lui, Seigneur, le repos éter­nel et que votre lumière éternelle luise à ses yeux. » De même, quand le prêtre bénit le corps à l’église ou la fosse, au cimetière, il dit, notamment : « Donnez-leur Seigneur, le repos éternel… ».

Or, nous avons vu ci-avant (note 44) qu’en étant en possession d’un objet vous ayant appartenu, une per­sonne animée de mauvaises intentions, pouvait s’en servir pour vous nuire; en l’occurence pour annihiler le vœu for­mulé par la prière. On comprend, dès ,lors, pour quoi on détruisait l’écuelle ou le vase ayant contenu l’eau bénite utilisée pour l’aspersion.

Le sens premier étant oublié, l’écuelle n’a plus été brisée ou jetée dans la fosse, mais on l’a abandonnée sur le tertre pour qu’elle soit, en fin de compte, piétinée par les gens et détruite.

  1. — Dans    certaines    localités    de    l’Entre-Sambre-et-

 

(98) Van  Gennep I, t.  Ier, p. 763.

 

Meuse, notamment à Gerpinnes (99). Hanzinne, Hanzinelîe, Monalmé, Biesmerée, Tarcienne, Gougnies, Fosses, Aisemont, Le Roux, etc., lors de l’élection des officiers pour les « mar­ches » traditionnelles, les candidats, en guise d’engagement, bnsent à leurs pieds un verre qu’ils ont, au préalable, vidé d’un trait.

Ils attestent, par ce geste rituel, leur détermination de ne pas revenir en arrière. Leur décision est prise. Pour écar­ter d’eux toute influence contraire — fut-ce par une opération magique, — ils brisent le verre témoin de leur serment.

Nous croyons avoir restitué ainsi le sens premier d’un geste devenu irrationnel. Et l’on étonnerait singulièrement nos « marcheurs » si on leur disait pourquoi leurs ancêtres ont créé ce geste destructeur, qu’ils répètent machinalement de père en fils, uniquement « parce que c’est ainsi qu’on à toujours fait ».

Notons qu’à Gerpinnes, notamment, depuis bien peu d’années, le verre est parfois remis sur le plateau après avoir été vidé, certains ergotant malheureusement sur le coût de ces verres pour grignoter ainsi à la tradition qui gagnerait cependant à ne s’effriter dans aucun cas (100).

  1. — Antérieurement à 1922, existait à Taintignies (Tournaisis) et les communes environnantes : Rumes, Esple-chin, Froidmont, Guignies, Willemeau, etc., une coutume rentrant dans le cadre de notre étude.

Lors d’un « combat » entre sociétés d’archers, le « roi » de la société organisatrice après avoir vidé son verre de bière au succès de son groupe, le jetait au loin, en criant « Jô ! » (101). Le même geste était répété par le «major» et le « capitaine ».

(99)  cf.   Joseph   Roland,   Sainte   Rolande,   vierge   royale,   Namur, is/d.  impr.  Godenne,  pp.   54,   55. — Camille Ouenne,  Gerpinnes  et son   pèlerinage,   Mont-sur-Marchienne,   1890,   p.   10

(100)  fourna! de Charïeroi, n° du 28 mars 1951.

(101) Jô = cri de joie et d’admiration. On retrouve cette excla­mation dans le Centre, le pays de Nivelles et, quelque peu déformée, dans certaines régions françaises. Elle était déjà connue des Romains. Cfr. Laisnel de la Salle, Le Berry. Croyances et légendes, Paris 1900, p. 90.

 

Par cet acte rituel, dont le sens leur échappait, les intéressés voulaient, évidemment, faire comprendre qu’on ne devait plus se servir des verres dans lesquels ils avaient bu. Les vieux archers questionnés à notre demande par feu notre excellent confrère Walter Ravez, n’ont jamais connu que cette façon de procéder, mais il semble certain que, jadis, le jet des verres avait pour but de les briser, ce qui les rendait sans conteste, hors d’usage. Et l’explication que nous avons donnée ci-avant, se justifie ainsi, une fois de plus.

Voici un autre fait intéressant la même confrérie et qui corrobore encore la thèse que nous défendons.

A la fête communale de Lille du 18 juin 1781, des archers venus de 63 communes de la Flandre, du Brabant et du Hainaut, prirent part à un tir à l’oiseau.

Bien qu’il se trouvât parmi eux d’excellents tireurs, ce ne fut que vers le soir que l’on vit tomber un oiseau, et l’on s’aperçut alors qu’au lieu de l’avoir simplement posé sur support, suivant les conditions passées entre le magistrat et les délégués des compagnies, on l’avait vissé et écroué.

Une vive indignation s’empara des archers étrangers qui parcouraient la ville en proférant des menaces à l’adresse de l’autorité. Ils voyaient dans ce fait, une supercherie tendant à les retenir plusieurs jours dans la cité.

Le lendemain, l’affaire s’arrangea à l’amiable. On but des vins fins et du Champagne fournis par le magistrat et, pour sceller la réconciliation, on brisa les bouteilles et les verres employés en cette circonstance (102).

  1. — Signalons encore quatre faits qui, bien que sensi­blement différents, font, semble-t-il, partie du même cycle. Lors de la pose de la première pierre d’un hôtel, à Paris, en 1892, les maçons demandèrent qu’on leur donnât les verres dans lesquels ils avaient bu; ils prétendaient que, sans cela, il serait arrivé malheur à celui qui faisait construire la maison (103).

En Auvergne   une fois la toiture terminée, on place sur

(102)  Desrousseaux,   Mœurs   populaires   de   la   Flandre   française, t. I (Lille, 1889), p. 85.

 

  • Sébillot I, t. IV, 1907, p. 92.

 

le point culminant, un gros bouquet de fleurs ou de feuillages, et le propriétaire donne aux ouvriers un certain nombre de bouteilles de vin. Ces bouteilles et les verres qui ont servi aux libations sont considérés comme des objets sacrés : on les bâtit, soit au faîte de la maison, à côté du bouquet, soit en rangées symétriques au-dessus de la porte ou dans l’épais­seur d’un mur apparent. Parfois, verres et bouteilles sont couchés horizontalement; parfois, ils sont en position verti­cale (104).

En Allemagne du Nord, lors de la construction d’une maison, après avoir vidé le verre, on le brise à la bouteille et on casse celle-ci, de sang-froid, au marteau. Parfois on jette simplement le verre (105).

En Touraine, une bouteille cassée placée sur la cheminée d’une nouvelle maison, indique que le travail est fini (106). Il est évident qu’avant de briser la bouteille, les ouvriers avaient soin de la vider.

Si, à Paris, les maçons ne brisent pas les verres, ils veulent les conserver pour qu’on ne puisse en faire un mau­vais usage.

En Auvergne, au lieu de briser les bouteilles vides et les verres, on les emmure, les mettant ainsi à l’abri des fai­seurs de sortilèges.

En résumé, c’est toujours la même pensée qui fait agir ceux qui d’une façon ou d’une autre, rendent impossible une mauvaise action.

  1. — Enfin, voici un dernier fait assez bien d’ana­logie avec les précédents.

Antérieurement à 1794, avait lieu la curieuse procession des «Croix de Verviers » (107). Une délégation qu’on sup-

 

(104)  Dr.  Pommerai   cité   par  RTP,  t.  XIV,   1899,  p.   115;  cf. Sébillot I, t. IV, p. 94; Van Gennep III, p.  336

(105)  Wuttkc, p. 292,  | 427.

(106)  Rouge,  p.  176.

(107)  Cf. Théodore Bouille, Histoire de la viJle et pays de Liège, t. I, Liège, 1725, p. 323. — M. L. Polain, Mélanges historiques et .’it-téraires, Liège, 1839, pp. 259-266. — Ferd. Henaux, Les Croix de Ver­viers,  Liège,   1845.  —  Baron  Xavier  van  den  Steen   de Jehay,   Essai

 

posait représenter tous les ordres de cette ville, faisait quatre lieues et demi de marche, chaque année, le mercredi de la Pentecôte, pour se rendre à Liège. Là, après avoir exécuté dans l’église cathédrale, les quelques tours de danse tradition­nels, les Verviétois remettaient à un chanoine, représentant le Chapitre, une bourse contenant une pièce d’or, une d’argent et une de cuivre. Ces formalités accomplies, les danseurs faisaient, sous serment, la promesse de revenir l’année suivante, en observant le même cérémonial, sortaient de l’église, se rendaient, en gambadant, sur le marché et là, sautillaient autour d’un setier à grains dont ils frappaient le fond, de l’extrémité de la croix dont l’un d’eux était porteur. Ensuite, ils allaient briser ce setier sur le plus grand pont de la ville et en jetaient les morceaux dans la Meuse.

Pourquoi ce geste destructeur ? Ainsi que le constate le Père J. Hahn (108), ce problème a fait le désespoir des his­toriens et, à l’heure qu’il est, il n’a pas encore livré de solution adéquate et définitive. Les multiples raisons proposées ne résistent pas à un examen sérieux. Cet auteur les réfute l’une après l’autre. L’explication de Remacle Detrooz (109) que J. Hahn estime la plus vraisemblable, « n’est qu’une histoire arrangée selon le bon plaisir de l’auteur », dit feu l’archiviste Polain (110).

En règle générale, les Liégeois justifient ce bris en disant que les Verviétois avaient jadis, fait usage d’une fausse mesure

historique sur l’ancienne cathédrale de Saint-Lambert à Liège, Liège, 1846, pp. 3643. — Ferd. Henaux, Histoire de la bonne ville de Ver-viers, Liège, 1859, p. 11. — Docteur B.y [Bovy], Promenades histo­riques clans le Pays de Liège, t. II, Liège,’ 1839,’pp. 43-46. — Ch. N. Simenon, Poésies en patois de Liège, Liège, 1845, pp. 61-71. — }. Hahn, Les Croix de Verviers, in Bulletin de la Société verviétoise d’arch. et d’histoire, t. I, 1898, pp. 209-262. – Ferd. Téhon, Encore les Croix de Verviers, in Bull, de la Soc. verv. d’arch. et d’hist., t. III, 1902, pp. 228-236. — Jules Feller, Notes sur les Croix de Verviers, in Enquêtes du Musée de la Vie Wallonne, t. II, Liège, 1932, pp. 10-12.

 

(108)  loc. cit. pp. 239 ss.

(109)  Histoire  du   Marquisat  de  Franchimont,  t.I   (Liège,   1809), pp.  169,   170.

  • cit. p. 265.

 

qu’on a détruite (111); d’autre part, ceux-ci accusent les premiers de ce méfait (112).

Ne nous attardons pas à ces petites jalousies de clocher et cherchons ailleurs une interprétation plausible de l’acte qui nous occupe. Peut-être la trouverons-nous à la lumière de ce que nous avons vu ci-avant.

Notons, d’abord, que les auteurs s’étant occupés de la question, ne sont pas d’accord sur la personne qui brise le setier (113), ni sur qui le fournit (Verviétois ou Liégeois) (114), ni même sur l’endroit (115) et le moment du bris (116), ce qui prouve qu’au cours des siècles, bien des change­ments furent apportés à cette coutume déjà décrite, en grande partie- dans un record de 1250.

Un point au sujet duquel il semble y avoir unanimité, c’est qu’avant de quitter le temple, les Verviétois devaient prêter serment d’y revenir danser l’année suivante, et que ces derniers touchaient le setier avec la croix avant de le briser. Cela étant, cette destruction n’était-elle pas symbolique et nos danseurs, par ce geste, ne voulaient-iL pas marquer que l’engagement qu’ils venaient de prendre n’aurait de fin que lorsque les fragments du setier cesseraient d’être séparés ?

Voici une autre explication aussi acceptable. En touchant de la croix le setier se trouvant au marché, les Verviétois ne renouvelaient-ils pas, jadis, le serment qu’ils avaient fait

 

(111) Polain, Joe. cit. p. 266; Simonon, Joe. cit. p. 69, couplet 20; L’homme sans façon (1786) in Le Vieux-Liège, 2e année, n° 45 (7 novembre 1896) col. 718.

(112)  Detrooz,   Joe.   cit.,   pp.   169,170;   Hahn,   Joe.   cit.,   p.   246; Feller, Joe. cit., p. 12.

(113)  Cf. Van den  Steen, Joe. cit.. p. 41; Bovy,  Joe. cit., p. 44; Henaux,   Histoire  de  Verviers,   p.   11 ;   Homme  sans   façon,   Joe.   cit., Hahn, Joe. cit., p. 262; Detrooz, ïoc. cit.

(114)  Cf. Bovy, Joe. cit., p. 44; Simonon, Joe. cit. p. 69; Henaux, Croix de Verviers, p. 24. — Van den Steen, Joe. cit. p. 41; Henaux, Histoire de Verviers, p.  11; Hahn, Joe. cit. p.  245,  262.

(115)  Cf. Van den  Steen, Joe. cit.  p. 41; Bovy,  Joe. cit.,  p. 44; Hahn, Joe. cit., p. 262; Henaux, Croix de Verviers, p. 22. — Henaux, Hist. de Verviers, p. 11.

(116)  Cf. Van  den  Steen,  ïoc. cit. p. 41;  Bovy,  Joe. cit.  p. 44; Henaux,   Croix   clé  Verviers,   p.   22.   —   Henaux,   Hist.   de  Verviers, p. 11. — « Homme sans façon », Joe. cit.

 

à la cathédrale ? Dans ce cas, ils brisaient la mesure pour éviter que l’attouchement de cet objet par une sorcière, puisse être un empêchement à la tenue de leur engagement.

Dans les chapitres précédents, nous avons eu l’occasion de signaler bien des cas semblables.

  1. —• Nous avons vu tantôt que le magicien malveillant recherchait de préférence le verre ou la coupe ayant servi à la personne qu’il voulait nuire.

Ce préjugé existe également chez les peuples encore sauvages où, non seulement la vaisselle du roi ne peut servir à une autre personne, mais les restes de ses aliments doivent être détruits. Pourquoi ? Parce que, par la magie, on peut agir sur quelqu’un au moyen de ces restes ou des plats dans lesquels il a mangé.

D’après les principes de la magie sympathique, il conti­nue à exister un lien réel entre l’aliment qu’un homme a dans l’estomac et les restes auxquels il n’a pas touché; et, en faisant du mal à ces restes, vous pouvez, en même temps, faire mal à celui qui les a laissés (117).

En Mélanésie, il suffisait, pour faire du mal à quelqu’un, de mettre ses restes d’aliments en contact avec un esprit malveillant (118).

La même croyance existe dans la région de Liège. Pour que l’action magique de la sorcière ne puisse s’exercer sur les déchets de cuisine, il faut les brûler avec soin, et, si on veut les utiliser pour la nourriture des animaux, il faut, en attendant, les placer dans un vase couvert, à l’écart dans le logis (119).

En Nouvelle-Pornéranie, les habitants n’osent presque rien entreprendre, car ils redoutent les sortilèges; ainsi, lorsqu’ils vont dans un village voisin où ils ne comptent ni parents, ni amis, jamais ils ne consentiraient à y manger, parce qu’après leur départ, on pourrait, disent-ils, ensorceler les restes du repas, ce dont ils mourraient fatalement (120).

Dans  les  Landes,  durant  le  repas  de  noce,  les nouveaux

 

(117)  Frazer, p.  105.

(118)  ibidem,  p.   106.

(119)  Wallonnia,   t.   XIV,   1906,   p.   316.

  • Nicolay,   I,  p.  297.

 

époux font le tour de table et trinquent avec tous les invités. Dès qu’ils ont regagné leur place, le parrain ou la marraine, profitant de la joie et de l’inattention générale, subtilisent les verres des époux et jettent le vin qui a servi à trinquer, afin que quelque ami malveillant ne puisse l’utiliser pour quelque sortilège (121).

C’est par une crainte analogue de la sorcellerie qu’il est, sans doute, défendu à qui que ce soit de toucher les aliments que le roi Loango laisse sur son assiette; on les enterre dans un trou. Et personne ne peut boire dans la vaisselle du roi. De même, il est interdit à qui que ce soit de boire dans le même verre que le roi Fida (Whydah) en Guinée; il en a toujours un qui lui est réservé spécialement; si son verre a une seule fois subi le contact d’autres lèvres, il ne s’en servira plus jamais, même s’il est en un métal que le feu peut purifier (122).

Ici, si le verre n’est pas brisé après usage, c’est tout comme, puisque personne ne peut s’en servir.

  1. — Dans le même ordre d’idées, pourquoi brise-t-on la coquille quand l’œuf est mangé ?

C’est parce que les sorcières pourraient y déposer une mèche de vos cheveux et vous jeter ainsi un sort. (Thuin et environs) (123). On le fait également à Viîlers-le-Gambon et à Sautour (arrondissement de Philippeville) dans la crainte qu’on ne s’en serve pour vous jeter un sort.

Les superstitions du moyen âge croyaient que, pour conjurer les sorts que les sorciers traçaient sur la coque des œufs, il suffisait de briser violemment cette coquille. De là, la coutume, de sévère étiquette à certaines époques et passée dans nos usages modernes, de briser la coque de l’œuf que l’on a mangé (124).

Si,   par   malheur,    quelqu’un   —   intentionnellement    ou

 

(121)  J.   Nippgen,   Les   traditions   populaires   landaises,   in   RFF, t. I,  1930, p.  152.

(122)  Frazer, p.  107.

(123)  Communication   de  Alfred  Harou   dans  RTP,   t.   IX,   1894, p.  599.

  • Annales de J’Acadcmie d’Archéologie de Belgique, 2e série, t. I, Anvers 1865, p. 546, note 4.

 

non — urinait dans cette coquille, vous commenceriez incon­tinent à sécher et la mort viendrait dès évaporation complète de l’urine (Custinne, arrondissement de Dinant) (125).

Ne pas casser la coquille des œufs qu’on a mangés, donne la fièvre (126).

Quand on a mangé un œuf, on doit, dit-on en Touraine, en écraser la coque, car si on la laissait dans sa forme habi­tuelle, on ferait un acte «qui porterait malheur» (127).

Les marins doivent briser la coquille des œufs avant de les jeter à la mer. Sinon, ces coquilles servent d’embarca­tion au diable (128).

En France, au XVII » siècle, on disait que l’on devait procéder de la même manière afin que ses ennemis fussent aussi brisés (129). Actuellement ceux qui, tout au moins à la campagne, écrasent les coquilles d’œufs, croient se préser­ver de la sorcellerie et se mettre à l’abri des maléfices ana­logues à ceux que l’on redoutait au XVIe siècle : Richelet, le commentateur de Ronsard, dit que si les sorcières pouvaient se procurer un œuf que celui qu’elles dévouaient eût mangé, elles le piquaient à coups d’aiguilles ou de canivets, et pas­saient le mal aux personnes contre lesquelles cette opération était faite. En Normandie, on croit qu’un malveillant peut, en remplissant de rosée une de ces coquilles, et en la posant sur une épine blanche, faire sécher sur pied celui qui a mangé l’œuf; car, à mesure que le soleil boit cette rosée, la personne maléficiée se dessèche et meurt. En Vendée, les jeteux de sort pourraient introduire dans la coque, un liquide mortel; en Franche-Comté, si on négligeait de casser les coquilles, les poules cesseraient de pondre (130).

Le jour du mardi gras, en Bosnie, on fait des gâteaux d’œufs et de farine, et on a soin de jeter au feu la coque

 

(125)  Ghislain   Lefèbvre,   Noies   folkloriques   sur   Ver-Cusrinne, Namur,   1936,   p.   10.

(126)  Nicolay,  t.   I,  p.  277.

(127)  Rouge, » p.  41.

(128)  RTP, t. XIV,  1899, p.  559.

(129)  Thiers,   t.   I,   p.   135.

(130)  Sébillot  I,  t.  III,   1906,  pp.   231-232.  En   ce  qui  concerne la Franche-Comte, cf. Mélusine I,  1878, ça!. 371.

 

des œufs (131). La raison de cette destruction n’est pas mentionnée, mais on la devine par les citations qui précèdent.

Les pêcheurs, à Heyst, ne jettent jamais les écailles d’ceufs sur terre; ils ont soin de les brûler dans le foyer, parce que les sorcières pourraient s’en servir pour traverser ,la mer, aller les rejoindre sur leurs bateaux et leur jouer force mauvais tours (132). Il existe une superstition analogue bien connue en Russie, en Hollande, en Angleterre, etc., d’après laquelle les coques des œufs pourraient, si elles res­taient intactes, servir de bateau à des êtres surnaturels ou méchants (133). Au cours des tortures infligées à des per­sonnes accusées de sorcellerie, certaines ont avoué « avoir été en Angleterre dans une écaille de moule ou une coque d’oeuf» (134).

Cette coutume ne date pas d’aujourd’hui. On voit, par un passage de Pline, que les Romains y attachaient une grande importance. L’œuf était regardé comme l’emblème de la nature, comme une substance mystérieuse et sacrée. On était persuadé que les magiciens s’en servaient dans leurs conjura­tions, qu’ils le vidaient et traçaient dans l’intérieur des carac­tères magiques, dont la puissance pouvait opérer beaucoup de mal. On en brisait les coques pour détruire les charmes. Les anciens se contentaient, quelquefois, de le percer avec un couteau, et dans d’autres moments, de frapper trois coups dessus (135).

  1. — En pays flamand, comme en Wallonie, on retrouve encore dé-ci dé-là, l’usage de retourner son verre après avoir bu. De plus, Alfred Harou signale (136) qu’à Cras-Avernas (arrondissement de Waremme), les paysans retournent leurs

 

(131)  Albert Bordeaux, La Bosnie populaire, Paris,  1904.  p.   152,. cité par RTP, t. XIV,  1919, p. 62.

(132)  RTP, t. XVII,  1902,  p. 474.

(133)  F.S.   Bassett,   Légende  of   thé  Sea,   pp.   151-162,   374,   cité par Sébillot I, t. II, 1905, p. 156.

(134)  A.G.B.  Schayes, Essai historique sur les usages, les croyan­ces, etc. des Belges anciens et Modernes, Louvain 1834, p. 183.

(135)  1.   Dict.   inf.   t.   IV,   1826,   p.   196,   Cfr.   Frazer,   p.   108; Schayes, loc. cit., p. 232. — P. Saintyves, Manuel de Folklore, Paris,. 1936, » p. 38.

  • RTP, t. XII, 1897, p. 640.

 

assiettes, leurs  tasses et leurs verres après avoir bu et mangé.

Pourquoi ce geste ? Il signifie qu’on en a assez et qu’on ne désire plus rien recevoir.

Evidemment, c’est la raison qui, actuellement, fait agir les intéressés. Mais à l’origine, n’en fut-il pas autrement ? Une croyance du Pays de Languidie (France) va nous éclairer à cet égard.

La « Groah Sadorn d’en noz » est une vieille femme qui a le droit d’entrer dans les maisons où, le soir, il y a des objets creux qui n’ont pas été renversés sur la table et les emporte après avoir fait grand bruit. Une femme la vit, un soir, entrer chez elle et mit aussitôt sens dessus dessous, l’écuelle qui venait de lui servir pour boire un peu d’eau.

« Heureusement pour vous », s’écria la vieille, « que vous l’avez retournée; je vous aurais avertie trois fois, mais après vous auriez été à moi ».

Le soir, à la campagne, on n’oublie pas de se conformer à cette recommandation (137).

Le fait de retourner son verre ou son assiette après usage, a donc, en réalité, la même raison que le brisement de ces objets, c’est-à-dire de se prémunir contre les maléfices.

(A suivre.)

 

(137) Communication   de   J.   Frisey,   in   RTP,   t.   XXVI,   1911, p. 89.

 

 

 

Le brisement de certains objets (Jules Vandereuse) (chap. III-VI)

(in: Le Folklore Brabançon, s.n., 1957)

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