Le racisme francophone dans le monde: origine; le français, outil de propagation

PLAN

0 Les racines du racisme francophone

1 Le racisme francophone : analyses

2 Le français, outil de propagation du racisme 

0 Les racines du racisme francophone

e racisme francophone envers les autres communautés linguistiques trouve des racines communes aux autres formes de racisme dans l’égocentrisme et l’ethnocentrisme.

De plus, le sentiment hégémonique de la communauté francophone à l’égard d’autres communautés, voire de toutes les autres, est dû à l’illusion d’une supériorité linguistique jamais démontrée, aisément attaquable, qui ne subsiste que grâce à une propagande forcément insidieuse, néfaste pour le progrès de l’Humanité.

 Extraits d’une étude magistrale réalisée par le professeur belge Guy Jucquois (UCL) :

 JUCQUOIS Guy, de l’égocentrisme à l’ethnocentrisme ou les illusions de la bonne conscience linguistique, BCILL 31, LLN 1986

 

(p.33) Le dernier facteur qu’il faut souligner et qui paraît absent des travaux sur cette question des respon­sabilités occidentales dans la pratique de l’ethnocide, est la succès incontestable de l’Occident sur le plan matériel, technologique et économique (encore que pour ce dernier secteur il faudrait faire là part des choses et distinguer dans le progrès économique ce qui est dû effectivement au travail et à l’ingéniosité de l’Occident et l’enrichis­sement qui résulte de la spoliation d’autres régions…!}. Ce succès a facilité les pratiques ethnocidaires, tout d’a­bord en les rendant matériellement possibles – l’ethnoci­de implique évidemment une présence sur place et une situa­tion « enviable » pour l’Autre: technologie plus avancée et facilités qui en découlent dans la quotidienneté mais aussi en en préparant le terrain moralement: pour que l’ethnocide se produise il faut en effet que s’instaure une relation de dépendance entre les deux parties si bien que la première doit être persuadée de sa supériorité et la seconde se laisser convaincre de son infériorité.

(p.42) /Choses plus / graves encore: obligation d’apprendre la langue des Blancs, le plus souvent sous forme de pressions insidieuses (par ex. en Guyane pour le français, mais c’est vrai pour toutes ces régions qui subissent l’ethnocide) , éducation de la jeunesse dans des pensionnats spé­ciaux, service militaire destiné à couper les liens avec le milieu tribal (cf .une fonction analogue dans nos pays avec les minorités flamandes ou bretonnes, basques, etc., re­crutement de personnel de maison parmi les jeunes filles et dépaysement loin de leurs familles (même parallélisme chez nous ! ) .

A toutes ces mesures et à toutes ces pressions, il faut encore ajouter l’impression désastreuse provoquée sur les populations locales par les exemples douteux souvent donnés par les Blancs: alcoolisme, débauche, brutalités de toutes sortes. Mais encore tricheries et fraudes, infrac­tions par rapport à nos propres codes de valeurs pourtant « proposés » ou imposés aux indigènes: escroqueries et abus de confiance dans les transactions commerciales ou politi­ques, traités et contrats non respectés, etc. Ces attitudes potentialiseront encore les effets violents et désagrégateurs que provoquent déjà à elles seules les pratiques ethnocidaires chez les peuples en déculturation .

L’étape ultime dans cette désagrégation est constituée par l’exhibition des dépouilles de ce qui fut une des expressions de l’humanité. Avant d’en ar­river là et tant que survivent des traces des cultures indigènes, elles peuvent encore servir à l’amusement folklorique des Blancs.

 

(p.131) Jugements moraux, jugements religieux, les uns et les autres peuvent se renforcer et aboutir ou massacre en règle de l’Autre qui finit par être assimilé au Mal absolu, comme ce fut le cas en Europe occidentale dès la fin du XIIIè siècle et plus particulièrement au XIVè et surtout ou XVè siècle. La seule peine qui était jugée convenable pour l’hérétique était, depuis le XIe siècle, la peine de mort par le bûcher. L’assimilation du Juif à l’hérétique, et ultérieurement à la sorcière, suscite à travers l’Europe une véritable psychose satanique. Le mépris de l’Autre est facilité par le mépris moral et religieux qu’on lui porte. Celui-ci finit par se concrétiser dans les fantasmes des bourreaux qui « voient » le Juif comme le Diable, c’est-à-dire une être velu, à la virilité hyper­trophiée, portant en outre queue et cornes; à moins qu’il n’apparaisse au contraire, à l’instar de la sorcière, fragi­le parce que maladif et déréglé. (…)

 

(p.147) Cette conception du combat qui surprend nombre de chroniqueurs et les conduit à des jugements méprisants pour l’Indien, explique pourquoi lors de charges indiennes violentes, les cavaliers améri­cains durant mettre pied à terre et se réfugier derrière les rochers d’où ils purent ensuite, bien à l’aise et sans dan­ger, tirer les Indiens qui repassaient sur les lieux du pre­mier engagement afin de « compter les coups » sur les ennemis morts. Comportements qui nous semblent vains et suicidaires parce qu’ils ne trouvent leur profonde justification que dans des systèmes culturels qui nous sont étrangers.

 

Or l’Occident a pris l’habitude depuis l’Antiquité grecque de négliger de comprendre l’étranger selon les sys­tèmes de valeurs de ce dernier. Bien plus, au cours des siècles s’est mise en place une méthode d’interprétation des autres cultures, méthode dont les prétentions scientifiques sont proclamées sans cesse alors qu’elle ne consiste qu’en un refus global de l’altérité. On déboucha finalement sur un discours apparemment cohérent et fondé justifiant la hiérar­chie culturelle au sommât de laquelle trône la culture occi­dentale. DELACAMPAGNE (1983.324 sq.) a établi que le thème de « l’étranger pervers » constituait une donnée de base de tout racisme, et singulièrement da sa manifestation occidentale, jusqu’à l’époque contemporaine.

 

(p.168) (…) Pour l’inquisition, l’accusé est ainsi strictement inexistant et sa situation rappelle celle des esclaves de l’Antiquité.

Le droit romain, en effet, outre qu’il n’autori­sait pas un esclave à sa défendre dans un procès criminel, le livrait systématiquement à la torture lorsqu’il était accusé: s’il plaidait non coupable, on le soumettait à la torture pour lui arracher des aveux, mais s’il avouait on le soumettait quand même aux tourments pour valider sa confession. La situation de l’esclave cité en témoignage est encore plus dramatique, qu’il s’agisse d’un procès civil ou criminel: en effet, comment recueillir son témoignage dès lors qu’il devrait prêter serment ce que seul un homme libre peut faire? Soumit a la question, sa déposition recevra valeur probante, ce qui conduira « des justiciables romains… Jusqu’à effectuer des achats d’esclaves pour bénéficier de témoignants en Justice ».

 

(p.187) Déclarer lors d’une soirée que telle situation crie vengeance au ciel, n’appelle pas les mêmes réactions s’il s’agit d’un événement qui a lieu aux antipodes au fin fond de la forêt ou d’un événement qui se sous les yeux des invités. Le premier provoque des épanchements de sentiments généreux et suscite des velléi­tés de porter secours. Le second, au contraire, perturbe la réunion et est vite jugé inconvenant, manque de savoir vivre, car il ne permet plus d’en parler seulement, mais montre la discordance probable entre les discours et les agissements .

C’est ainsi que paradoxalement les bourreaux ont davantage d’audience dans les réunions mondaines que les victimes. Celles-ci doivent se résigner à n’être entendues, et encore uniquement pour la durée des flambées émotives de leur auditoire, qu’une fois leur supplice terminé, en sortr que la compassion que leur récit soulèvera éventuellement soit garantie en quelque sorte de demeurer gratuite… La respectabilité des bourreaux est presque générale, du moins tant qu’ils représentent ou sont commandités par le pouvoir ou la classe qui les emploie. Si l’on excepte ceux qui ont été jugés et incarcérés ou exécutés, la plupart des tortionnaires, qu’ils soient d’Algérie, du Vietnam, d’Urss, des USA, d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique Latine … ou d’Europe, jouissent de la considération de leurs concitoyens et cela d’autant plus facilement – en comparaison du sort réservé à leurs victimes, du moins celles qui ont survécu aux mauvais traitements – que leurs comportements supposent une complicité au moins tacite avec le pouvoir du moment.

 

(p.202) Nous avons montré que toute société était « naturellement » ethnocentriste, par contre il a été établi également que seule la société occidentale, et actuellement par imitation de celle-ci d’autres commu­nautés humaines non-occidentales, était ethnocidaire et génocidaire de cette manière et à ce point. Il a été suggé­ré que cette spécificité serait liée à des modes de produc­tion visant indéfiniment à l’augmentation des biens et à une conception de l’Etat préconisant l’élimination des différences au profit de l’Un.

En fait, il faut remonter à l’Antiquité grecque pour comprendre la fascination du logos, expression de la « raison » se marquant à la fois par la parole et par le (p.203) calcul. Logos placé au centre de toutes leurs activités, sociales, politiques, économiques ou religieuses, logos commandant aussi bien la réflexion théorique que les appli­cations pratiques. La logos remplaça la religion grecque, bien que la religion de la raison ne soit pas une religion puisqu' »elle met a mort les dieux, elle subvertit les my­thes, elle ôte aux rites leur force de conviction ». La perte des mythes fut celle des justifications que la religion donnait aux grandes interro­gations humaines: désormais, à partir du IVè siècle ACN et surtout à Athènes, les Grecs perdirent les réponses à la question de leur origine, leurs ancêtres disparurent, « ils ne connurent plus leurs parents, ils oublièrent les circon­stances exactes de leur naissance ».

Perdant leurs croyances mythiques sur eux-mêmes, les Grecs ne purent plus situer les Autres et comme la parts des mythes soulève une immense angoisse, sauf si elle s’accompagne d’un profond mûrissement, l’angoisse qui ne pouvait plus s’exprimer ni se justifier trouva des exutoires dans des comportements ethnocentriques, En effet, au lieu des anciens mythes qui assignaient a chaque être une place et une fonction, une origine et une destinée, dans l’univers, il fallait tenter simultanément de rendre compte des différences, sociales et ethniques, tout en élaborant un modèle explicatif hiérarchisé. Les explications mythi­ques étant désormais rejetées, sans pour autant qu’ils aient renoncé à l’appréciation ethnocentrique de leur (p.204)

échelle de valeurs, il en découlait « rationnellement », croyaient-ils, des hiérarchies dont le sommet ne pouvait être que le modèle grec.

Les discours et attitudes collectives ethnocentriques trouvent donc leur enracinement partiel dans la rationalisation qui remplace la sacralisation. Les progrès de la raison semblent ainsi s’accompagner d’un surcroît de comportements ethnocentriques qui ne visent qu’à rendre supportable l’angoisse collective face à des interrogations sans réponse. Mais précisément, si ces questions restent éternellement sans réponse et débouchent sur la violence ethnocidaire ou génocidaire, c’est qu’elles sont mol posées et selon une rationalité paradoxalement mythique.

La rationalité appliquée aux grandes questions que se pose l’homme, tant sur sa spécificité, individuelle et communautaire, que sur celle de l’Autre, ne peut apaiser l’angoisse existentielle dans la mesure où elle n’est strictement applicable que dans un univers de la suppres­sion de toute différence, dans l’univers de l’Un, dans celui de l’Etat, dans celui d’un progrès quantitatif illi­mité. Mais justement les limites de cette logique se sont fait sentir dès le départ et il s’est avéré rapidement qu’elle permettait éventuellement de violenter l’Autre et de le détruire, mais en aucun cas de répondre aux questions angoissées de l' »homme de raison ». . .

C’est la même rationalité qui charpente le système « moral » de ceux qui ne font qu’obéir aux ordres. Le mythe (p.205) disparaissant dons la fausse raison du logos aboutit ainsi à la mystification justificatrice à la base da nombre de comportements violemment ethnocentriques, c’est ainsi que fonctionnant les idéologies. Lorsque, par exemple, dans les années soixante, les Etats-Unis entreprirent un conflit avec la Vietnam, il fallut proposer des justifications aux soldats expédiés là-bas. Ceux-ci ne furent pas souvent dupes d’où un découragement latent. A la question de savoir pourquoi ils étaient dans ce pays, la plupart répondaient qu’ils n’en savaient trop rien, qu’on leur avait prétendu, qu’ils sauveraient les Vietnamiens du communisme, mais que cela n’avait pas été le cas et qu’ils n’avaient apporté que mort et destruction.

La rhétorique grecque développait fréquemment un e thème qui surgit également dans les autres discours et dans les pratiques de l’Antiquité grecque, a savoir celui de 1’autochtonie, thème étroitement mêlé è celui de la pureté du sang et au développement de la civilisation. Rappelons, par exemple, ce qu’en pensait un auteur tel qu’ISOCRATE dans son Panégyrique:

« Si nous habitons cette ville, ce n’est pas après en avoir expulsé d’autres gens, ni après l’avoir occupés déserte, ni après nous être réunis en mélangeant plusieurs peuples. Si belle et si

(p.206) pure est notre naissance, que la terre même d’où nous sommes sortis nous l’avons occupée sans nulle interruption, fils du soi que nous sommas, pouvant appeler notre ville des mêmes noms qu’on donne aux plus proches parents: à nous seuls de tous les Grecs il appartient de l’appeler à la fois nourrice, patrie et mère. . . »

Cette prétention athénienne à la pureté de la race serait à la fois cause et conséquence du haut degré de ci­vilisation atteint par Athènes au regard des autres cités grecques. Mais le contraste est encore plus saisissant, toujours selon les Athéniens, entre le niveau de dévelop­pement auquel ils sont parvenus et la barbarie des Non-Grecs. Le « retard » de ces derniers doit être attribué conjointement ou « mélange » de leur sang et à leur ignorance de ce qui constitue véritablement la culture. D’ailleurs, pen­sent les Grecs, comment est-il possible de rester barbare quand on connaît le monde hellénique ? Il faut, à cela, entêtement, sottise et perversité.

Ces clichés ont glissé à travers les siècles depuis les Grecs Jusqu’à nous: notre mode de vie représente la civilisation et le progrès, il va de soi que ces valeurs doivent s’imposer et se propager chez les autres peuples. Mais avant de bénéficier à leur tour des avantages que leur procurera, comme à nous, la civilisation et le mode de vie occidentaux, les autres peuples devront eux aussi consentir de gros sacrifices. Discours officiels par exemple en URSS où la croissance rapide de l’industrie lourde vers les années 1930 s’est accompagnée d’une exploitation brutale et forcenée des ouvriers et de la classe paysanne .

 

(p.211) /Hannah/ ARENDT rappelle que les Nazis avaient proscrit nombre de termes trop directs lorsqu’ils parlaient du génocide. la « solution définitive » remplaçait le verbe « tuer », ou aussi « évacuation » ou « traitement spécial »; la « déportation » s’appela « regroupement » ou « travail dans l’Est ». Ces euphémismes effaçaient les aspects les plus désagréables des réalités, écartaient les sentiments de culpabilité et tout cela contribua « considérablement su maintien de l’ordre, et de l’équilibre mental des usagers, dispersés dans les services les plus divers, et dont la coopération était indispensable.

 

 

Les grands principes

 

Le sentiment de participer à une grande œuvre civilisatrice, la conviction de lutter au  maintien de l’ordre moral, la certitude de défendre les grandes valeurs de notre société, la persuasion d’apporter généreusement à l’Autre une aide indispensable, voila les leitmotivs les

(p.212) plus fréquemment rencontrés  parmi les justifications évo­quées par d’anciens Nazis.

Mais il n’y a pas que ces derniers à recourir à ce genre de discours. Chaque période de crise, chaque époque de difficultés suscite ses prédicateur s en faveur d’une restauration des valeurs établies, les rappels à l’ordre moral sont une « des constantes de l’histoire ». Certaines sociétés sont d’ailleurs impensa­bles sans leur cortège de violences et sans un profond mé­pris de l’Autre: c’était le cas des sociétés esclavagistes telles que  la  société romaine ou la société grecque. ARISTOTE (Politique.1.4) avait d’ailleurs précisé:

« La science du maître, c’est l’emploi des escla­ves; être maître ne consiste pas simplement à acquérir des esclaves, mais à savoir se servir des esclaves ».

 

(p.214) Cette  transformation  de  l’Autre  rend  compte de l’attitude étrange de Saint Paul renvoyant l’esclave fugi­tif Onésime (Cf. sa lettre à Philémon). C’est toujours pour protéger l’ordre établi que l’Eglise se soucia d’abord d’instituer saint Théodore « pour aider les maîtres à re­trouver leurs esclaves un siècle ou deux avant qu’elle ne pense à offrir à ces derniers un saint protecteur ».

Etrange attitude que l’on retrouve  à  notre époque et que POLIAKOV (1980.241, 245) a bien mise en évidence: lors de la sortie des lois anti-juives édictées par le gouvernement de Vichy durant la dernière guerre mondiale, l’ambassadeur français auprès du Saint Siège fit savoir que le Vatican « dans l’ensemble… ne voyait pas de grands inconvénients à l’introduction de la nouvelle législation, mais que sur le point précis des mariages ‘mixtes’, il serait intraitable ». Quand commencèrent les déportations vers les camps de la mort, en 1942, on constata que le mariage mixte assurait la vie sauve (Cf. par contre les dispositions en vigueur en Allemagne Op.cit.241). Les lois adoptées par Vichy prévoyaient également que « la non-appar­tenance à la religion juive est établie par la preuve de l’adhésion à l »une des autres confessions reconnues par l’Etat ». Ce qui conduit POLIAKOV à remarquer que « le demi-Juif libre penseur était juif, tandis que le demi-Juif chrétien ne l’était pas » ou encore plus curieux que « les enfants naturels non reconnus n’étaient jamais juifs puisque, (p.215) le soupçon ayant toujours sa raison d’être, ou bien tous devaient être considères comme tels, ou bien aucun ne le devait ». Cet auteur ajoute que cette solu­tion était également celle à laquelle on s’attachait au XVIe siècle en Espagne au sujet des enfants trouvés qui étaient considérés comme des hidalgos, avec tous les privi­lèges attachés à la noblesse pour autant qu’ils puissent prouver qu’on les avait effectivement trouvés et qu’ils avaient été nourris et avaient grandi dans des hôpitaux affectés à ce genre d’enfants!

Le délit d' »immoralité » en Afrique du Sud suppose aussi une définition possible de ce que serait un individu de race blanche et un individu de race noire: cela conduit éventuellement les tribunaux é devoir apporter certaines précisions. Ainsi un magistrat précisa-t-il qu' »une person­ne de race blanche, aux termes de la loi, est toute per­sonne qui l’est d’apparence, est acceptée comme telle et bénéficie de la commune renommée de l’être ».

Tous ces faits semblent indiquer que le recours aux justifications idéologiques pour asservir, déporter, emprisonner ou mettre l’Autre à mort ne fonctionne qu’en raison de la perception du « risque » de la très grande proximité de cet Autre, cela rendrait compte de la position ambiguë non seulement du Saint-Siège au sujet des lois de Vichy acceptées sens difficulté sauf sur la question des mariages mixtes, étrange position également que celle des autorités espagnoles au sujet des enfants trouvés, ou encore que celle de Christophe Colomb et de la Couronne d’Espagne au XVIè siècle et si prompte à croire, mais qu’il fallait réduire en esclavage, etc.

 

(p.218) A Cuba, par exemple, les prêtres recevaient comme dîme 5 % de la production sucriers et approuvaient géné­ralement les sanctions physiques prises contre les esclaves établissant un rapport analogique du type:

Jésus-Christ        =         propriétaire

pécheurs                        esclaves.

S’adressant aux esclaves noirs, le missionnaire apostolique Juan Perpino y Pibernat précisait même: « Malheureux! N’ayez pas peur d’avoir tant de peines à supporter en tant qu’es­claves » .

 

Les méthodes psychiatriques ont pris le relais: l’éducation et la guérison des âmes passent maintenant par des méthodes « propres » éprou­vées scientifiquement. Les hôpitaux psychiatriques dans les pays de l’Est, les techniques de privation sensorielle em­ployées notamment en Irlande et en Allemagne Fédérale, vi­sent a « rééduquer » et à « guérir » les dissidents en tentant d’atténuer, voire de gommer, ce qui constitue leur altérité. C’est ainsi que le diagnostic établi au sujet du général Grigorenko, coupable d’avoir défendu des minorités ethniques opprimées, le 19 novembre 1969 prétend que:

« Grigorenko souffre d’une maladie psychique: un développement pathologique (paranoïaque) de la personnalité, souligné par l’existence d’idées de réformes marquées par les traits psychopathiques de son caractère et l’apparition de phénomènes d’artériosclérose des vaisseaux sanguins du cer­veau (…) L’état psychique de Grigorenko exige qu’il soit soumis è un traitement forcé dans un hôpital psychiatrique spécial, étant donné que les idées paranoïaques de réformes (…) ont un carac­tère stable et qu’elles guident le sujet ».

 

(p.220) L’Autre est laid et monstrueux  parce qu’il est l’Autre et comme tel il ne peut mériter d’attention et d’égard réservés aux humains. L’habituelle association que représente le grec kalloa kagathos s’enracine dans les esprits également négativement, si bien que ce qui est perçu comme laid ne peut être aussi que méchant et pervers. La laideur de l’Autre entraîne donc nécessairement son châtiment: plus la laideur est repoussante, plus la punition doit être totale et cruelle.

Mais, comme si l’imagination était ainsi encombrée et entravée par la vision des réalités, l’Autre restait malgré tout trop proche peur qu’on pût sans remords lui appliquer les pires sévices et tortures. La pire des laideurs était encore celle qui n’apparaissait pas, celle que l’on réussissait ta camoufler. L’imagination populaire parvint ainsi au Moyen-Age à fabuler sur certains crimes particulièrement odieux imputés aux Juifs; parmi ceux-ci le plus horrible de tous était le crime de profanation de l’hostie consacrée pour lequel aucun châtiment, si horrible soit-il, ne pouvait constituer un début de réparation.

Comment faire pour repérer dans son entourage cette menace permanente que constitua la présence de l’Au­tre s’il ne porte aucun signe distinctif extérieur? Le Noir ou l’Indien peuvent se remarquer à certains traits physi­ques, mais le Juif peut passer inaperçu. . . C’est pour

(p.221) éviter cela que le quatrième Concile de Latran impose aux Juifs en 1215 le port d’un signe distinctif, la « rouelle » dons les pays latins, un chapeau de forme particulière dans les pays germaniques. A partir de ce moment, l’imagination, rassurée par ce signe distinctif et délimitatif, peut à nouveau broder sur le physique de l’Autre et le Juif de­viendra ce que les représentations racistes feront de lui à partir de cette époque avec un nez crochu, etc.

Le mépris de l’Autre est un indispensable préliminaire aux mauvais traitements. Lorsqu’il n’est pas hérité de l’entourage il peut s’inculquer. Voici deux témoignages le premier d’un soldat américain au Vietnam, le second d’un soldat français en Algérie:

« Pendant tout l’entraînement, ils mettaient l’accent sur le caractère animal des Vietnamiens. On nous disait que c’étaient des sous-hommes. Qu’on pourrait faire tout ce qu’on voudrait avec eux là-bas. On nous a dit qu’on pouvait tuer un ‘gook’ et le couper en morceaux. Ce n’était pas un être humain (…) Juste avant d’être envoyé au Vietnam, j’étais dans un bataillon de préparation. (…) Ils faisaient tout pour glorifier l’exter­mination et la torture de ces minables Vietna­miens. Les sergents les appelaient toujours ‘gook’ ou ‘face d’oeuf’. Jamais Vietnamiens. Une fois, une recrue les a appelés Vietnamiens et le sergent lui a dit qu’il devait sacrement aimer les ‘gooks’  » .

 

Et voici ce que pensait après une « formation » de ce même type un soldat français au moment de la fameuse bataille d’Alger en 1956:

« Au fond ce sont des criminels… Si on les (p.222) relâche, ils recommencent ; ils tuent les vieillards, les femmes, les enfants. On ne peut quand même pas les laisser faire cela… Alors, au fond, on nettoie le pays de toute la RACAILLE… Et puis, ces gars-là, ils veulent le communisme, vous comprenez … ? »

 

(p.236) La pitié est une notion souple et éminemment adaptable aux réalités politiques; elle  sa conforme en effet aux meilleurs intérêts de l’individu, da sa famille et de ses alliés du moment ». Ainsi l’exemple des réfugiés palesti­niens qui ont reçu des preuves de sympathie du monde en­tier; l’ensemble des pays arabes a témoigné de son indigna­tion envers les traitements subis par ces réfugiés…, « mais on ne parle guère des Palestiniens que le roi Hussein de Jordanie a fait tuer ni de ceux qui vivent dans les pays arabes, sans droits civiques et dans des conditions maté­rielles bien plus mauvaises que celles des Palestiniens de la rive occidentale du Jourdain ».

On  se souviendra également des réprobations unanimes des pays occidentaux lorsque le régime nazi entreprit les persécutions anti-juives peu avant la seconde guerre mondiale. Cependant nombre de ces morts auraient été évi­tées si cette générosité s’était accompagnée d’un début d’hospitalité… mais les frontières des territoires occi­dentaux restèrent hermétiquement fermées. L’administration Roosevelt, par exemple, n’essaya jamais de persuader le Congrès d’accueillir des réfugiés juifs provenant d’Alle­magne. Ainsi, en 1939 le projet de loi Wagner-Rogers propo­sant d ‘accueillir 20.000 enfants juifs allemands réfugiés fut refusé par le Congrès. Le Président Roosevelt, pressé de donner son avis, écrivit sur le dossier: « A classer. Sans suite ».

Les études sont formelles, précises  et accablantes (p.237) sur ce point, aucun des pays qui aurait pu pratiquer une politique d’accueil et de générosité envers les victimes du nazisme et du racisme n’eut na serait-ce qu’un seul geste concret dans ce sens: « derrière la façade de bonne volonté plus ou moins floue qui caractérisait l’administration Roosevelt, les officiels américains appliquèrent les textes en vigueur ‘sur l’immigration’ avec une exactitude et une mesquinerie qui dans certains cas descendait jusqu’à un antisémitisme agacé ».

Cette indifférence envers les victimes que, durant le même temps, la propagande occidentale montait en épingle impliquait « certains gestes humanitaires de l’administration Roosevelt », et les historiens se sont empressés d’en faire l’éloge. Une étude détaillée de chacun de ces cas à révéla que ces gestes étaient « négligeables ou inefficaces » (Ibid.) .

 

 

Les grandes causes

 

Durant des siècles, l’Occident adhéra à la concep­tion aristotélicienne d’un univers harmonieux alliant la beauté physique et la bonté morale. DELACAMPAGNE [1983.91) attribue l’éclatement de cette conjonction aux difficultés et aux angoisses auxquelles dut faire face notre monde occidental particulièrement à partir des Croisades. La notion d’harmonie universelle disparaît et la notion de monstre apparaît, c’est-à-dire celle d’un être laid, « répugnant et nuisible ».

(p.238) Cette nouvelle anthropologie permettait d’aborder l’Autre d’une manière très différente. On le constatera peu après lors des grandes découvertes. Trois ans après celle de l’Amérique, Christophe Colomb dirige lui-même une cam­pagne militaire contre les Indiens: chiens dressés spécia­lement, cavaliers, armes inconnues des indigènes, tout cela eut raison de la résistance indienne et plus de 500 Indiens furent vendus comme esclaves à Séville et moururent miséra­blement. Certains théologiens protestèrent énergiquement contre le sort réservé à ces nouveaux sujets de la Couronne d’Espagne: l’esclavage fut dès lors formellement interdit dès les débuts du XVIè siècle…

Mais l’histoire ne s’arrêta pas là! Les intérêts étaient trop puissants pour ne pas contourner l’interdic­tion et la récupérer: il suffisait de transformer l’inter­diction en bénédiction et le tour était joué. C’est ainsi qu' »avant chaque entrée militaire, les capitaines conqué­rants devaient lire aux Indiens, sans interprète mais de­vant greffier, un long requerimiento ‘ou mise en demeure’ empli de rhétorique qui les exhortait a se convertir à la sainte foi catholique: ‘Si vous refusez, ou temporisez par malice, je vous certifie qu’avec l’aide de Dieu nous vous assaillirons de toutes nos forces, vous ferons une guerre sans merci, vous soumettrons au joug et à l’obéissance de l’Eglise et de Sa Majesté, nous emparerons de vous, de vos femmes et de vos enfants, et vous réduirons en esclavage, vous vendant et disposant de vos personnes  (…).

 

(p.247) REVEL rappelle que « le renvoi dos à dos est un procédé dont la fonction est de relativiser le mal, c’est-à-dire, en fin de compte, de l’excuser. Il implique en outre une interprétation sur mesure des faits, il pousse à l’erreur ou au mensonge, car, pour créer des équivalences factices entre des événements ou des tares qui sont rarement comparables, il faut bien les reconstruire au détriment de l’information exacte. Cette pratique – non bien entendu la dénonciation des iniquités d’où (p.248) qu’elles  proviennent!  –   en tant que discours vise à donner bonne  conscience à bon marché et surtout à éviter de devoir prendre  parti  et  de  s’engager  à propos de chaque injustice.

L’autre façon de se comporter, suivre les modes interprétatives, s’enracine dans les mêmes attitudes fon­damentalement irresponsables: en effet, en hurlant avec les loups, même quand il s’agit d’une « bonne cause », on parti­cipe au réconfort que donne facilement le sentiment d’être en conformité avec les sentiments des autres. On a vu que, loin d’être une garantie quant à l’exactitude ou à la no­blesse des opinions, le conformisme et le désir d’être com­me les autres conditionnaient largement un grand pourcenta­ge d’êtres humains à perdre, au contraire, toute dignité.

Même si une prise de conscience peut être facili­tée par le fait qu’elle soit partagée par de nombreux concitoyens qui parcourent le même trajet, notamment parce qu’ils découvrent simultanément des réalités ignorées aupa­ravant, pour qu’une prise de conscience soit autre chose qu’un simple alignement sur des opinions collectives, il reste indispensable que chacun accomplisse en soi le travail de découverte et d’interprétation.

 

(p.256) /Las Casas/  (…) retenons que dans cet exemple important, la prise de conscience ne s’opéra que chez un seul au départ et le changement ne survint que grâ­ce è 1’opiniôtreté d’un seul contre las forces conjuguées des pouvoirs politique, religieux, économique et scientifique. C’est ainsi que furent arrachées les premières lois limitant les massacres et les violences commis contre les Indiens.                                           

C’est encore un dominicain, Francisco de Vitoria, né au Pays Basque sans doute en 1492, qui fut le premier théoricien de l’anticolonialisme. Son christianisme porte les marques de ses relations avec les humanistes Lefèvre et Erasme. Grand personnage puisqu’il devient Conseiller de Charles-Quint et consulteur au Concile de Trente: « il garde son franc parler face à l’Empereur et face au Pape ». Il défend les Indiens contre les inté­rêts politiques et économiques déchaînés et prétend que, quoique surprenantes, leurs moeurs n’en font pas des « serfs par nature ». Il affirme que toute atteinte contre des peu­ples qui disposent de leurs propres institutions politi­ques, économiques et religieuses n’est que brigandage. Contre Sepulveda qui justifie l’expansion vers l’ouest sur la base d’un dominium universel, vieille idée reprise à l’Empire Romain, il préconise plutôt la spécificité de chaque peuple: les nations indiennes, mais aussi le peuple espagnol. Il ne craint pas de s’élever avec force contre les interventions des papes dans les questions temporelles, pratique courante à l’époque.

 

(p.260) Il faut constater que les foules contemporaines occidentales sont à la recherche d’évasion. Comme le note PANOFF (1977.133 sq.), « l’ethnologie est mue par les mêmes ressorts qui précipitent las fouies dans les villages du ‘Club Méditerranée’, sur les pistes de safari et dans les rues chaudes de Singapour ». L’Occident recherche désespé­rément l’altérité indispensable a calmer son angoisse pro­pre et à le rassurer sur les choix de sa propre existence. Ayant durant des siècles consacré tous ses efforts à sup­primer ici en Europe la plupart des traces d’identité et de spécificité, sacrifiant au dieu de l’économie et de l’uni­formité toute divergence perçus comme sacrilège, l’Occident s’ennuie et désespère dans sa prison qu’il croit dorée.

L’intérêt est redevenu très vif pour l’Autre, mais un Autre de pacotille que les citadins recherchent annuel­lement dans les régions « arriérées », tels les Parisiens visitant dans l’enthousiasme les minorités qu’ils écrasent le reste de l’année et dont ils attendent qu’elles conser­vent intacts leurs fantasmes d’innocence et de nature!

LEROI-GOURHAN écrivait déjà en 1968 que « si l’on caractérise le sentiment qu’une so­ciété éprouve à l’égard d’une science en se fondant sur le besoin matériel ou moral des individus, l’ethnologie est certainement une science d’avenir ». Ne doit-on pas consi­dérer que l’intérêt si tardif dont l’Occident semble être soudainement habité pourrait bien n’être encore qu’une nouvelle manière d’utiliser l’Autre sans pour autant que (p.261) cet intérêt s’accompagne le moins du monde d’un désir sin­cère de compréhension, de tolérance à d’autres modes de vie et d’un esprit de sacrifice que l’acceptation réelle et concrète de l’Autre implique toujours?                                              .

Cette interprétation du goût pour l’Autre qui advient brusquement en ce XXè siècle -finissant n’exclut pas pour autant une autre interprétation du phénomène. L’an­goisse que la perte d’identité et l’ indifférentiation doi­vent faire naître peut s’associer aisément è un sentiment de culpabilité qu’on a qualifié de « mauvaise conscience paisible » (BRUCKNER.1983.220). Le même auteur se demanda ce qu’est « une culpabilité qui refuse le repentir, sinon un endurcissement dans le péché, une complaisance au mal ». Sentiment de culpabilité qui ne porte guère à conséquen­ce, .. puisqu’il n’induit aucun changement de comportement dans les relations actuelles avec l’Autre: « la rumination morbide s’attendrit sur elle-même et les pénitents intaris­sables s’acquittent de la misère du monde en une phrase pour retourner ensuite à leurs affaires »(IDEM.221) .

Malgré les apparences, il pourrait bien n’y avoir aucun changement dans l’attitude occidentale envers l’Au­tre: l’Occident n’aurait renoncé a aucun de ses fantasmes destructeurs ni à aucun de ses désirs d’unité ou plutôt d’uniformisation. Comme l’exprime BRUCKNER (1983.222), « en­tre l’un qui affirme (à propos des colonisés): nous leur apportons la civilisation, et l’autre qui répond: nous leur inculquons l’enfer, le résultat est le même: les codes symétriques de la flétrissure et de sa béatitude indiquent une fermeture dramatique à l’Autre. »

 

(p.292) Lorsque  l’Autre n’a pas disparu définitivement, la science  peut aussi servir de prétexte pour couvrir diverses formes  d’élimination  ou  de marginalisation. L’anormalité,

c’est-à-dire aussi toute façon différente de penser et de vivre, peut aussi constituer une indication à examen psychiatrique et à traitement forcé que cela soit dans les pays de l’Est ou chez nous (Cf, GOFFMANN,1979.passim).

On connaît l’exemple du général soviétique Piotr Grigorenko: défenseur des Tatars de Crimée, il fut l’objet d’examens psychiatriques, notamment au célèbre Institut Serbsky, à la suite desquels on déclara qu’il était atteint « d’un développement paranoïde de la personnalité » qui nécessitait des « soins » en hôpital psychiatrique: (…).

 

(p.316) D’ailleurs, le déisme des Lumières présuppose une communauté et une universalité des valeurs humaines qu’on reconnaît éventuellement et abstraitement et théoriquement, mais qui ne débouche sur aucune attitude concrète de tolé­rance envers l’Autre. L’écart entre les grands principes (cf.supra p.212 sq.) et ce qu’on attribue finalement comme propriétés à l’Autre se justifie par la folie humaine et la dégénérescence, ou encore par des bizarreries de la nature ou par notre manque d’informations précises. Par exemple, VOLTAIRE doute de l’information selon laquelle en Cochinchine ce ne serait pas le fils du roi qui serait son héri­tier mais bien le fils de sa soeur: une telle information est fort sujette à caution car « un tel règlement contredit trop la nature; il n’y a point d’homme qui veuille exclure son fils de son héritage » (Cité par GUSDORF.1971.147).

La rationalisation ethnocentrique de l’Occident est en voie d’achèvement au XVIIIè siècle: elle parvient à préserver la bonne conscience des Lumières et la satisfaction (p.317) celle-ci procure tout en sauvegardant les intérêts économiques et politiques fruits des conquêtes. Au lieu des conditions d’un dialogue, l’intellectuel occidental imagine une hiérarchisation des peuples qu’il fonde « scientifique­ment » à partir de BUFFON ( DUCHET. 1977.218 sq.) en imaginant les concepts de race et d’espèce. Tout au sommet de la hiérarchie il y a le blanc qui est la « couleur primitive de la nature » et qui occasionnellement reparaît ailleurs, par exemple chez les albinos d’Afrique, mais « avec une si gran­de altération, qu’il ne ressemble point au blanc primi­tif… ». Le grand naturaliste explicite d’ailleurs sa pen­sée :

« la nature aussi parfaite qu’elle peut l’être a fait les hommes blancs, et la nature altérée autant qu’il est possible les rend encore blancs; mais le blanc naturel eu blanc de l’espèce, est fort différent du blanc individuel ou accidentel ».

L’espèce est une, les variations ne peuvent donc être dues qu’à des circonstances extérieures, en sorte que si l’homme devait quitter les régions et les climats qui furent les causes des changements subis, « il reprendrait, avec le temps, ses traits originaux, sa taille primitive et sa couleur naturelle ».

Le  discours occidental sur l’Autre l’enferme  dans une pseudo-tolérance qui  oscille  entre  une  réduction de l’Autre à un objet de curiosité et de savoir pour  nous c’est  l’orientalisme,  spécialité  de l’exotisme  –   et sa classification dans une taxinomie hiérarchisée dont le sommet est réservé à l’Occidental. (…)

 

(p.319) Ce besoin de justifier ses revendications de supériorité à l’aide d’arguments « scientifiques », ce besoin de se situer « naturellement » au sommet des hiérarchies hu­maines qu’il construit lui-même, ces besoins ont suscité en Occident même, et pour des raisons identiques è celles qui ont engendré ses conceptions sur le reste de l’humanité, des hiérarchies que le nazisme a exploitées, mais dont on ignore souvent qu’elles ont existé ailleurs également. Le livre de VON LITHMANN (1984), Le diable est-il allemand ?. porte le sous-titre mérité de « 200 ans de préjugés fran­co-allemands« . Il est impossible de résumer cet ouvrage: il (p.320) suffira  de  signaler  comment  des savants  de  renom,  des

intellectuels  de  réputation  internationale,    prétendent trouver des preuves irréfutables de l’infériorité alle­mande. Nous ne pouvons résister au plaisir d’énumérer certaines de ces « preuves » qu’Edgar BERILLON, inspecteur des asiles d’aliénés et éditeur de la célèbre Revue de psychologie appliquée,   croit  reconnaître:  pédantisme, absence complète d’esprit de finesse, cécité du ridicule, etc., mais surtout des traits physiologiques propres tels que le crâne carré, le regard amorphe et le bas du corps difforme tant il est ballonné (VON UTHMANN. 1984.207) . Cas « recherches scientifiques » de BERILLON, faut-il le dire, ont été publiées en 1917 dans un livre intitulé La psychologie de la race allemande d’après ses caractères objec­tifs et spécifiques. Paris, Faut-il préciser que l’ouvrage de VON UTHMANN, bien apprécié semble-t-il en France, date de 1984 et que les deux peuples ont enfin appris à se (re)connaître même ailleurs que dans les relations écono­miques?

 

(p.332) Le Général S.S. J.Stroop, exécuté par les Polo­nais après la guerre pour crime de génocide et dont MOCZARSKI (1979.76) nous a conservé les « mémoires » en quelque sorte, estimait que c’est « parce qu’il y a toujours, (…) et dans tous les pays, des groupes d’aventuriers, d’individualistes et d’imbéciles qui ne comprennent pas que la fidé­lité à un idéal, la concentration des pouvoirs, la direction unique et l’obéissance à cent pour cent sont la condition fondamentale de l’existence na­tionale. Fidélité, fidélité, fidélité – voici la qualité de l’homme véritable. ‘Meine Ehre heisst Treue ‘ , l’inscription gravée sur le poignard d’honneur et sur l’épée d’honneur S.S. est la plus noble, tant par sa portée humaine que civique ».

Ailleurs, il précise que dans la formation des membres de la S.S. « le plus important c’était encore la discipline de parti » (en italiques dans le texte). « Mon honneur s’appelle fidélité », devise qui connut en d’autres temps et chez d’autres peuples beaucoup de variantes, toutes centrées sur l’apparente nécessité sociale de resserrer constamment les liens intraethniques.

Sans aller jusqu’aux extrémités de la S.S. ou des Nazis en général, on conçoit aisément que l’adhésion totale à un système de valeurs naturellement exclusif d’autres systèmes ne puisse engendrer que de la violence envers l’Autre, même si cette violence est atténuée en désir de transformer cet Autre.

 

 

(p.356) La « banalité du mal » (H. Arendt)

 

(…) la fréquente connivence entre le bourreau et ses victimes, connivence parallèle à celle soulignée par HEGEL entre le maître et l’esclave. Le bourreau ayant inté­rêt a cultiver certaines formes d’espoir chez ses victimes et celles-ci préférant habituellement conserver des illu­sions jusqu’au dernier moment…

Enfin ceux qui devraient, de par leur profession, éclairer les autres participent aussi en tant que membres de leur communauté d’origine à l’indifférence signalée ci-dessus. Cela explique le peu de prises de position d’hommes de science et leur relative absence des lieux de combat, c’est que ceux-ci, en général, « se moquent bien de l’existence des civilisations dont ils prétendent à la compréhension » (JAULIN.1974.14) .

L’éclatement du savoir et son partage correspond à l’éclatement des responsabilités et des perceptions et constitue le soubassement nécessaire pour rendre « suppor­tables » les violences ethnocentriques.

 

 

(p.358) Le refus d’obéissance est, on l’a vu, très rare, il est en­core plus rare que ce refus soit vécu comme « un acte simple et logique ». MILGRAM (1982.111) rapporte l’exemple d’une jeune allemande qui refusa de poursuivre l’expérience parce qu’elle estimait, simplement et calmement, que celle-ci pouvait présenter un danger pour le sujet testé. Intervie­wée ensuite et connaissant la réalité de l’expérience, elle déclara « n’avoir éprouvé ni tension, ni nervosité » en s’op­posant aux injonctions de l’autorité qui insistait pour qu’elle poursuive, ce qui correspondait « d’ailleurs à la parfaite impression de maîtrise d’elle-même qu’elle (… avait) donnée à tous les instants » (MILGRAM. Loc.cit.).

Il y a tout lieu de penser que la violence qui s’exerce sur l’Autre est de même nature que celle qui peut aussi s’exercer sur le sujet lui-même. Cela se vérifie dans les faits (cf.par ex. supra p.352), mais c’est également l’explication théorique la plus plausible du parfait fonc­tionnement d’un système social fortement hiérarchisé. Un psychologue américain, N.KURDIKA, a tenté de vérifier cela expérimentalement : reprenant les expériences de MILGRAM, il élabora des tests accompagnés de punition en cas d’échec, mais de punition administrée au sujet lui-même. (…)

 

(p.365) La comparaison de la manière dont nous percevons les autres aujourd’hui et aux diverses périodes de notre histoire ainsi le sentiment envers l’Allemagne n’est plus le même aujourd’hui et en 1920! – doit être enrichie encore par les discours des autres sur nous, aux diverses périodes de l’histoire de nos relations avec eux. Mais cela ne suffit pas. Cette comparaison devra également prendre en compte la stratégie des arguments, justifications, accusa­tions et jugements portés les uns sur les autres. Ainsi, pourrait-on affirmer que, depuis la guerre de 14-18, les Allemands auraient changé, en tant qua peuple, au point que les Français puissent tenir aujourd’hui envers leurs voi­sins des propos ëlogieux et amicaux qui auraient suscité il y a soixante ans l’éviction de celui oui aurait osé les proférer en public? Les « arguments » évoqués plus haut (p.319) par de grands scientifiques français concernant la mentalité allemande n’ont-ils plus de « valeur » aujourd’hui? Dans l’affirmative pourquoi ce changement? Nous n’insistons guère sur ce point.

Ces comparaisons indispensables affectent bien entendu le statut de réalités que nous croyons intangibles. Qu’il s’agisse d’histoire, d’économie ou de droit romain, les édifices d’apparence majestueuse construits par la science et la conscience occidentale ou par les consciences nationales risquent fort de se lézarder ou de s’effondrer par ces pratiques décapantes. Il aura fallu longtemps, par exemple, pour découvrir que le monument que constitue le (p.366) droit romain ne nous apparaissait comme un droit éternel, définitif et dont la logique doit s’imposer a tous que par notre incapacité à découvrir qu’il ne représentait qu’un droit avec sa logique propre issue de sa contingence (VEYNE. 1980.33).

 

 

La responsabilité de l’école dans la perpétuation d’une attitude ou au contraire dans sa modification est écrasante.

 

 

Ceci vaut aussi, bien entendu, en ce qui concer­ne les attitudes envers l’Autre, le lecteur en aura décou­vert de nombreux exemples. C’est exact de prétendre que « l’histoire et la géographie sont deux réelles écoles de démocratie » (FAYARD.1984.2SS}, mais sans doute faudrait-il, au lieu de l’affirmer après tant de démentis antérieurs, veiller à réunir les conditions de connaissance et de sen­sibilisation sur notre propre société et sur celles des autres d a manière è ce que ces disciplines, qu’il faudrait élargir à l’ensemble des sciences humaines, suscitent réellement davantage de démocratie et de tolérance.

 

(p.374) Au delà de l’aspect « exotique » et dépaysant de ce vocabulaire, l’habitude de mal traduire les noms propres, ou tout simplement de « traduire », aboutit à susciter mépris ou amusement. Ainsi, Tatanka Iotanka devient en anglais Sitting Bull ou en français Taureau Assis, ce qui donne des connotations irréelles. Que dirions-nous, mais cela fera rire d’un rire qui souligne précisé­ment la portée de la remarque, si nous appelions Beethoven Carré de Betteraves en français? De tels usages, appris dès l’enfance, occultent le mépris qu’ils véhiculant sous cou­leur de jeu ou de folklore.

Encore  une  fois,  il  nous  faut  souligner toute l’importance du conditionnement scolaire surtout s’il n’est contrebalancé par aucune « désintoxication » dans le milieu familial ou ailleurs. On a insisté plus haut sur ce facteur de l’enseignement, notamment de l’histoire et de la géogra­phie, mais aussi sur les difficultés de disciplines grâce auxquelles également les préjugés s’inculquent! Un exemple: Pierre CHAUNU signale (dans FAYARD.1984.28) qu’on a publié tout « dernièrement encore des ouvrages arabes où ne figure pas l’Etat d’Israël, et inversement d’autres où était seul représenté le ‘grand Israël' »! Inutile de préciser les déformations que de tels enseignements provoquent parfois irrémédiablement dans la conscience des élèves, surtout si les parents ont déjà subi eux-mêmes des déformations identiques et que tout concourt, dans un pays, à l’épanouissement de semblables positions ethnocentriques.

 

(p.383) Ceci rend compte du fait que la tolérance soit fonction de divers facteurs signalés plus haut, tels que le degré d’instruction, le niveau social et de fortune, etc., mais aussi de l’harmonie profonde qui peut exister entre une échelle de valeurs et l’adhésion d’un individu à ces valeurs. Si le sujet vit réellement et authentiquement les valeurs de son groupe, l’obéissance, simple extériorisation au rapport entretenu par ce sujet avec l’échelle de valeurs de ce groupe, ne constituera pas une valeur, en tout cas pas dans le sens d’une obéissance irréfléchie et irration­nelle. La distanciation possible entre la discours collec­tif et les attitudes individuelles sera vécue positivement comme une valeur d’un ordre supérieur.

Il découle de cela que, si l’Occident s’est révélé si violemment et constamment ethnocentrique, c’est proba­blement parce que l’attitude stigmatisée a propos d’événe­ments tels que le procès Eichmann et qui consiste à accom­plir ces violences « simplement » parce qu’elles étaient ordonnées par un supérieur hiérarchique, que cette attitude de stricte obéissance est ou était fortement répandue dans nos régions. Cette particularité occidentale reflète la longue contrainte autoritaire sur nos populations et une adhésion externe uniquement a des valeurs dont se disso­cient consciemment ou inconsciemment nombre d’individus. Les révolutions  d’après-guerre ont sensiblement clarifié la situation en laissant davantage la liberté à chacun de vivre selon les valeurs auxquelles il adhère en profondeur.

 

(p.393) (5) (…) Les études sur l’ethnocentrisme se multiplient sans  qu’il  soit  toujours  possible de dis­tinguer ce qui les motive profondément: compensation morbide ou intérêt  réel…?  On signalera une intéressante enquête, ou plus exactement un manuel  d’enquête  sur  le terrain, concernant l’ethnocentrisme et dû à CAMPBELL et LEVINE {1970,366 sq. et particulièrement p.371 sq .). Cer­taines précautions y sont prises pour réduire les distorsions dues aux traductions,  notamment  par  l’usage de doubles traductions systématiques (p.372). Malheureusement  les questions  y  sont  souvent  posées  de manière directe dans l’idée que les indigènes y répondraient  avec  confiance: on sait  comment  des  enquêtes  basées sur de tels présupposés ont abouti notamment dans le domaine de la sexualité à des  réponses de complaisance de le part des  autochtones … Nous avons eu l’occasion de vérifier la fréquence des réponses de complaisance lors d’un  séjour chez les Tukuna (Haut  Solimoes.  Amazonie)  en 1977. Notre guide indien, Uriya, nous affirma que ses compatriotes ne recouraient plus guère à la médecine indigène et qu’il était bien en peine de nous rapporter quelques remèdes utilisés jadis dans sa tribu. Les seuls soins qu’ils recevaient  étaient ceux prodigues sporadiquement par des Blancs de passage ou séjournant dans les parages… Affirmation qui nous laissa rêveur sur la qualité de ces soins étant donné l’absence presque continue des services de santé brésiliens dans ces régions reculées! Six semaines plus tard, nous lui reposâmes les mêmes questions, sur base de nos carnets de notes et les réponses furent totalement différentes: s’il leur arrivait effectivement de devoir ou de vouloir recourir occasionnellement à la médecine des Blancs, ils avaient cependant conservé toute leur pharmacopée traditionnelle et c’est à celle-ci, abondante, variée et apparemment bien adaptée  è  leurs  besoins, qu’ils recouraient en cas de nécessité. L’explication de ces deux versions  successives réside, pensons-nous, dans un besoin de protéger certains pans, encore  sauvegardés, de leur culture traditionnelle contre toute nouvelle intrusion et toute nouvelle destruc­tion, même involontaire, des Blancs.  Le guide avait compris combien le mépris et la dérision peuvent détruire. . .

 

(6)   On est relativement bien documenté  sur  les  massacres des Juifs.  Il  ne  faudrait  pas sous-estimer le nombre des Juifs anéantis dans les siècles passés. Ainsi, en Belgique, l’installation des Juifs fut tardive par rapport au reste de l’Europe, soit au XIIIè siècle. Au XVè siècle déjà,  les communautés juives avaient presque disparu entièrement, du fait des persécutions.  D’autres Juifs, issus notamment d’Espagne ou du Portugal  s’installèrent dès les débuts du XVIè siècle chez nous, si bien que des statistiques sur ces populations et les massacres qu’elles subirent à diverses reprises devraient tenir compte de ces mouvements.

 

 

 

(p.394) Chap.2. La culture de l’intolérance,

 

(8) A la suite du cataclysme qui se produisit à Armero (Colombie), le quotidien belge « Le Soir », en son édition du 25 nov. 1985, rapporte qu’un curé d’une paroisse cossue de Bruxelles aurait proposé aux Autorités religieuses que la petite Omayra, cette gamine colombienne dont l’agonie fut suivie durant soixante heures par le monde entier, soit canonisée sons autre forme de procès, au motif qu’elle aurait établi « une communication totale avec les vivants comme les morts ». A l’inverse, un certain nom­bre de personnes ont été scandalisées du « spectacle » ainsi donné de la mort d’une de leurs semblables. Sans se prononcer sur l’aspect commercialisation de la mort de cette petite fille, commercialisation qui suppose en elle-même un profond mépris des valeurs humaines, il importe pour notre propos de souligner combien ce fut le spectacle qui scan­dalisa plutôt que le récit, il y aurait dans des cas de ce genre une sorte d’inversion de la fonction du langage par rapport è la réalité. C’est par exemple ce qu’écrit dans un journal de téléspectateurs un lecteur de Bruxelles: « la mort d’un enfant n’est pas un spectacle » (« Telepro ».7.12. 1985 p.70) . – II nous semble cependant que dans ces si­tuations, le spectacle n’apparaît comme odieux que parce qu’il est sous-tendu par un discours qui lui donne son sens, si bien qu’il n’y a pas en réalité inversion mais complémentarité et renforcement des pouvoirs du langage par l’image. – Il nous semble par ailleurs que tant l’attitude de ce prêtre bruxellois que celle des journalistes friands de sensationnel est motivée finalement par des raisons similaires: dans les deux cas, en effet, il s’agit de « produire » a partir d’un événement atroce, la lente agonie et ensuite la mort d’une enfant, quelque chose de « récupérable » dans un système de valeurs, que ce soit une nouvelle sainte ou une photo commercialisable. Il ne nous paraît pas certain que même cette note puisse échapper à ce genre de critique!

 

(p.396) (14)  Lorsque, parfois après fort longtemps, un criminel coupable de génocide ou de crime contre l’humanité est arrêté, il se produit encore que l’accusation se fasse sélective et « oublie », par exemple, ce que ce criminel a pu commettre comme nouveaux crimes ailleurs. L’exemple récent de Klaus Barbie illustre cette double attitude: accusé de crimes contre l’humanité pour ses activités, en France notamment, durant  le  seconde guerre mondiale, on s’étonne de ce que l’accusation ne porte absolument  pas  sur les activités de ce criminel durant son séjour en Bolivie depuis la fin de la guerre.

 

(p.396) (17)  S’il y a bien concomitance entre la conception d’un Etat centralisateur, qui règle et contrôle tout, et une incapacité fondamentale à penser l’Autre en termes diffé­rents de soi, c’est bien à l’idéalisme platonicien qu’il faut faire remonter ces tendances qui entraînèrent la ruine de nombreuses cultures et qui risquent finalement de se retourner contre l’homme occidental lui-même soit à travers des processus autodestructeurs peut-être déjà à  l’oeuvre, soit par l’intermédiaire d’autres peuples auxquels nous aurions entretemps communiqué les mêmes conceptions…

 

(p.401) /Brésil/

Il y a quelques années ceux qui partaient ainsi pour la forêt recevaient des polos gouvernementaux portant imprimé le but du projet: « Intégrer pour ne pas perdre ». Les raisons évoquées étaient la constante présence d’étran­gers dans ces coins perdus d’Amazonie et le danger que cette présence faisait courir à l’intégrité territoriale brésilienne, surtout en ces régions où les frontières n’étaient pas parfaitement tracées. Ces arguments jouent certainement, mais il n’empêche que de ce fait une ultime et sans doute définitive pression est exercée sur les Indiens survivants auxquels là nécessité d' »intégrer pour ne pas ‘les’ perdre » s’applique aussi: s’ils veulent survivre il faut donc qu’ils s’intègrent à la société brési­lienne. Ces injonctions d’intégration sont adressées autant de la part de la F.U.N.A.I. que de la part des missionnai­res ou de celle des représentants des universités, tenues souvent par des confrères des missionnaires, ce qui assure une identité fréquente des vues et des méthodes…

 

(33)  En 1977, lors  d’un séjour à Benjamin Constant, village perdu en pleine forêt  amazonienne, près des frontières du Pérou  et de la Colombie, nous avons eu l’occasion  d’appro­cher non un missionnaire protestant et sa femme, tous deux américains, mais…  leur  villa.  Les missionnaires qui disposaient d’un hydravion  personnel étaient en « vacances » aux Etats-Unis pour plusieurs mois. Nous avons pu  approcher leur villa,  superbe construction qui tranchait étrangement sur les cabanes de Benjamin Constant qui ne connaissait que trois ou quatre bâtiments en dur. Malgré nos questions, personne ne put nous mettre en relation avec des « fidèles » de ce missionnaire dont l’action nous a semblé fort vague et mystérieuse !

 

 

 

Ch. 6. Fonctions linguistiques

 

 

(34) On remarquera l' »habileté » de Colomb qui ne modifie dans cette seconde description des indigènes que ce qui est nécessaire pour justifier la réduction en esclavage: ce sont des cannibales féroces. Les qualités « commercialisables », (p.402) telles que la stature, la beauté, l’intelligence, la robustesse, sont maintenues: s’il faut trouver des justifications acceptables à la violence qu’on s’apprête à commet­tre, il ne faut pas cependant donner l’impression à d’éventuels acheteurs qu’ils pourraient faire une mauvaise affai­re!  Cette lettre de Colomb doit également être versée au dossier des relations entre aspects économiques et as­pects ethnocentriques.

 

(35)  L’expression du relativisme soulève la même difficulté théorique,  mais  inversée symétriquement, que celle de l’universalisme. En effet, aussi bien l’un que l’autre ne peu­vent s’exprimer que dans une langue, mais dans une seule langue à la fois, ce qui rend précaire, sur un plan stric­tement logique la cohérence du discours tenu. Cette ques­tion, pour être valablement traitée, impliquerait un examen détaillé de la nature des langages humains  naturels et des limites de l’axiomatisation.  Envisagée sous l’angle existentiel la même question du relativisme culturel mani­feste son pouvoir de tolérance et souligne le fait qu’une compréhension même théorique de cette question ne peut être envisagée indépendamment des faits historiques et contin­gents .

 

(36) Nous avons été édifié par le comportement d’un guide indien lors d’une promenade  dans  la  forêt  amazonienne. Ayant faim et soif, notre guide nous proposa le fruit d’un arbre qu’on venait de croiser.  J’acceptai avec reconnais­sance et Liriya, le guide indien, grimpa sur l’arbre  a quelques mètres du sol et revint avec deux ou trois fruits de la grosseur d’une noix. Epluchés, ils ne représentaient pas une bien grande quantité de nourriture. Je les avalai et Uriya me demanda si j’en désirais encore, j’acceptai à nouveau et il regrimpa dans l’arbre d’où il redescendit avec deux ou trois fruits que je mangeai. Après la troi­sième reprise, je craignis d’abuser de sa peine et préten­dis avoir mangé à ma faim et être suffisamment désaltéré par  le jus des fruits. Je lui demandai  alors pourquoi il n’avait pas rapporté suffisamment de fruits la première fois, ce qui lui aurait évidemment évité de devoir grimper deux fois supplémentaires.  Il me répondit que ne sachant pas à l’avance quand j’aurais été rassasié, il aurait pu cueillir trop de fruits qu’il aurait dû ensuite abandonner dans la forêt, ce qui aurait constitué un gaspillage. Or, nous étions en un endroit isolé où personne ne passait au point  qu’il  fallait  se  tailler son passage à la machette dans les taillis!

 

 

 

Albin-Georges Terrien, La soutane, Memory Press 2007

 

 (p.105) Tout le monde sait que le jour où un barrage vient à céder, la masse d’eau contenue cause des ravages d’autant plus importants que la retenue des flots aura été longue. 

 

Stéphane Mertens (Battice), LS 24/08/1991

 

« C’est à force de cultiver des caricatures abusives que les clivages entre les hommes se font le plus remarquer ! »

 

Daniel Sibony, Le « racisme », une haine identitaire, Bourgois éd. 1997

 

(p.9) Pour voir si vous risquez d’y basculer, oui vous, essayez ceci : voyez comment vous en voulez à quelqu’un, comment vous le « haïssez ». Si c’est pour ce qu’il a fait, observez bien si un glissement s’opère en vous entre ce qu’il fait et ce qu’il est. Vous sentirez la différence entre viser son être ou viser son méfait. Cela ne trompe pas. Si c’est l’être qui est atteint, et si vous n’en décollez pas, le test est positif : vous êtes un haineux essentiel, un haineux de l’origine, avec de gros besoins de « cadavres » pour combler le manque d’appui qu’un jour ou l’autre vous éprouvez.

Sinon, passez votre chemin, vous n’êtes concerné qu’en passant.

Entre ces deux pôles, il y a un vaste espace où vous pourriez vous questionner sur ce terrible manque d’appui qui parfois fond sur vous, en forme de vide; et sur le mode jaloux que vous avez de le gérer.

 

(p.68) A croire que si les Juifs ont montré certains dons pour faire apparaître la folie des autres, c’est d’avoir endossé quelques traces de ce que rejouent toutes les folies.

 

(p.111) Dire que la référence biologique est typique du nazisme, qu’elle est son vrai ressort, est une erreur. Outre qu’il faut expliquer pourquoi toute une société a eu cette lubie de « race » pure et a déclenché des horreurs pour y arriver.

De fait, l’obsession biologique couvre des mobiles identitaires et culturels qui ont resurgi en Europe, dans l’ex-Yougoslavie, où très peu ont invoqué le biologique ; la plupart disent simplement en pointant l’autre : ces gens, on ne peut plus vivre avec. Et les autres disent la même chose, pour les mêmes raisons. C’est le niveau où la quête identitaire est dans l’ornière narcissique, dont elle (p.112) échoue à s’extraire; agression narcissique où chacun est furieux que son identité dépende de l’autre – à ce point. Encore les deux enfants, aîné et puîné, devant le sein; plus que rivalité, découverte « horrible » du fait que la place de chacun se définit par celle de l’autre.

Or l’identité – comme processus – ne s’anime vrai­ment, ne s’inspire que des différences qu’elle intègre.

Le recours aux théories qui fondent le « racisme » sur des bases biologiques est un symptôme intéressant. Il expulse la différence dans le corps du corps, dans les cel­lules, là où on n’ira pas les chercher. Faute de trancher dans le langage du sort de Vautre et du même, du sort de l’enjeu narcissique, on fourgue ce sujet scabreux dans le réel du corps. Dans la haine aussi, le corps vient au secours des mots qui manquent, des mots « insuffisants » ; comme dans l’amour : à la cassure des mots, le corps relance d’autres mots, appelés mots d’amour, par simple amour de l’appel et du nom.

 

(p.136) Un des multiples effets « racistes » que cet homme induit, effet retors donc, fut récemment montré sur une chaîne de télévision. Le présentateur déguisé en Le Pen chantait une chanson « Casser la voix » qui travestie devenait : « Casser du Noir. » Texte violemment xénophobe, mais emballé dans un contexte qui se veut comique.

A-t-il fait rire les Noirs – qui furent la cible précise de ce texte ? J’en doute. (Le Pen – le vrai -, interviewé, a dit que ses employés noirs n’étaient pas là, mais qu’ils auraient aimé ; et la télé n’a pas pu en trouver d’autres…) En somme, l’une des deux parties – Le Pen – est venue « témoigner » et dire son contentement : c’était vraiment drôle, oui, oui… Mais l’autre n’est pas consultée (les Noirs, premiers concernés par le texte « Casser du Noir ») ; malgré la promesse du producteur, à l’antenne : « On donnera la parole à tout le monde, tous ceux qui

sont attaqués. »

 

(p.138) Si l’aspect « contenu raciste » n’est pas relevé par la justice, il y a risque de voir la méthode se répandre. Des contenus « racistes » seraient convoyés tranquillement sous pavillon « drôle ». Or ce pavillon est facile à fabriquer. Un extrait de Mein Kampf lu par un nounours sympathique ou par une colombe (l’imitation animale est plutôt positive) aurait un effet drôle qui ferait passer au second plan son contenu raciste, mais le ferait passer quand même.

Ainsi, excepté ceux qui sont la cible de la chanson, et ceux qui sont de vigilants « anti-racistes », on peut dire que pour la grande masse des fluctuants, cette émission pro­duit surtout un brouillage du sens – dans une société qui souffre un peu de la perte de sens et de ses repères symboliques. (…)

(p.139)

P. S. Il y eut jugement. Le producteur fut reconnu coupable et condamné à… un franc symbolique. Avec mille francs, lui ou d’autres pourront faire beaucoup d’émis­sions. Et pour parler franc, si là est le prix du symbolique, il ne vaut pas cher. On comprend que la Société le paie autrement, et cher.         

 

(p.148) Ce complexe s’éclaire mieux si l’on évoque l’influence de l’Église. Elle a stigmatisé ces étrangers – ces Juifs dont le seul nom maculait son origine immaculée, et dont la persistance est un entêtement diabolique à persévérer dans le mal, le mal d’une alliance caduque et le mal commis envers Dieu. L’Église a exalté la Vierge comme figure divine qui intégra dans son corps, au point de l’enfanter, la parole du père, rendant presque inutiles (p.149) versions plus symboliques ou archaïques ou paternelles de cette parole. Ce faisant, l’Église favorisa ce lien fusionnel de la mère-vierge-langue-terre polonaise avec ses enfants légitimes et chéris, qui la servent comme ils peuvent et n’ont aucun besoin que ces louches étrangers viennent rivaliser avec eux, et faire jouir cette langue-mère à leur façon; elle qui se laisse faire par eux, inconsciemment, imprudemment.

Le fait que les Polonais n’aient pas été la cause directe de l’Holocauste n’est pas très significatif. Dans la logique de l’inconscient, des effets de contiguïté valent causalité : quand dans un rêve deux éléments sont contigus, côte à côte, cela peut souvent signifier que l’un est la cause de l’autre. Il est vrai qu’ici, en fait de rêve c’est un cauchemar. En tout cas, l’antisémitisme polonais séculaire fut toute cette période contigu à l’Holocauste. Une façon de conjurer cet effet de contiguïté et son poids énorme dans cette logique de l’inconscient, une façon d’empêcher cette contiguïté d’avoir valeur de cause (ce qui serait faux : les Polonais n’ont pas été la cause de l’Holocauste), aurait pu être de prendre une mesure rationnelle et très simple : que les Polonais qui ont pris les maisons juives et les biens de plus de deux millions de Juifs en payent le montant, l’équivalent, à un fonds de Réparation. Que ne l’ont-ils fait ? Or ils ne le feront pas car (mais faut-il un car), contrairement aux Allemands, ils n’ont pas confisqué ces biens, ils en ont simplement pris possession. S’ils ne l’avaient fait, ces biens se seraient « perdus » …

Les colloques où se pensent ces problèmes n’ont pas trouvé de place pour ces aspects très matériels .              

Quant au fond, à l’antisémitisme qui en Pologne semble profond, la politique de l’Église en est le socle, ayant fait du Juif un étranger familier, une figure de l’inquiétante étrangeté, de l’Unheimlich. L’Église l’a (p.150) pointé comme objet de peur singulier, privilégié, au-delà des raisons religieuses ou en amont de celles-ci, là où la religion puise ses forces, du côté de l’origine, de la libido, de la faute, de l’angoisse à maîtriser… De sorte que même le « racisme religieux » a ici des fondements pulsionnels, liés au manque-à-être originel vécu comme insupportable. (Et cela perturbe les classements conceptuels prônés par les sciences humaines concernant les « racismes ».)

 

(p.152) Les Juifs ont souvent été perçus comme le bouc émissaire, les gêneurs, les auteurs de la faute quand faute il y a. Aujourd’hui même, des mouvements islamistes, butant sur l’existence d’Israël comme sur un mur, répliquent en posant dans leurs statuts que « tout Juif mérite d’être tué » (Mouvement Hamas). Au fil des temps, la haine antijuive s’est nourrie de Bible juive pour pointer la faute (p.153) des Juifs. . Et les haineux antijuifs n’hésitaient pas à prendre la place des prophètes ou du Dieu des Hébreux par qui le peuple Juif se faisait rappeler à l’ordre. Terrible facilité, qui se paie cher, car prendre la place de Dieu (surtout d’un Dieu personnel et sans manque), c’est assumer au quotidien un écart grotesque : être en manque et devoir dénier ce manque ; d’où un tel état de mensonge que cela rend bête ou furieux.

Forcer l’autre à être authentique, c’est-à-dire conforme à lui-même, est une violence qui se paie cher : elle vise à le couper de ses possibles altérités ; et à s’en couper soi-même, dans la foulée. Le militant, l’ethnologue, le moraliste… sont révoltés de voir l’objet de leur intérêt « trahir » son authenticité, celle qu’ils lui prêtent, qu’ils lui supposent, qu’ils lui imposent. Ils lui demandent d’être le gardien de la Différence dont ils peuvent, alors, se décharger ; ils deviennent ainsi les gardiens d’une Différence invivable.                                                       

 

(p.156) Le meurtre du Nom

 

Le projet nazi d’exterminer les Juifs, tous s’accordent à le dire innommable, même s’ils y ont collaboré. Unanimité : les camps de la mort, lieux de l’horreur indicible. Et comme les horreurs indicibles ne se comptent plus, 1′ « Holocauste » a pris place dans leur vaste musée, place respectable et reconnue, avec au plus un agacement pour qui veut la privilégier – par rapport à d’autres meurtres.

Qu’a donc d’unique ce grand Meurtre ? Il fut la quête du dernier Juif à tuer : le dernier qui fermerait la porte sur lui et la totalité des siens, livrés au feu comme un seul homme. Chaque meurtre, dans un camp de la mort, devenait un pas vers cet ultime, ce dernier qui, répondant de son nom, retirerait par sa mort toute vie à ce nom, le rendant réellement innommable. D’ordinaire, l’« innom­mable » dit que notre pouvoir de nommer est dépassé, excédé – lorsqu’on a pris ce pouvoir pour la mesure de ce qui arrive. Or avec le plan nazi, il est arrivé au monde -aux Juifs, à l’Occident, aux autres – quelque chose d’unique, qui s’en prend aux limites du dire, aux frontières entre les corps et leur nom ou leur lien. Le nom d’un groupe est-il l’ensemble de ses corps ? et déjà, le nom d’un être, a-t-il son corps pour répondant ? peut-il être égal à son corps ? Questions limites que tout un chacun peut vivre.

(p.157) C’est en cela que l’État nazi a innové : il a condamné à mort un nom comme si c’était un corps. Il a voulu qu’un nom (juif) – un bout de langage, un lien symbolique – soit mis à mort comme on le ferait d’une personne ou de quel­ques-unes (coupables ou innocentes, peu importe). Un collectif, avec langue et culture très « développée », a pris pour cible à détruire le lien d’un autre collectif, son Nom1.

Le projet nazi est à penser comme Rituel, Cérémonie hallucinée : tous les corps concentrés en un seul lieu, et la voix allemande referme sur eux leur nom unique, leur nom devenu commun, avec la porte de la chambre à gaz.

Hiroshima a péri en un clin d’œil, d’une chose longuement « mûrie », mais sans cet accent rituel ; sous le seul signe de l’efficace, discutable ou pas, dans la guerre entre deux blocs. Cela n’invoquait nulle symbolique : mater l’ennemi, en tuer le plus possible, c’est autre chose que de chercher le dernier ennemi, pour colmater de son corps la brèche faite par son nom – brèche dans l’image qu’une origine se fait d’elle-même.

Ce projet – qu’un nom fasse le plein de tous ses corps pour être tué – n’a pu se mettre en acte que par fragments ; mais l’idée totale fut présente dans chaque geste, pour mener tous ces corps au rendez-vous avec la mort, souvent au terme d’un long voyage ; rendez-vous avec leur nom dont, de leurs corps, ils devaient inscrire la mort.

1. Dans la tradition biblique, le Dieu des Juifs – innommable -s’appelle le Nom. Et selon Isaïe, il a promis à son peuple « une main et un nom » (YaD vaSHéM ; c’est aussi le nom du monument à la mémoire de l’Holocauste). L’esprit de l’Alliance avec ce Dieu est de maintenir un écart entre le nom et le corps ; leur confusion ayant valeur d’idolâtrie (incarnation du Nom).

 

(p.158) Les nazis furent obsédés par l’effacement : effacer toutes ces traces juives, ainsi que les traces de l’effacement; leur enjeu était d’ordre symbolique, à même la genèse de ces traces à détruire, et du Nom à déraciner.

(p.159) Ils ont fait signifier à mort le mot juif, ils l’ont fait s’incarner pour qu’en brûlant sa chair ce soit le nom qui signifie.

En cela ils ont innové, dans une fulgurance du temps transhistorique. Il revient à leur nation, à la pointe de l’Occident civilisé, d’avoir produit ce coup de force unique, à fleur de mots et de corps : incarner un nom, le bourrer de tous ses corps pour, en les tuant, tuer le Nom, l’arracher à l’être.               

 

(p.161) Pour être plus précis : les nazis voulaient mieux que l’effacement du Nom ; ils voulaient un Nom mort, un Nom juif exsangue. C’est qu’ils ont prévu un musée juif à Prague pour montrer plus tard les objets de culte de ce peuple disparu. Ils voulaient donc détruire la vie du nom, le Nom en tant que des corps en répondent ; en effaçant les corps dès qu’ils sont marqués par ce Nom. C’est comme tel que ce Nom fut tabou ; et que sa charge de tabou a été relancée.                                                  

 

(p.170) C’est la logique des systèmes totalitaires. « Les gens » n’y sont pas plus bêtes qu’ailleurs, ils voient bien que les (p.171) gestes de vie élémentaires, ces libertés que l’on prend avec la vie et grâce auxquelles elle est vivante, sont exclus. Alors, des individus se révoltent. Mais est-ce vraiment pour prévenir ? Tout le monde est prévenu. D’ailleurs ces révoltés ne sont ni suivis ni entendus. Parfois on les prend pour des fous. Et ils finissent par le devenir. C’est peut-être là leur raison d’être : ils sont le point d’affolement du collectif ; affolement qui prouve qu’il est encore vivant. Ils sont au point-frontière entre individu et groupe, là où la norme rend anormal et la raison rend fou. Elle « rend fous » les plus sensibles. Ils viennent craquer en ce point critique, comme des membres épuisés, des témoins éclatés, des corps sacrifiés pour que le groupe continue à croire qu’il y aura autre chose. Le système aussi a besoin de ces dissidents : ils mettent à nu sa crise mais en les traitant il peut croire qu’il la résout. Il s’active à être identique à lui-même. La folie de sa « raison », c’est la raison de leur « folie ».                                   

Parfois il les qualifie de « malades ». Ils le sont peut-être en plus. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont malades du système. Un exemple : c’était un Soviétique qui avait demandé un visa de sortie (dans les années 80, avant que les Gardiens du système ne jettent l’éponge et ne laissent la porte ouverte en allant chercher ailleurs comment reprendre du vrai pouvoir). On lui refuse le visa. Il réitère la demande, et demande en outre la raison de ce refus. Il se retrouve en psychiatrie : « Que voulez-vous, dit le psy­chiatre – sûrement honnête et canaille -, n’est-ce pas la preuve qu’il a besoin d’être soigné? qu’il est fou? Eh bien, on s’en occupe. » En effet, la masse, elle, n’a pas l’idée de quitter le pays, de demander un visa. Ceux qui s’entêtent à le demander, et à demander raison du refus, on leur refuse la raison, on les nomme fous avec raison ; raison d’État, raison du peuple qui souvent désapprouve : les résignés n’aiment pas ceux qui, par leur révolte, les rappellent à une autre raison.                                      

(p.172) (…)

Devant le système totalitaire – celui, massif, qu’il y eut « là-bas », ou celui, plus éclaté et multiforme en vigueur ici -, la vie veut se poursuivre aveuglément, et continuer ses gestes de vie en attendant… Parmi les protections qu’elle trouve : la froideur, le cynisme, l’indifférence, les grands analgésiques : l’alcool, les drogues. Par ces drogues, le peuple prend de vitesse la perversion au pouvoir.

 

(p.192) Le titillement de la scène « raciste » dit ce qu’elle a de plus pervers. Par exemple, qu’est-ce qui a pris tout récemment à l’abbé Pierre pour qu’il soutienne son ami Garaudy, qui soutient lui que les camps de la mort n’ont simplement pas existé ? Qu’est-il arrivé à cet homme charitable ? Un coup de bambou sur l’origine ? quelque chose qui sur le tard l’a ramené en arrière, vers son origine d’abbé, grandi dans une Église qui pendant 2 000 ans a nourri le mythe du « Juif perfide » ? Curieu­sement, un autre homme en vue, F. Mitterrand, sur le tard aussi, s’est mis à étaler son passé pétainiste et ses liens prolongés avec – lui aussi, « un ami » – Bousquet, tueur de Juifs. Se compromettre pour un ami donne toujours une image « positive » : l’amitié forte, instinctive, s’affirme, dérangée par la rigueur de ces Juifs – encore eux – avec leur loi insupportable et leur mémoire sans fin…

D’où la scène perverse que cela déclenche :

–  Vous êtes Juif ?

–  Oui.

–  Auschwitz, les chambres à gaz, tout ça… Vous n’en rajoutez pas un peu ?

–  Non.

–          Eh bien, prouvez-le !

(p.194) – Je n’ai pas sur moi tous les documents historiques, mais là-dessus, vous savez, il y a des bibliothèques.

–  Et j’ai une tête, moi, à aller en bibliothèque pour vos beaux yeux ?

–  Alors quoi?

–  Il faut des documents clairs, nets, faciles à consulter.

–  Justement, j’ai sur moi une vidéo de poche, je vais vous projeter là, sur ce mur, des images, des extraits de Nuit et brouillard, des déclarations d’anciens nazis, extraites de Shoah (il vérifie que la pile marche, et il pro­jette. L’autre le coupe).

–  Ça ne prouve rien, votre truc est un montage.

–  Comment ! vous avez là des nazis qui se vantent de leurs crimes !

–  Justement, ils se vantent, ils prennent leurs désirs N pour des réalités. Vous n’avez rien prouvé !

Le Juif range sa vidéo, songeur. Peut-on prouver une chose à ceux pour qui cette chose revient à reconnaître ceux qu’ils haïssent ?

Entre-temps, d’autres ont crié et protesté : « C’est prouvé ! l’incident est clos. On passe à autre chose ! »

Mais la scène peut se mettre en place à tout instant. Sa perversion ? Convoquer l’autre à sa limite pour le voir s’y effondrer ; lui demander de prouver ce qui en lui est haï, redouté, digne d’apitoiement… et de le prouver à des gens qui le haïssent et qui, devant « la preuve », se contenteront de dire « Ah bon… » et de suivre leur chemin.

Bien sûr, il est piégé : s’il renonce à prouver, à expliquer, des foules entières vont piétiner sa mémoire, par ignorance ou par feinte naïveté. En fait, il a de quoi sortir du piège : les confronter à cette épreuve, comme étant la leur, au-delà des preuves. Mais ils peuvent l’éluder. Alors, au diable !… Le pire pour lui c’est de vouloir être irréprochable pour le pervers qui le harcèle, et qui lui demande… une vraie carte d’identité, un signe, une sorte (p.195)

d’« étoile » indiscutable, qui prouve que son message est bon; le pervers se réservant d’y croire ou pas, et de mar­chander son accord : « Je veux bien vous croire mais accordez-moi, en échange, qu’Israël est un État raciste-Non? Non ? Vous voyez, vous êtes sectaire ! » Dans cette scène, les Juifs deviendraient prosélytes d’eux-mêmes. Eux qui ont renoncé à « placer » leur message ou leur Dieu… Ils seraient acculés à sans cesse se justifier, à refaire chaque fois la preuve qu’ils sont en règle. D’ailleurs l’abbé les accuse de n’être pas vraiment parfaits : leur ancêtre, Josué, il y a trois mille ans, n’a-t-il pas anéanti un petit peuple cananéen ? Pour peu qu’ils soient pris dans la culpabilité (et les Juifs y sont portés par vocation, toujours en faute envers eux-mêmes), le cercle se referme ; infernal ou vicieux.

Tous ceux qui demandent aux Juifs d’être « parfaits », leur demandent d’être morts ; et de prouver par leur mort qu’ils sont dignes de vivre ‘.

La position perverse, pour peu qu’elle soit inconsciente, devient débile. « Ah bon ? Tant de millions de gens gazés ? C’est beaucoup… non ? Et on les a comptés? … »

A tout moment, on peut lancer de pareilles « bombes » : « Prouvez-nous ça, prouvez-nous que vous êtes honnêtes… On veut seulement un vrai débat ! sans dog-

 

1 L’abbé Pierre n’y échappe pas, qui se demande si les Juifs sont vraiment à la hauteur de leur message ; message devenu chrétien, comme on sait, et défiant les chrétiens, notamment l’abbé, d’être eux aussi à la hauteur… Il reproche aux Juifs d’avoir, toujours au temps de Josué, conquis la terre de Canaan, la « terre promise » ; ils auraient dû attendre que le Dieu biblique la leur donnât clés en main, dûment vidée de ses habitants. Là, ils n’ont certes pas été parfaits. Peut-être même ont-ils donné l’exemple aux chrétiens ou aux musulmans, pour qu’ils à se lancent dans les guerres de conquête qui ont façonné notre monde? Et l’abbé d’évoquer l’Holocauste : s’il n’y avait eu que 500 victimes, dit-il, ce serait déjà scandaleux… Donc c’est scandaleux, quel que soit le nombre; allez, n’en parlons plus ; ailleurs aussi le nombre des victimes, etc.

 

(p.196) matisme ! » Certains veulent avoir à tout moment le droit de dire leur agrément ou leur refus sur les Camps de la mort ; et qu’en face on se mette à les supplier : « Mais enfin… Accordez-nous Auschwitz ! … »

Curieusement, ces thèses négationnistes s’abritent derrière « la Cause arabe », en tant qu’anti-israélienne. Elles prétendent épouser cette Cause. À elle de les répudier, sauf à vouloir faire le joint entre deux intégrismes, l’occidental et l’oriental – avec pour cible leur commune origine, la juive.

Cela dit, ces titillements pervers ont leur aspect positif : à travers eux, une transmission de mémoire s’opère. Elle révèle qu’il y a ceux qui mentent sur les camps de la mort, les négationnistes, et ceux qui veulent accaparer la vérité concernant cet événement. Eux aussi sont mis à mal. Car le fantasme existe d’accaparer six millions de morts, de parler en leur nom, et de clouer le bec à ceux qui pensent différemment ; leur asséner sa volonté, signée de ce chiffre. Du reste, par quel miracle y aurait-il unité de pensée autour d’un tel monceau de morts ? Même dans les familles, autour d’un seul mort comme le père, les héritiers souvent se déchirent. Pourquoi pas les héritiers de cette Mémoire-là ? Cela peut produire des effets de vie. De même, on s’indigne que des gens de « gauche » se révèlent négationnistes. En quoi diable être de « gauche » empêcherait-il d’être pervers ? Les États d’extrême gauche en auraient-ils donné l’exemple ? De même, un abbé, expert en charité, cautionne des thèses perverses ; on s’en indigne comme d’une chose incroyable. En quoi la charité serait-elle une garantie ? La charité peut n’être que l’amour des hommes à qui l’on tend l’assiette; des hommes que l’on a sous sa coupe ; c’est alors l’amour du geste de les nourrir; l’amour de soi… les nourrissant. Les médias peuvent 1′ « interpréter » en faisant de vous une star du Bien. Mais cela n’exclut pas que vous puissiez (p.197) trouver en vous des abîmes de haine pour ceux qui ne sont pas sous votre coupe, qui échappent à vos discours, qui, contrarient vos idéaux.

Des intellectuels, s’indignent devant ces « scandales ». Ils se demandent s’ils n’ont pas fait d’erreurs, reconnaissent en avoir fait… comme si les pensées disponibles dépendaient d’eux. C’est leur fantasme médiatique naïf et tenace : mieux contrôler ce que les gens pensent, s’y prendre mieux la prochaine fois… Ils s’étonnent d’être dépassés. Et ils découvrent cette évidence : aujourd’hui, un antisémite intelligent n’a qu’à défendre les Juifs sur un mode intempestif, inopportun. Par exemple, des gens seraient en pleine difficulté, ou en plein deuil, et il viendrait leur dire que ça n’est rien à côté de ce que furent les Camps. Bref, il assénerait la sympathie pour les Juifs.

 

Paul Vaute, Le livre noir de la modernité, LB 08/01/2001

 

Pour le professeur Joël Kotek (ULB), coauteur du « Siècle des camps »*, ceux-ci sont étroitement liés à l’exigence d’homogénéité des Etats nationaux.

« Tant qu’on n’est pas dans le cadre d’un Etat national avec l’idée d’homogénéité, la question ne se pose pas. Il peut y avoir des heurts ou des pogroms mais pas de génocides. A partir du moment où il ‘faut’ une nation sur base d’une langue avec une structure politique, tout ce qui est hétérogène pose problème. »

 

* Joël Kotek et Pierre Rigoulot, « Le siècle des camps. Détention, concentration, extermination. Cent ans de mal radical. », JC Lattès, 809 p. (29,50 euros)

 

(anti-k.org)

génocide des Bamilékés au Cameroun

 

1 Le racisme francophone : analyses

http://quintaldo.wordpress.com/2008/03/04/lumieres-et-totalitarisme/

 

« Cet esprit dit « des Lumières » exerce aujourd’hui et depuis cette époque une influence déterminante au moins en occident et se veut universel. Or c’est bien au nom de cet esprit que des hommes ont commis les pires atrocités. Pourquoi ?

 

1 Philosophie des Lumières et dignité de l’homme

 

Contrairement à l’historiquement correct, il semble que les philosophes des Lumières ne croient pas en l’existence d’une nature humaine. Dénué de tout caractère spirituel, l’homme n’est que pure matière, totalement déterminé par les corps extérieurs.

 

Ainsi, selon le baron d’Holbach, l’homme « est dans chaque instant de sa vie un instrument passif entre les mains de la nécessité ». (1)

 

Pour l’ensemble des philosophes, l’homme n’est qu’une « machine », une « horloge », un « clavecin sensible et animé » (2), subissant les mouvements imposés de l’extérieur.

 

L’homme étant déterminé, il s’ensuit que le libre arbitre n’existe pas. Ainsi dit Spinoza, les hommes « se trompent en ce qu’ils pensent être libres ; et cette opinion consiste uniquement pour eux à être conscient de leurs actions, et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés » (3).

 

« La liberté, telle que plusieurs scolastiques l’entendent, écrit Voltaire, est en effet une chimère absolue » (4).

 

 Les rares êtres éclairés, c’est à dire les philosophes, se voient chargés d’établir les meilleures règles sociales et politiques pour l’ensemble du genre humain, qui lui, doit rester dans l’ignorance.

 

« Le vulgaire ne mérite pas qu’on songe à s’éclairer » écrit Voltaire (5). « La vérité, dit-il encore, n’est pas faite pour tout le monde. Le gros du genre humain en est indigne » (6).

 

Les historiens se montrent d’une étonnante discrétion quant à l’immense mépris des classes populaires exprimé par certaines figures du XVIIème siècle : dans ses « Vues patriotiques sur l’éducation du peuple », Philipon de la Madeleine, autre philosophe, exprime le voeu que l’usage de l’écriture soit interdit aux enfants du peuple… (19) Le peuple des Lumières, le peuple idéal, c’est le peuple sans le peuple.

 

Plus encore, la diversité des individus que les philosophes et les naturalistes observent les conduit à douter de l’unité du genre humain. « Il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les blancs, les nègres, les albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Américains ne soient des races entièrement différentes », écrit Voltaire (7).

 

Racisme et antisémitisme abondent dans la prose de nos philosophes éclairés. « Comment se peut-il, écrit Voltaire, qu’Adam qui était roux et qui avait des cheveux, soit le père des nègres qui sont noirs comme de l’encre et qui ont de la laine noire sur la tête ?  » (8). Voltaire poursuit : « Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence mettent entre eux et les autres espèces d’hommes des différences prodigieuses.  » (7)

 

Les juifs ne sont pas mieux lotis, toujours chez Voltaire : « Vous ne trouverez en eux qu’un peuple ignorant, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent ». (7)

 

L’abbé Grégoire, illustre révolutionnaire, dresse lui aussi en portrait peu flatteur du peuple juif : « La plupart des physionomies juives sont rarement ornées des coloris de la santé et des traits de la beauté (…). Ils ont le visage blafard, le nez crochu, les yeux enfoncés, le menton proéminent ; Ils sont cacochymes, et très sujets aux maladies, et exhalent constamment une mauvaise odeur ». (9) Pour Léon Poliakov, le rationalisme scientifique des Lumières constitue une des sources du racisme nazi (20).

 

En tout état de cause, cette détermination de l’homme se fait toujours, au plus profond de lui-même, à son insu. Nos pensées, écrit le baron d’Holbach, « se sont à notre insu et malgré nous, arrangées dans notre cerveau, lequel n’est que l’esclave de causes qui malgré lui et à son insu agissent continuellement sur lui. » (1)

 

L’homme n’étant que pure matière, une machine que l’on peut régler, sans que son consentement intervienne, l’intention des « Lumières », réalisée par la révolution de 1789, est de former des citoyens nouveaux qu’il s’agit d’éduquer conformément aux souhaits des philosophes ; Pour G. Gusdorf (10), «  ce remodelage procédant du dehors au dedans suscitera l’homme nouveau selon les voies et les moyens d’une pédagogie totalitaire, dont on retrouve les linéaments dans les traités de Condorcet, d’Holbach, et dans l’oeuvre réformatrice des législateurs révolutionnaires ».

 

Il s’agit donc bien pour l’état de régénérer l’homme, et partant, la société, en formant en série des citoyens coulés dans le même moule.

 

 

2 La réalisation politique de cette philosophie sous la Révolution

 

Pour régénérer l’homme, il convient donc d’agir sur la société, et tout spécialement sur l’organisation politique. La République, investie d’une mission éducative, exclura de son sein les réfractaires à l’ordre nouveau. La République a pour but de changer l’homme. C’est le but avoué des révolutionnaires : « Le peuple Français, écrit Fouché, ne veut pas plus d’une demi-instruction que d’une demi-liberté ; il veut être régénéré tout entier, comme un nouvel être sorti des mains de la nature ». (11)

 

Le conventionnel Rabaut Saint-Etienne est tout aussi explicite : « Il faut faire des Français un peuple nouveau, lui donner des moeurs en harmonie avec ses lois ». (12)

 

Il faut comprendre ici que pour ces hommes, imprégnés de l’esprit des Lumières, l’état n’a plus pour but d’assurer le bien commun, mais d’éduquer les Français à la République !

 

Ainsi crée-t-on en 1794 l’Ecole Normale qui, comme son nom l’indique, est destinée à dicter la norme. Selon les propres termes des créateurs de cette école, son but est de former « un très grand nombre d’instituteurs capables d’être les exécuteurs d’un plan qui a pour but de régénérer l’entendement humain dans une république de 25 millions d’hommes que la démocratie rend tous égaux. » (13) Restructurer l’intelligence à des fins exprimées d’uniformisation et de conditionnement ?

 

De multiples fêtes laïques sont ainsi crées pour déshabituer les Français aux fêtes religieuses. La culture devient aussi l’enjeu de la conquête de l’esprit public : un arrêté du Directoire précise ainsi que « tous les directeurs et propriétaires de spectacles seront tenus sous leur responsabilité individuelle de faire jouer chaque jour, par leur orchestre, avant la levée de la toile et dans l’intervalle entre deux pièces, les airs chéris des républicains ou quelque autre chant patriotique. » (13)

 

Or cette « éducation » républicaine n’est pas facultative ; Elle doit pénétrer jusqu’au plus profond de l’être. Aucune intériorité individuelle ne doit résister à l’empreinte des idées nouvelles, comme le dit JJ Rousseau : « S’il est bon de savoir employer les hommes tels qu’ils sont, il vaut mieux encore les rendre tels qu’on a besoin qu’ils soient, l’autorité la plus absolue est celle qui pénètre jusqu’à l’intérieur de l’homme, et ne s’exerce pas moins sur la volonté que sur les actions. » (14)

 

Plus encore, afin de ne pas gêner cette endoctrinement citoyen la famille doit être écartée ; L’abbé Grégoire expose ainsi à la veille de la révolution, que « les enfants si l’on sait les soustraire à l’éducation parentale recueilleront, même sans le vouloir, des idées saines qui seront le contrepoison des absurdités dont on voudrait les repaître au sein de leur famille. » (15)

 

 

3 Tous égaux ?

 

Si la république peut façonner à sa guise les jeunes générations, que faire des adultes marqués par les habitudes de l’ancien régime, c’est-à-dire corrompus ? Rabaut Saint Etienne à la solution : « Nous ferons de la France un cimetière plutôt que de ne pas la régénérer à notre manière. » (15) Seuls les véritables républicains ont droit à la protection des lois et bénéficie des droits de l’homme et du citoyen.

 

Les Vendéens, cet « ennemi intérieur » dont le caractère populaire de la révolte mettait à mal la légitimité « populaire » du nouveau régime est une bonne illustration de cette distinction. L’animalisation du Vendéen, sa déshumanisation, (« race abominable », « monstres fanatiques affamés de sang », « tigres affamés du sang des Français », « horde d’esclaves », etc..) vise à faire perdre à ces hommes refusant la citoyenneté républicaine, leur dignité d’hommes, et partant légitime leur éradication. Ce qui fut fait et bien fait. (cf un de mes posts précédents).

 

« Le gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple que la mort » dit Robespierre. (16) Cette phrase est symptomatique : les ennemis du peuple, c’est à dire de la révolution, ne sont pas des citoyens (Guevara, Kieu Sanpan, Pol Pot, Mao, Lénine ou Trotski auraient pu prononcer cette phrase, mot pour mot).

 

Ou l’on comprend que la qualité de citoyen ne découle plus de l’appartenance à une cité, mais de l’acceptation des principes philosophiques et moraux défendus par la République ; La république est par conséquent religieuse car elle veut conquérir l’intériorité humaine, par l’intermédiaire de fêtes païennes imposées aux Français, de l’enseignement public obligatoire,  et de la pratique des institutions républicaines qui créeront des habitudes de vie façonnant l’être nouveau (ce constat n’est-il pas toujours d’actualité ?).

 

« Si donc lors du contrat social il s’y trouve des opposants, leur opposition n’invalide pas le contrat, elle empêche seulement qu’ils y soient compris ; ce sont des étrangers parmi les citoyens. » dit JJ Rousseau (17).

 

Le régime démocratique, tels que l’entendent les républicains n’a plus rien de commun avec l’acception classique c’est à dire antique ou chrétienne. Il s’agit d’un système coercitif destiné à façonner l’homme nouveau, contre son gré si nécessaire (et pour son bien, à son insu).

 

 

4 Alors ?

 

Le contrôle de l’activité et de la pensée des hommes, la coercition physique et psychique, le mythe de l' »homme nouveau » et de la « régénération » de la société, l’endoctrinement systématique et à grande échelle, la destruction des structures sociales existantes, la négation de l’homme en tant qu’individu, la valorisation des masses ou du groupe, l’animalisation de l’ennemi, le meurtre de masse sont les

caractéristiques habituelles d’un régime totalitaire.

Force est de reconnaître qu’ils sont constitutifs, consubstantiels, non seulement d’une partie de la geste révolutionnaire (et non pas seulement d’un certain Jacobinisme), mais aussi de la pensée d’un grand nombre de ces « philosophes des Lumières » et donc de l’esprit des Lumières.

 

Est-ce à dire que la philosophie des Lumières se réduit à cette « tentation totalitaire » ? Non, bien sûr, c’était un parti pris de ma part d’explorer ce coté obscur de cette période de notre histoire révolutionnaire. Parce qu’il existe et qu’il est systématiquement occulté pour ne pas faire d’ombre à la légende dorée des manuels

d’histoire…

 

« Les idées et les valeurs des Lumières interviennent comme référence permanente dans les conflits idéologiques et politiques de la période révolutionnaire. Mais sur les chemins, combien sinueux, de la révolution s’opère aussi leur transmutation : le cosmopolitisme se transmue en nationalisme conquérant, le pacifisme en militarisme, la tolérance en fanatisme, la liberté en Terreur. Les idées héritées, la révolution les soumet à ses propres contraintes, les amalgame avec ses propres mythes, les moule sur ses propres formes. » (18)

 

 

(1) Nature humaine et Révolution Française, Xavier Martin, Editions DMM, p. 16.

(2) idem, p. 17

(3) idem, p. 18

(4) Correspondance, tome 1, p. 251.

(5) Correspondance, tome 3, p. 710.

(6) Correspondance tome 7, P. 877.

(7) Essai sur les moeurs éd. 1878, p. 5, cité par Jean de Viguerie dans un article intitulé « Les lumières et les peuples »; Revue historique, juillet-septembre 1993.

(8) Dictionnaire philosophique, article Adam, cité par Jean de Viguerie, op. cit.

(9) Cité par Jean de Viguerie, dans « Essai sur la régénération physique morale et politique des juifs », op. cit.

(10) G Gusdorf, « L’homme romantique », Les sciences humaines et la pensée occidentale , tome 11, p.27, 1984 Paris.

(11) Réflexions sur l’instruction publique » mai 1793, cité par X Martin, p. 117.

(12) Archives parlementaires, 1/55/346/2 cité par X Martin, p112.

(13) Arrêtés des 18 et 27 nivôse an IV, cité par X Martin.

(14) Discours sur l’économie politique, ¼uvres complètes, tome 3, p. 251.

(15) Archives parlementaires, 1/55/346/2, cité par X Martin, p.110-111.

(16) Discours de Robespierre du 25 décembre 1793.

(17) Contrat social, livre 4, chapitre 2, p. 440, Pléiade, tome 11

(18) Bronislaw Brackzo, chapitre « Lumières », dictionnaire critique de la

révolution Française. Furet Ozouf, Flammarion, p. 290.

(19) cité par J Sévillia dans « Historiquement correct », Perrin, p. 162.

(20) Le mythe aryen, Complexe, 1987.

 

Philippe Forest, 50 mots clés de la culture générale contemporaine, éd. Marabout, 1991

 

Racisme

(p.264) Sans crainte de se discréditer, le philosophe fran­çais Ernest Renan pouvait ainsi écrire, en 1876, dans sa « Préface aux dialogues et fragments philosophiques » : « La meilleure base de la bonté, c’est l’admission d’un ordre providentiel, où tout a sa place et son rang, son utilité, sa nécessité même. Les hommes ne sont pas égaux, les races ne sont pas égales. Le nègre, par exem­ple, est fait pour servir aux grandes choses voulues et conçues par le Blanc. »

 

‘ Combien de temps faudra-t-il à ces enfants pour enlever les immondices nazis de leur tête ?’ (V.Kl.), in : Viktor Klemperer, Arte 15/11/2004 – 23.55

 

Viktor Klemperer  s’exprimait ainsi à l’égard des enfants drillés par le nazisme pendant la seconde guerre mondiale.

Idem pour les enfants du sud de la Belgique, drillés par la propagande impérialiste francophone:

  communauté « française », « frontière » linguistique;

– français : son « universalité », la « francophonie », la « francité », face aux « patois » wallon(s) et luxembourgeois;

– l’Autre, c’est le « Flamand », qui parle « flamand », et qui applique le « droit du sol »; etc. 

 

Rire A2 / 22.25 – Les gaités (sic) de la francophonie, Télépro, 27/02/1992

 

“Pourquoi les Français se moquent-ils des Belges ou des Suisses, des Africains, des Arabes, des Juifs?”

 

Stéphany Pierre, in : LB 02/12/1989

 

… tant de Français penchés sur leur nombril au point de tomber dedans, …

 

 

Verboden toegang, de Volkskrant, 09/04/1990

 

“Een zwaar gehandicapte man is in Frankrijk naar de rechtbank gestapt omdat hij in een restaurant niet binnen mocht, omdat de eigenaar vond dat zijn aanwezigheid de klanten zou hinderen.”

 

Gollnisch suspendu de cours, LB 28/10/2004

 

Les cours de Bruno Gollnisch, délégué général du Front National, ont été suspendus pour 30 jours à l’Université Jean-Moulin Lyon III.

Celui-ci avait estimé que « les historiens (avaient) le droit de discuter librement du drame concentrationnaire ».

 

J.M.M.F. , ¿Sufrieron los negros comos los judíos?, El País, 26/02/2005

 

El cómico francés Dieudonné : las recientes commemoraciones del Holocausto = « pornografía de la memoria »

 

Philippe Paquet, Indécence française, LB 24/08/1980

 

« Si on estime, comme Jean-Pierre Chevènement, pouvoir louer l’habileté politique de Saddam Hussein, rien n’empêche, selon le même raisonnement, de nourrir de l’admiration pour Adolf Hitler, dont les prouesses militaires étaient, du reste, autrement impressionnantes. »

 

 

2 Le français, outil de propagation du racisme 

Johan Viroux, Galilée contre Rivarol, LB 31/05/1991

 

L’’Universalité de la langue française’, de Rivarol, en réédition, me fait songer à “Mein Kampf”, écrit par Hitler.  Le premier met en exergue les mérites ‘indiscutables’ du français, tandis que le deuxième loue la race aryenne. Il a fallu une guerre mondiale et l’extermination juive pour mettre en doute le bien-fondé du racisme nationaliste d’avant-guerre en Europe.

De même qu’on n’a jamais pu démontrer scientifiquement le mythe de la suprématie raciale, personne n’est encore parvenu à prouver la supériorité intrinsèque d’une langue sur une autre et notamment la formule “ Ce qui n’est pas clair n’est pas français ”. L’histoire l’a enseigné, une pareille maladie de l’esprit ne peut engendrer que l’intolérance, maintenue par une élite unilingue seulement préoccupée de son propre prestige.

Pour que le monde francophone, forcément sous l’influence exclusive de la France, s’ouvre enfin au multilinguisme, faudra-t-il attendre un nouveau Galilée prêt à dénoncer les aberrations et les dangers d’un discours suranné tel que celui de Rivarol et de ses adeptes ?

Ce me semble la seule solution.

 

Frans Van Rompay, Quand Druon militarise le français, LS, 11/10/1994

 

« Au cours d’une émission télévisée, en mars 1993, Mme Rey-Debove, du dictionnaire Robert, déclarait que ses compatriotes ont toujours eu des rapports quasi ‘hystériques’ avec leur langue. 

Peut-on en douter quand l’ histoire de la langue foisonne d’ exemples: les réfections savantes sur le latin classique, au XVIe siècle; la naissance du pouvoir discrétionnaire de l’Académie française, au XVIIe siècle; …; un gouvernement républicain et démocratique qui joue les lexicographes dictatoriaux, au XXe siècle; la sacralisation d’ une orthographe obsolète et élitiste, emblème d’ un prestige creux et garante de la pérennité des carcans linguistiques au XXIe siècle et au-delà; la conviction profonde que toutes les langues doivent allégeance à la langue française, quel que soit le siècle envisagé … »

 

« La langue française doit-elle vraiment être la seule langue sous tutelle au monde ? »

 

« Croire que le français est la plus belle au monde, c’est faire preuve de chauvinisme (de bon aloi, parce que inévitablen: on ne peut trouver beau que ce que l’ on ne connaît pas); s’ enorgueillir de l’ influence que cette langue exerce sur les autres langues, mais estimer par ailleurs qu’ elle ne peut s’ abaisser à subir la leur, c’ est faire preuve d’ arrogance et étalage de sa supériorité. »

 

Dans ‘Figaro Magazine’ du 26 juin dernier, M. Maurice Druon, secrétaire permanent de l’Académie française, faisait parâtre un article surprenant.  Il y emprunte, de son propre aveu, la terminologie militaire pour traiter de la situation de la langue française.  Vraisemblablement, M. Druon considère la langue française comme un instrument de guerre au service de la puissance politique, économique … de la France : « Elle (la France) ne restera à la hauteur de l’histoire que si elle continue de disposer d’ une dissuasion nucléaire planétaire suffisante, c’ est-à-dire sans cesse au point; et que si sa langue demeure une langue universelle. »  

 

« Dans un tel contexte, les conjectures et les extrapolations menacent.  Par ses prises de position, M. Druon, le théoricien, a pris le risque d’accréditer certains arguments avancés par des analystes qui tentent de voir clair dans les motivations profondes de la pernicieuse politique française au Rwanda. Il se trouve soudainement et malgré lui en prise directe sur la réalité tragique du jour. Une théorie, fût-elle d’Académie, peut, lorsqu’ elle tombe entre des mains irresponsables, conduire aux pires excès sur le terrain.  C’est ainsi que Mme Colette Braeckman (‘Le Soir’ du 25.6.94) se refuse à l’idée que la défense de la francophonie contre les Tutsis anglicisés en Ouganda puisse coïncider avec la protection d’ un régime digne des nazis. » 

 

Richelieu

A.B., De taal als politiek instrument, in: De Federalist, juli 1991

 

(p.3) « In zijn tractaat « Evolution et structure de la langue française » schrijft Walter von Wartburg, professor aan de universiteit van Basel: « Ce n’ est pas pour rien que l’Académie a eu pour fondateur Richelieu.  Dès les premières délibérations, elle postule la suprématie de la langue française sur ses voisines … »

 

Alain Ruscio, Le credo de l’homme blanc, éd. Complexe, 2002

 

(p.101) La langue française, tout d’abord. Elle est explicitement conçue comme un instrument de conquête des âmes. « Le moyen le plus efficace pour un peuple européen de com­mencer la conquête morale d’une race étrangère est de lui enseigner sa langue (…). Nous ne serons absolument maîtres de l’Algérie que lorsqu’elle parlera français », affirme par exemple un Inspecteur général de l’Instruction publique en 1890, M. Foncin. À la même époque, l’archevêque de Hanoi, Mgr Puginier, considère l’extinction rapide des caractères chi­nois, leur remplacement par l’écriture romanisée (le Quoc Ngu), puis par le français, comme « un moyen très politique, très pratique et très efficace pour fonder au Tonkin une petite France de l’Extrême-Orient » (1887). La plupart du temps, l’arabe, le vietnamien, le créole… sont donc de fait interdits de séjour au sein de l’École. Un peu comme le furent, un siècle plus tôt, le breton et l’occitan…

Mais également un enseignement axé sur l’hexagone. L’étude des manuels scolaires en usage aux colonies montre que, le plus souvent, les références historiques, géogra­phiques, littéraires et culturelles utilisées étaient métropoli­taines. « Nos ancêtres les Gaulois » : l’image célèbre des jeunes Noirs annonçant cette phrase, si elle est facile et réduc­trice, illustre une partie, au moins, de la réalité. L’élève « indigène », pour peu qu’il soit brillant, était capable de connaître les fleuves et montagnes de France, pas ceux de son pays, de réciter Jean de la Fontaine, mais d’ignorer Ibn Khaldoun ou Nguyen Trai…

 

Un « sommet » … de la francophonie, LB 15/07/1987

 

« Pour la France, il va sans dire que l’hégémonisme canadien confine pour ainsi dire à la violation du domicile …  A-t-on idée de se servir de l’enseigne de la francophonie pour planter des jalons économiques dans un espace acquis à la France ? »

Seuls les naïfs pourront s’étonner : le bilinguisme est dangereux en Alsace-Moselle, en Flandre, en Bretagne, au Pays basque, en Catalogne, en Corse et en Occitanie, car il peut traumatiser l’enfant, mais lorsqu’il s’agit de sauvegarder l’usage du français, langue locale en Louisiane, en vallée d’Aoste, etc., on lui trouvera tous les mérites.  C’est là le cartésianisme du 20e siècle français.

 

Sabine Verhest, La roue tourne, LB 28/04/2004

 

« Si l‘on veut préserver sa langue, il ne faut pas être borné, comme le sont les Français, il ne faut pas s’opposer aux autres langues », pense Marjan Svetlicic (Slovène). « Si le slovène a survécu, c’est parce qu’il a toujours été ouvert. Regardez Preseren, il écrivait aussi en allemand. Si vous êtes polyglotte, vous pouvez vous faire connaître hors de vos frontières, et donc faire connaître votre pays et sa langue. »

 

André Hella, Pas clair, et pourtant très français …, VA 08/01/1992  

Il nous est difficile de parler de langue en toute impartialité, car elle est si intimement liée à notre personnalité et à notre vie même que nous lui accordons d’instinct la préférence sur toute autre. Ainsi, la qualité par laquelle paraît s’imposer la nôtre est la clarté. Mais n’est-ce point là un préjugé délibérément entretenu depuis plus de trois siècles par notre chauvinisme culturel ? Nous sommes tous plus ou moins enclins en effet à associer la langue française à la philosophie de Descartes, qui ne croyait qu’aux  » idées claires et distinctes « , ainsi qu’aux réformes de Malherbe et de Vaugelas, qui s’appliquèrent à donner  » des règles certaines à notre langue, à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ». A la suite de ce grand « réglage », notre langue a été aux jardins de Versailles, où le compas et le niveau ont tout disposé, tout ordonné. Et de nos jours encore, on se complaît à citer l’aphorisme que Rivarol énonça en 1784, lors de son discours devant l’Académie de Berlin: « Ce qui n’est pas clair n’est pas français ». A vrai dire, les Anglais, les Russes ou les Polonais n’ont-ils pas le sentiment, eux aussi, de parler la langue la plus claire et la plus logique du monde, ne fût-ce tout bonnement que parce que c’est celle qu’ils maîtrisent le mieux ? (…) Il n’est pas du tout patent que le français compte moins d’anomalies et d’incohérences que les autres langues, et il n’est pas du tout difficile d’opposer à Rivarol maints tours et expressions qui ne sont pas du tout clairs, et qui pourtant sont très français. L’emploi de l’adjectif qualificatif en fonction d’autant plus souvent source d’équivoques que, pour aller au plus pressé, le français contemporain tend, avec excès, à rem un adjectif le nom d’une préposition : la maladie paternelle, les prix agricoles, la prévention routière, la promotion ouvrière, les spécialistes diplomatiques, des assurés sociaux, des blessés crâniens, etc. Cette construction est d’autant plus aisément utilisée qu’en français l’épithète peut se tourner soit vers le sujet, soit vers l’objet, en somme s’appliquer aussi bien à l’agent de l’action qu’à celui qui la subit. On dit ‘un récit palpitant’, alots que seul celui qui l’écoute ou le lit est à même de palpiter… On parle volontiers depuis Molière de malades imaginaires, alors qu’il est bien clair que les malades imaginent et qu’ils ne sont en rien imaginés. Peu avant la dernière guerre, parut un roman d’Anatole de Monzie dont le titre tout au moins acquit la célébrité :  » Les veuves abusives  » Par cette expression qui a fini par entrer dans l’usage, l’auteur désignait les femmes qui, de manière trop insistante et trop ostentatoire, tendent à faire reporter sur leur personne les honneurs dus à la mémoire de leur défunt mari. Mais une veuve abusive peut être aussi une femme trop souvent veuve, une femme qui fait une trop abondante consommation de maris… Il faut reconnaître que, dans les groupes ainsi formés, il en est bien d’autres qui prêtent à sourire : des blessés graves, des accidentés légers, une place assise, la brigade criminelle (serait-elle composée d’assassins ?), des soudeurs autogènes (c’ est la soudure qui est autogène, et non le soudeur, qui ne s’est pas fait lui-même, si qualifé soit-il !). Pour nous conformer aux pseudo-règles de la  » concordance des temps « , nous remplaçons presque automatiquement le futur par le conditionnel et le présent par l’imparfait, ce qui risque souvent de déboucher sur des formes qui heurtent le bon sens. Ainsi on dira :  » Pierre m’a fait savoir qu’il était d’accord  » – comme si maintenant il n’était plus d’accord ! ou  » Je lui ai prouvé que j’étais honnête « – comme si j’avais cessé depuis lors d’être honnête ! De même on sera porté à dire :  » Plusieurs religions ont enseigné que les bons seraient récompensés », alors qu’on a affaire ici à un futur par rapport à un présent, non à un passé, et que seront récompensés est la forme qui s’impose dès lors en toute logique.   « Ce qui fait acheter les femmes »   Les construction ambiguës ne sont pas du tout rares en français. Il a vu tuer son voisin : le voisin a-t-il tué ou a-t-il été tué ? Vends fauteuils pour infirmes en bon état : pour le lecteur de cette annonce, sont-ce les fauteuils ou les infirmes qui sont « en bon état » ? Il a entendu gronder son frère sans protester : le frère grondait-il ou était-il grondé ? Dans ses « Procès de langage »’, André Thérive a relevé maints exemples d’équivoque dans la langue la plus courante. J’en retiendrai deux, qui ont en commun d’avoir servi de titre. Le premier à un fait divers : Quatre jeunes gens sous la menace d’un revolver s’emparent du tiroir-caisse. Qui était sous la menace d’un revolver ? Le second à un article de magazine : Ce qui fait acheter les femme, formule bizarre qui signifiait en toute innocence :  » Ce qui pousse les femmes à acheter « . Les étrangers qui étudient notre langue sont souvent déroutés. Ainsi, pourquoi, lorsqu’un automobiliste en percute un second, celui-ci devient-il un tiers ? Si l’on va au théâtre l’après-midi, pourquoi est-ce en matinée ? Pourquoi dit-on :  » Je vous verrai dans huit jours  » alors qu’en réalité on en compte sept ? Et comment expliquer raisonnablement à quelqu’un qu’il est votre hôte quand il vous reçoit et qu’il le restera quand vous le recevrez ?  

 

J. Leleux, De l’orthographe et de son enseignement (1), p.5-14, Revue de la direction générale de l’organisation des études, n° 8-10, 1983, p.6-7

 

Une dernière raison d’apprendre l’orthographe est d’ordre psycho-social.

On sait que chargé par l’Académie française, en 1673, d’élaborer une réflexion sur la transcription, l’historien Eudes de Mézeray, assura dans la première version de son « Cahier de remarques sur l’orthographe française » qu’il convenait de choisir l’orthographe ancienne (donc la plus compliquée, J.L.) parce qu’elle distingue les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes. Les Académiciens ne repoussèrent pas cette idée. Ainsi née sur la base d’une distinction sociale, l’orthographe française a continué de dénoncer les illettrés. Une « faute » déshonore le scripteur ; à l’inverse, la maîtrise de l’orthographe est un signe d’instruction, la preuve de l’appartenance à l’élite culturelle. Autrement dit, celui qui ne respecte pas les graphies passe pour être un ignorant. Etiquette dangereuse, car de là à incapable ou imbécile, il n’y a pas loin pour beaucoup (plus aptes à juger sur la forme que sur le fond, beaucoup plus difficile à apprécier). Orthographier correctement est donc une nécessité pour donner aux autres bonne opinion de soi. Enfin, nul n’ignore que l’on requiert des secrétaires, dactylos, etc. une connaissance parfaite de l’orthographe sous peine d’être refusés ou licenciés. Et même n’a-t-on pas vu des candidats cantonniers ou … fossoyeurs recrutés à partir d’une épreuve de dictée ! (A l’inverse, voit-on des futurs ministres passer un examen d’orthographe avant d’être désignés ??) Ne pas se soucier de l’enseignement de l’orthographe va donc à l’encontre des intérêts, des élèves les plus malmenés par la vie. H. Huot a raison : « … Il est nécessaire d’apprendre l’orthographe aux enfants, surtout de milieu modeste – si l’on ne veut pas les vouer à l’échec ou les enfermer dans leur classe d’origine… »  Ainsi des raisons psychologiques, sociales, linguistiques militent en faveur d’un apprentissage de l’orthographe.

 

Einsatzgruppen

Le terrible documentaire de Michaël Prazan diffusé récemment sur France 2 sur les  commandos de la mort en Europe orientale entre 1941 et 1945 aura révélé un fait toujours actuel : la présence massive d’universitaires, voire de personnes munies d’un ou deux doctorats, à leur tête pour exterminer les juifs, les tziganes et les prisonniers soviétiques.

Alors qu’en général, on essaie de faire porter le chapeau à l’ignorance légendaire du « peuple » pour expliquer la remontée actuelle de l’extrême-droite, on ferait bien de se pencher sur ce qui a motivé cette classe d’intellectuels il y a quelques décennies.

En Belgique, songeons aussi à ceux qui, parmi elle, n’ont jamais hésité à manifester un racisme antisémite caché derrière leur haine envers Israël, et à ceux qui, certes à un autre niveau, ont nourri une aversion pour tous ceux qui ne parlaient pas français chez nous.

Ces Einsatzgruppen à la sauce francophone sévissent toujours dans et autour de Bruxelles et empêchent aussi les Wallons de s’épanouir dans la culture qui leur est propre et dont la valeur est volontairement ignorée.

Mais pourquoi ? Aidée de ces collabo(rateur)s, la France essaie sournoisement de soumettre la Belgique à un système dont l’adage est : « Ein Volk (le peuple français), ein Reich (l’empire français), ein Führer (un président omniprésent (où est son  gouvernement ?)), und eine Sprache (une seule langue écrase les autres : le français). »

Voilà pourquoi tout est mis en place pour que les Wallons restent des unilingues ignares le plus longtemps possible dans une région éternellement « en voie de développement » …

 

Quand la France se met à rire ave l’assent, LB 31/03/1992

 

Un nouveau numéro de Rire A2.

RACISME ? Pourquoi, alors, employer les accents pour faire rire ? Difficile à dire.

 

Une panoplie de mots d’origine raciste en français :

bougre < Bulgare

charabia < < langue arabe : algarabia

chleuh ! (raciste) < groupe de dialectes berbères

C’est du chinois !

parler comme une vache espagnole

baragouiner

 

Michel Malherbe  , Les langages de l’humanité, Une encyclopédie des 3000 langues parlées dans le monde, éd. Laffont, 1995

•  Les barrières linguistiques sont redoutables : certains parlent fran­çais comme des vaches espagnoles — il s’agit bien sûr de Basques espagnols ; d’autres baragouinent — ce sont de malheureux Bretons qui ne peuvent dire que bara (pain) et gwin (vin) ; parfois leur langue est un charabia : c’est en fait de l’arabe el arabiya, mais le Français (p.350) s’intéresse peu aux langues étrangères, il s’en fiche comme de l’an qua­rante (c’est-à-dire comme de al Quran, du Coran).

 

JEUX français et ETHNOCENTRISME francophone: exemple des mots croisés

Les mots croisés en néerlandais, anglais, allemand, italien et ceux publiés aux USA sont bien plus ouverts aux autres cultures et autres langues que les mots croisés francophones, obnubilés quasi exclusivement par la connaissance du français et de culture française…

 

TV suisse en allemand : accent suisse

TV suisse en français : accent francophile

 Etc.

 

Mario Cortina (informaticien belge)

 

Dramatique. Papa parlait très rarement en italien. Ma grand-mère m’interdisait de parler en wallon. Mon parrain ne voulait pas me parler en flamand.

Je suis donc un non-quadrilingue.

(09/08/2021)

 

 

From: Bertrand Thibaut

Sent: Monday, May 19, 2008 6:17 PM

Subject: RE: légende dorée?

Un texte d’époque très éclairant sur l’écrasement des langues régionales :

 

http://histoireenprimaire.free.fr/citations/revolution_et_patois.htm

 

Bertrand

 

La Révolution, la langue française et les patois

  « Le législateur parle une langue que ceux qui doivent exécuter et obéir n’entendent pas.
« Il faut populariser la langue, il faut détruire cette aristocratie de langage qui semble établir une nation polie au milieu d’une nation barbare.
« Nous avons révolutionné le gouvernement, les lois, les usages, les moeurs, les costumes, le commerce et la pensée même ; révolutionnons donc aussi la langue, qui est leur instrument journalier.
« Vous avez décrété l’envoi des lois à toutes les communes de la République ; mais ce bienfait est perdu pour celles des départements que j’ai déjà indiqués. Les lumières portées à grands frais aux extrémités de la France s’éteignent en y arrivant, puisque les lois n’y sont pas entendues.
« Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle l’italien, et le fanatisme parle le basque. Cassons ces instruments de dommage et d’erreur.
« Le Comité a pensé qu’il devait vous proposer, comme mesure urgente et révolutionnaire, de donner à chaque commune de campagne des départements désignés un instituteur de langue française, chargé d’enseigner aux jeunes personnes des deux sexes, et de lire, chaque décadi, à tous les autres citoyens de la commune, les lois, les décrets et les instructions envoyés de la Convention. « La France apprendra à une partie des citoyens la langue française dans le livre de la Déclaration des droits.»

    Rapport du Comité de salut public sur les idiomes, présenté par Barère à la Convention le 8 pluviôse an II.

L’avocat Barère, membre du Comité de salut public, souligne dans cette déclaration les difficultés du régime révolutionnaire à s’imposer dans quatre régions : la Bretagne et la Vendée, soumises selon lui à l’autorité du clergé ; l’Alsace où l’on parle la langue des Prussiens et des Autrichiens ; le Pays basque, hermétique au français ; et la Corse où l’usage de l’italien favorise l’influence du pape. Plus généralement, ce texte montre la volonté des révolutionnaires de transformer profondément le pays et de créer « des hommes nouveaux », unis par la langue de la raison et du progrès : le français.

 

J.G., L’Histoire travestie : Jules Destrée et la solidarité Bruxelles-Wallonie, LB 08/10/1981

 

En 1912, dans sa fameuse « Lettre au Roi » dont on ne cite actuellement que des extraits soigneuse­ment choisis en fonction des thèses du F.D.F., du Rassemblement Wallon et de certains P.S., Jules Destrée écrit à propos des Bruxellois: « (…) Cette population de la capitale n’est point un peuple : c’est un agglomérat de métis. »

 

in : DELTA, 10, 2008, p.22

 

Taalverdrukking. Staten hebben altijd al de neiging gehad taalminderheden het leven zuur te maken om niet  erger te zeggen. Dat Vlaamse kinderen destijds gestraft werden als ze op school Vlaams durfden spreken, weten wij natuurlijk allemaal. Hetzelfde gebeurde in Frans-Vlaanderen. En ook in Bretagne tegenover kinderen die het waagden Bretoens te spreken. Thans vernemen wij dat ook in Eupen-Malmedy, toen het voor 1914 nog Duits grondgebied was met kinderen  die  op de speelplaats Waals durfden spreken. Daar waren ze dus geen zier beter.

 

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