La politique de la France dans le monde: généralités
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1 Analyses
« La Guerre secrète »: les recommandations du cardinal Richelieu, in : Delta, 4, 2007, p.9
A la guerre ouverte il faut préférer la guerre secrète, plus efficace et moins coûteuse. Dans les pays visés il faut: – travailler les esprits; – intriguer ouvertement ou secrètement partout et toujours; – maintenir les affaires de ces pays dans la plus grande difficulté; – profiter de toutes les divisions. Au besoin les provoquer. Exciter les susceptibilités ; – amener ces pays à se complaire dans leur impuissance; – inciter les subdivisions territoriales à se faire valoir au niveau international; – les engager à demander la protection française ; – payer largement les agents qui se prêtent à ces besognes.
Recommandations de Richelieu, donc. Ceci sert à comprendre ce qui se passe en Belgique depuis des décennies…
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Adolf Hitler, Mein Kampf / Mon Combat Vol.1
(p.18) Ce que nous appelons, par exemple, l’éducation chauvine du peuple français n’est que l’exaltation excessive de la grandeur de la France dans tous les domaines de la culture ou, comme disent les Français, de la « civilisation ». Un jeune Français n’est pas dressé à se rendre compte objectivement de la réalité des choses : son éducation lui montre, avec la vue subjective que l’on peut imaginer, tout ce qui a quelque importance pour la grandeur de son pays, en matière de politique et de civilisation. Une telle éducation doit toujours se borner à des notions d’ordre général très importantes. Et il est nécessaire qu’elles soient gravées dans le coeur et dans la mémoire du peuple par une constante répétition.
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Adolf Hitler, Mein Kampf / Mon Combat Vol.1
(p.75) (…) coloniser un territoire est une chose longue, qui souvent dure des siècles ; c’est là précisément qu’il faut en voir sa force profonde : il ne s’agit point d’une flambée subite, mais d’une poussée à la fois graduelle, profonde et durable.
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Jean-François Revel, La grande parade / Essai sur la survie de l’utopie socialiste, éd. Plon 2000
(p.16) N’oublions jamais en effet qu’en Europe comme en Amérique latine, la certitude d’être de gauche repose sur un critère très simple, à la portée de n’importe quel arriéré mental : être, en toutes circonstances, d’office, quoi qu’il arrive et de quoi qu’il s’agisse, antiaméricain. On peut être, on est même fréquemment (p.17) un arriéré mental en politique tout en étant fort intelligent dans d’autres domaines. Parmi d’innombrables exemples, l’auteur dramatique anglais Harold Pinter explique1 l’intervention de l’Otan contre la Serbie en avril 1999 par le fait que, selon lui, les États-Unis n’ont, en politique internationale, qu’un seul principe : « Baise mon cul ou je t’assomme. » Avoir du talent au théâtre n’empêche pas, chez le même individu, la débilité profonde et la nauséabonde vulgarité dans les diatribes politiques. C’est l’un des mystères de la politique que sa capacité à provoquer la brusque dégradation de maintes personnalités par ailleurs brillantes. Comment réagirait Pinter si un critique dramatique se permettait de tomber aussi bas dans l’imbécillité injurieuse en « commentant » une de ses pièces ?
(p.88) CHAPITRE SIXIEME PANIQUE CHEZ LES NÉGATIONNISTES
Les négationnistes pronazis ne sont qu’une poignée. Les négationnistes procommunistes sont légion. En France, une loi (loi Gayssot, du nom du député communiste qui l’a rédigée et qui, cela se comprend, n’a vu les crimes contre l’humanité que de l’oeil droit) prévoit des sanctions contre les mensonges des premiers. Les seconds peuvent impunément nier la criminalité de leur camp préféré. Je parle non seulement de camp politique, au singulier, mais aussi de camps de concentration au pluriel : le goulag soviétique de jadis et le laogaï chinois d’aujourd’hui, celui-ci en pleine activité, avec en prime ses milliers d’exécutions sommaires chaque année. Ce ne sont d’ailleurs là que les principaux exemplaires d’un genre d’établissements consubstantiel à tout régime communiste. On conçoit donc qu’habitués à cette inégalité de traitement, les négationnistes procommunistes aient été frappés de stupeur lors de la publication du Livre noir, qui établit solidement deux vérités : le communisme fut toujours, est toujours intrinsèquement criminogène ; et, en cela, il ne se distingue en rien du nazisme.
(p.110) Les véritables principes du socialisme n’ont pas été violés par Staline ou Mao quand ils ont pratiqué leurs génocides : ces principes ont été, au contraire, appliqués par eux avec un scrupule exemplaire et une parfaite fidélité à la lettre et à l’esprit de la doctrine. C’est ce que montre avec précision George Watson1. Dans l’hagiographie moderne, toute une partie essentielle de la théorie socialiste a été refoulée. Ses pères fondateurs, à commencer par Marx lui-même, ont très tôt cessé d’être étudiés de façon exhaustive par les croyants mêmes qui se réclamaient d’eux sans arrêt. Leurs œuvres, de nos jours, semblent jouir du rare privilège d’être comprises de tout le monde sans que personne les ait jamais complètement lues, même pas leurs adversaires, ordinairement rendus incurieux par la peur des représailles. Dans sa majeure partie, l’histoire est un réarrangement et un tri, donc une censure. Et l’histoire des idées n’échappe pas à cette loi. L’étude non expurgée des textes nous révèle par exemple, écrit Watson, que « le génocide est une théorie propre au
(p.111) socialisme ». Engels, en 1849, appelait à l’extermination des Hongrois, soulevés contre l’Autriche. Il donne à la revue dirigée par son ami Karl Marx, la Neue Rheinische Zeitung, un article retentissant dont Staline recommandera la lecture en 1924 dans ses Fondements du léninisme. Engels y conseille de faire disparaître, outre les Hongrois, également les Serbes et autres peuples slaves, puis les Basques, les Bretons et les Écossais. Dans Révolution et Contre-Révolution en Allemagne, publié en 1852 dans la même revue, Marx lui-même se demande comment on va se débarrasser de « ces peuplades moribondes, les Bohémiens, les Carinthiens, les Dalmates, etc. ». La race compte beaucoup, pour Marx et Engels. Celui-ci écrit en 1894 à un de ses correspondants, W. Borgius : « Pour nous, les conditions économiques déterminent tous les phénomènes historiques, mais la race elle-même est une donnée économique… » C’est sur ce principe que s’appuyait Engels, toujours dans la Neue Reinische Zeitung (15-16 février 1849) pour dénier aux Slaves toute capacité d’accéder à la civilisation. « En dehors des Polonais, écrit-il, des Russes et peut-être des Slaves de Turquie, aucune nation slave n’a d’avenir, car il manque à tous les autres Slaves les bases historiques, géographiques, politiques et industrielles qui sont nécessaires à l’indépendance et à la capacité d’exister. Des nations qui n’ont jamais eu leur propre histoire, qui ont à peine atteint le degré le plus bas, de la civilisation… ne sont pas capables de vie et ne peuvent jamais atteindre la moindre indépendance. » Certes Engels attribue une part de l’« infériorité » slave aux données historiques. Mais il considère que l’amélioration de ces données est rendue impossible par le facteur racial. Imaginons le tollé que s’attirerait aujourd’hui un « penseur » qui s’aviserait de formuler le même diagnostic sur les Africains ! Selon les fondateurs du socialisme, la supériorité raciale des Blancs est une vérité « scientifique ». Dans ses notes préparatoires à VAnti-Duhring, l’évangile de la philosophie marxiste de la science, Engels écrit : « Si, par exemple, dans nos pays, les axiomes mathématiques sont parfaitement (p.112) évidents pour un enfant de huit ans, sans nul besoin de recourir à l’expérimentation, ce n’est que la conséquence de « l’hérédité accumulée ». Il serait au contraire très difficile de les enseigner à un bochiman ou à un nègre d’Australie. » Au vingtième siècle encore, des intellectuels socialistes, grands admirateurs de l’Union soviétique, tels H.G. Wells et Bernard Shaw, revendiquent le droit pour le socialisme de liquider physiquement et massivement les classes sociales qui font obstacle à la Révolution ou qui la retardent. En 1933, dans le périodique The Listener, Bernard Shaw, faisant preuve d’un bel esprit d’anticipation, presse même les chimistes, afin d’accélérer l’épuration des ennemis du socialisme, « de découvrir un gaz humanitaire qui cause une mort instantanée et sans douleur, en somme un gaz policé — mortel évidemment — mais humain, dénué de cruauté ». On s’en souvient, lors de son procès à Jérusalem en 1962, le bourreau nazi Adolf Eichmann invoqua pour sa défense le caractère « humanitaire » du zyklon B, qui servit à gazer les Juifs lors de la Shoah. Le nazisme et le communisme ont pour trait commun de viser à une métamorphose, à une rédemption « totales » de la société, voire de l’humanité. Ils se sentent, de ce fait, le droit d’anéantir tous les groupes raciaux ou sociaux qui sont censés faire obstacle, fût-ce involontairement et inconsciemment — en jargon marxiste « objectivement » — à cette entreprise sacrée de salut collectif.
Si le nazisme et le communisme ont commis l’un et l’autre des génocides comparables par leur étendue sinon par leurs prétextes idéologiques, ce n’est donc point à cause d’une quelconque convergence contre nature ou coïncidence fortuite dues à des comportements aberrants. C’est au contraire à partir de principes identiques, profondément ancrés dans leurs convictions respectives et dans leur mode de fonctionnement. Le socialisme n’est pas plus ou pas moins « de gauche » que le nazisme. Si on l’ignore trop souvent, c’est, comme le dit Rémy de Gourmont, qu’« une erreur tombée dans le domaine public n’en sort jamais. Les opinions se transmettent héréditairement ; cela finit par faire l’histoire ».
(p.113) Si toute une tradition socialiste datant du dix-neuvième siècle a préconisé les méthodes qui seront plus tard celles d’Hitler comme celles de Lénine, Staline et Mao, la réciproque est vraie : Hitler s’est toujours considéré comme un socialiste. Il explique à Otto Wagener que ses désaccords avec les communistes « sont moins idéologiques que tactiques! ». L’ennui avec les politiciens de Weimar, déclare-t-il au même Wagener, « c’est qu’ils n’ont jamais lu Marx ». Aux fades réformistes de la social-démocratie, il préfère les communistes. Et l’on sait que ceux-ci le payèrent largement de retour, en votant pour lui en 1933. Ce qui l’oppose aux bolcheviques, dit-il encore, c’est surtout la question raciale. En quoi il se trompait : l’Union soviétique a toujours été antisémite. Disons que la « question juive » (malgré le pamphlet de Marx publié sous ce titre contre les Juifs) n’était pas, pour les Soviétiques, comme pour Hitler, au premier rang des priorités. Pour tout le reste, la « croisade antibolchevique » d’Hitler fut très largement une façade, qui masquait une connivence avec Staline bien antérieure, on le sait maintenant, au pacte germano-soviétique de 1939. Car, ne l’oublions pas, tout comme, d’ailleurs, le fascisme italien, le national-socialisme allemand se voyait et se pensait, à l’instar du bolchevisme, comme une révolution, et une révolution antibourgeoise. « Nazi » est l’abréviation de « Parti national socialiste des travailleurs allemands ». Dans son État omnipotent2 Ludwig von Mises, l’un des grands économistes viennois émigrés à cause du nazisme, s’amuse à rapprocher les dix mesures d’urgence préconisées par Marx dans le Manifeste communiste (1847) avec le programme économique d’Hitler. « Huit sur dix de ces points, note ironiquement von Mises, ont été exécutés par les nazis avec un radicalisme qui eût enchanté Marx. »
1. Otto Wagener, Hitler aus nachster nahe : Aufzeichnungen eines Vertrauten, 1929-1939, Francfort, 1978.
(p.114) En 1944 également, Friedrich Hayek, dans sa Route de la servitude1, consacre un chapitre aux «Racines socialistes du nazisme ». Il note que les nazis « ne s’opposaient pas aux éléments socialistes du marxisme, mais à ses éléments libéraux, à l’internationalisme et à la démocratie. » Par une juste intuition, les nazis avaient saisi qu’il n’est pas de socialisme complet sans totalitarisme politique.
(p.116) Car tous les régimes totalitaires ont en commun d’être des idéocraties : des dictatures de l’idée. Le communisme repose sur le marxisme-léninisme et la « pensée Mao ». Le national-socialisme repose sur le critère de la race. La distinction que j’ai établie plus haut entre le totalitarisme direct, qui annonce d’emblée en clair ce qu’il veut accomplir, tel le nazisme, et le totalitarisme médiatisé par l’utopie, qui annonce le contraire de ce qu’il va faire, tel le communisme, devient donc secondaire, puisque le résultat, pour ceux qui les subissent, est le même dans les deux cas. Le trait fondamental, dans les deux systèmes, est que les dirigeants, convaincus de détenir la vérité absolue et de commander le déroulement de l’histoire, pour toute l’humanité, se sentent le droit de détruire les dissidents, réels ou potentiels, les races, classes, catégories professionnelles ou culturelles, qui leur paraissent entraver, ou pouvoir un jour entraver, l’exécution du dessein suprême. C’est pourquoi vouloir distinguer entre les totalitarismes, leur attribuer des mérites différents en fonction des écarts de leurs superstructures idéologiques respectives au lieu de constater l’identité de leurs comportements effectifs, est bien étrange, de la part de « socialistes » qui devraient avoir mieux lu Marx. On ne juge pas, disait-il, une société d’après l’idéologie qui lui sert de prétexte, pas plus qu’on ne juge une personne d’après l’opinion qu’elle a d’elle-même.
En bon connaisseur, Adolf Hitler sut, parmi les premiers, saisir les affinités du communisme et du national-socialisme. Car il n’ignorait pas qu’on doit juger une politique à ses actes et à ses méthodes, non d’après les fanfreluches oratoires ou les pompons philosophiques qui l’entourent. Il déclare à Hermann Rauschning, qui le rapporte dans Hitler m’a dit : «Je ne suis pas seulement le vainqueur du marxisme…. j’en suis le réalisateur. «J’ai beaucoup appris du marxisme, et je ne songe pas à m’en cacher….. Ce qui m’a intéressé et instruit chez les (p.117) marxistes, ce sont leurs méthodes. J’ai tout bonnement pris au sérieux ce qu’avaient envisagé timidement ces âmes de petits boutiquiers et de dactylos. Tout le national-socialisme est contenu là-dedans. Regardez-y de près : les sociétés ouvrières de gymnastique, les cellules d’entreprises, les cortèges massifs, les brochures de propagande rédigées spécialement pour la compréhension des masses. Tous ces nouveaux moyens de la lutte politique ont été presque entièrement inventés par les marxistes. Je n’ai eu qu’à m’en emparer et à les développer et je me suis ainsi procuré l’instrument dont nous avions besoin… »
L’idéocratie déborde largement la censure exercée par les dictatures ordinaires. Ces dernières exercent une censure principalement politique ou sur ce qui peut avoir des incidences politiques. Il arrive d’ailleurs aux démocraties de le faire également, comme on l’a vu en France pendant la guerre d’Algérie, sous la Quatrième République comme sous la Cinquième. L’idéocratie, elle, veut beaucoup plus. Elle veut supprimer, et elle en a besoin pour survivre, toute pensée opposée ou extérieure à la pensée officielle, non seulement en politique ou en économie, mais dans tous les domaines : la philosophie, les arts, la littérature et même la science. La philosophie, de toute évidence, ne saurait être pour un totalitaire que le marxisme-léninisme, la « pensée Mao » ou la doctrine de Mein Kampf. L’art nazi se substitue à l’art « dégénéré », et, parallèlement, le « réalisme socialiste » des communistes entend tordre le cou à l’art « bourgeois ». Le pari le plus risqué de l’idéocratie, et qui en étale bien la déraison, porte toutefois sur la science, à laquelle elle refuse toute autonomie. On se souvient de l’affaire Lyssenko en Union soviétique. Ce charlatan, de 1935 à 1964, anéantit la biologie dans son pays, congédia toute la science moderne, de Mendel à Morgan, l’accusant de « déviation fasciste de la génétique », ou encore « trots-kiste-boukhariniste de la génétique ». La biologie contemporaine commettait en effet à ses yeux le péché de contredire le matérialisme dialectique, d’être incompatible avec la dialectique (p.118) de la nature selon Engels, lequel, nous l’avons vu, affirmait encore, dans VAnti-Duhring, vingt ans après la publication de L’Origine des espèces de Darwin, sa croyance dans l’hérédité des caractères acquis. Soutenu, ou, plutôt, fabriqué par les dirigeants soviétiques, Lyssenko devint président de l’Académie des Sciences de l’URSS. Il en fit exclure les biologistes authentiques, quand il ne les fit pas déporter et fusiller. Tous les manuels scolaires, toutes les encyclopédies, tous les cours des universités furent expurgés au profit du lyssenkisme. Ce qui eut en outre des conséquences catastrophiques pour l’agriculture soviétique, déjà fort mal en point après la collectivisa-tion stalinienne des terres. La bureaucratie imposa en effet dans tous les kolkhozes l’« agrobiologie » lyssenkiste, proscrivant les engrais, adoptant le « blé fourchu » des… pharaons, ce qui fit tomber de moitié les rendements. On proscrivit les hybridations, puisque, pérorait Lyssenko, il était notoire qu’une espèce se transformait spontanément en une autre et qu’il n’était point besoin de croisements. Ses folles élucubra-tions portèrent le coup de grâce à une production déjà stérilisée par l’absurdité du socialisme agraire. Elles rendirent irréversibles la famine chronique, ou la « disette contrôlée » (disait Michel Heller), qui accompagna l’Union soviétique jusqu’à sa tombe. (…)
Le critère extra-scientifique de la vérité scientifique chez les nazis découle du même schéma mental, à cette différence près (p.119) que, chez eux, ce critère est la race au lieu d’être la classe. Mais les deux démarches sont intellectuellement identiques, dans la mesure où elles nient la spécificité de la connaissance comme telle, au bénéfice de la suprématie de l’idéologie.
(p.122) Cette association délirante entre judéité, individualisme et capitalisme motive les éructations antisémites de Karl Marx, dans son essai Sur la question juive (1843). Essai trop peu lu, mais qu’Hitler, lui, avait lu avec attention. Il a presque littéralement plagié les passages de Marx où celui-ci vomit contre les Juifs des invectives furibondes, telles que celle-ci : « Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, la cupidité (Eigennutz}. Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son dieu ? L’argent. » Et Marx enchaîne en incitant à voir dans le communisme « l’organisation de la société qui ferait disparaître les conditions du trafic et aurait rendu le Juif impossible ». Dans le genre appel au meurtre, il est difficile de faire plus entraînant.
(p.123) D’où la conception de l’État qui est commune à Lénine et à Hitler. Dans La Révolution prolétarienne et le renégat Kautzky, Lénine écrit : « L’État est aux mains de la classe dominante, une machine destinée à écraser la résistance de ses adversaires de classe. Sur ce point, la dictature du prolétariat ne se distingue en rien, quant au fond, de la dictature de toute autre classe. » Et, plus loin dans le même livre : « La dictature est un pouvoir qui s’appuie directement sur la violence et n’est lié par aucune loi. La dictature révolutionnaire du prolétariat est un pouvoir conquis et maintenu par la violence, que le prolétariat exerce sur la bourgeoisie, pouvoir qui n’est lié par aucune loi. » Si l’on veut bien se reporter au second volume de Mein Kampf, on y verra que, dans le chapitre consacré à l’État, Hitler s’exprime à ce sujet en des termes presque identiques. La « dictature du peuple allemand » y remplace celle du prolétariat. Mais, si l’on tient compte des multiples diatribes anticapitalistes du Fùhrer, les deux concepts ne sont pas très éloignés l’un de l’autre. Tout système politique totalitaire établit invariablement un mécanisme répressif visant à éliminer (p.124) non seulement la dissidence politique mais toute différence entre les comportements individuels. La société se sait inconciliable avec la ‘variété’.
(p.143) C’est ainsi qu’en 1990, l’Unesco organise une célébration de la « mémoire » d’Hô Chi Minh à l’occasion du centenaire de la naissance du dictateur. Tous les thèmes de cette commémoration reproduisent sans examen les mensonges de l’antique (p.144) propagande communiste provietnamienne des années soixante et le mythe de Hô Chi Minh qui avait été fabriqué jadis à coups de dissimulation et d’inventions des « organes ». Le sigle Unesco signifie « Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture ». Si l’Unesco servait la science, elle aurait convoqué d’authentiques historiens, qui n’auraient pu que mettre à mal la légende forgée pour transfigurer Hô Chi Minh. Si elle servait l’éducation, elle ne se serait pas mise au service d’un bourrage de crâne totalitaire. Si elle servait la culture, au lieu de la censure, elle n’aurait pas verrouillé ce colloque pour en bannir toute fausse note « viscérale anticommuniste ». Peu convaincu par cette « mémoire » sauce Unesco, Olivier Todd, un des meilleurs connaisseurs au monde des questions du Vietnam, où il fut de longues années envoyé spécial et même prisonnier du Viet-cong, consacre avant l’événement au « mythe Hô Chi Minh », une étude où il déplore « l’extraordinaire naïveté flagorneuse de nombreux publicistes et diplomates, preuve des manipulations politiques au sein de l’Unesco. Cette organisation internationale, émanation de l’ONU, s’apprête à célébrer en Hô Chi Minh un « grand homme d’Etat », un « homme de culture », un « illustre libérateur » de son peuple. La communauté internationale est invitée à subventionner l’héroïsation et la mythi-fication de « l’Oncle » communiste, et ce, l’année qui suit le passage du communisme mondial aux poubelles de l’Histoire1. »
(p.155) Rappeler que Castro a fait fusiller 17 000 personnes dans un pays de 10 millions d’habitants et Pinochet 3 197 dans une pays de 15 millions d’habitants permet de comparer une terreur à l’autre, sans excuser aucune des deux.
(p.157) (…) la gauche française persiste dans son attitude protectrice envers le stalinisme cubain. Elle veille à sauvegarder l’immunité dont jouit Castro. Je serais presque tenté de dire : avant, au moins elle mentait ! Maintenant, elle reconnaît que le régime cas-triste repose entièrement sur les violations les plus extrêmes des droits de l’homme et pourtant elle ne lui retire pas sa solidarité. C’est presque pire. Tous les gens de gauche ne souscrivent pas aux propos de Mme Danielle Mitterrand : « Cuba représente le summum de ce que le socialisme peut réaliser », phrase qui constitue la condamnation la plus accablante du socialisme jamais énoncée. Mais tous — et la droite aussi — n’en confirment pas moins de plus belle leur attachement à ce principe (déjà respecté dans les cas des anciens chefs Khmers rouges et d’Erich Honecker) : même quand on sait tout des forfaits d’un bourreau totalitaire « de gauche », il doit rester exempt des peines et même du blâme que l’on doit infliger par « devoir de mémoire » aux bourreaux totalitaires « de droite ».
(p.158) Tous ceux qui ont voyagé en RDA pendant les quinze dernières années de son existence étaient édifiés par l’état de délabrement du pays : immeubles tombant en miettes au point qu’on tendait des cordes le long des trottoirs pour empêcher les piétons d’y marcher, de peur qu’ils ne reçoivent quelque moellon sur la tête ; infrastructures déplorables ; industrie inadaptée, travaillant avec des machines datant des années vingt, et qui crachait du haut de ses cheminées antiques une pollution noirâtre et poisseuse. Ce cataclysme socialiste fut d’ailleurs attribué par la gauche, aussitôt après la réunification allemande, à… l’irruption de l’économie de marché ! N’oublions pas qu’entre 1990 et 1998 ont été transférés aux Lander de l’Est 1 370 milliards de marks, soit, par an, un tiers du budget annuel de la France ! A cet argent public s’ajoutent les investissements privés. Malgré ce flot de capitaux, les Lander de l’Est, tout en ayant considérablement progressé, n’ont pas, en 1999, rattrapé le niveau de vie de l’ex-Allemagne de l’Ouest, tant le socialisme est difficile à guérir.
(p.162) Les nazis avaient rétabli l’esclavage en temps de guerre, dans des camps de travail où les esclaves étaient des déportés provenant des pays vaincus. Les communistes ont fait mieux : ils ont partout réduit en esclavage une part substantielle de leur propre population, et ce en temps de paix, au service d’une économie « normale », si l’on ose dire. Cet aspect souvent ignoré tend à prouver que, si improductive qu’elle soit, l’économie socialiste réelle le serait encore davantage sans le recours à la main-d’œuvre servile.
(p.167) /Mao/ Quant à l’examen multilatéral des textes complets, il révèle que Mao n’est pas un théoricien ou du moins pas un inventeur. Les rares écrits théoriques, « À propos de la pratique », « À propos de la contradiction », se bornent à vulgariser et à simplifier le Matérialisme et Empiriocriticisme de Lénine. Ce sont, d’ailleurs, comme tous ses textes, des écrits de circonstance, de combat, destinés à véhiculer une pression politique précise sur telle tendance concrète au sein ou en dehors du PC chinois. En fait, l’idéologie léniniste-staliniste, adoptée une fois pour toutes, n’est jamais en tant que telle repensée par Mao. Quand il fait apparemment de l’idéologie, c’est, en réalité, de la tactique.
(p.168) Dans le discours où il parle des Cent Fleurs, intitulé « De la juste solution des contradictions au sein du peuple » (1957), comme dans des textes plus anciens : « De la dictature démocratique populaire » (1949) ou « Contre le style stéréotypé dans le Parti » (1942), ce raisonnement, toujours le même, est celui-ci : la discussion est libre au sein du Parti ; mais, dans la pratique, les objections contre le Parti proviennent de deux sources : des adversaires de la Révolution, et ceux-là ne doivent pas avoir le droit de s’exprimer, et des partisans sincères de la Révolution, et ceux-ci ne sont jamais réellement en désaccord avec le Parti. Donc, les méthodes autoritaires sont du « centralisme démocratique », tout à fait légitime, et, dans le peuple, « la liberté est corrélative à la discipline ». (…) En art et en littérature aussi, les Cent Fleurs peuvent intellectuellement s’épanouir, mais comme il importe de ne pas laisser se mêler les « herbes vénéneuses » aux « fleurs odorantes », Mao en revient vite à un dirigisme culturel identique à celui de Jdanov. L’idée d’« armée culturelle » est très ancienne chez Mao. Là encore, il n’innove pas : la culture est toujours le reflet de la réalité politique et sociale. Une fois accomplie la révolution économique, il faut donc aligner sur elle la culture. Cette vue est entièrement conforme au léninisme militant, sans la moindre variante personnelle. Entendons-nous : je ne porte ici aucun jugement politique sur la Chine, et je suis peut-être « chinois », qui sait ? Mais l’étude des textes oblige à dire que, philosophiquement, il n’y a pas de « version chinoise » du marxisme, il n’y pas de maoïsmel.
(p.177) Le communisme conserve sa supériorité morale. On le sent à des symptômes parfois anecdotiques, presque puérils. Quand fut réédité, en janvier 1999, le premier album d’Hergé, épuisé depuis soixante-dix ans, Tintin au pays des Soviets, on le décrivit dans plusieurs articles comme une charge outrée et excessive. Or c’est au contraire une peinture étonnamment exacte, pour l’essentiel, et qui dénote, à cette époque lointaine, chez le jeune auteur « une prodigieuse intuition », ainsi que le signale Emmanuel Le Roy Ladurie répondant à un questionnaire dans Le Figarol. Mais le même Figaro ne semble pas d’accord avec l’historien, puisqu’il juge que la vision d’Hergé « souffre certainement, avec le recul du temps, de manichéisme ». Vous avez bien lu : avec le recul du temps. Ce
(p.178) qui signifie : les connaissances acquises depuis 1929 et plus particulièrement depuis 1989 sur le communisme, tel qu’il fut réellement, doivent nous inciter à l’apprécier de façon plus positive qu’à ses débuts, quand l’illusion pouvait être excusable, vu que l’ignorance était soigneusement entretenue. En somme, si je comprends bien, plus l’information est disponible sur le communisme, moins défavorable est le jour sous lequel nous devons le voir. Dans un commentaire sur la même réédition, la station de radio France-Info (10 janvier 1999), nous assure que Tintin au pays des Soviets était « une charge idéologique au parfum aujourd’hui suranné» (je souligne). Conclusion : ce n’était pas l’adulation du communisme qui était idéologique, c’était d’y être réfractaire. Et, surtout, les événements survenus depuis la Grande Terreur des années trente jusqu’à l’invasion de l’Afghanistan, en passant par le complot des blouses blanches et les répressions de Budapest ou de Prague, le Grand Bond en avant, la Révolution culturelle et les Khmers rouges nous invitent clairement à nous départir par rapport au communisme d’une sévérité que l’histoire objective envoie de toute évidence au rancart. Beaucoup de commentateurs n’ont pas manqué d’insinuer qu’Hergé avait peu d’autorité en la matière puisqu’il s’est « mal conduit » sous l’Occupation. Mais je pose la question : va-t-on prétendre qu’une condamnation du nazisme dégage « un parfum suranné » quand elle émane de la bouche d’un ex-stalinien ? Non, car la question de fond n’est pas celle du parcours politique du juge. Elle est de savoir si oui ou non, le nazisme par lui-même a été monstrueux. Le stalinien qui le dit a, sur ce point-là, raison, tout stalinien qu’il soit. Alors, pourquoi y a-t-il un interdit en sens inverse ? Parce que, je l’ai dit, le communisme conserve sa supériorité morale. Ou, plus exactement, parce qu’on s’acharne, au prix de mille mensonges et dissimulations, à entretenir la tromperie de cette supériorité. Devant cette histoire écrite à l’envers, on doit pardonner (p.179) beaucoup aux journalistes lorsqu’ils se laissent glisser dans le sens de la pente. Car les désinformations qui les abusent trouvent souvent leur origine chez des historiens malhonnêtes. Trop d’entre eux persévèrent, avec une vigilance inaltérable, dans leur défense de la forteresse du mensonge communiste. Ainsi l’auteur du tout récent livre de la collection « Que sais-je ? » sur Le Goulag! trouve le moyen d’épargner Lénine, dont Staline aurait « trahi » l’héritage. Vieille lune mille fois réfutée, mirage faussement salvateur, que la recherche de ces dernières années a dissipé sans équivoque. Néanmoins, pour notre plaisantin, Staline serait en réalité l’héritier… du tsarisme, et non du léninisme ! Les camps soviétiques datent de Lénine lui-même, c’est bien établi, et les prisonniers politiques tsaristes, si répressif que fût le régime impérial, ne se montaient qu’à une part infime de ce qu’allaient être les gigantesques masses concentrationnaires communistes. Tout en cherchant à faire passer Staline pour le seul responsable du goulag, notre homme déverse sa bile sur Soljénitsyne, sur Jacques Rossi (à qui l’on doit Le Manuel du Goulag, déjà cité) et sur Nicolas Werth (auteur de la partie sur l’URSS dans Le Livre noir), récusant le témoignage des deux premiers et contestant les capacités d’historien du troisième.
(p.181) Le révisionnisme procommuniste s’avère /donc/ être de bon aloi.
(p.182) L’Ethiopie du Parti unique emplit tous les critères du classicisme communiste le plus pur. Que les tartufes assermentés ne prennent pas la tangente habituelle en gémissant qu’on n’avait pas affaire à du « vrai » communisme. La « révolution » éthiopienne engendra en Afrique la copie certifiée conforme du prototype lénino-staliniste de l’URSS, laquelle, d’ailleurs, lui accorda son estampille, lui octroya des crédits et lui envoya ses troupes pour la protéger, en l’espèce des troupes cubaines, avec de surcroît le concours d’agents de la police politique est-allemande, l’incomparable Stasi. La junte des chefs éthiopiens, le « Derg », se proclame sans tarder héritière de la « grande révolution d’Octobre », et le prouve en fusillant, dès son arrivée au pouvoir, toutes les élites qui n’appartenaient (p.183) pas à ses rangs ou n’obéissaient pas à ses ordres, encore que, comme dans toutes les « révolutions », la servilité totale ne fût même pas une garantie de vie sauve. Suit la procession des réformes bien connues : collectivisation des terres — dans un pays où 87 % de la population se compose de paysans — nationalisation des industries, des banques et des assurances. Comme prévu — ou prévisible — et comme en URSS, en Chine, à Cuba, en Corée du Nord, etc., les effets immanquables suivent : sous-production agricole, famine, encore aggravées par les déplacements forcés de populations, autre classique de la maison. La faillite précoce oblige à inventer des coupables, des saboteurs, des traîtres puisqu’on ne saurait envisager que le socialisme soit par lui-même mauvais et que ses dirigeants ne soient pas infaillibles. Et, comme d’habitude, le pouvoir totalitaire trouve les canailles responsables du désastre parmi les affamés et non parmi les affameurs, parmi les victimes et non parmi les chefs. Déprimante monotonie d’un scénario universel dont les avocats du socialisme s’acharnent à présenter chaque nouvel exemplaire comme une « exception » — et encore aujourd’hui maints historiens ! Dix mille assassinats politiques dans la seule capitale en 1978 ; massacre des Juifs éthiopiens, les Falachas, en 1979. Mais ce n’est pas de l’antisémitisme, puisque le Derg est de gauche. Et les enfants d’abord ! En 1977, le secrétaire général suédois du Save thé Children Fund relate, dans un rapport, avoir été témoin de l’exposition de petites victimes torturées sur les trottoirs d’Addis-Abeba. « Un millier d’enfants ont été massacrés à Addis-Abeba et leurs corps, gisant dans les rues, sont la proie des hyènes errantes. On peut voir entassés les corps d’enfants assassinés, pour la plupart âgés de onze à treize ans, sur le bas-côté de la route lorsqu’on quitte Addis Abeba ‘. »
1 Cité par Yves Santamaria, dans le chapitre du Livre noir consacré aux afro-communismes : Ethiopie, Angola, Mozambique.
(p.189) L’écart de traitement entre les deux totalitarismes du siècle se décèle également à une foule d’autres petits détails. Ainsi les opérations mani pulite en Italie, et « haro sur l’argent sale des partis » en France ont, ô miracle, contourné avec soin les seuls partis communistes, ou, du moins, s’en sont occupées avec autant de douceur que de lenteur. Pourtant leurs escroqueries ont été percées à jour, qu’il s’agisse des « coopératives rouges » en Italie ou des « bureaux d’étude » fictifs, simples machines à blanchir l’argent volé, du PCF. S’y ajoutaient les sociétés écrans, officiellement vouées au commerce avec l’URSS, façon indirecte pour celle-ci de rétribuer les PC de l’Ouest. Sans parler des sommes directement mais clandestinement envoyées par Moscou, jusqu’en 1990, devises non déclarées, tantôt en espèces, tantôt en Suisse (pour le PCI) et (p.190) relevant, pour le moins, du délit de fraude fiscale, et peut-être en outre de celui d’inféodation stipendiée à une puissance étrangère. Chaque fois que de nouveaux documents sont venus confirmer l’ampleur de ce trafic illégal, documents souvent corroborés, après la chute de l’URSS, par des indiscrétions de personnalités soviétiques ou est-allemandes, on était frappé par la somnolente équanimité des médias et la consciencieuse immobilité de la magistrature. Ces pratiques de pillage des entreprises avaient été décrites et bien établies dès les années soixante-dixl. Pourtant ce n’est qu’en octobre 1996 qu’un secrétaire national du PCF, en l’occurrence Robert Hue, a été mis en examen pour « recel de trafic d’influence ». L’instruction s’engloutit dans les profondeurs d’un bienveillant oubli jusqu’au 18 août 1999, date à laquelle le bruit se répandit que le parquet de Paris avait décidé de requérir le renvoi devant le tribunal correctionnel de M. Hue et du trésorier du PC2. Fausse alerte. On apprenait l’après-midi même le démenti du parquet : « Les réquisitions sont en train d’être rédigées. Nous démentons les informations faisant état de ces réquisitions. Il est trop tôt pour affirmer que nous allons requérir dans tel ou tel sens. Les réquisitions ne seront prises que pendant la première semaine de septembre. » Elles le furent finalement fin octobre. Parfois, l’inégalité du traitement dont sont l’objet les héritiers lointains ou proches de l’un et l’autre totalitarismes suscite des comportements si dérisoires qu’ils frisent le grotesque. En 1994, la coalition Forza Italia, Ligue du Nord et Alliance nationale gagne les élections en Italie. Silvio Berlusconi devient président du Conseil et prend comme ministre de l’Agriculture un des dirigeants d’Alliance nationale, qui, comme on sait, est issue du renouvellement de l’ancien MSI néo-fasciste mais s’est métamorphosée en se
1. Voir notamment Jean Montaldo, Les Finances du PCF, Albin Michel, 1977. 2. Le Parisien-Aujourd’hui : « Robert Hue menacé de correctionnelle », 18 août 1999. Cet article est malicieusement placé dans les « faits divers » et non dans la politique.
(p.191) démarquant du passé et en abjurant le mussolinisme. Plusieurs vieux fascistes membres de feu le MSI claquent la porte. Malgré cette transformation démocratique, plusieurs dirigeants européens réunis à Bruxelles refusent de serrer la main au nouveau ministre italien de l’Agriculture. Or les dirigeants actuels de l’Alliance nationale n’ont ni l’intention ni les moyens de restaurer la dictature fasciste. Ils ont au contraire rompu avec l’héritage mussolinien et provoqué le départ des nostalgiques du fascisme historique. Ils se sont toujours hermétiquement coupés tant du Front national français que des Republikaners allemands ou de Haider en Autriche. Si le Parti communiste italien redevient fréquentable et digne du pouvoir parce qu’il s’est rebaptisé Parti démocratique de la gauche en abjurant le communisme, pourquoi n’en irait-il pas de même pour l’Alliance nationale, qui, elle aussi, a changé d’étiquette et abjuré le fascisme ? Tant que durera cette dissymétrie dans le traitement réservé aux convertis de gauche et aux convertis de droite, parler de justice ou de morale et de progrès démocratique ne sera qu’imposture. Le drapeau des droits de l’homme claquera haut dans le vide. De notre temps plus que jamais, ce n’est pas la politique qui a été moralisée, c’est la morale qui a été politisée. (p.192) Dès que pointe la plus petite vérité menaçant de profanation les icônes communistes, les pitbulls de l’orthodoxie déchirent en lambeaux le porteur de la mauvaise nouvelle. On s’étonne que des universitaires souvent de haut niveau quand ils travaillent sans passion ne soient pas plus habiles dans la polémique quand leurs passions entrent en jeu. On les voit tomber dans des pratiques avilissantes, indignes d’eux : fausses citations, textes amputés ou sciemment retournés, injures pires que celles que les communistes lancèrent à Kravtchenko, le dissident qui avait commis le sacrilège d’écrire J’ai choisi la liberté, il y a un demi-siècle. On trouvera une anthologie de ces exploits de la haute intelligentsia dans L’Histoire interdite de Thierry Wolton2. J’y renvoie.
1. 18 novembre 1997. 2. Jean-Claude Lattes, 1998.
(p.227) (…) c’est le roi Victor-Emmanuel qui, en 1943, signifie à Mussolini son congé et le démet de son poste de chef du gouvernement. Qui, au moment où se dessinait l’effondrement militaire de l’Allemagne, aurait pu occuper encore une position constitutionnelle qui lui eût permis en vertu de la loi d’en faire autant vis-à-vis d’Hitler ? Quant aux lois antijuives de 1938, plusieurs historiens italiens ont récemment contesté qu’elles fussent imputables seulement à un opportunisme lié à l’alliance avec Hitler. Ils ont cherché des sources enracinées dans le passé italien. Sans doute y en a-t-il, mais Pierre Milza, étudiant les textes, ne manque pas de constater que, dans la mesure, au demeurant très faible, où ont été esquissées des théories antijuives en Italie, à la fin du dix-neuvième siècle ou au début du vingtième, elles furent empruntées principalement… à la littérature antisémite française, fort luxuriante à cette époque. Dans la pratique, le peuple italien est l’un des moins antisémites du monde et les lois raciales de Mussolini n’entraînèrent aucune destruction massive. Malgré ces lois, en effet, l’Italie fut le pays d’Europe où le pourcentage de la population juive tuée fut le plus basl. Là encore, en matière d’homicide, un abîme sépare le fascisme mussolinien de la haute productivité du nazisme et du communisme. Ces deux derniers régimes appartiennent à la même galaxie criminelle. Le fascisme appartient à une autre, qui n’est pas la galaxie démocratique, bien sûr, mais qui n’est pas non plus la galaxie totalitaire. Si l’on n’a pas encore rétabli les véritables frontières entre tous ces régimes, c’est qu’il y a eu dénazification après 1945, mais qu’il n’y a pas eu décommunisation après 1989.
(p.228) Malgré les efforts de dissimulation et d’escamotage déployés par les contorsion-nistes du distinguo procommuniste, la grande menace inédite qui a pesé sur l’humanité au vingtième siècle est venue du communisme et du nazisme, successivement ou simultanément. Ces deux régimes seuls, et pour des raisons identiques, méritent d’être qualifiés de « totalitaires ». Le terme « fascisme » est donc impropre pour désigner autre chose que la dictature mussolinienne et ses répliques, latino-américaines par exemple.
(p.230) Il y a un noyau central, commun au fascisme, au nazisme et au communisme : c’est la haine du libéralisme.
(p.232) (…) on répond souvent que les partis communistes ont au moins été, dans les pays capitalistes, des forces revendicatives qui par les « luttes » ont contraint les Etats bourgeois à
(p.233) étendre chez eux les droits des travailleurs. Cela aussi est faux. Disons-le derechef : les plus fondamentaux de ces droits, relatifs au syndicalisme et à la grève, furent instaurés dans les nations industrielles avant la guerre de 1914 et la naissance des partis communistes. Quant à la protection sociale — santé, famille, retraites, indemnités de chômage, congés payés etc. — elle fut mise en place à peu près au même moment, soit entre les deux guerres, soit après 1945, dans les pays où les partis communistes étaient inexistants ou négligeables (Suède, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Allemagne) et dans ceux où ils étaient forts (France ou Italie). Elle fut due aussi souvent à des gouvernements conservateurs qu’à des gouvernements sociaux-démocrates. C’est un démocrate réformiste, Franklin Roosevelt, qui créa aux États-Unis le système des retraites et le Welfare, prodigieusement étendu, trente ans plus tard, par Kennedy et Johnson. C’est un libéral, Lord Beveridge, qui, en Grande-Bretagne, élabora, pendant la Deuxième Guerre mondiale, tout le futur système britannique de protection sociale, que les travaillistes n’acceptèrent qu’à contrecœur, craignant qu’il n’endorme les ardeurs révolutionnaires du prolétariat1. En France, la politisation de la centrale syndicale CGT, devenue en 1947 un simple appendice du PCF, fit s’effondrer à la fois le taux de syndicalisation des salariés et l’efficacité du syndicalisme.
(p.243) On se prend parfois à se demander si le goût le plus profond d’une assez grande quantité d’intellectuels ne serait pas le goût de l’esclavage. D’où leur propension et leur adresse à reconstituer, au sein même des civilisations libres, une sorte de totalitarisme informel. En l’absence de toute dictature politique externe, ils reproduisent en laboratoire, in vitro, dans leurs rapports les uns avec les autres, les effets d’une dictature fantôme, dont ils rêvent, avec ses condamnations, ses exclusions, ses excommunications, ses diffamations, convergeant vers le vieux procès en sorcellerie pour « fascisme », intenté à tout individu qui renâcle aux vénérations et exécrations imposées. Bien entendu, dans chaque étouffoir de la liberté de l’esprit, la tyrannie est mutuelle.
(p.250) Certaines réactions irraisonnées, moutonnières et quotidiennes sont plus révélatrices des mentalités que les querelles des économistes. Ainsi, au matin du 5 octobre 1999, dans une collision entre deux trains, à Paddington, dans la banlieue de Londres, environ trente voyageurs sont tués et plusieurs centaines blessés. Aussitôt bruissent en France sur toutes les ondes, toute la journée, les mêmes commentaires : depuis la privatisation des chemins de fer britanniques, les nouvelles compagnies propriétaires ou concessionnaires, mues par la seule recherche du profit, ont économisé sur les dépenses consacrées à la sécurité, notamment dans les infrastructures et la signalisation. Conclusion qui va de soi : les victimes de l’accident ont été assassinées par le libéralisme. Si c’est vrai, alors les cent vingt-deux personnes tuées dans l’accident ferroviaire de Harrow en 1952 furent assassinées
(p.251) par le socialisme, puisque les British Railways étaient alors nationalisés. En France, en pleine gare de Lyon, le 27 juin 1988, un train percute un convoi arrêté : cinquante-six tués et trente-deux blessés, victimes évidentes, par conséquent, de la nationalisation des chemins de fer français en 1937, donc assassinées par le Front populaire. Le 16 juin 1972, la voûte du tunnel de Vierzy, dans l’Aisne, s’effondre sur deux trains : cent huit morts. Là non plus, l’entretien des structures ne paraît pas avoir été d’une perfection éblouissante, tout étatisée que fût la compagnie qui en était chargée. Après quelques heures d’enquête à Paddington, il s’avéra que le conducteur de l’un des trains avait négligé deux feux jaunes qui lui enjoignaient de ralentir et grillé un feu rouge qui lui enjoignait de s’arrêter. L’erreur humaine, semble-t-il, et non l’appât du gain, expliquait le drame. Que nenni ! rétorquèrent aussitôt les antilibéraux, car le train fautif n’était pas équipé d’un système de freinage automatique se déclenchant dès qu’un conducteur passe par inadvertance un signal rouge. Sans doute, mais dans l’accident de la gare de Lyon, ce système, s’il existait, ne semble pas avoir beaucoup servi non plus pour pallier l’erreur du conducteur français. Pas davantage le 2 avril 1990 en gare d’Austerlitz à Paris, lorsqu’un train défonça un butoir, traversa le quai et s’engouffra dans la buvette. S’agissant d’infrastructures, la vétusté des passages à niveau français, mal signalés et pourvus de barrières fragiles ne s’abaissant qu’à la dernière seconde, cause chaque année entre cinquante et cent morts, et plus souvent autour de quatre-vingts, d’ailleurs, que de cinquante. L’infaillibilité du « service public à la française », en l’occurrence, ne saute pas absolument aux yeux. Ce sont là des faits et des comparaisons qui, naturellement, ne vinrent même pas à l’esprit des antilibéraux. Ajoutons à ces quelques rappels que les chemins de fer britanniques, même du temps où ils appartenaient à l’État, étaient réputés dans toute l’Europe pour leur médiocre fonctionnement. Enfin, leur privatisation ne s’est achevée qu’en 1997 !
(p.252) Comment la déficience des infrastructures et du matériel roulant se serait-elle produite de façon aussi soudaine et rapide en moins de deux ans ? En réalité, British Railways a légué aux compagnies privées un réseau et des machines profondément dégradés, qui mettaient en péril la sécurité depuis plusieurs décennies. La mise en accusation du libéralisme dans cette tragédie relève plus de l’idée fixe que du raisonnement. Que l’on me comprenne bien. Je l’ai souvent écrit dans ces pages : il ne faut pas considérer le libéralisme comme l’envers du socialisme, c’est-à-dire comme une recette mirobolante qui garantirait des solutions parfaites, quoique par des moyens opposés à ceux des socialistes. Une société privée est très capable de faire courir des dangers à ses clients par recherche du profit. C’est à l’État de l’en empêcher, et cette vigilance fait partie de son véritable rôle, que précisément, d’ailleurs, le plus souvent il ne joue pas. Mais la négligence, l’incurie, l’incompétence ou la corruption ne font pas courir de moindres risques aux usagers des transports nationalisés. Il faut pousser l’obsession antilibérale jusqu’à l’aveuglement complet pour prétendre ou sous-entendre qu’il n’y aurait jamais eu d’accident que dans les transports privés… Les trente morts dus à la collision entre deux trains de la Compagnie nationale norvégienne, le 4 janvier 2000, furent-ils victimes du libéralisme ? Il en va de même pour les automobiles. Les Renault, à l’époque où cette société avait l’Etat pour actionnaire unique, n’étaient ni plus ni moins sûres que les Peugeot, les Citroën, les Fiat ou les Mercedes, fabriquées par des sociétés privées. Elles l’étaient même plutôt moins, puisque la Renault « Dau-phine », par exemple, devint vite célèbre pour sa facilité à se retourner sur le toit. Etant donné que Renault nationalisée avait en permanence un compte d’exploitation déficitaire, les voitures sorties de ses ateliers, n’étant source d’aucun profit, au contraire, auraient dû, si l’on suit la logique antilibérale, ne provoquer jamais aucun accident dû à des défaillances dans la mécanique ou l’aérodynamisme. (p.253) Je viens de donner deux exemples illustrant l’omniprésence d’un fonds presque inconscient de culture antilibérale, qui jaillit comme un cri du cœur en toute occasion et qui est d’autant plus étonnant qu’il persiste à l’encontre de toute l’expérience historique du vingtième siècle et même de la pratique actuelle de la quasi-totalité des pays. La pratique diverge de la théorie et de la sensibilité. L’instinct tient compte, plus que l’intelligence, des enseignements du passé. L’antilibéral est un mage qui se proclame capable de marcher sur les flots mais qui prend grand soin de réclamer un bateau avant de prendre la mer. Comment expliquer ce mystère ? Une première cause en est cette inertie de la pensée que j’ai appelée la « rémanence idéologiquel ». Une idéologie peut survivre longtemps aux réalités politiques et sociales qu’elle accompagnait. On trouvait encore en France, à la fin des années trente, cent cinquante ans après la Révolution, un remuant courant royaliste, avec de nombreux partisans de la monarchie absolue et non pas même constitutionnelle. Sans prendre part directement à la vie politique au Parlement ou au gouvernement, ce courant exerçait sur la société française une influence notable, tant par sa presse que par les auteurs de talent qui propageaient ses idées hostiles à la République. Malgré l’irréalisme de son programme de restauration monarchique, cette école de pensée jouait dans le débat public et la vie culturelle un rôle qui n’avait rien de marginal.
1. Voir La Connaissance inutile (1988) et Le Regain démocratique (1992).
(p.256) Homme de gauche, et il l’a prouvé en payant le prix fort, idole vénérée par les socialistes français au vingtième siècle, Zola était néanmoins assez intelligent pour comprendre que toute société est inégalitaire.
(p.266) Le plus piquant est que l’Etat, quand il veut corriger — lisez : escamoter — ses erreurs économiques, les aggrave. Il peut se comparer à une ambulance qui, appelée sur les lieux d’un accident de la route, foncerait dans le tas et tuerait les derniers survivants. Pour masquer, autant que faire se pouvait, le trou creusé au Lyonnais par sa sottise et sa canaillerie, l’État crée, en 1995, un comité baptisé Consortium de réalisation (CDR), chargé de « réaliser » au mieux les créances douteuses de la banque. Prouesse : le CDR a augmenté les pertes d’au moins cent milliards1 ! C’est la droite, alors au pouvoir, qui, désirant, avec son dévouement habituel, effacer les fautes et les escroqueries de la gauche, inventa cette burlesque « pompe à phynances ».
1 Voir les détails dans le mensuel Capital, n° 94, juillet 1999.
(p.268) L’élévation meurtrière de la fiscalité en France ne sert principalement ni à créer des emplois ni à soulager ceux qui n’en ont pas, ni à la productivité ni à la solidarité. Elle sert avant tout à combler les trous creusés par les gaspillages et l’incompétence d’un État qui refuse de réformer sa gestion, comme le refusent les collectivités locales, caractérisées, elles aussi, par les folies dépensières et le mépris des contribuables.
(p.269) Tout individu qui accepte de s’anéantir devant le Parti se voit garantir en échange un emploi. Sans doute cet emploi est-il très médiocrement payé (en moyenne l’équivalent de dix dollars par mois, soixante francs, en 1999 à Cuba, par exemple) ; et c’est bien pourquoi, en échange, très peu de travail est exigé. L’emploi presque sans travail et presque sans salaire est garanti à vie. D’où la plaisanterie mille fois entendue par les voyageurs de jadis en URSS : « Ils font semblant de nous payer, nous faisons semblant de travailler. » Orlov, chercheur scientifique lui-même, cite des cas où des collaborateurs scientifiques sont demeurés des mois absents de leur laboratoire ou bien ont fourni des résultats truqués, sans faire l’objet de la moindre sanction. En effet, les promotions découlent de la fidélité idéologique plus que de la compétence professionnelle. « L’affectation de travailleurs à des fonctions ne correspondant pas à leur qualification mais donnant droit à une rémunération supérieure, l’exagération des travaux exécutés dans le calcul des primes » sont des gratifications courantes, mais qui ne s’octroient qu’aux citoyens loyaux. Cette servilité politique sans restriction implique pour celui qui s’y plie le sacrifice de sa liberté et de sa dignité. Mais l’existence qu’elle lui procure n’est pas dénuée de confort psychique. On peut comprendre qu’une population élevée depuis plusieurs générations dans cette médiocrité douillette et docile supporte mal d’être brutalement
(p.270) plongée dans les eaux tourbillonnantes de la société de concurrence et de responsabilité. Quand on écoute certains ressortissants des sociétés anciennement communistes d’Europe centrale, on se rend compte qu’ils escomptaient de la démocratisation et de la libéralisation de leur pays qu’elles maintiennent le droit à l’emploi à vie dans l’inefficacité tout en leur octroyant le niveau de vie de la Californie ou de la Suisse. L’idée ne les effleure pas qu’à partir du moment où existe un choix entre une automobile de mauvaise qualité « Trabant », fabriquée en Allemagne de l’Est, et une meilleure voiture fabriquée à l’Ouest pour le même prix, les clients, à commencer par les Allemands de l’Est eux-mêmes, achèteront la deuxième. Ainsi, à bref délai, les usines Trabant devront fermer — ce qui s’est effectivement passé.
(p.280) L’erreur de la gauche archaïque est de méconnaître que la libéralisation ne contraint pas à l’abandon des programmes sociaux. Elle oblige, il est vrai, à mieux les gérer. Pour les socialistes français, le critère d’une bonne politique sociale, c’est l’importance de la dépense, pas l’intelligence avec laquelle elle est faite. Le résultat est secondaire.
(p.280) Les Pays-Bas, la Suède (qui était quasiment en faillite en 1994) ont réussi à libéraliser leurs économies un peu à la manière de la Nouvelle-Zélande et sans renoncer pour autant à leurs budgets sociaux, mais en les gérant mieux. Et, surtout, en libéralisant fortement la production. La Suède s’est lancée dans la concurrence et l’entreprise. Elle aussi a privatisé les industries, les télécommunications, l’énergie, les banques et les transports
1 Le 26 février 1985, le dollar atteint le cours record de 10,61 francs. Il était à environ 5,50 francs en 1981. Mais, naturellement, si le franc est tombé de moitié, c’est la faute… des Américains.
(p.303) L’intolérance d’un groupuscule d’intellectuels, lorsqu’il sert de modèle, finit par imprégner ce qu’on pourrait appeler le bas clergé de l’intelligentsia. Ainsi, en 1997, une documentaliste du lycée Edmond-Rostand à Saint-Ouen-l’Aumône, soutenue par un « collectif d’enseignants », ce qui est alarmant, expurge la bibliothèque dudit lycée. Elle en retire des ouvrages d’auteurs considérés par elle comme d’« extrême droite », fascistes, entre autres ceux de deux éminents écrivains et historiens, Marc Fumaroli et Jean Tulard. Pis : le tribunal de Pontoise débouta les auteurs censurés, qui avaient porté plainte pour atteinte à la réputation. Il allégua « qu’on ne saurait considérer que Mme Chaïkhaoui a commis une faute en établissant une liste de titres qu’elle jugeait dangereux»1. En quoi Rhétorique et dramaturgie cornéliennes, de Fumaroli, ou le Napoléon de Tulard sont-ils dangereux, de quel point de vue et pour qui ? En vertu de quelle légitimité, de quel mandat et de quelle compétence Mme Chaïkhaoui est-elle qualifiée pour se prononcer sur le « danger » d’une œuvre de l’esprit et pour la censurer ? A-t-on rétabli l’Inquisition ? Acte injustifiable et déshonorant. 1 Voir à ce sujet mon article « L’index au xxe siècle », dans mon recueil Fin du siècle des ombres, Fayard, 1999, p. 585.
(p.304) En revanche, lorsqu’en 1995, le maire du Front national d’Orange avait entrepris de rétablir lui aussi l’« équilibre idéologique » dans la bibliothèque municipale, qui comptait, selon lui, trop d’ouvrages de gauche, la presque totalité de la presse fut fondée à comparer ce sectarisme avec les autodafés de livres sous Hitler. Mais lorsque l’autodafé vient de la gauche, même s’il repose de surcroît sur une inculture crasse et une ignorance flagrante des auteurs censurés, l’Éducation nationale et l’Autorité judiciaire lui donnent leur bénédiction. Nous vivons dans un pays où un simple employé peut expurger une bibliothèque en se bornant à imputer, contre toute vraisemblance, aux épurés des sympathies fascistes ou racistes et pourquoi pas ? la responsabilité de l’holocauste. Nos élites réprouvent la censure et la délation calomnieuse lorsqu’elles viennent du Front national, rarement quand elles émanent d’une autre source idéologique. L’idéologue, quant à lui, ne perçoit le totalitarisme que chez ses adversaires, jamais en lui-même puisqu’il est sûr de détenir la Vérité absolue et le monopole du Bien. Les intellectuels flics et calomniateurs ont proliféré ces dernières années plus encore à gauche qu’à l’extrême droite. Or, quand elles atteignent le stade du sectarisme persécuteur, la droite et la gauche cessent de se distinguer pour fusionner au sein d’une même réalité, le totalitarisme intellectuel. Les principes dont elles se réclament respectivement l’une et l’autre n’ont plus aucun intérêt. Ils s’effacent devant l’identité des comportements, qui les rend indiscernables.
(p.307) Ce populisme, qui se réduit à l’affirmation sans cesse réitérée de ce que son « élite » aux abois souhaite qu’on lui dise, tend, ne l’oublions pas, vers ce but éternel et primordial : rétablir la croyance selon laquelle le marxisme reste juste et le communisme n’était pas mauvais, en tout cas moins que ne l’est le capitalisme. D’où le zèle que déploie, par exemple, Le Monde diplomatiquel pour assurer la diffusion en français de l’ouvrage du marxiste anglais Eric Hobsbawm, L’Âge des extrêmes (1914-1941), impavide négationniste s’il en fut, qui va jusqu’à refuser d’admettre, aujourd’hui, que les Soviétiques soient les auteurs du massacre de Katyn, bien que Mikhaïl Gorbatchev lui-même l’ait reconnu en 1990 et que plusieurs documents sortis des archives de Moscou l’aient confirmé depuis lors.
1. Voir le résumé de l’« affaire Hobsbawm » dans Le Monde, 28 octobre 1999.
(p.308) Depuis la fin de l’Empire soviétique, il en subsiste au fond un seul, c’est l’antiaméricanisme. Prenez la France, pays auquel je me réfère volontiers parce qu’il est le laboratoire paradigmatique de la résistance aux enseignements de la catastrophe communiste. Si vous enlevez l’antiaméricanisme, à droite comme à gauche, il ne reste rien de la pensée politique française. Enfin, ne lésinons pas, il en reste peut-être, mettons (p.309) trois ou quatre pour cent, du moins dans les milieux qui occupent le devant de l’éphémère. La mondialisation, par exemple, est rarement analysée en tant que telle, pas plus que les fonctions de l’Organisation mondiale du commerce. L’une et l’autre font peur. Pourquoi ? Parce qu’ils sont devenus synonymes d’hyperpuissance américaine1. Si vous objectez que la mondialisation des échanges ne profite pas unilatéralement aux États-Unis, lesquels achètent plus qu’ils ne vendent à l’étranger, sans quoi leur balance du commerce extérieur ne serait pas en déficit chronique ; ou si vous avancez que l’OMC n’est pas foncièrement néfaste aux Européens ou aux Asiatiques, sans quoi on ne comprendrait pas pourquoi tant de pays qui n’en sont pas encore membres (la Chine, par exemple, dont l’entrée a finalement été décidée en novembre 1999) font des pieds et des mains pour s’y faire admettre, alors vous haranguez des sourds. Car vous vous placez sur le terrain des considérations rationnelles alors que votre auditoire campe sur celui des idées fixes obsessionnelles. Vous ne gagnerez rien à lui mettre sous les yeux des éléments réels de réflexion, sinon de vous faire traiter de valet des Américains. Pourtant, l’OMC a tranché en faveur de l’Union européenne plus de la moitié des différends qui l’opposaient aux États-Unis et a souvent condamné ceux-ci pour subventions déguisées. Loin d’être la foire d’empoigne du laissez-passer, l’OMC a été au contraire créée afin de rendre loyale la concurrence dans les échanges mondiaux. La haine des États-Unis s’alimente à deux sources distinctes mais souvent convergentes : les États-Unis sont l’unique superpuissance, depuis la fin de la guerre froide ; les États-Unis sont le principal champ d’action et centre d’expansion du diable libéral. Les deux thèmes d’exécration se rejoignent, puisque c’est précisément à cause de son « hyperpuissance » que l’Amérique répand la peste libérale sur l’ensemble de la planète. D’où le cataclysme vitupéré sous le nom de mondialisation.
(p.310) Si l’on prend au pied de la lettre ce réquisitoire, il en ressort que le remède aux maux qu’il dénonce serait que chaque pays mette ou remette en place une économie étatisée et, d’autre part, se ferme hermétiquement aux échanges internationaux, y compris et surtout dans le domaine culturel. Nous retrouvons donc là, dans une version post-marxiste, l’autarcie économique et culturelle voulue par Adolf Hitler.
En politique internationale, les États-Unis sont plus détestés et désapprouvés, même par leurs propres alliés, depuis la fin de la guerre froide qu’ils ne l’étaient durant celle-ci par les partisans avoués ou inavoués du communisme. C’est au point que l’Amérique soulève la réprobation parfois la plus haineuse, même quand elle prend des initiatives qui sont dans l’intérêt évident de ses alliés autant que d’elle-même, et qu’elle est seule à pouvoir prendre. Ainsi, durant l’hiver 1997-1998, l’annonce par Bill Clinton d’une éventuelle intervention militaire en Irak, pour forcer Saddam Hussein à respecter ses engagements de 1991, fit monter de plusieurs degrés le sentiment hostile envers les États-Unis. Seul le gouvernement britannique prit position en leur faveur.
Le problème était pourtant clair. Depuis plusieurs années, Saddam refusait d’anéantir ses stocks d’armes de destruction massive, empêchait les inspecteurs des Nations unies de les contrôler, violant ainsi l’une des principales conditions acceptées par lui lors de la paix consécutive à sa défaite de 1991. Étant donné ce dont le personnage est capable, on ne pouvait nier la menace pour la sécurité internationale que représentait l’accumulation entre ses mains d’armes chimiques et biologiques. Mais, là encore, le principal scandale que trouvait à dénoncer une large part de l’opinion internationale, c’était l’embargo infligé à l’Irak. Comme si le vrai coupable des privations subies de ce fait par le peuple irakien n’était pas Saddam lui-même, qui avait ruiné son pays en se lançant dans une guerre contre l’Iran en 1981, puis contre le Koweït en 1990, enfin en entravant l’exécution des résolutions de l’ONU sur ses armements. Le soutien que, par haine des États-Unis, (p.311) les censeurs de l’embargo apporteraient ainsi à un dictateur sanguinaire venait aussi bien de l’extrême droite que de l’extrême gauche (Front national et Parti communiste en France) ou des socialistes de gauche (l’hebdomadaire The New States-man en Grande-Bretagne ou Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, en France), et de la Russie autant que d’une partie de l’Union européenne. Il s’agit donc d’un commun dénominateur antiaméricain plus que d’un choix idéologique ou stratégique cohérent.
Beaucoup de pays, dont la France, ne niaient pas la menace représentée par les armements irakiens, mais déclaraient préférer à l’intervention militaire la « solution diplomatique ». Or la solution diplomatique était, précisément, rejetée depuis sept ans par Saddam, qui avait tant de fois mis à la porte les représentants de l’ONU ! Quant à la Russie, elle clama que l’usage de la force contre Saddam mettrait en péril ses propres « intérêts vitaux ». On ne voit pas en quoi. La vérité est que la Russie ne perd pas une occasion de manifester sa rancœur de ne plus être la deuxième superpuissance mondiale, ce qu’elle était ou croyait être du temps de l’Union soviétique. Mais l’Union soviétique est morte de ses propres vices, dont la Russie subit encore les conséquences. Il y a eu dans le passé des empires et des puissances d’échelle internationale, avant les Etats-Unis de cette fin du vingtième siècle. Mais il n’y en avait jamais eu aucun qui atteignît à une prépondérance planétaire. C’est ce que souligne Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller à la Sécurité du président Jimmy Carter, dans son livre, Le Grand Échiquier1. Pour mériter le titre de superpuissance mondiale, un pays doit occuper le premier rang dans quatre domaines : économique, technologique, militaire et culturel. L’Amérique est actuellement le seul pays — et le premier dans l’histoire — qui remplisse ces quatre conditions à la fois.
1 Trad. fr., Bayard éditions, 1997.
(p.313) Car la prépondérance de l’Amérique est venue, sans doute, de ses qualités propres, mais aussi des fautes commises par les autres, en particulier par l’Europe. Récemment encore, la France a reproché aux États-Unis de vouloir lui ravir son influence en Afrique. Or, la France porte une accablante responsabilité dans la genèse du génocide rwandais de 1994 et dans la décomposition du Zaïre qui a suivi. Elle s’est donc discréditée toute seule, et c’est ce discrédit qui a creusé le vide rempli ensuite par une présence croissante des États-Unis. (…) (p.314) La superpuissance américaine résulte pour une part seulement de la volonté et de la créativité des Américains. Pour une autre part, elle est due aux défaillances cumulées du reste du monde : la faillite du communisme, le suicide de l’Afrique débilitée par les guerres, les dictatures et la corruption, les divisions européennes, les retards démocratiques de l’Amérique latine et surtout de l’Asie.
À l’occasion de l’intervention de l’Otan au Kosovo la haine antiaméricaine s’est haussée encore d’un cran. Dans la guerre du Golfe, on pouvait plaider que, derrière une apparente croisade en faveur de la paix, se cachait la défense d’intérêts pétroliers. On négligeait ainsi, d’ailleurs, ce fait que les Européens sont beaucoup plus dépendants du pétrole du Moyen-Orient que ne le sont les États-Unis. Mais au Kosovo, même avec la pire foi du monde, on ne voit pas quel égoïsme américain pouvait dicter cette intervention dans une région sans grandes ressources ni grande capacité importatrice et où l’instabilité politique, le chaos ethnique, les crimes contre la population faisaient courir un grave danger à l’équilibre de l’Europe, mais aucun à celui des États-Unis. Au cours du processus de mobilisation de l’Otan, ce sont plutôt les Américains qui ont eu le sentiment d’être entraînés dans cette expédition par les Européens, et plus particulièrement par la France, après l’échec de la conférence de Rambouillet. Ame de cette conférence, en février 1999, Paris avait déployé tous ses efforts et engagé tout son prestige pour convaincre la Serbie d’accepter un compromis au sujet du Kosovo. Si le refus des Serbes ne leur avait valu ensuite (p.315) aucune sanction, c’est l’Europe, et en premier lieu la France, qui auraient ainsi donné le spectacle d’une pitoyable impuissance, au demeurant réelle. La participation américaine à l’opération militaire de l’Otan eut pour fonction à la fois de la pallier et de la masquer. Sur neuf cents avions engagés, six cents étaient américains, ainsi que la quasi-totalité des satellites d’observation1. Car les crédits que les États-Unis à eux seuls consacrent à l’équipement et à la recherche militaires sont deux fois plus élevés que ceux des quinze pays de l’Union européenne ; et, en matière de défense spatiale, dix fois plus. Si la volonté d’agir au Kosovo fut européenne, les moyens, dans leur majorité, furent et ne pouvaient être qu’américains. De surcroît, la barbarie qu’il s’agissait d’éradiquer résultait de plusieurs siècles d’absurdités d’une facture inimitablement européenne dont la moindre n’était pas la dernière en date : avoir toléré le maintien à Belgrade, après la décomposition du titisme, d’un dictateur communiste reconverti en nationaliste intégral. Mais, puisqu’il fallait comme d’ordinaire imputer aux Américains les fautes européennes, cette constellation d’antécédents historiques presque millénaires et de facteurs contemporains visibles et notoires fut recouverte du voile de l’ignorance volontaire par de copieuses cohortes intellectuelles et politiques en Europe. À la connaissance on substitua une construction imaginaire selon laquelle les exterminations interethniques au Kosovo étaient une invention américaine destinée à servir de prétexte aux États-Unis pour, en intervenant, mettre la main sur l’Otan et asservir définitivement l’Union européenne. Pascal Bruckner a dressé un inventaire édifiant de ce sottisier2. (…)
1. Pierre Beylau, « Défense : l’impuissance européenne », Le Point, 14 mai 1999. 2 Pascal Bruckner, « Pourquoi cette rage antiaméricaine ? », « Point de vue » publié dans Le Monde, 1 avril 1999. Et « L’Amérique diabolisée », entretien paru dans Politique internationale, n° 84, été 1999.
(p.316) La convergence entre l’extrême droite et l’extrême gauche frôle ici l’identité de vues. Jean-Marie Le Pen est indiscernable de Régis Debray et de quelques autres quand il écrit dans l’organe du Front national, National Hebdo2 : « Le spectacle de l’Europe (et de la France !) à la botte de Clinton dans cette guerre de lâches et de barbares moralisants est écœurant, ignoble, insupportable. J’ai été pour les Croates et contre Milosevic. Aujourd’hui, je suis pour la Serbie nationaliste, contre la dictature que les Américains imposent. » Pour Didier Motchane, du Mouvement des citoyens (gauche socialiste), le but secret des Américains était d’attiser l’hostilité entre la Russie et l’Union européenne. Pour Bruno Mégret, de l’extrême droite (Mouvement national), il était de créer un précédent dont pourraient s’autoriser un jour les Maghrébins, bientôt majoritaires dans le sud de la France,
1. Le Monde, 1″ avril 1999. 2. 22 avril 1999.
(p.317) pour exiger un référendum sur l’indépendance de la Provence, voire son rattachement à l’Algérie. Pour Jean-François Kahn, directeur de l’hebdomadaire de gauche Marianne, le même calcul pervers tendait à inciter à la même démarche les Alsaciens, s’il leur venait à l’esprit de vouloir redevenir Allemands. En cas de refus du gouvernement français, l’Oncle Sam se sentirait alors en droit de bombarder Paris, tout comme il a bombardé Belgrade en 1999. Jean Baudrillard confie de son côté à Libérationl sa version de l’événement : le dessein réel de l’Amérique est selon lui d’aider Milosevic à se débarrasser des Kosovars ! Allez comprendre… C’est d’ailleurs également l’Amérique, affirme Baudrillard, qui a provoqué la crise financière de 1997 au Japon et dans les autres pays d’Asie. Ni ces pays ni le Japon n’ont donc la moindre responsabilité propre dans leurs malheurs boursiers. Pas plus que les Européens dans la genèse de l’inextricable écheveau des haines balkaniques. La conscience morale de ces philosophes n’est pas effleurée par l’hypothèse que l’Union européenne aurait été déshonorée si elle avait laissé se poursuivre, au cœur de son continent, la boucherie du Kosovo. Il est vrai que, selon eux, le projet global de Washington est de « barrer la route à la démocratie mondiale en lente émergence2 ». Le nettoyage ethnique du Kosovo était donc « une démocratie en lente émergence ? » Avec ce passe-partout en main, plus n’est besoin de se casser la tête à étudier les relations internationales ou même à s’en informer. Comme le souligne judicieusement Jean-Louis Margolin3, «la lecture du monde est alors simple : Washington est toujours coupable, forcément coupable ; ses adversaires sont toujours des victimes, forcément victimes ». J’ajouterai : ses alliés aussi ! Toujours coupable, c’est bien le mot. Si les Américains renâclent à s’engager dans une opération humanitaire, ils sont stigmatisés pour leur peu d’empressement à secourir les affamés et les persécutés. S’ils
1. 29 avril 1999. 2. Denis Duclos, Le Monde, 22 avril 1999. 3 Le Monde, 29 mai 1999.
(p.318) s’y engagent, ils sont accusés de comploter contre le reste de la planète (…) C’est nous surtout, Européens, qui nous adonnons à cette projection sur les États-Unis des causes de nos propres erreurs. L’« unilatéralisme » américain que dénonce le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin, Hubert Védrine, n’est souvent que l’envers de notre indécision ou de nos mauvaises décisions. Pour la France, se figurer tenir tête à cet « unilatéralisme » en tapant du pied pour imposer la vente de nos bananes antillaises au-dessus du prix (p.319) du marché ou pour protéger outrageusement Saddam Hussein est dérisoire. De même, l’obséquiosité avec laquelle la France a reçu le président chinois en octobre 1999 découlerait, a-t-on dit, d’un « grand dessein » consistant à promouvoir le géant chinois pour contrebalancer le géant américain. Ainsi, la France, en août 1999, est allée jusqu’à dénoncer comme « déstabilisant pour la Chine » le projet américain d’installer des boucliers antimissiles aux Etats-Unis et dans certains pays d’Extrême-Orient. Nous reconnaissons là un vieux canasson de la propagande pro-soviétique de jadis, selon laquelle c’était la défense occidentale qui constituait la seule menace pour la paix car elle semait l’angoisse au Kremlin.
(p.322) Les deux pilotes de la réunification furent d’abord, naturellement, le président soviétique et le chancelier ouest-allemand. Mais il leur fallait une garantie internationale et un soutien extérieur, pour le cas où une partie des responsables soviétiques et notamment des généraux auraient décidé de s’opposer à Gorbatchev et d’intervenir militairement pour prolonger par la force l’existence de la RDA. Cette garantie internationale et ce soutien extérieur, ce furent les États-Unis qui les leur apportèrent. Le président américain, George Bush, par des signaux dénués d’ambiguïté, fit comprendre aux éventuels va-t-en-guerre de Moscou qu’une reprise de l’opération « Printemps de Prague » en RDA se heurterait, cette fois-ci, à une riposte américaine. N’ayant saisi ni l’importance ni la signification des événements qui arrachèrent l’Europe centrale au communisme, et n’y ayant joué aucun rôle positif, les Européens occidentaux n’ont aucun droit de déplorer l’« hyperpuissance » américaine, laquelle provient de ce que l’Amérique a dû combler leur propre vide politique et intellectuel, dans des circonstances où, (p.323) cependant, c’étaient les intérêts vitaux de l’Europe, une fois de plus, qui étaient en jeu. Appartenir à l’Europe, être l’allié de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, ne fut d’aucun secours à Helmut Kohi en 1989 et en 1990 dans la conduite de l’opération la plus risquée, la plus lourde de conséquences de l’histoire récente de son pays. En revanche, être l’allié des États-Unis lui permit de mener la réunification à bien dans la paix tout en parachevant la décommunisation de l’Europe centrale. En outre, George Bush sut s’abstenir de tout triomphalisme susceptible d’irriter les opposants soviétiques à la politique de Gorbatchev. Le président américain refusa, en particulier, de suivre l’avis de ses conseillers, qui l’incitaient à se rendre à Berlin au lendemain de la chute du Mur. Il eut la décence de respecter la résonance purement allemande des retrouvailles des deux populations. Il ne fut pas du spectacle, mais il avait été du combat. L’Europe en avait été absente. Voilà pourquoi ni Jacques Chirac, ni Tony Blair, ni Massimo D’Alema n’assistèrent à la commémoration du 9 novembre 1999 au Bundes-tag, dans Berlin réunifiée. L’antiaméricanisme onirique provient de deux origines distinctes, qui se rejoignent dans leurs résultats. La première est le nationalisme blessé des anciennes grandes puissances européennes. La deuxième est l’hostilité à la société libérale chez les anciens partisans du communisme, y compris ceux qui, sans approuver les sanguinaires totalitarismes soviétiques, chinois ou autres, avaient fait le pari que le communisme pourrait un jour se démocratiser et s’humaniser. Le nationalisme blessé ne date pas de la fin de la guerre froide. Il apparaît au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Son plus brillant et catégorique porte-parole fut le général de Gaulle. « L’Europe occidentale est devenue, même sans s’en apercevoir, un protectorat des Américains », confie-t-il en 1963 à Alain Peyrefitte1. Pour le premier président de la
(p.324) Cinquième République, il existe une équivalence entre la relation de Washington avec l’Europe occidentale et celle de Moscou avec l’Europe centrale et orientale. « Les décisions se prennent de plus en plus aux États-Unis… C’est comme dans le monde communiste, où les pays satellites se sont habitués à ce que les décisions se prennent à Moscou. » Malheureusement les Européens de l’Ouest, hormis la France, « se ruent à Washington pour y prendre leurs ordres ». « Les Allemands se font les boys des Américains. » D’ailleurs, déjà pendant la guerre, « Churchill piquait une lèche éhontée à Roosevelt ». « Les Américains ne se souciaient pas plus de délivrer la France que les Russes de libérer la Pologne. » De Gaulle développera publiquement cette thèse dans sa conférence de presse du 16 mai 1967 : les États-Unis ont traité la France après 1945 exactement comme l’URSS a traité la Pologne ou la Hongrie. Rien ne l’en fait démordre. En 1964, le président Johnson adresse aux Départements d’État et de la Défense un mémorandum leur disant qu’il n’approuvera aucun plan de défense qui n’ait au préalable été discuté avec la France. De Gaulle déclare alors à Peyrefitte : «Johnson cherche à noyer le poisson. » S’il n’avait pas prescrit de consulter la France, Johnson aurait assurément montré par-là son « hégémonisme ». Quand il proclame au contraire la liberté de choix française et la volonté américaine de n’adopter aucun plan sans l’accord de Paris, alors c’est qu’il désire « noyer le poisson ». Le dispositif mental que nous connaissons est bien en place : les États-Unis ont toujours tort. Chez le nationaliste, donc, la pensée tourne dans le labyrinthe passionnel de l’orgueil blessé. Même dans la science et la technologie, le retard de son propre pays ne provient pas, selon lui, de ce qu’il a fait fausse route, ou d’une inaptitude — pour des raisons, par exemple, de raideur étatique — à voir et à prendre la direction de l’avenir. Si un autre pays saisit avant lui les occasions de progrès, ce ne saurait être que par malveillance et appétit de domination. L’intelligence n’y est pour rien, ni le système économique. Ainsi, en 1997, (p.325) Jacques Toubon, alors ministre français de la Justice, déclare à l’hebdomadaire américain US News and World Report que « l’usage dominant de la langue anglaise sur l’internet est une nouvelle forme de colonialisme ». Bien entendu, la cécité technologique d’une France crispée sur son Minitel national n’a joué aucun rôle dans cette triste situation. En 1997, nous avions dix fois moins d’ordinateurs reliés à l’internet que les Etats-Unis, deux fois moins que l’Allemagne et arrivions même derrière le Mexique et la Pologne ! Mais la faute en est toujours à l’autre, qui a eu le front de voir plus clair plus tôt que nous et dont la souplesse libérale a permis l’initiative des créateurs privés. En France, la bureaucratisation d’une recherche confite dans le CNRS, la distribution de l’argent public à des chercheurs stériles, mais amis du pouvoir, n’est-ce pas un boulet ? Dans un texte de 1999, intitulé Pour l’exemption culturelle, Jean Cluzel, président du Comité français pour l’audiovisuel, persiste dans la voie protectionniste et peureuse. Il écrit : « Face à l’irruption fracassante des nouvelles technologies de la communication, au service de la culture dominante américaine, la souveraineté culturelle française est fortement menacée. » Irruption fracassante ? Pour quelles raisons ? Est-elle tombée du ciel ? Le remède ? Etudier les causes de cette irruption ? Que non pas ! Il faut instaurer des quotas, subventionner nos films et feuilletons télévisés, revendiquer l’universelle francophonie, tout en laissant la langue française se dégrader dans nos écoles et sur nos ondes.
Toute interprétation délirante par laquelle le moi blessé impute ses propres échecs à autrui est intrinsèquement contradictoire. Celle-là ne manque pas à la règle. En effet, les Français haïssent les Etats-Unis, mais, si quelqu’un proteste contre les américanismes inutiles qui envahissent le parler des médias de masse, on traite aussitôt le récriminateur de vieux ringard, de puriste étriqué et de pion ridiculement accroché au passé. Nous réussissons ce tour de force de conjuguer l’impérialisme francophonique et le hara-kiri langagier. Nous voulons imposer (p.324) au monde une langue que nous parlons nous-mêmes de plus en plus mal, et que nous méprisons donc, délibérément. La contradiction règne avec le même brio au cœur de l’antiaméricanisme de la gauche. Mais le sien est idéologique plus que nationaliste. Dans les cas aigus, il est souvent les deux à la fois. Lorsque Noël Manière, député vert, et Olivier Warin, journaliste télévisuel pour Arte, intitulent un livre commun Non, merci, Oncle Sam1, cela ne peut signifier qu’une chose, à la lumière de l’histoire et non de l’illusion : ces deux auteurs auraient préféré voir l’Europe hitlérienne ou stalinienne plutôt qu’influencée par les États-Unis. Cependant l’Amérique est exécrée à gauche surtout parce qu’elle est le repaire du libéralisme. Or, le libéralisme, quand on gratte un peu, cela continue pour les socialistes à être le fascisme. L’ul-tragauche procède ouvertement à cette assimilation. Et il ne faut pas pousser très loin un interlocuteur de la gauche « modérée » pour qu’il y vienne aussi, trahissant le fond de sa pensée. Combien de fois, dans les pages qui précèdent, n’avons-nous pas rencontré, chez les orateurs qui ne donnaient par ailleurs aucun signe d’aliénation, l’expression « libéralisme totalitaire » et autres équivalents ? L’inférence naturelle de ce verdict devrait donc être de préconiser la restauration de la société communiste, le retour aux racines du socialisme, l’abolition de la liberté d’entreprendre et de la liberté des échanges. Et c’est là qu’est la contradiction. Car, vu le bilan du communisme, et même celui du social-étatisme à la française des années quatre-vingt, aujourd’hui trop bien connus, la gauche recule devant cette conclusion, encore qu’une proportion substantielle de ses prédicateurs les plus ardents la couvent du regard. Mais, comme un tel programme ne peut donner lieu désormais à aucune politique concrètement menée par un gouvernement responsable quel qu’il soit, ce sont surtout les intellectuels de gauche qui, fidèles à leur mission historique, n’ont pas manqué cette occasion trop belle de s’en faire les hérauts.
(p.327) Ainsi Günter Grass, dans un roman paru en 1995, Ein mettes Feld (« Une longue histoire ») chante rétrospectivement les charmes berceurs de la République démocratique d’Allemagne, réservant toute sa sévérité à l’Allemagne de l’Ouest. La réunification allemande ne fut rien d’autre à ses yeux qu’une « colonisation » (nous avons déjà rencontré ce terme dans ce contexte) de l’Est par l’Ouest et donc une invasion de l’Est par le « capitalisme impérialiste ». Il aurait fallu faire l’inverse, dit-il, se servir de la RDA comme du soleil à partir duquel le socialisme aurait rayonné sur l’ensemble de l’Allemagne. Façon de parachever la beauté de la démonstration, le héros du roman de Grass est un personnage que vous et moi considérerions naïvement comme infect et nauséabond, puisqu’il a passé sa vie à espionner ses concitoyens et à les moucharder, en servant d’abord la Gestapo, ensuite la Stasi. Mais Grass le juge, quant à lui, tout à fait respectable, dans la mesure où cet homme a toujours servi un État antilibéral et s’est inspiré des antiques vertus de l’esprit prussien ! Tels sont la sûreté de vues historiques et les critères de moralité du prix Nobel de littérature 1999 ‘. Ils sont logiques dans la perspective d’une « résistance » à l’influence américaine, puisque les deux seules productions politiques originales de l’Europe au vingtième siècle, les seules qui ne doivent rien à la pensée « anglo-saxonne » sont le nazisme et le communisme. Restons donc fidèles aux traditions du terroir !
(p.329) LA HAINE DU PROGRES
L’opération qui absorbe le plus l’énergie de la gauche internationale, en cette fin du vingtième siècle, et pour probablement plusieurs années encore au début du siècle suivant, a ainsi pour but d’empêcher que soit traitée ou même posée la question de sa participation active ou de son adhésion passive, selon les cas, au totalitarisme communiste. Tout en feignant de répudier le socialisme totalitaire, ce qu’elle ne fait qu’à contrecœur et du bout des lèvres, la gauche refuse d’examiner, sur le fond, la validité du socialisme en tant que tel, de tout socialisme, de peur d’avoir à découvrir ou, plutôt, à reconnaître explicitement que son essence même est totalitaire. Les partis socialistes, dans les régimes de liberté, sont démocratiques dans la proportion même où ils sont moins socialistes.
(p.330) Le bruit assourdissant et quotidien de l’orchestration du « devoir de mémoire » à l’égard de ce passé déjà lointain semble en partie destiné à épauler le droit à l’amnésie et à l’autoamnistie des partisans du premier totalitarisme, lequel a sévi plus tôt, plus longuement, beaucoup plus tard et sévit encore par endroits sur de vastes étendues géographiques et un peu partout dans bien des esprits. Ces partisans couvrent ainsi la voix de ceux qui voudraient l’évoquer et ils expliquent au besoin cette honteuse insistance à parler du communisme par une sournoise complicité rétrospective avec le nazisme. (p.331) Le communisme est, pour la gauche, comme un membre fantôme, un bras ou une jambe disparus, mais que l’amputé continue à sentir comme s’il était encore présent. Et si l’on a vu disparaître le communisme en tant qu’idéologie globale, façonnant tous les aspects de la vie humaine dans les pays où il était implanté et destinée à régir un jour la totalité de la planète, cela ne signifie pas qu’il ait cessé de contrôler des pans entiers de nos sociétés et de nos cultures. C’est ce que Roland Hureaux, dans Les Hauteurs béantes de l’Europe2, appelle « l’idéologie en pièces détachées ». L’idéologie n’est pas nécessairement un bloc, observe-t-il. « Des phénomènes de nature idéologique peuvent être à l’œuvre dans tel ou tel secteur de la vie politique, administrative ou sociale sans que l’on soit pour autant dans une société totalitaire. » Un bon échantillon de ces idéologies en pièces détachées est fourni par le courant d’émotions négatives suscité par la mondialisation des échanges. La guérilla urbaine qui se déchaîna en novembre-décembre 1999 à Seattle contre l’Organisation mondiale du commerce, plus enragée encore que celle de Genève en 1998, incarne bien la survivance de la folie totalitaire. On n’ose même plus dire, devant une telle dégradation, « idéologie » totalitaire. L’idéologie, en effet, préserve au moins les apparences de la
(p.332) rationalité. A Seattle, le spectacle était donné par des primitifs de la pseudo-révolution. Ils braillaient des protestations et revendications d’une part hors de propos, sans rapport avec l’objet réel de la réunion ministérielle de l’OMC, d’autre part hétéroclites et incompatibles entre elles. Hors de propos parce que l’OMC, loin de prôner la liberté sans frein ni contrôle du commerce international, a été créée en vue de l’organiser, de le réglementer, de le soumettre à un code qui respecte le fonctionnement du marché tout en l’encadrant de règles de droit. Les manifestants s’en prenaient donc à un adversaire imaginaire : la mondialisation « sauvage ». Elle se révéla l’être bien moins qu’eux-mêmes et à vrai dire l’être si peu que ce fut le protectionnisme, gavé de subventions, auquel s’accrochèrent certains grands partenaires de la négociation, qui provoqua au contraire l’échec de la conférence. Un autre reproche gauchiste, celui fait aux pays riches de vouloir imposer le libre-échange, en particulier la libre circulation des capitaux, aux pays moins développés pour exploiter la main-d’œuvre locale, ses bas salaires et l’insuffisance de sa protection sociale, se révéla être un autre de ces fruits de la pensée communiste qui survivent sous forme de paranoïa. En effet, ce furent les pays en voie de développement qui, à Seattle, refusèrent de s’engager à adopter des mesures sociales, le salaire minimal garanti ou l’interdiction du travail des enfants. Ils arguèrent que les riches voulaient, en leur imposant ces mesures, réduire leur compétitivité, due à leur faibles coûts de production, prometteurs d’un décollage économique et donc d’une élévation ultérieure de leur niveau de vie. Contrairement aux préjugés des gauchistes, c’étaient les pays les moins développés, en l’occurrence, qui réclamaient le libéralisme « sauvage » et les pays capitalistes avancés qui, grevés d’un coût élevé du travail, demandaient une harmonisation sociale parce qu’ils redoutent la concurrence des pays moins avancés. C’est aux moins riches que la liberté du commerce profite le plus, parce que ce sont eux qui ont, dans certains secteurs importants, les produits les plus (p.333) compétitifs. Et ce sont les plus riches, avec leurs prix de revient élevés, qui, dans ces mêmes secteurs, craignent le plus la mondialisation. Au vu des divisions qui, à propos de la mondialisation commerciale, opposent aussi bien les pays riches entre eux que l’ensemble des pays riches à l’ensemble des pays moins avancés, on constate que l’idée fixe selon laquelle régnerait partout une « pensée unique » libérale n’existe que dans l’imagination de ceux qui en sont hantés.
De même, au rebours des slogans écologistes, fort bruyants eux aussi chez les casseurs de Seattle, ce ne sont pas les multinationales, issues des grandes puissances industrielles, qui rechignent le plus à la protection de l’environnement, ce sont les pays les moins développés. Ils font valoir qu’au cours d’une première phase au moins leur industrialisation, pour prendre son essor, doit, comme le fit jadis celle des riches actuels, laisser provisoirement au second plan les préoccupations relatives à l’environnement. Argument également formulé par les pêcheurs de crevettes d’Inde ou d’Indonésie, auxquels les écolos de Seattle entendaient faire interdire l’emploi de certains filets capturant aussi les tortues, espèce menacée. Quel spectacle comique, ces braillards bien nourris des grandes universités américaines s’efforçant de priver de leur gagne-pain les travailleurs de la mer peinant aux antipodes ! Pourquoi nos écolos ne s’en prennent-ils pas plutôt à la pêche européenne, à la sauvagerie protégée avec laquelle, persistant à employer des filets aux mailles étroites qui tuent les poissons non encore adultes, elle extermine les réserves de nos mers ? Il est vrai qu’aller affronter les marins pêcheurs de Lorient ou de La Corogne ne va pas sans risques. Et charrier des pancartes vengeresses contre la liberté du commerce, dans une ville comme Seattle, où quatre salariés sur cinq, à cause de Microsoft ou de Boeing, travaillent pour l’exportation, ne va pas sans ridicule.
Autre détail amusant : les mêmes énergumènes qui manifestent par la violence leur hostilité à la liberté du commerce militent, avec une égale ardeur, en faveur de la levée de l’embargo (p.334) qui frappe le commerce entre les États-Unis et Cuba. Pourquoi le libre-échange, incarnation diabolique du capitalisme mondial, devient-il soudain un bienfait quand il s’agit de le faire jouer au profit de Cuba ou de l’Irak de Saddam Hussein ? Bizarre ! Si la liberté du commerce international est à leur yeux un tel fléau, ne conviendrait-il pas de faire l’inverse et d’étendre l’embargo à tous les pays ?
On ne saurait expliquer ce tissu de contradictions affichées collectivement par des gens qui, pris chacun isolément, sont sans doute d’une intelligence tout à fait normale, sans l’envoûtement par le spectre regretté du communisme, qui a conditionné et conditionnera encore longtemps certains sentiments et comportements politiques. Selon ces résidus communistes, le capitalisme demeure le mal absolu et le seul moyen de le combattre est la révolution — même si le socialisme est mort et si la « révolution » ne consiste plus guère qu’à briser des vitrines, éventuellement en pillant un peu ce qu’il y a derrière. Ce simplisme confortable dispense de tout effort intellectuel. L’idéologie, c’est ce qui pense à votre place. Supprimez-la, vous en êtes réduit à étudier la complexité de l’économie libre et de la démocratie, ces deux ennemis jurés de la « révolution ». L’ennui est que ces bribes idéologiques et les mimes révolutionnaires qu’elles inspirent servent de paravent à la défense d’intérêts corporatistes bien précis. Derrière la cohue des braillards incohérents s’engouffraient à Seattle les vieux groupes de pression protectionnistes des syndicats agricoles et industriels des pays riches qui, eux, savaient fort bien ce qu’ils voulaient : le maintien de leurs subventions, de leurs privilèges, des aides à l’exportation, sous le prétexte en apparence généreux de lutter contre « le marché générateur d’inégalités ».
Les cris de joie de la révolte « citoyenne! », proclamée telle
par elle-même, des ONG, de l’ultragauche anticapitaliste, des écologistes, de tous les troupeaux hostiles au libre-échange, qui se sont attribué la gloire du fiasco de la conférence de Seattle, ce triomphe bruyant est un véritable festival d’incohérences. Répétons-le, ce qui a provoqué l’échec de Seattle n’est pas du tout l’« ultralibéralisme » supposé de l’Union européenne et des États-Unis, mais au contraire leur protectionnisme excessif, notamment dans le domaine de l’agriculture, protectionnisme générateur de ressentiments dans les pays émergents, en développement ou dits « du groupe de Cairns », qui sont ou voudraient être gros exportateurs de produits agricoles. Le vainqueur, à Seattle, ce fut le protectionnisme des riches, n’en déplaise aux obsédés qui stigmatisent leur libéralisme. Là où les pays en voie de développement ont marqué un point, c’est en refusant les clauses sociales et écologiques que l’OMC souhaitait leur faire accepter. En les soutenant, la gauche applaudit par conséquent le travail des enfants, les salaires de misère, la pollution, l’esclavage dans les camps de travail chinois, vietnamiens ou cubains. Rarement la nature intrinsèquement contradictoire de l’idéologie se sera manifestée avec une aussi béate fatuité.
Nous saisissons là sur le vif une autre propriété de la pensée idéologique, outre son ignorance délibérée des faits et son culte des incohérences : sa capacité à engendrer, sous des mots d’ordre progressistes, le contraire de ses buts affichés. Elle prétend et croit travailler à la construction d’un monde égalitaire et elle fabrique de l’inégalité. Une autre de ces inversions de sens entre les intentions et les résultats a été accomplie par la politique française de l’Éducation depuis trente ans. Elle aussi est un bon exemple d’une idéologie totalitaire s’appropriant un secteur de la vie nationale au sein d’une société par ailleurs libre.
Le 20 septembre 1997, je publie dans Le Point un modeste éditorial intitulé «Le naufrage de l’École»1. Modeste parce
(p.336) que je n’y développais, je l’avoue, rien de bien original, tant fusaient depuis des années de toutes parts les lamentations sur la baisse constante du niveau des élèves, sur les progrès de l’illettrisme, de la violence et de ce que l’on appelle par pudeur l’« échec scolaire », apparemment une sorte de catastrophe naturelle ne dépendant en aucune façon des méthodes suivies ou imposées par les responsables de notre enseignement public. Dès le lendemain, je reçois une lettre à en-tête du ministère de l’Education nationale, signée d’un nommé Claude Thélot, « directeur de l’évaluation et de la prospective ». Tout en me servant ironiquement du « Monsieur l’Académicien » et du « Cher Maître », cet important personnage daignait me notifier que mon éditorial était d’une rare indigence intellectuelle et, pour tout dire, « navrant ». Obligeant, le magnanime directeur se tenait à ma disposition pour me fournir sur l’école les lumières élémentaires dont j’étais visiblement dépourvu. Or voilà que, dès la semaine suivante, la presse rend public un rapport de cette même Direction de l’évaluation et de la prospective. Il en ressort, entre autres atrocités, que 35 % des élèves entrant en sixième ne comprennent pas réellement ce qu’ils lisent et que 9 % ne savent même pas déchiffrer les lettres ‘. Au vu de cet accablant constat, largement diffusé, je me posai aussitôt la question de savoir si par hasard il était tombé sous les yeux de M. Claude Thélot. Celui-ci ne serait-il pas ce qu’on appelle en anglais un self confessed idiot, un sot qui se proclame lui-même être tel, puisque la Direction de l’évaluation, au sommet de laquelle il trône, corroborait mon article ? Ou alors un paresseux qui n’avait même pas pris la peine de lire les études réalisées par ses propres services ? J’écartai ces deux hypothèses pour me rallier en fin de compte à l’explica-
(p.337) tion que l’arrogant aveuglement de M. Thélot était dû à la toute-puissance de l’idéologie, qui s’était emparée de son cerveau et de toute sa pensée. De même qu’un apparatchik était jadis incapable fût-ce d’envisager que l’improductivité de l’agriculture soviétique pût provenir du système même de la collectivisation, ainsi les bureaucrates du ministère de l’Education nationale ne peuvent pas concevoir que l’écroulement de l’école puisse être dû au traitement idéologique qu’ils lui infligent depuis trente ans. Pour un idéologue, obtenir durant des décennies le résultat contraire à celui qu’il recherchait au départ ne prouve jamais que ses principes soient faux ou sa méthode mauvaise. Nous saisissons-la sur le vif ce phénomène fréquent d’un « segment totalitaire » au sein d’une société par ailleurs démocratique1. De nombreux tronçons idéologiques, aujourd’hui surtout de filiation communiste, continuent ainsi de flotter ça et là de par le monde, alors même que disparaît le communisme comme entité politique et comme projet global. Comment et pourquoi ont pu apparaître, comment et pourquoi peuvent se perpétuer, en quelque sorte à titre posthume, ces trois caractéristiques souvent évoquées dans ces pages, des idéologies totalitaires et plus particulièrement de l’idéologie communiste : l’ignorance volontaire des faits ; la capacité à vivre dans la contradiction par rapport à ses propres principes ; le refus d’analyser les causes des échecs ? On ne peut entrevoir de réponse à ces question si l’on exclut une réponse paradoxale : la haine socialiste pour le progrès2. 1. Voir Liliane Lurçat, La Destruction de l’enseignement élémentaire. Éditions F.-X. de Guibert, 1998. À l’occasion du Salon de l’Éducation, organisé par le ministère gour la première fois en novembre 1999 (il est plus facile d’organiser un Salon de l’Education que l’éducation), Mme Ségolène Royal, ministre chargée de l’Enseignement scolaire, « déclare la guerre à l’illettrisme » (journal du dimanche, 28 novembre 1999). Si elle lui déclare la guerre, c’est donc qu’il existe, n’en déplaise à M. Thélot. Pis : grâce à une enquête de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, rendue publique fin novembre 1999, nous apprenions qu’une proportion croissante des élèves admis en sixième non seulement ne savent pas lire mais ne sont même plus capables de parler !
(p.338) Nous avons vu au chapitre treizième comment les théoriciens du Parti communiste et ceux de l’ultragauche marxiste condamnent en bloc tous les moyens modernes de communication comme étant des « marchandises » fabriquées par des « industries culturelles ». Ces prétendus progrès n’auraient pour but selon eux que le profit capitaliste et l’asservissement des foules. L’édition, la télévision, la radio, le journalisme, l’internet, pourquoi pas l’imprimerie ? n’auraient ainsi jamais été des instruments de diffusion du savoir et des moyens de libération des esprits. Ils n’auraient au contraire servi qu’à tromper et à embrigader. Ce qu’il faut se rappeler, c’est que cette excommunication de la modernité, du progrès scientifique et technologique et de l’élargissement du libre choix culturel plonge ses racines dans les origines de la gauche contemporaine et, de façon éclatante, dans l’œuvre de l’un de ses principaux pères fondateurs : Jean-Jacques Rousseau. Nul ne l’a mieux vu et mieux dit que Bertrand de Jouvenel dans son Essai sur la politique de Rousseau1, sinon, bien longtemps avant lui, mais cursivement, Benjamin Constant dans De la liberté des anciens comparée à celle des modernes. Le texte qui a rendu Rousseau instantanément célèbre est, chacun le sait mais rares sont ceux qui en tirent les conclusions appropriées, un manifeste virulent contre le progrès scientifique et technique, facteur, selon lui, de régression dans la mesure où il nous éloigne de l’état de nature. Ce texte va donc à l’encontre de toute la philosophie des Lumières, selon laquelle l’avancement de la connaissance rationnelle, de la science et de ses applications pratiques favorise l’amélioration des conditions de vie des humains. L’hostilité que les philosophes du dix-huitième siècle, notamment Voltaire, vouèrent rapidement à Rousseau ne découle pas seulement d’animosités personnelles, comme on le répète sans trop d’examen : elle a pour cause une profonde divergence
(p.339) doctrinale. Au rebours du courant majeur de son temps, Rousseau considère la civilisation comme nocive et dégradante pour l’homme. Il vante sans cesse les petites communautés rurales, il prône le retour au mode de vie ancestral, celui de paysans éparpillés dans la campagne en hameaux de deux ou trois familles. L’objet de son exécration, c’est la ville. Après le tremblement de terre de Lisbonne, il clame hautement que ce séisme n’aurait pas fait autant de victimes… s’il n’y avait pas eu d’habitants à Lisbonne, c’est-à-dire si Lisbonne n’avait jamais été bâtie. L’ennemi, à tous points de vue, c’est la cité. Elle est corruptrice et, de plus, expose les humains à des catastrophes qui ne les frapperaient pas s’ils continuaient à vivre dans des cavernes ou des huttes. Ainsi, l’humanité se porterait beaucoup mieux, culturellement et physiquement, si elle n’avait jamais construit ni Athènes, ni Rome, ni Alexandrie, ni Ispahan, ni Fez, ni Londres, ni Séville, ni Paris, ni Vienne, ni Florence, ni Venise, ni New York, ni Saint-Pétersbourg. Une fois de plus, les visions passéistes et le protectionnisme champêtre d’une certaine gauche, celle d’où est issu le totalitarisme, coïncident avec les thèmes de l’extrême droite traditionaliste, adepte du « retour aux sources ». Cette convergence se retrouve jusque dans les débats les plus brûlants de la dernière année du vingtième siècle : certains réquisitoires contre l’« ultralibéralisme » et la « mondialisation impérialiste » étaient à ce point identiques sous des plumes communistes ou ultragauchistes et sous des plumes « souverainistes » de droite qu’on aurait pu intervertir les signatures sans trahir le moins du monde la pensée des auteursl. Dans sa logique hostile à la civilisation, tenue pour corruptrice, Rousseau est l’inventeur du totalitarisme culturel. La
(p.340) Lettre à d’Alembert sur les spectacles préfigure le jdanovisme « réaliste-socialiste » du temps de Staline et les œuvres « révolutionnaires » de l’Opéra de Pékin du temps où c’était Mme Mao Tsé-toung qui le dirigeait. Pour Rousseau, comme pour les autorités ecclésiastiques les plus sévères des dix-septième et dix-huitième siècles, le théâtre est source de dégradation des mœurs. Il incite au vice en dépeignant les passions et pousse à l’indiscipline en stimulant la controverse. Les seules représentations qui soient à son goût sont celles de pièces de patronage, de ces saynètes édifiantes que l’on improvise quelquefois dans les cantons suisses, les soirs de vendanges. Si Jean-Jacques s’était appliqué à lui-même l’esthétique de Rousseau, il se serait interdit d’écrire les Confessions et aurait ainsi privé la littérature française d’un chef-d’œuvre. Quant aux institutions politiques, Le Contrat social garantit la démocratie exactement de la même manière que la constitution stalinienne de 1937 en Union soviétique. Partant du principe que l’autorité de leur État émane de la «volonté générale » du « peuple tout entier », nos deux juristes stipulent que plus aucune manifestation de liberté individuelle ne doit être tolérée postérieurement à l’acte constitutionnel fondateur. C’est dans Le Contrat social que s’exprime, avant la lettre, la théorie du «centralisme démocratique» ou de la « dictature du prolétariat » (dans un autre vocabulaire, bien sûr). Du reste, il est un symptôme qui ne trompe pas : Rousseau exalte toujours Sparte au détriment d’Athènes. Au dix-huitième siècle et jusqu’à Maurice Barrés, c’était presque un code, un signe de ralliement des adversaires du pluralisme et de la liberté. Benjamin Constant relève bien ce penchant pour le permanent camp de rééducation Spartiate, cher à la fois au redoutable abbé de Mably, l’un des plus inflexibles précurseurs de la pensée totalitaire, et au bien intentionné Jean Jacques : « Sparte, qui réunissait des formes républicaines au même asservissement des individus, excitait dans l’esprit de ce philosophe un enthousiasme plus vif encore. Ce vaste couvent lui paraissait l’idéal d’une parfaite république. Il avait (p.341) pour Athènes un profond mépris, et il aurait dit volontiers de cette nation, la première de la Grèce, ce qu’un académicien grand seigneur disait de l’Académie française : « Quel épouvantable despotisme ! Tout le monde y fait ce qu’il veut. » »
Comme le note avec ironie Bertrand de Jouvenel, Rousseau a été loué depuis deux siècles en tant que précurseur d’idées en complète opposition avec celles qui avaient été vraiment les siennes. Il préférait « les champs plutôt que la ville, l’agriculture plutôt que le commerce, la simplicité plutôt que le luxe, la stabilité des mœurs plutôt que les nouveautés, l’égalité des citoyens dans une économie simple plutôt que leur inégalité dans une économie complexe et… par-dessus tout, le traditionalisme plutôt que le progrès ». Mais en ce sens, s’il ne fut pas, contrairement à la légende, un fondateur intellectuel de la démocratie libérale, il le fut bel et bien de la gauche totalitaire. À l’instar de Jean-Jacques Rousseau, Friedrich Engels, dans sa célèbre Situation des classes laborieuses en Angleterre, publiée en 1845, dépeint l’industrialisation et l’urbanisation avant tout comme des facteurs de destruction des valeurs morales traditionnelles, notamment familiales. Dans les nouvelles cités industrielles, les femmes sont, dit-il, amenées à travailler hors du foyer. Elle ne peuvent donc remplir le rôle qui leur a été dévolu par la nature : « veiller sur les enfants, faire le ménage et préparer les repas ». Pis : si le mari est au chômage, c’est à lui qu’incombé cette tâche. Horreur ! « Dans la seule ville de Manchester, des centaines d’hommes sont ainsi condamnés à des travaux ménagers. On comprend aisément l’indignation justifiée d’ouvriers transformés en eunuques. Les relations familiales sont inversées1. » Le mari est privé de sa virilité, cependant que l’épouse, livrée à elle-même dans la grande ville, s’expose à toutes les tentations. Il n’échappera pas au lecteur que nous n’avons pas précisément affaire là, dans le sermon du révérend Engels, à un programme annonciateur de la libération de la femme.
(p.342) Les sociétés créées par le « socialisme réel » furent de fait les plus archaïques que l’humanité ait connues depuis des millénaires. Ce « retour à Sparte » caractérise d’ailleurs toutes les utopies. Les sociétés socialistes sont oligarchiques. La minorité dirigeante y assigne à chaque individu sa place dans le système productif et son lieu de résidence, puisqu’il y est interdit de voyager librement, même dans le pays, sans une autorisation, matérialisée par le « passeport intérieur ». La doctrine officielle doit pénétrer dans chaque esprit et constituer sa seule nourriture intellectuelle. L’art même n’existe qu’à des fins édifiantes et doit se borner à exalter avec la plus hilarante niaiserie une société nageant dans le bonheur socialiste et à refléter l’extase de la reconnaissance admirative du peuple envers le tyran suprême. La population est, bien entendu, coupée de tout contact avec l’étranger, qu’il s’agisse d’information ou de culture, isolement qui réalise le rêve de protectionnisme culturel cher à certains intellectuels et artistes français depuis qu’ils se sentent menacés par le « danger » de la mondialisation culturelle. Ils dénoncent en celle-ci un risque d’uniformisation de la culture. Comme si l’uniformité culturelle n’était pas, au contraire, de façon éclatante la marque des sociétés closes, au sens où Karl Popper et Henri Bergson ont employé cet adjectif ! Et comme si la diversité n’était pas, tout au long de l’histoire, le fruit naturel de la multiplication des échanges culturels ! C’est dans les sociétés du socialisme réel que des camps de rééducation ont pour fonction de remettre dans le droit chemin de la « pensée unique » tous les citoyens qui osent cultiver une quelconque différence. Cette même rééducation a en outre l’avantage de fournir une main-d’œuvre d’un coût négligeable. Encore en l’an 2000, plus d’un tiers de la main-d’œuvre chinoise est constituée d’esclaves. Point d’étonnement à ce que les produits qu’ils fabriquent ainsi presque gratuitement parviennent sur les marchés internationaux à des prix « imbattables ». Et qu’on ne vienne pas dire qu’il s’agit-là d’un méfait du libéralisme : le libéralisme suppose la démocratie, avec les lois sociales qui en découlent.
(p.343) Il paraît incroyable qu’il puisse y avoir encore aujourd’hui des gens assez nombreux qu’habité la nostalgie de ce type de société, soit en totalité, soit en « pièces détachées ». Et pourtant c’est un fait. La longue tradition, échelonnée sur deux millénaires et demi, des œuvres des utopistes, étonnamment semblables, jusque dans les moindres détails, dans leurs prescriptions en vue de construire la Cité idéale, atteste une vérité : la tentation totalitaire, sous le masque du démon du Bien, est une constante de l’esprit humain. Elle y a toujours été et y sera toujours en conflit avec l’aspiration à la liberté.
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Charles de Gaulle, meer dan wie ook het symbool van ,,la France une et indivisible », schreef in 1938 dat Frankrijk met zwaardhouwen tot stand is gebracht. Konkreet betekent dit dat Frankrijk niet de door de Voorzienigheid gegeven natie is, waarvan de kontoeren door de ge-schiedenis alleen nog maar moesten worden ingevuld. ,,ll apparaît (…) que non seulement l’Etat, mais encore la nation française ont été faits à coups d’épée, c’est-à-dire par la conquête et l’oppression à l’égard de divers peuples » (1). Zo blijkt uit een officieel rapport van augustus 1790 .
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Lu francés per amics, mas non per vesins, se pòdes. (provèrbi niçard) |
1979 |
Arelerland a Sprooch, Eis Sprooch iwert all Grenzen, 5/6-10, 1979, Les langues des peuples sur leurs terres, p.66-78
COUP D’OEIL SUR QUELQUES COMMUNAUTES ETHNIQUES D’EUROPE Conférence faite à Thiaumont-Diddebuurg, le 6 octobre 1979 par Monsieur le Professeur Guiu Sobiela-Caanitz
(p.71) Pour le jacobinisme, un seul Etat, donc une seule langue. Le national-socialisme, lui, inversa les termes : une seule langue, donc un seul Etat. Mais dans les deux cas apparaît le même, et on peut considérer Hitler comme fils spirituel de Richelieu, de Robespierre et de Napoléon. Cet Ungeist nie l’une des données fondamentales de la réalité : l‘unité dans la diversité. Le nazisme en arriva a oublier que l’allemand, comme toute langue, englobe une multitude de dialectes, et que le parler de Vienne, de Zurich ou de Strasbourg est aussi allemand que la langue de Goethe et de Thomas Mann. Le dialecte de Zurich se nomme Zürittüütsch, celui de Berne Bärnertüütsch, celui de Bâle Baseldiitsch,celui de Mulhouse Milhüserdiitsch (Mulhouse était suisse jusqu’en 1798); or, la syllabe tüütsch/diitsch 1’indique, ce sont des parlers allemands, bien qu’extérieurs à l’Allemagne. Le nazisme a voulu folkloriser les dialectes, en faire des pièces de musée, et en cela il a renié le véritable esprit allemand.
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1996 |
Heure d’été, La France prête à faire cavalier seul, VA 28/10/1996
La France voudrait que ses partenaires européens se rallient à sa proposition de suppression de l’heure d’été, faute de quoi elle ferait valoir “le principe de subsidiarité”, en adoptant le système qui lui convient. … La France avait été pionnière européenne de l’heure d’ été, en 1976.
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1997 |
Stéphane Courtois, éd., Le livre noir du communisme, Crimes, terreur, répression, éd. Robert Laffont, 1997
CONSIDERATIONS SUR LA FRANCE et la FRANCOPHONIE
(p.12) … la république française a pratiqué une colonisation qui, en dépit de certains apports, fut marquée par nombre d’épisodes répugnants, et ce jusqu’à sa fin.
(p.620) Quelque 9000 des 63000 prisonniers de guerre Viêt-minh avaient péri dans les camps français en Indochine, selon une lettre de mars 1955 du général de Beaufort, chef de la mission française aurpsè de la Commission internationale de contrôle de l’application des accords de Genève.
(p.323) Dès la fin des années vingt, le Komintern, qui dépendait financièrement de l’Etat soviétique, avait perdu tout moyen d’être indépendant. /cf francophonie/
(p.779) Le communisme en Afghanistan
Durant ces 14 années de guerre, les Soviétiques et les communistes afghans ne maitrisèrent guère plus de 20 % du territoire. ils se contentèrent de tenir les grands axes, les principales villes, les zones riches en cérales, en gaz et en pétrole dont la production était bien sûr destinée à l’Union soviétique. “L’exploitation des ressources et la mise en valeur de l’Afghanistan entrent dans le cadre d’une économie d’exploitation coloniale typique: la colonie fournit les matières premières et doit absorber les produits industriels de la métropole, faisant ainsi tourner son industrie.”
(p.825) En pleine période brejnevienne, l’URSS édité un timbre commémorant le 50e anniversaire de la Tcheka et publia un recueil d’hommage à la Tcheka.
Denis Turcotte, Politique linguistique en Afrique francophone, s.d., p.56-57 (p.56) « Il est maintenant admis – ce ne fut pas toujours le cas dans le passé – qu’ il ne se parle à Madagascar qu’ une seule langue, subdivisée en plusieurs dialectes, appartenant à la famille des langues malayo-polynésiennes. » « Mme Domichini-Ramiaramanana note (…) que les vocabulaires de base des 2 dialectes les plus divergents (le sakalava et l’ (an)tambahoaka) présentent encore 60 % de mots communs. C’ est dire que l’ intercompréhension entre tous les dialectes est assurée à travers toute l’ île. »
(p.57) » La grande majorité des Français originaires de la métropole ignorent le malgache. »
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2000s |
Poutine a obtenu la Légion d’honneur… |
2000 |
Roger MARECHAL (Malmedy), L’Europe du bla-bla, in : VA 06/01/2000
Qu’on arrête de glorifier l’Europe des Démocrates, de la Défense etc. jci, en Belgique. Nous sommes bien les seuls. L’Europe, c’est du bla-bla, de la poudre aux yeux pour naïfs à ja vue de ce qui s’est passé récemment a Strasbourg, où on inaugurait le nouveau Parlement européen. Inauguration en grande pompe ‘ par le monarque Chirac pour un édifice pompe à fric et qui fait double emploi avec le bâtiment de Bruxelles. Et tout cela pour montrer cette éternelle Grandeur de la France qui m’exaspère. Autant apprécier les Britanniques qui claquent la porte et ne sont pas hypocrites. Les Belges, eux, suivent comme des moutons la majorité en espérant une Europe de la Défense pour faire des économies. Les sénateurs français, empêchés de cumuler, ont pour la plupart abandonné leur mandat européen. Alors, arrêtons de célébrer cette Europe de façade. De toute façon, pour l’Euro de foot, on fermera les frontières pendant une semaine. Quelle panique pour du foot et quelle propagande pour deux ou trois hooligans ! Quant au Tribunal international de La Haye, quelle comédie ! On condamne des lampistes pour faire croire aux gens qu’on arrête des criminels de guerre. Et quant aux ministres de la Défense, ils feraient bien de se montrer aussi menaçants envers les Russes en Tchétchénie qu’ils l’ont été contre les Serbes au Kosovo. Mais non ! Ils suivent les Américains comme des moutons de Panurge. Mais cessons de parler d’une Europe qui n’existe qu’en façade.
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2002 |
Eric Deffet, Qui aime bien, châtie bien (les Français), LS 13/12/2002
A propos de « Lettre ouverte aux Français qui se croient le nombril du monde », Denise Bombardier (Albin Michel) « Ils oublient, décidément, qu’ils ne sont pas seuls sur la planète francophone. »
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2008
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André Belmans, De Staatkundige inzichten van Frankrijk in: Delta, 9, 2008, p.15-18
(p.15) Vooraleer over te gaan naar een zoveelste Grondwetsherziening, zouden onze politici, zowel Waalse als Vlaamse, er goed aan doen de geschiedenis van hun land eens aandachtig te bestuderen…. Met zou hen dan ongetwijfeld opvallen hoe één van hun buurlanden, namelijk Frankrijk, aïs het ware instinctmatig doorheen de eeuwen bepaalde vaste regels volgt in zijn buitenlandse politiek. Voorzichtigheid vooraleer te hervormen is dus geboden! Even het geheugen opfrissen! Vooraf zij er dan aan herinnerd dat Frankrijk is ontstaan uit de opdeling van het Frankische Rijk der Karolingers, dat tot stand kwam dankzij een geslacht van prinsen uit onze Nederlanden, namelijk uit Haspengouw. Bij de afbakening door het Verdrag van Verdun in 843 van Francia Occidentalis, waaruit later het huidige Frankrijk zou ontstaan, eiste de toenmalige vorst Karel de Kale de Schelde als noordwestelijke grens op. Zodat het graafschap Vlaanderen gedurende gans de Middeleeuwen een Frans leengebied zou blijven en Frankrijk zodoende de controle over de Scheldemonding behield. Het was pas in 1526 door het Verdrag van Madrid dat Keizer Karel V erin slaagde aan deze afhankelijkheid een einde te maken (wat de Vlamingen overigens niet belette tegen hun vorst in opstand te komen, dit terloops gezegd). Bekijken wij nu eens die « vaste regels » waarover wij hierboven gesproken hebben.
Eerste regel van de Franse buitenlandse politiek
De Fransen gaven er heel diplomatisch de titel « politique des frontières naturelles » aan. Door « natuurlijke grenzen » na te streven bereikte Frankrijk in de loop der tijden de Pyreneeën, de Alpen, de Jura, de Rijn… Dat daarvoor een aantal niet-Franstalige gebieden moesten ingelijfd worden, desnoods met geweld, hinderde de Franse staatslieden niet het minst: Bretoenen, Basken, Catalanen, Savoyarden, Elzassers en Vlamingen weten ervan mee te spreken! In al deze gebieden werd de Franse taal met geweld opgelegd. Behalve in het Noorden bereikte Frankrijk dus nagenoeg langs alle kanten zijn gewenste « natuurlijke grenzen ». Langs de overige « onbeschermde » grenzen viel Duitsland (of Pruisen) Frankrijk tôt viermaal toe binnen, waarbij de grenzen van België, Luxemburg en zelfs Nederland geschonden werden: In 1815, 1870, 1914 en 1940. Het zij daarbij vermeld dat bovengenoemde landen reeds onder het Napoleontische regime bij Frankrijk waren ingelijfd. Een niet te verwaarlozen detail: dat Frankrijk na die invallen en een daaropvolgende bezetting bijna steeds door An-gelsaksers (hun middeleeuwse vijand bij uitstek!) moest bevrijd worden, woog zwaar op het Franse nationaal gevoel. Zij verzwijgen het dan ook stelselmatig. (p.16) Nu wordt dikwijls terecht de opmerking gemaakt dat rivieren en bergen in onze moderne tijden al lang geen waardevolle « militaire bescherming » meer bieden Dit is inderdaad juist, maar toch blijven de Fransen aan de gedachte vasthouden dat de Rijn een « natuurlijke » grens, dit is een bescherming van Frankrijk is. Politieke opvattingen; eens gevestigd, leiden dikwijls een taai leven! Bovendien aïs ze dan al geen bescherming meer bieden, zijn oevers van stromen en rivieren aan beide zijden dan toch dikwijls aan-trekkingspolen voor economische activiteiten. Daarom alleen al maakte Frankrijk van het Verdrag van Versailles gebruik om Elzas-Lotharingen, met de belangrijke stad Straats-burg, te annexeren. In het licht van de hierboven geschetste historié is er bijgevolg geen enkele reden om te veronderstellen dat Frankrijk zijn traditionele buitenlandse koers gaat wijzigen en er niet langer meer zou naar streven zijn nog ontbre-kende natuurlijke grenen te verwezenlijken.
Tweede regel van de Franse buitenlandse politîek
De Franse staatkunde heeft zeer goed het Romeinse « Divide et Impera » onthouden (ver-deel en heers). Deze oriëntatie van de Franse politiek is in eerste instantie het gevolg van de invloed der legisten. Deze waren doordrongen van de Romeinse rechtsbeginselen die voor hen aïs voorbeeld golden. Men mag immers niet ver-geten dat het Romeinse recht in veel landen van West-Europa nog lang in zwang bleef. Vêle van deze legisten waren raadgevers van koningen en machthebbers. Volgens de legisten wordt het gezag van de vorst rechtstreeks door God gegeven, zijn wil is derhalve wet. Deze visie kwam vooral tôt stand onder de regering van keizer Justianus. De Franse vorsten hebben haar later overge-nomen en aarzelen niet hun wil op te dringen door dit « verdeel en heers » toe te passen. Toen Jacob van Artevelde, de leiding van de politiek in het graafschap Vlaanderen in han-den kreeg, slaagde hij er in om in 1389 de Hertog van Brabant, de Graven van Hene- gouwen, Holland en Zeeland te Dendermonde bijeen te brengen om een economisch en mili-tair verdrag af te sluiten met het oog op een blijvende samenwerking. Hierdoor aangemoedigd zouden later de Her-togen van Bourgondië er in slagen de Neder-landen geleidelijk aan te verenigen. Het is duidelijk dat de Bourgondische vorsten het voornemen hadden om het Middendeel van het verbrokkelde Frankische Rijk van Ka-rel de Grote, namelijk Lotharingen, opnieuw te herstellen met het oog op een duurzame paci-ficatie van West-Europa. Vanzelfsprekend speelden daarbij ook persoonlijke en dynas-tieke belangen een roi. Hun politiek werd krachtig bestreden door de Franse koningen (Hertog Jan zonder Vrees werd zelfs vermoord). Toen Frankrijk er na de slag bij Nancy in geslaagd was het Bourgondische gevaar in te dijken, voelde het zich nog bedreigd door het Duitse gevaar. Dank zij de godsdienstoorlogen in de 16de en de 17e eeuw kon het ook dit gevaar bezweren. Dank zij de Verdragen van Westfalen (1648) wer-den immers aan de vêle deelgebieden van het oude Duitse Rijk het recht toegekend zich op het niveau van de buitenlandse politiek te doen gelden, waardoor het Duitse Rijk de facto uiteenviel en machteloos werd. Dit is vooral te danken aan de sluwe politiek van Kardi-naal Richelieu en na hem Mazarin. De toepassing van de hierboven genoemde regel « Divide et impera » op de strategisch ge-legen Lage Landen is duidelijk: 1° Frankrijk verzet zich openlijk of heimelijk tegen allé pogingen om de Nederlanden te verenigen; 2° Verleent steun aan allé acties die gericht zijn op het uiteenrukken van België. Ook werden pogingen ondernomen om Luxemburg (« la Gibraltar du Nord ») in Franse handen te krijgen. Dit mislukte gedeeltelijk: enkel Diedenhoven (Thionville) en Montmedy konden door Lodewijk XIV in 1699 bij Frankrijk worden aangehecht. Een ander aspect van deze regel is dat Frankrijk in eigen land het régionale particularisme systematisch tegengewerkt of zelfs onderdrukt, (p.17) terwijl het elders dit particularisme juist bevordert. Aïs voorbeeld hiervan stippen wij aan dat na de Eerste Wereldoorlog Oostenrijk en Honga-rije bij het Verdrag van Versailles van elkaar werden gescheiden, rnaar dat deelgebieden ervan op de Balkan en in Centraal-Europa dan weer werden samengebracht en de Klei-ne Entente vormden, die onder Franse in-vloed stond. Zo zien wij dat Frankrijk steeds opnieuw po-gingen onderneemt om landen verdeeld te houden en om op die manier zelf aan invloed te winnen. Napoléon had dit in 1806 al voor-gedaan door de oprichting van een Rijnbond die van het Balticum tôt aan Zwitserland reikte en die de facto de ontbinding van het oude Duitse Keizerrijk inhield. Wij stellen vast dat waar Frankrijk in eigen land de particularismen onderdrukt, soms zelfs hardhandig, het in het buitenland een tegengestelde politiek voert en diverse taal-en bevolkingsgroepen tegen elkaar uitspeelt. Het is duidelijk dat ook België van die politiek het slachtoffer is. Onze « grondwetsherzieners » zouden daar best eens aan denken.
Derde regel van de Franse buiten-landse politiek
Het vasthouden aan het concept van de Na-tie-Staat dat in Frankrijk echter anders wordt verklaard dan elders. Meestal wordt het nationalisme gevoed door een eeuwenlange gemeenschappelijke ge-schiedenis, het overeenstemmende karakter van de bevolking, de geografische samen-hang van het land, enz… In Frankrijk wordt slechts één factor in over-weging genomen, n.l. de taal, of juister: de vermeende superioriteit van de Franse taal. Binnen Frankrijk worden in feite zes verschil-lende talen gesproken, maar alleen het Frans is er « de » taal. Zij alleen zou toelaten de ge-dachten met de nodige nuances uit te druk-ken. Vandaar dat alleen het Frans wordt toe-gelaten. Op die manier werd de (taalkundige) homogenisering van Frankrijk voltrokken. Deze overtuiging van een vermeende superioriteit vormt de grondslag van het Frans nationalisme. « La prétention de la France de se mêler de tout, partout dans le monde, est devenue anachronique. Et surtout, contraire à ses propres intérêts. (…) Le décalage entre les prétentions françaises et les moyens de la France est devenue intenable » (R. Gubert et E. Saint-Martin in « L’Arrogance Française ») Door het verschil tussen het nationalisme zo-als het in Frankrijk wordt beleden en het nationalisme zoals dat elders wordt opgevat, worden doelbewust veel misverstanden verwekt en… misbruikt. Vandaar dat men kon zeggen dat « het nationalisme der kleine volkeren steeds het impérialisme der groten dient ». Bij de hervormingen die men in de Belgische staat wil doorvoeren, dient vooraf goed voor ogen gehouden dat nationalisme zoals het Frankrijk voor ogen staat, iets totaal anders is dan het nationalisme zoals Vlaamse- en Waalse-nationalisten het opvatten.
Vierde regel van de Franse buiten-landse poiitiek
Franse geschiedenisboeken laten het steeds voorkomen alsof de verdiensten van de Karolingers de zijne waren. Denken wij maar aan « hun » zegepralen tegen de Arabieren, de Noormannen, de Saksen… Van in den begin-ne wenste Frankrijk zich op Europees niveau te doen gelden. Ook nu nog: Frankrijk ziet de Europese Unie louter aïs een unie van natiestaten. Voor Frankrijk behouden de naties hun absolute soevereiniteit. Het land treedt alleen toe tôt een internatio-naal organisme aïs het vooruitzicht heeft er vroeg of laat de bovenhand in te krijgen. Dit lokt dan weer de argwaan op van de andere gewezen grootmachten (o.a. van Duitsland), waardoor Europa verzwakt bip: het continent kan niet sterk worden zolang de grootmachten zich door nationalistische denkbeelden laten inspireren. Naarmate het herenigde Duitsland machtiger wordt, (p.18) zal men zien dat Frankrijk allés in het werk stelt om een tegengewicht te vormen. Een stille annexatie van de Nederlanden zou daar een van de middelen kunnen voor zijn. Uiteraard niet meer militair, maar wel economisch en spiritueel. De Franse buitenlandse politiek blijft nog altijd een machtspolitiek. Wij zijn gewaarschuwd. De economische verovering van de Nederlanden is duidelijk al aan de gang. Het is bijge-volg dwaas dat de nationalisten dit al zo kleine land nogmaais willen verdelen, waardoor het nog minder dan tevoren weerstand zal kunnen bieden aan deze stille annexatie door een buurland. Zij dreigen door hun kortzichtige politiek in de kaart van Frankrijk te spelen. Allé hervormingen dienen er dus absoluut op gericht te zijn het land innerlijk sterker te ma-ken. De nationalisten dienen voor ogen te houden dat wij niet meer in de 20ste eeuw leven! De verhoudingen op wereldschaal zijn grondig gewijzigd.
André Belmans
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2008 |
Günther Nonnenmacher, Der französische Feuerwehrmann, FAZ 03/11/2008
Nicolas Sarkozy ist ganz Wille. Aber hat er auch eine Vorstellung davon, wie die Welt nach der Krise der Finanzmärkte aussehen soll? Wie sich Frankreich und Europa, die einer Rezession entgegengehen, aus der damit verbundenen gesellschaftlichen Depression wieder befreien können? Welche Richtung die Europäische Union einschlagen muss, um mit den Herausforderungen der Zukunft fertig zu werden? (…) Dass Frankreich in allen Führungskonfigurationen eine zentrale Rolle spielen muss, ist dabei – als das grundlegende Axiom – eine Selbstverständlichkeit für Sarkozy. (…) Manchmal scheint er geradezu Vergnügen daran zu finden, den Leuten zu erklären, warum er heute das Gegenteil von dem tun muss, was er gestern versprochen hatte, oder weshalb eine Regel, die gestern noch galt, heute überflüssig geworden ist. Wer seinen windungsreichen Parcours in der französischen Politik verfolgt hat – seit Beginn seiner Präsidentschaft, aber auch in Âmtern davor -, erkennt, dass seine Durchsetzungsfähigkeit die Resultante dieser Wendigkeit und Wandlungsbereitschaft ist. Sarkozy ist ein vorzüglicher Feuerwehrmann, als Architekt ist er dagegen noch nicht hervorgetreten. (…) (…) die deutsche Politik, deren Mantra das Wort ,,Berechenbarkeit » ist, wird nicht recht damit fertig, dass Sarkozy (wie auch sein Aussenminister Kouchner) dauernd neue Ideen gebiert, von denen nicht klar ist, wie ernst sie gemeint sind. Die zum Ritual gewordenen, oft hastig absolvierten Regierungskonsultationen können die deutsch-französischen Beziehungen nicht aus diesem kurzatmigen Reiz-Reaktions-Schema herausführen. Die Regierenden in Paris und Berlin sollten einmal ein Wochenende in Klausur gehen, um darüber nachzudenken, welche Rolle ihre ,,Achse » fur Europa noch spielen kann und soll. Sie sollten so gewissenhaft sein wie die Deutsche Bahn: Wer Haarrisse nicht rechtzeitig repariert, riskiert einen schweren Unfall.
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2008 |
Joyandet Alain, Croire en la francophonie, LB 17/10/2008» Ne sous-estimons pas les forces des francophones dans le monde. A différents niveaux, il y a de bonnes raisons de croire que la francophonie est plus que jamais d’actualité.
Alain JOYANDET Secrétaire d’Etat français chargé de la Coopération et,de la Francophonie
Les francophones du monde entier ont rendez-vous cette semaine à Québec. En France, la francophonie n’a pas bonne presse : il est de bon ton d’en parler au passé, comme d’une vieille lune portée par un idéalisme désuet… Voici quatre bonnes raisons d’y croire ! 1. Avec près de 200 millions de locuteurs francophones, le français n’est que la neuvième langue la plus parlée dans le monde. Mais son potentiel de croissance, à y regarder de près, est énorme. Au Sud, les « réserves » de francophones sont immenses. On le sait, le continent le plus jeune, l’Afrique, sera demain le continent le plus peuplé, avec sans doute 2 milliards d’habitants en 2050. Au total, le continent comptera près de 640 millions de francophones potentiels contre seulement 160 au Nord. Ne nous trompons pas de bataille ! 2. Langue de la diplomatie et des élites, le français aurait déserté le débat d’idées et le terrain de la négociation. Les nations, qu’elles soient unies ou européennes, l’auraient abandonné de longue date au profit de l’anglais. Faut-il rappeler que lors de la dernière Assemblée générale des Nations unies, vingt-trois pays ont choisi de s’exprimer dans la langue de Le Clézio et que le Secrétaire général Ban Ki-Moon s’est exprimé en français et en anglais, tout comme l’ont fait là Grèce, la Roumanie, la Croatie, Maurice et, comme de tradition, le Canada… ? Et quel est, selon vous, le point commun entre les directeurs et secrétaires généraux du FMI de l’OMC, de l’OSCE, de la FAO, du BIT, de l’Unesco et bien évidemment de l’OIF : ils sont tous francophones ! Ne sous-estimons pas toujours nos propres forces ! 3. La francophonie parle aux francophones du monde, elle parle également au monde. Ce constat d’évidence, beaucoup l’ont fait. Les Français, sans doute, moins que les autres. Ils ignorent encore trop souvent que la voix francophone est attendue et écoutée : avec une audience hebdomadaire cumulée de 70 millions de personnes, TV5 Monde, première chaîne généraliste mondiale, fait mieux que la BBC World ! France 24 répond également à une demande forte, partout dans le monde, d’une autre information, d’un autre point de vue, faisant part égale entre les différents acteurs de l’actualité, au Nord comme au Sud. Et RFI demeure la référence en matière de radio un peu partout en Afrique… Ne négligeons pas nos vecteurs d’influence ! 4. Enfin, la francophonie s’engage. Au-delà de la seule question de la défense —essentielle — de la langue française, à travers notamment la bataille pour la diversité linguistique et culturelle, la francophonie prend position sur les crises et les menaces qui pèsent sur la stabilité du monde. En francophonie, le Nord et le Sud se retrouvent autour des sujets qui divisent, comme l’environnement, ou qui rassemblent, comme le développement et la solidarité, et les chefs d’Etat et de gouvernements devront apporter des réponses concertées aux crises alimentaire, énergétique et financière. La francophonie est politique : elle n’hésite plus à prendre position, voire à sanctionner ses membres, lorsqu’ils s’écartent des standards de gouvernance agréés d’un commun accord. Et s’il reste encore des sceptiques, qu’ils se rendent sans tarder à Québec-City !
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2009 |
Enric González, Las virtudas del estadista, in: EP 21/06/2009
François Mitterrand durante sus 14 años como inquilino del Elíseo, cometió todo tipo de tropelías.
En 1983 ordenô que fueran intervenidos los teléfonos de unas 150 personas, entre las que habia politicos, abogados, periodistas y empresarios, a las que consideraba « enemi-gos potenciales ». También intervino el telé-fono de la actriz Carole Bouquet, que no era enemiga potencial, pero le gustaba mucho. En 1984 envié tropas a la frontera entre Congo (entonces Zaïre) y Ruanda, oficialmente para detener el genocidio que los hu-tus cometfan contra los tutsis, en realidad para protéger a los dirigentes del genocidio, viejos aliados de Francia. Solo un afio después, en 1985, hizo que un équipe de agen-tes secretos destruyera en Nueva Zelanda el Rainbow Warrior, buque insignia de Green-peace, para dificultar la protesta de la organización ecologista contra los ensayos nuclea-res franceses en Mururoa. En el atentado contra el Rainbow Warrior muriô un fotôgra-fo, Fernando Pereira. Hubo otros asuntos pûblicos, como la corruption y los sobornos en Elf. Y, evidentemente, otros asuntos privados. No era nin-gûn secreto que Mitterrand mantema rela-ciones con distintas senoras, y tampoco era un secreto que albergaba en un palacio de la Republica a Anne Pingeot, confidente y madré de su hija Mazarine. No era un secreto, pero nadie lo publicaba. Su vida personal estaba tan comparumentada que su hijo Jean-Christophe (conocido en Âfrica como « papa m’ha dit », « papa me ha dicho », por su labor como encargado de la diplomacia mas oscura, esa que, por ejemplo, convirtié en inmensamente rico al recién fallecido présidente de Gabon) no co- . nocié personalmente a su hermanastra Ma-J zarine hasta 1994: Mitterrand habia sido operado de cancer y el hijo le visité antes de la hora fijada, cuando la hija sécréta estaba aùn en la habitation del hospital. La situa-cién, segûn los testigos, résulté embarazosa. Poco después, la revista Paris Match fue autorizada a desvelar el secreto de Anne Pingeot y de Mazarine, que utilizaban habitual-mente el avién presidencial para sus despla-zamientos. Los ûltimos anos, cuando el cancer le obligaba a guardar cama durante casi toda la Jornada, fueron casi dantescos. En 1993 se suicidé Pierre Bérégovoy, ex primer ministre de Mitterrand: ténia mucho de honesto y poco de estadista, y no pudo soportar que le acusaran de corruption. En 1994 se suicidé, en su oficina del EHseo, François de Gros-souvre, que en teoria habfa dejado de ser asesor presidencial en 1985, pero seguîa ocu-pândose, como Jean-Christophe, de los temas ocultos.
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Hannah Arendt et la pensée raciale française
Hannah Arendt & la pensée raciale française
in : Hannah Arendt, L’impérialisme, éd. Fayard, 1982
(extraits d’un livre à acheter absolument)
(p.20) L’IMPÉRIALISME
Qu’un Napoléon eût échoué à réaliser l’unité de l’Europe sous le drapeau français indiquait clairement que toute conquête menée par une nation conduisait soit à un éveil de la conscience nationale chez les peuples conquis, et donc à leur rébellion contre le conquérant, soir à la tyrannie. Et bien que la tyrannie, parce qu’elle n’a pas besoin du consentement, puisse régner avec succès sur des peuples étrangers, elle ne peut se maintenir au pouvoir qu’à condition de préalablement détruire les institutions nationales de son propre peuple.
A la différence des Britanniques et de toutes les autres nations européennes, les Français ont réellement essayé, dans un passé récent, de combiner le jus et l’imperium, et de bâtir un empire dans la tradition de la Rome antique. Eux seuls ont au moins tenté de transformer le corps politique de la nation en une structure politique d’empire, ont cru que « la nation française était en marche… pour aller répandre les bienfaits de la civilisation française » ; ils ont eu le désir d’assimiler leurs colonies dans le corps national en traitant les peuples conquis « à la fois… en frères et… en sujets » – frères en tant qu’unis par les liens nés d’une civilisation française commune, et sujets dans le sens où ces peuples sont les disciples du rayonnement de la France. Ce qui se réalisa en partie lorsque des députés de couleur purent siéger au (p.21) Parlement français et que l’Algérie fut déclarée département.
Cette entreprise audacieuse devait aboutir à une exploitation particulièrement brutale des colonies au nom de la nation. Au mépris de toutes les théories, l’Empire français était, en réalité construit en fonction de la défense nationale, et les colonies étaient considérées comme terres à soldats susceptibles de fournir une force noire capable de protéger les habitants de la France contre les ennemis de leur nation. La fameuse phrase prononcée par Poincaré en 1924: « La France n’est pas un pays de quarante millions d’habitants; c’est un pays de cent millions d’habitants», annonçait purement et simplement la découverte d’une «forme économique de chair à canon, produite selon des méthodes de fabrication en série». Quand, lors de la Conférence sur la paix de 1918, Clémenceau insistait sur le fait qu’il ne désirait rien d’autre qu’« un droit illimité à lever des troupes noires destinées à contribuer à la défense du territoire français en Europe si la France venait à être attaquée par 1’Allemagne», il ne protégeait pas la nation française contre une agression allemande, comme il nous a malheureusement été donné de l’apprendre, bien que son plan ait été mené à bien par l’Etat-Major général; mais il portait là un coup fatal à l’existence, jusque là encore concevable, d’un Empire français. Face à ce nationalisme aveugle et désespéré, les impérialistes britanniques qui acceptaient le compromis du système du mandat faisaient figure de gardiens de l’autodéterminatfon des peuples. Et cela, bien qu’ils eussent fait d’emblée un mauvais usage du système du mandat en pratiquant le « gouvernement indirect » , méthode qui permet à l’administrateur de gouverner un peuple « non pas directement mais par le biais de ses propres autorités locales et trîbales».
(p.74) 1 – UNE «RACE» D’ARISTOCRATES CONTRE UNE “NATION » DE CITOYENS
Un intérêt sans cesse croissant envers les peuples les plus différents, les plus étranges, et même sauvages, a caractérisé la France du XVIIIe siècle. C’était l’époque où l’on admirait et copiait les peintures chinoises, où l’un des écrits les plus fameux du siècle s’appelait les Lettres persanes, et où les récits de voyage constituaient la lecture favorite de la société. On opposait l’honnêteté et la simplicité des peuples sauvages et non civilisés à la sophistication et à la frivolité de la culture. Bien avant que le XIXe siècle et son immense développement des moyens de transport eussent mis le monde non européen à la porte de tout citoyen moyen, la société française du XVIIIe siècle s’était efforcée de s’emparer spirituellement du contenu des cultures et des contrées qui s’étendaient loin au-delà des frontières de l’Europe. Un vaste enthousiasme pour les
«nouveaux spécimens de l’humanité» (Herder) gonflait le coeur des héros de la Révolution qui venaient, après la nation française, libérer tous les peuples de toute couleur sous la bannière de la France.
(p.75) C’est pourtant dans ce siècle créateur de nations et dans le pays de l’amour de l’humanité que nous devons chercher les germes de ce qui devait plus tard devenir la capacité du racisme à détruire les nations et à annihiler l’humanité. On doit noter que le premier à prendre à son compte la coexistence en France de peuples différents, d’origines différentes, fut aussi le premier à élaborer une pensée raciale définie. Le comte de Boulainvilliers, noble français qui écrivit au début du XVIIIe siècle des oeuvres qui ne furent pubIiées qu’après sa mort, interprétait l’histoire de la France comme l’histoire de deux nations différentes dont l’une, d’origine germanique, avait conquis les premiers habitants, les « GauIois », leur avait imposé sa loi, avait pris leurs terres et s’y était installée comme classe dirigeante, en « pairs » dont les droits suprêmes s’appuyaient sur le « droit de conquête » et sur la « nécessité de l’obéissance toujours due au plus fort ». EssentieIIement préoccupé de trouver de nouveaux arguments contre la montée du pouvoir politique du Tiers-Etat et de ses porte-parole, ce «nouveau corps» composé par les « gens de lettres et de loi » , Boulainvilliers devait aussi combattre la monarchie parce que le roi de France ne voulait plus représenter les pairs en tant que primus inter pares, mais bien la nation tout entière : en lui, de ce fait, la nouvelle classe montante trouva un moment son allié le plus puissant. Soucieux de rendre à la noblesse une primauté sans conteste, Boulainvilliers proposait à ses semblables, les nobles, de nier avoir une origine commune avec le peuple français, de briser l’unité de la nation et de se réclamer d’une distinction originelle, donc éternelle. Avec beaucoup plus d’ audace que la (p.76) plupart des défenseurs de la noblesse ne le firent par la suite, Boulainvilliers reniait tout lien prédestiné avec le sol ; il reconnaissait que les « Gaulois » étaient en France depuis plus longtemps, que les « Francs » étaient des étrangers et des barbares. Sa doctrine se fondait exclusivement sur le droit éternel de la conquête et affirmait sans vergogne que «la Frise…fut le véritable berceau de la nation française ». Des siècles avant le développement du racisme impérialiste proprement dit, et ne suivant que la logique intrinsèque de son concept, il avait vu dans les habitants originels de la France des natifs au sens moderne du terme ou, selon ses propres mots, des « sujets » non pas du roi, mais de tous ceux dont le privilège était de descendre d’un peuple de conquérants qui, par droit de naissance, devaient être appelés « Français ».
Boulainvilliers était profondément influencé par les doctrines de la « force fait droit » chères au XVIIe siècle, et il fut certainement l’un des plus fermes disciples contemporains de Spinoza dont il traduisit l’Ethique et dont il analysa le Traité théologico-politique. Selon son interprétation et sa mise en application des idées politiques de Spinoza, la force devenait conquête et la conquête agissait comme une sorte de jugement unique quant aux qualités naturelles et aux privilèges humains des hommes et des nations. On décèle ici les premières traces des transformations naturalistes que devait subir par la suite la doctrine de la « force fait droit ». Cette perspective se trouve renforcée par le fait que Boulainvilliers fut l’un des libres penseurs les plus marquants de son époque, et que ses attaques contre l’Eglise chrétienne n’auraient pu être motivées par le seul anticléricalisme. La théorie de Boulainvilliers ne s’applique toutefois qu’aux peuples, non aux races; elle fonde le droit des peuples supérieurs sur une action historique, la (p.77) conquête, et non sur un fait physique – bien que l’action historique exerce déjà une influence sur les qualités naturelles des peuples conquis. S’il invente deux peuples différents au sein de la France, c’est pour s’opposer à la nouvelle idée nationale telle qu’elle était~présentée dans une certaine mesure par l’alliance de la monarchie absolue et du Tiers-Etat.
Boulainvilliers est antinationaIiste à une epoque où l’identité nationale était ressentie comme neuve et révolutionnaire, et à un moment où l’on n’avait pas perçu, comme cela se produisit à l’occasion de la Révolution française, combien elle était liée à une forme de gouvernement démocratique. Boulainvilliers préparait son pays à la guerre civile sans savoir ce que cette guerre civile signifierait. Il illustre le sentiment d’une bonne fraction des nobles qui ne se considéraient pas comme représentants de la nation mais comme classe dirigeante à part, susceptible d’ avoir beaucoup plus en commun avec un peuple étranger de “même société et condition » qu’avec ses compatriotes. Ce sont bien ces tendances antinationales qui ont exercé leur influence dans le milieu des émigrés avant d’être finalement absorbées par des doctrines raciales nouvelIes et sans ambiguïté à la fin du XIXe siècle.
Ce n’est que lorsque l’explosion proprement dite de la Révolution eut contraint une grande part de la noblesse française à chercher refuge en Allemagne et en Angleterre que les idées de Boulainvilliers se révélèrent fournir une précieuse arme politique. Entretemps, son influence sur l’aristocratie française était restée intacte, comme en témoignent les travaux d’un autre comte, Dubuat-Nançay, qui souhaitait voir se resserrer plus encore les liens de la noblesse française avec ses frères du continent.
(p.79) Il est assez étrange que depuis les premiers temps, où, à l’occasion de sa lutte de classe contre la bourgeoisie, la noblesse française découvrit qu’elle appartenait à une autre nation, qu’elle avait une autre origine généalogique et qu’elle avait des liens plus étroits avec une caste internationale qu’avec le sol de France, toutes les théories raciales françaises aient soutenu le germanisme, ou tout au moins la supériorité des peuples nordiques contre leurs propres compatriotes. Car si les hommes de la Révolution française s’identifiaient mentalement avec Rome, ce n’est pas parce qu’ils opposaient au “germanisme » de leur noblesse un « latinisme » du Tiers-Etat, mais parce qu’ils avaient le sentiment d’ être les héritiers spirituels de la République romaine. Cette revendication historique, dans sa différence par rapport à l’identification tribale de la noblesse, pourrait avoir été l’une des raisons qui ont empêché le « latinisme » de se développer en soi comme doctrine raciale. En tout cas, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, le fait est que ce sont les Français qui, avant les Allemands ou les Anglais, devaient insister sur cette idée fixe d’une supériorité germanique. De la même manière, la naissance de la conscience de race allemande après la défaite prussienne de 1806, alors qu’elle était dirigée contre les Français, ne changea en rien le cours des idéologies raciales en France. Dans les années quarante du siècle dernier, Augustin Thierry adhérait encore à l’identification des classes et des races et (p.80) distinguait entre « noblesse germanique » et « bourgeoisie celte » , cependant que le comte de Rémusat, encore un noble, proclamait les origines germaniques de l’aristocratie européenne. Finalement, le comte de Gobineau développa une opinion déjà couramment admise parmi la noblesse française en une doctrine historique à part entière, affirmant avoir découvert la loi secrète de la chute des civilisations et promu
l’histoire à la dignité d’une science naturelle. Avec lui, la pensée raciale achevait son premier cycle, pour en entamer un second dont les influences devaient se faire sentir jusqu’aux années 20 de notre siècle.
(p.80) II – L’UNITÉ DE RACE COMME SUBSTITUT A L’ÉMANCIPATION NATIONALE
En Allemagne, la pensée raciale ne s’est développée qu’après la déroute de la vieille armée prussienne devant Napoléon. Elle dut son essor aux patriotes prussiens et au romantisme politique bien plus qu’à la noblesse et à ses champions. A la différence du mouvement racial français qui visait à déclencher la guerre civile et à faire éclater la nation, la pensée raciale alle.mande fut inventée dans un effort visant à unir le peuple contre toute domlnation étrangère. Ses auteurs ne cherchaient pas d’alliés au-delà des frontières; ils voulaient éveiller dans le peuple la conscience d’une origine commune. En fait, cette attitude excluait la noblesse et ses relations notoirement cosmopolites lesquelles étaient d’ailleurs moins caractéristiques des Junkers prussiens que du reste de la noblesse européenne; en tout cas, cela excluait que cette pensée (p.81) raciale pût s’appuyer sur la classe sociale la plus fermée.
Comme la pensée raciale allemande allait de pair avec les vieilles tentatives déçues visant à unifier les innombrables Etats allemands, elle demeura à ses débuts si étroitement liée à des sentiments nationaux d’ordre plus général qu’il est assez malaisé de distinguer entre le simple nationalisme et un racisme avoué. D’inoffensifs sentiments nationaux s’exprimaient en des termes que nous savons aujourd’hui être racistes, si bien que même les historiens qui identifient le courant raciste allemand du XXe siècle avec le langage très particulier du nationalisme allemand ont curieusement été amenés à confondre le nazisme avec le nationalisme allemand, contribuant ainsi à sous-estimer le gigantesque succès international de la propagande hitlérienne. Ces circonstances particulières du nationalisme allemand changèrent seulement quand, après 1870, l’unification de la nation se fut effectivement réalisée et que le racisme allemand eut, de concert avec l’impérialisme allemand, atteint son plein développement. De ces débuts, un certain nombre de caractéristiques ont toutefois survécu, qui sont restées significatives au courant de pensée rociale spécifiquement allemand.
A la différence des nobles français, les nobles prussiens avaient le sentiment que leurs intérêts étaient étroitement liés à la position de la monarchie absolue et, dès l’époque de Frédéric II en tout cas, ils cherchèrent à se faire reconnaître comme représentants légitimes de la nation tout entière. A l’exception des quelques années de réformes prussiennes (de 1808 à 1812), la noblesse prussienne n’était pas effrayée par la montée d’une classe bourgeoise qui aurait pu vouloir s’emparer du gouvernement, pas plus qu’elle n’avait à craindre une coalition entre les classes moyennes et la dynastie au pouvoir.
(p.88) Bien que, dans ce sens, les valeurs de la noblesse aient contribué à l’essor de la pensée raciale, les Junkers eux-mêmes furent pour ainsi dire étrangers au façonnement de cette mentalité. Le seul Junker de l’époque à avoir développé une théorie politique en propre, Ludwig von der Marwitz, n’employa jamais de termes raciaux. Selon lui, les nations étaient séparées par la langue – différence spirituelle et non physique – et bien qu ‘il condamnât farouchement la Révolution française, il s’exprimait de la même manière que Robespierre sur la question de l’ agression éventuelle d’une nation contre une autre nation: « Celui qui songerait à étendre ses frontières devrait être considéré comme un traître déloyal par la République des Etats européens tout entière ». C’est Adam Mueller qui insista sur la pureté de lignage comme critère de noblesse, et c’est Haller qui, partant de cette évidence que les puissants dominent ceux qui sont privés de pouvoir, n’hésita pas à aller plus loin et à déclarer « loi naturelle » que les faibles doivent être dominés par les forts. Bien entendu, les nobles applaudirent avec enthousiasme en apprenant que leur usurpation du pouvoir non seulement était légale, mais encore obéissait aux lois naturelles, et c’est en fonction de ces définitions bourgeoises que, pendant tout le XIXe siècle, ils évitèrent les « mésalliances » avec un soin encore plus diligent que par le passé.
Cette insistance sur une origine tribale commune comme condition essentielle de l’identité nationale, formulée par les nationalistes allemands pendant et après la guerre de 1814, et l’accent mis par les romantiques (p.89) sur la personnalité innée et la noblesse naturelle, ont intellectuellement préparé le terrain à la pensée raciale en Allemagne. L’une a donné naissance à la doctrine organique de l’histoire et de ses lois naturelles; de l’autre naquit à la fin du siècle ce pantin grotesque, le surhomme, dont la destinée naturelle est de gouverner le monde. Tant que ces courants cheminaient côte à côte, ils n’étaient rien de plus qu’un moyen temporaire d’échapper aux réalités politiques. Une fois amalgamés, ils constituèrent la base même du racisme en tant qu’idéologie à part entière. Ce n’est pourtant pas en Allemagne que le phénomène se produisit en premier lieu, mais en France, et il ne fut pas le fait des intellectuels de la classe moyenne, mais d’un noble aussi doué que frustré, le comte de Gobineau.
III – LA NOUVELLE CLE DE L’HISTOIRE
En 1853, le comte Arthur de Gobineau publia son Essai sur l’Inégalité des Races humaines, qui devait attendre quelque cinquante ans pour devenir, au tournant du siècle, une sorte d’ouvrage-modèle pour les théories raciales de l’histoire. La première phrase de cet ouvrage en quatre volumes – « La chute de la civilisation est le phénomène le plus frappant et, en même temps, le plus obscur de l’histoire” – révèle clairement l’intérêt fondamentalement neuf et moderne de son auteur, ce nouvel état d’esprit pessimiste qui imprègne son oeuvre et qui constitue une force idéologique capable de faire l’unité de tous les éléments et opinions contradictoires antérieurs.
(p.92) Lorsque Gobineau commença son oeuvre, à l’époque de Louis-Philippe, le roi bourgeois, le sort de la noblesse semblait réglé. La noblesse n’avait plus à craindre la victoire du Tiers-Etat, celleci était déjà accomplie; elle ne pouvait plus que se plaindre. Sa détresse, telle que l’exprime Gobineau, est parfois très proche du grand désespoir des poètes de la décadence qui, quelques décennies plus tard, chanteront la fragilité de toutes choses humaines. Pour ce qui concerne Gobineau, cette affinité est plutôt accidentelle ; mais il est intéressant de noter qu’une fois celle-ci établie, il n’y avait plus rien pour empêcher des intellectuels parfaitement respectables, tels Robert Dreyfus en France ou Thomas Mann en Allemagne, de prendre au sérieux ce descendant d’Odin quand vint la fin du siècle. Bien avant que ne se profile ce mélange humainement incompréhensible d’horrible et de ridicule que notre siècle porte pour sceau, le ridicule avait déjà perdu le pouvoir de tuer.
C’est aussi au singulier esprit pessimiste, au désespoir actif des dernières décennies du siècle que Gobineau dut son succès tardif. Ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il ait lui-même été un précurseur de la génération de « la joyeuse ronde de la mort et du négoce » (]oseph Conrad). Il n’était ni l’un de ces hommes d’Etat qui avaient foi dans les affaires, ni l’un de ces poètes qui chantaient la mort. Il était seulement un curieux mélange de noble frustré et d’intellectuel romantique, qui inventa le racisme pour ainsi dire par hasard : lorsqu’il s’aperçut qu’il ne pouvait plus se contenter des vieilles doctrines des deux peuples réunis au sein de la France et que, vu les circonstances nouvelles, il devait réviser le vieux principe selon lequel les meilleurs se trouvent nécessairement au sommet de la société. A contrecoeur, il dut contredire ses maîtres à penser et expliquer que les meilleurs , les nobles, ne pouvaient même plus espérer (p.93) retrouver leur position premlère. Petit à petit, il identifia la chute de sa caste avec la chute de la France, puis avec celle de la civilisation occidentale, et enfin..
avec celle de l’humanité tout entière. Ainsi fit-il cette découverte – qui lui valut par la suite tant d’admirateurs parmi les écrivains et les biographes – que la chute des civilisations est due à une dégénerescence de la race, ce pourrissement étant causé par un sang mêlé, car dans tout mélange, la race inférieure est toujours dominante. Ce type d’argumentation, qui devint presque un lieu commun après le tournant du siècle, ne coïncidait pas avec les doctrines progressistes des contemporains de Gobineau, qui connurent bientôt une autre idée fixe, celle de la « survie des meilleurs”. L’optimisme libéral de la bourgeoisie victorieuse voulait une nouvelle édition de la théorie de la « force fait droit », non une clé de l’histoire ou la preuve d’une inéluctable déchéance. Gobineau chercha en vain à élargir son public en prenant parti dans la question esclavagiste en Amérique, et en constrsant habilement tout son système sur le conflit fondamental entre Blancs et Noirs. Il lui fallut près de cinquante ans pour devenir une gloire auprès de l’élite, et ses ouvrages durent attendre la Première Guerre mondiale et sa vague de philosophies de la mort pour jouir d’une réelle et large popularité.
Ce que Gobineau cherchait en réalité dans la politique, c’était la définition et la création d’une « élite » qui remplacerait l’anstocratie. Au lieu de princes, il proposait une « race de princes », les Aryens, qui étaient en danger, disait-il, de se voir submergés par les classes inférieures non-aryennes du fait de la démocratie. Le concept de race permettait d’introduire les «personnalités innées » du romantisme allemand et de les définir comme les membres d’une aristocratie naturelle, destinée à régner sur tous les autres hommes. Si la race et le mélange des races sont les facteurs (p.94) déterminants de l’individu – et Gobineau n’affirmait pas l’existence de sangs « purs » -, rien n’empêche de prétendre que certaines supériorités physiques pourraient se développer en tout individu, quelle que soit sa présente position sociale, et que tout homme d’exception fait partie de ces « authentiques fils et survivants… des Mérovingiens “, qu’il est l’un de ces « fils de rois ». Grâce à la race, une « élite » allait se former qui pourrait revendiquer les vieilles prérogatives des familles féodales au seul fait qu’elle avait le sentiment d’être une noblesse ; la reconnaissance de l’idéologie de race allait en soi devenir la preuve formelle qu’un individu était de « bon sang » , que du « sang bleu » coulait dans ses veines et qu’une telle origine supérieure impliquait des droits supérieurs. D’un même événement politique, le déclin de la noblesse, notre Comte tirait donc deux conséquences contradictoires: la dégénérescence de la race humaine et la constitution d’une aristocratie nouvelle et naturelle.
(p.95) Les idéologues qui prétendent détenir la clé de la réalité sont obligés de modifier leurs opinions et de les adapter coûte que coûte aux cas isolés en fonction des événements les plus récents, et ils ne peuvent jamais se permettre d’entrer en conflit avec leur insaisissable dieu, la réalité. Il serait absurde de demander d’être fiables à des gens qui , en vertu de leurs convictions, doivent précisément pouvoir justifier n’importe quelle situation donnée.
(…) Taine lui-même croyait fermement au génie supérieur de la « nation germanique », et Ernest Renan a probablement été le premier à opposer les « Sémites » aux «Aryens» en une « division du genre humain » décisive, bien qu’il reconnût en la civilisation la grande force supérieure qui détruit les originalités locales aussi bien que les différences de race originelles.
(p.108) /Auguste Comte en France/
… celui-ci exprimait son espoir de voir une humanité unie, organisée, régénérée sous l’égide – la présidence – de la France.